LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que se plaignant d'actes de concurrence déloyale commis par la Société française de transports Gondrand frères (la société Gondrand), la société Maghreb solutions a saisi le président d'un tribunal de commerce à fin de voir désigner un huissier de justice pour effectuer diverses mesures sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile puis a assigné cette société au fond en indemnisation du préjudice subi résultant de ces actes ; que la requête de la société Maghreb solutions ayant été accueillie et une mesure de séquestre ordonnée, la société Gondrand, après avoir été assignée au fond, a saisi un juge des référés pour obtenir la rétractation de l'ordonnance ; qu'à titre reconventionnel, la société Maghreb solutions a demandé la mainlevée de la mesure de séquestre à laquelle la société Gondrand a opposé une exception de listispendance ;
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les premier et deuxième moyens annexés qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le moyen relevé d'office, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile :
Vu les articles 100, 496, 497 et 875 du code de procédure civile ;
Attendu que pour ordonner la mainlevée du séquestre de l'ensemble des documents saisis lors des opérations de constat effectuées par l'huissier de justice le 27 août 2014, l'arrêt retient que la société Gondrand ne peut être admise à soulever l'exception de litispendance devant la cour d'appel au profit d'une juridiction de première instance, en l'occurence le tribunal de commerce de Paris ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'instance en rétractation ayant pour seul objet de soumettre à un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées à l'initiative d'une partie en l'absence de son adversaire, la saisine du juge de la rétractation se trouve limitée à cet objet, de sorte qu'était irrecevable la demande tendant à voir ordonner, en cas de rejet de la demande de rétractation, la mainlevée de la mesure de séquestre, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a ordonné la mainlevée du séquestre de l'ensemble des documents saisis lors des opérations de constat réalisées le 27 août 2014 dans les locaux de la Société française de transports Gondrand frères, et la communication à la société Maghreb solutions de l'ensemble de ces documents, dans un délai de huit jours à compter de la signification de la présente ordonnance, l'arrêt rendu le 13 avril 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DECLARE irrecevable la demande de mainlevée du séquestre présentée au cours de l'instance en rétractation ;
Condamne la société Maghreb solutions aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la Société française de transports Gondrand frères la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept septembre deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour la Société française de transports Gondrand frères.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit n'y avoir lieu à rétracter l'ordonnance sur requête du 13 août 2014 et d'AVOIR ordonné en conséquence la mainlevée du séquestre de l'ensemble des documents saisis lors des opérations de constat réalisées le 27 août 2014 dans les locaux de la société Française de Transports Gondrand Frères, et la communication à la société Maghreb Solutions de l'ensemble de ces documents dans un délai de huit jours suivant signification ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE sur le défaut de motivation, la société Gondrand fait valoir en premier lieu que l'ordonnance sur requête du 13 août 2014 ne s'explique pas suffisamment sur l'existence d'un motif légitime au sens des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, en second lieu qu'elle ne justifie pas de la nécessité de déroger au principe du contradictoire, au regard des dispositions de l'article 493 du code de procédure civile. ; que sur le premier point, le fait, allégué par la société Gondrand, que l'ordonnance du 13 août 2014 se borne à se référer aux motifs exposés dans la requête ne caractérise pas à lui seul un défaut de motivation ; qu'il ne peut en effet être fait grief au président du tribunal de commerce de s'être limité à adopter les motifs de la requête que dans l'hypothèse où ces derniers seraient eux-mêmes insuffisants pour permettre de caractériser le motif légitime visé à l'article 145 du code de procédure civile ; qu'or force est de constater, à la lecture de la requête, que cette dernière énumère amplement les circonstances susceptibles de justifier la mesure d'instruction que la société Maghreb Solutions sollicite ; que la requête énonce en effet un ensemble d'éléments susceptibles de caractériser des actes de concurrence déloyale commis par la société Gondrand ; qu'ainsi, elle expose que quatre cadres de la société Maghreb Solutions ont démissionné avant d'être embauchés par la société Gondrand; que M. Z..., son ancien directeur général adjoint, démissionnaire en 2014, a participé à ce débauchage, et qu'il a en outre entrepris de détourner des informations détenues par la société Maghreb Solutions au bénéfice de la société Gondrand, au moyen de transfert de fichiers appartenant à la première ; que la société Gondrand, par l'intermédiaire de M. Z..., a engagé une tentative de détournement de clientèle de la société Maghreb Solutions (GMD, Armor Lux) ;
AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS QUE dans la présente instance, des faits pertinents sont de nouveaux rapportés par la société Maghreb Solutions SAS sur la nécessité d'un effet de surprise, conditionnant l'efficacité de la mesure sollicitée et d'un intérêt légitime à la conservation d'éléments de preuve en relation avec le procès en concurrence déloyale que la société Maghreb Solutions SAS a initié, justifiant ainsi qu'il soit dérogé au principe de la contradiction ;
1) ALORS QU'il peut être ordonné sur requête toutes mesures d'instruction légalement admissibles s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ; qu'à cet égard, la légitimité du motif invoqué par le requérant doit s'apprécier, non en fonction de l'éventuel bien-fondé de l'action restant à introduire sur le fond, mais au regard de la nécessité ou de l'utilité pour le demandeur de recourir à une mesure d'instruction avant tout procès ; qu'en se bornant à relever en l'espèce que la requête de la société Maghreb Solutions faisait état d'un ensemble de circonstances susceptibles de caractériser des actes de concurrence déloyale, quand il lui appartenait de vérifier si, indépendamment du bien-fondé éventuel de cette action en concurrence déloyale, la société Maghreb Solutions invoquait un motif justifiant de faire la preuve des faits reprochés à la société Gondrand frères avant même l'introduction de tout procès, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 145, 493 et 875 du code de procédure civile ;
2) ALORS QU'il peut être ordonné sur requête toutes mesures d'instruction légalement admissibles s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ; que la constatation de ce motif légitime doit figurer dans la requête ou dans l'ordonnance rendue à la suite de cette requête, sans que le juge de la rétractation puisse suppléer une carence de motivation de cette ordonnance ; qu'en retenant en l'espèce, que dans la présente instance en rétractation, des faits pertinents étaient rapportés par la société Maghreb Solutions sur l'existence d'un intérêt légitime à conserver des éléments de preuve en relation avec le procès en concurrence déloyale initié par cette société, sans constater que ces motifs étaient déjà évoqués dans la requête ou l'ordonnance rendue sur cette requête, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 145, 493 et 875 du code de procédure civile.
DEUXIÈ
ME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit n'y avoir lieu à rétracter l'ordonnance sur requête du 13 août 2014 et d'AVOIR ordonné en conséquence la mainlevée du séquestre de l'ensemble des documents saisis lors des opérations de constat réalisées le 27 août 2014 dans les locaux de la société Française de Transports Gondrand Frères, et la communication à la société Maghreb Solutions de l'ensemble de ces documents dans un délai de huit jours suivant signification ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE sur l'illégalité alléguée de la mesure d'instruction ordonnée sur requête, la société Gondrand soutient que celle-ci constitue d'une part une mesure générale d'investigation, d'autre part une mesure de contrainte non admissible dès lors que l'ordonnance ne fait pas obligation à l'huissier de solliciter et d'obtenir son consentement préalablement à la remise spontanée des documents visés ; que sur le premier point, la société Gondrand fait valoir que la disposition de l'ordonnance autorisant la société requérante à communiquer à l'huissier, préalablement aux opérations de constat, tous critères de recherche relatifs aux faits mentionnés, en particulier en communiquant une liste de mots-clés, a eu pour effet d'élargir le champ des investigations à toutes les correspondances de quelque nature qu'elles soient, sans limitation ni contrôle ; que néanmoins, la lecture de l'ordonnance permet de vérifier que les mesures autorisées étaient limitées dans le temps (janvier à août 2014), dans l'espace (seul étant concernée l'agence Gondrand de Bruges) et par leur objet, puisqu'elles s'appliquaient à des correspondances échangées entre des employés de la société Gondrand et des personnes soupçonnées d'avoir été débauchées par elle, des correspondances faisant apparaître le nom de l'agence suspectée d'avoir été mise en place au moyen des actes de concurrence déloyale imputés à la société Gondrand, des correspondances, bons de commande ou factures relatifs à des clients de la société Maghreb Solutions soupçonnés d'avoir été démarchés par la société Gondrand, des listes de personnels suspectés d'avoir été débauchés et des clients susceptibles d'avoir été démarchés ; qu'ainsi et contrairement à ce que soutient la société Gondrand, les mesures autorisées par l'ordonnance étaient précisément définies et limitées à la recherche de preuves susceptibles de caractériser les actes de concurrence déloyale reprochés à la société Gondrand ; que la mention autorisant la communication à l'huissier de justice instrumentaire d'une liste de mots-clés intervient dans le cadre ainsi tracé, sans le modifier ni l'élargir, en permettant de faciliter des recherches dont la nature et l'objet ont été strictement définis et délimités par l'ordonnance ; que sur le second point, la société Gondrand soutient que l'ordonnance sur requête constitue une mesure de contrainte non admissible en ce qu'elle prévoit que ses représentants et/ou salariés seront tenus à collaborer à sa parfaite exécution, alors qu'elle était en droit de s'opposer à la remise des documents, ce dont l'huissier de justice aurait dû l'informer, et qui aurait dû être précisé dans l'ordonnance ; que toutefois, il peut être ordonné à des tiers à la demande d'une partie, sur requête ou en référé, de produire tous documents qu'ils détiennent s'il existe un motif légitime de conserver avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige et si aucun empêchement légitime ne s'oppose à cette production par le tiers détenteur, sans que le consentement de ce dernier ne soit requis ; que de même, lorsque le juge rend une ordonnance de désignation d'un huissier aux fins de constat, il peut autoriser le recours à la force publique pour permettre l'exécution de la mesure qu'il autorise ;
AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS QUE les mesures autorisées sont limitées dans le temps, dans leur objet, elles le sont également géographiquement ; que les précisions demandées à la société française de transports Gondrand frères SA sont purement techniques et restent circonscrites à l'objet du litige ; qu'il ne s'agit pas d'une mesure générale d'investigation ; que les mesures d'instruction dont il s'agit sont justifiées et admissibles ;
ALORS QUE le juge saisi sur requête ne peut ordonner que des mesures d'instruction légalement admissible ; qu'à cet égard, la dérogation au principe de la contradiction doit être strictement proportionnée à la nécessité de recueillir les éléments de preuve dont pourrait dépendre la solution d'un litige ; qu'en l'espèce, l'ordonnance rendue sur requête le 13 août 2014 a donné à l'huissier de justice mission de se rendre dans les locaux de la société Gondrand, ou d'accéder à distance à tous serveurs informatiques d'autres sites ou de tiers, pour obtenir communication de toutes correspondances, notamment électroniques, susceptibles de se rapporter aux faits de concurrence déloyale reprochés à cette société, la liste de ses clients, les bons de commandes et factures destinés à certains de ses clients, les livres d'entrée et de sortie du personnel, et de faire copie de ses fichiers, le tout avec faculté pour la société requérante de communiquer au préalable à l'huissier de justice une liste de mots-clés sur laquelle effectuer ses recherches ; qu'en jugeant que cette mesure d'instruction était suffisamment délimitée dans son objet, la cour d'appel a violé les articles 145, 493 et 875 du code de procédure civile.
TROISIÈ
ME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR ordonné la mainlevée du séquestre de l'ensemble des documents saisis lors des opérations de constat réalisées le 27 août 2014 dans les locaux de la société Française de Transports Gondrand Frères, et la communication à la société Maghreb Solutions de l'ensemble de ces documents dans un délai de huit jours suivant signification et d'AVOIR, ce faisant, rejeté l'exception de litispendance soulevée par la société française de transports Gondrand frères ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE sur la demande de mainlevée de séquestre formée par la société Maghreb Solutions ; la société Gondrand oppose à cette demande l'exception de litispendance en demandant à la cour, après infirmation de l'ordonnance, de se dessaisir au profit du tribunal de commerce de Paris, saisi au fond de la même demande de mainlevée par la société Maghreb Solutions avant celle qu'elle a formulée dans le cadre de l'instance introduite devant le juge des référés du tribunal de commerce de Bordeaux ; qu'il ressort toutefois de l'article 102 du code de procédure civile que "lorsque les juridictions saisies ne sont pas de même degré, l'exception de litispendance ou de connexité ne peut être soulevée que devant la juridiction de degré inférieur." ; qu'il en résulte que la société Gondrand ne peut être admise à soulever l'exception de litispendance devant la cour au profit d'une juridiction de première instance, en l'occurrence le tribunal de commerce de Paris ;
AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS QUE la société Maghreb Solutions SAS nous demande d'ordonner la mainlevée du séquestre des pièces et documents saisis par l'huissier ; que la société française de transports Gondrand frères SA s'oppose et nous demande de nous dessaisir au profit du Tribunal de Commerce de Paris, en application de l'article 100 du code de procédure civile ; que toutefois, il n'y a pas de litispendance entre une demande de rétractation d'une mesure d'instruction et une instance au fond en concurrence déloyale ;
1) ALORS QUE si le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l'autre si l'une des parties le demande ; que lorsque les juridictions saisies ne sont pas de même degré, l'exception de litispendance ne peut être soulevée que devant la juridiction du degré inférieur ; que le point de savoir si une demande a été formulée en premier lieu devant une juridiction s'apprécie au jour du dépôt des écritures ; que la question distincte de savoir si l'exception de litispendance a été soulevée devant une juridiction de même degré que celle parallèlement saisie de la même demande s'apprécie pour sa part au jour où le juge saisi de cette exception est appelé à statuer ; qu'en l'espèce, il est constant que la société française de transports Gondrand frères avait soulevé une exception de litispendance dès la première instance devant le juge des référés au vu de l'identité de la demande de mainlevée du séquestre précédemment formée devant le tribunal de commerce saisi au fond de l'action en concurrence déloyale ; qu'en opposant que le juge du second degré, saisi de l'appel de l'ordonnance ayant rejeté cette exception de litispendance, ne pouvait se dessaisir au profit d'une juridiction de degré inférieur, la cour d'appel a violé l'article 100 du code de procédure civile, par refus d'application, et l'article 102 du même code, par fausse application ;
2) ALORS QUE la situation de litispendance s'apprécie chef par chef, au regard de l'objet de la demande arguée de litispendance ; qu'en l'espèce, la société française de transports Gondrand frères soutenait que la demande reconventionnelle de la société Maghreb Solutions visant à obtenir la mainlevée du séquestre pratiqué par l'huissier de justice avait déjà été formée par cette société devant le tribunal de commerce de Paris saisi au fond de l'action en concurrence déloyale ; qu'en opposant qu'il n'existait pas de litispendance entre une demande de rétractation d'une mesure d'instruction et une action en concurrence déloyale, sans rechercher, comme il lui était demandé, s'il n'existait pas une identité de demande s'agissant de l'objet de la prétention visant à obtenir la mainlevée du séquestre dans l'une et l'autre de ces deux procédures, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 100 du code de procédure civile.