La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/09/2018 | FRANCE | N°17-16089

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 26 septembre 2018, 17-16089


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que l'association Fonds régional d'art contemporain de Lorraine (le FRAC) a organisé, dans ses locaux, une exposition intitulée "You are my mirror 1 ; L'infamille", à l'occasion de laquelle a été présentée une oeuvre de M. Y..., constituée de plusieurs lettres rédigées en ces termes :

"Les enfants, nous allons vous enfermer, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard Papa et Maman.
Les enfants, nous allons faire de vous nos esclaves, vous êtes notre

chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous ...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que l'association Fonds régional d'art contemporain de Lorraine (le FRAC) a organisé, dans ses locaux, une exposition intitulée "You are my mirror 1 ; L'infamille", à l'occasion de laquelle a été présentée une oeuvre de M. Y..., constituée de plusieurs lettres rédigées en ces termes :

"Les enfants, nous allons vous enfermer, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard Papa et Maman.
Les enfants, nous allons faire de vous nos esclaves, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous faire bouffer votre merde, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous sodomiser, et vous crucifier, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous arracher les yeux, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous couper la tête, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous vous observons, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous tuer par surprise, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous empoisonner, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, vous crèverez d'étouffement, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons égorger vos chiens, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous découper et vous bouffer, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons faire de vous nos putes, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous violer, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous arracher les dents, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous défoncer le crâne à coups de marteau, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous coudre le sexe, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous pisser sur la gueule, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous enterrer vivants, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Nous allons baiser vos enfants et les exterminer, nous introduire chez vous, vous séquestrer, vous arracher la langue, vous chier dans la bouche, vous dépouiller, vous brûler vos maisons, tuer toute votre famille, vous égorger, filmer notre mort." ;

que, soutenant que la représentation de cette oeuvre, accessible à tous, était constitutive de l'infraction prévue et réprimée par l'article 227-24 du code pénal, l'Association générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne (l'AGRIF) a signalé ces faits au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Metz, qui a décidé d'un classement sans suite ; qu'invoquant l'atteinte portée à la dignité de la personne humaine, garantie par l'article 16 du code civil, elle a assigné le FRAC, sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240 du même code, pour obtenir réparation du préjudice résultant de l'atteinte portée aux intérêts collectifs qu'elle a pour objet de défendre ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches, et sur le second moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés :

Attendu que ces griefs ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur la deuxième branche du second moyen :

Vu l'article 16 du code civil, ensemble l'article 12, alinéa 1, du code de procédure civile ;

Attendu que, pour rejeter la demande indemnitaire de l'AGRIF, après avoir relevé que ladite association soutient qu'indépendamment de toute incrimination pénale, l'organisation de l'exposition au cours de laquelle a été présentée l'oeuvre litigieuse, qui porte atteinte à la dignité de la femme et au respect de l'enfant, est constitutive d'une faute civile, l'arrêt retient que l'argumentation présentée par l'AGRIF ne fait référence utile à aucun texte de loi qu'aurait pu enfreindre le FRAC en exposant les écrits litigieux, dès lors que l'article 16 du code civil n'a pas valeur normative et ne fait que renvoyer au législateur l'application des principes qu'il énonce ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le principe du respect de la dignité de la personne humaine édicté par l'article 16 du code civil est un principe à valeur constitutionnelle dont il incombe au juge de faire application pour trancher le litige qui lui est soumis, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du second moyen :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable l'action civile de l'Association générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne relative aux faits délictueux prévus à l'article 227-24 du code pénal, l'arrêt rendu le 19 janvier 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne l'association Fonds régional d'art contemporain de Lorraine aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six septembre deux mille dix-huit.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Le Griel, avocat aux Conseils, pour l'Association générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne.

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir, infirmant le jugement rendu le 21 novembre 2013 par le tribunal de grande instance de Metz, déclaré irrecevable l'action civile de l'Association Alliance Générale contre le Racisme et pour le respect de l'Identité Française et chrétienne relative aux faits délictueux prévus par l'article 227-24 du code pénal,

Aux motifs que l'article 31 du code de procédure civile dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ; que l'AGRIF soutient que les faits qu'elle reproche au FRAC sont constitutifs de l'infraction prévue à l'article 227-24 du code pénal ; que par ailleurs le jugement dont l'AGRIF sollicite la confirmation, a retenu la responsabilité civile du FRAC en relevant que les faits qui étaient soumis au tribunal entraient dans les prévisions de l'article 227-24 du code pénal de sorte qu'il n'y avait pas lieu d'examiner une faute civile distincte ; qu'en caractérisant de faute au sens de l'article 1382 du code civil, la prétendue commission par le FRAC de l'infraction prévue à l'article 227-24 du code pénal, l'AGRIF ne fait en réalité qu'exercer l'action civile relative à ce délit selon les modalités prévues par l'article 4, alinéa 1, du code de procédure pénale ; qu'en effet, la faute civile invoquée est indissociable de la faute pénale dont elle découle ; que l'exercice de l'action civile relative aux infractions par les associations est un droit exceptionnel qui est strictement renfermé dans les limites fixées par le code de procédure pénale ; qu'au regard des dispositions de l'article 2 du code de procédure pénale, l'AGRIF ne soutient pas qu'elle a été directement lésée par l'infraction imputée au FRAC, ce qui ne peut d'ailleurs se concevoir s'agissant d'un délit qui a pour finalité exclusive la protection des mineurs ; que l'AGRIF justifie son action civile par l'atteinte aux intérêts collectifs qu'elle est en charge de défendre à raison de son objet social, atteinte dont le FRAC se serait rendu responsable en commettant l'infraction prévue à l'article 227-24 du code pénal ; que cependant cette voie lui est fermée par les dispositions de l'article 2-3 du code de procédure pénale qui n'habilitent une association à exercer les droits de la partie civile suite à la commission des infractions de mise en péril des mineurs visées par ce texte, que lorsque l'action publique a été préalablement mise en mouvement, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; que dès lors le FRAC est bien fondé à invoquer le défaut de qualité de l'AGRIF à exercer les droits reconnus à une partie civile contre l'auteur supposé d'une infraction prévue par l'article 227-24 du code pénal ; que l'AGRIF ne peut utilement invoquer pour prétendre à la recevabilité de ses demandes à ce titre, que son action ne se fonde que sur les dispositions de l'article 1382 du code civil et non sur celles de l'article 227-24 du code pénal, quand, d'une part, le texte du code civil ne définit pas la faute génératrice de responsabilité et que, d'autre part, la faute civile invoquée en l'espèce ne repose que sur l'existence d'une faute pénale indissociable et en épouse exactement les contours ; qu'il convient en définitive de déclarer l'action civile de l'AGRIF relative à l'infraction de l'article 227-24 du code pénal, n'est pas recevable ;

1° Alors que les associations peuvent agir en justice au nom d'intérêts collectifs dès lors que ceux-ci entrent dans leur objet social, cet objet leur donnant mission d'agir ; que l'AGRIF, association déclarée, régie par la loi du 1er juillet 1901, a notamment pour objet, en vertu de l'article 2, alinéa 3, de ses statuts, de « lutter contre (
) l'étalage public de la pornographie et tout ce qui porte notamment atteinte à la dignité de la femme et au respect de l'enfant » ; qu'il entre ainsi dans son objet d'agir en justice, ainsi qu'elle l'a soutenu, pour demander réparation au FRAC de Lorraine pour l'exposition publique, ouverte à tous, des messages de M. Y..., particulièrement violents à l'égard des enfants [esclavage, sodomie, dégradations, mutilations, viols, assassinat, tortures et actes de barbarie], manifestement attentatoires à leur dignité et psychologiquement destructeurs puisqu'ils sont supposés émaner de leurs propres parents ; que, tout en fondant son action exclusivement sur les dispositions de l'article 1382 du code civil, l'AGRIF a souligné que la faute ainsi reprochée était « d'autant plus évidente que le juge pénal a entendu interdire pénalement l'exposition de ce genre de messages accessibles aux mineurs », ce pourquoi elle visait le contenu de l'article 227-24 du code pénal sanctionnant la diffusion de messages portant gravement atteinte à la dignité humaine et susceptibles d'être vus par des mineurs ; que, la référence à ce texte étant purement argumentative, l'AGRIF n'a pas réclamé la réparation d'un dommage causé par une infraction pénale, et ne s'est prévalue ni de la qualité de victime pénale ni d'une quelconque habilitation légale à agir ; qu'en jugeant dès lors que l'AGRIF exerçait en réalité « l'action civile » « relative à l'infraction pénale de l'article 227-24 du code pénal », au motif que la faute reprochée ne reposait « que sur l'existence d'une faute pénale indissociable » dont elle « épous(ait) exactement les contours », la cour a dénaturé les termes du litige, en violation des articles 4 et 954 du code de procédure civile ;

2° Alors qu'aucun principe n'interdit à une personne qui agit sur un fondement exclusivement civil pour demander réparation d'un dommage, d'invoquer la circonstance que le fait fautif qui l'a provoqué peut également être frappé de sanctions pénales ; que cette invocation, qui ne vise qu'à souligner la gravité du fait, ne transforme pas la demande ainsi présentée en « action civile » au sens pénal du terme ; qu'en l'espèce, l'AGRIF n'a invoqué les dispositions de l'article 227-24 du code pénal que pour souligner la gravité des faits dont elle demandait réparation exclusivement sur le fondement de l'article 1382 ancien du code civil ; qu'en jugeant dès lors que son action en réparation ne pouvait s'analyser que comme une « action civile » relative à l'infraction pénale, parce que le texte du code civil invoqué ne contient aucune définition tandis que le texte pénal « épouse exactement les contours » des faits invoqués par l'AGRIF, la cour a violé les articles 1382 ancien du code civil et 227-24 du code pénal par fausse application.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir, infirmant le jugement rendu le 21 novembre 2013 par le tribunal de grande instance de Metz, rejeté les demandes indemnitaires de l'Association Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne,

Aux motifs que l'AGRIF ne peut utilement invoquer pour prétendre que son action ne se fonde que sur les dispositions de l'article 1382 du code civil et non sur celles de l'article 227-24 du code pénal, quand, d'une part, le texte du code civil ne définit pas la faute génératrice de responsabilité et que, d'autre part, la faute civile invoquée en l'espèce ne repose que sur l'existence d'une faute pénale indissociable et en épouse exactement les contours, de sorte qu'il convient de déclarer l'action civile de l'AGRIF relative à l'infraction de l'article 227-24 du code pénal, irrecevable ; que, sur l'action en responsabilité fondée sur des faits distincts des faits pénalement répréhensibles ; qu'aux termes de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ; que l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme prévoit que : « 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations. 2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. » ; que l'AGRIF fait valoir qu'indépendamment de toute incrimination pénale, l'organisation de l'exposition au cours de laquelle a été présentée l'oeuvre litigieuse porte atteinte à la dignité de la femme et au respect de l'enfant qu'elle a vocation, par son objet social, à défendre ; qu'elle soutient que quand bien même il n'y aurait aucun texte pénal applicable aux faits reprochés, les oeuvres présentées au cours de l'exposition n'en sont pas moins constitutives d'une faute civile compte tenu de leur contenu et de l'absence d'interdiction aux mineurs, une faute même légère pouvant engager la responsabilité de son auteur en application de l'article 1382 du code civil ; qu'elle relève que les textes de M. Y... sont gravement attentatoires à la dignité humaine en ce qu'ils mentionnent le fait « d'enfermer » des enfants, en faire des « esclaves », leur faire « bouffer leur merde », les « sodomiser » et les « crucifier », leur « arracher les yeux », leur « couper la tête », les « tuer par surprise », les « empoisonner », les faire « crever d'étouffement », les « découper » et les « bouffer », en faire les « putes » de leurs parents, les « violer », leur « arracher les dents », leur « défoncer le crâne à coups de marteau », leur « coudre le sexe », leur « pisser sur la gueule », les « enterrer vivants », « baiser leurs enfants et les exterminer », les « séquestrer », leur « arracher la langue », leur « chier dans la bouche », les « dépouiller », « brûler leurs maisons », « tuer toute leur famille », les « égorger », « filmer leur mort » ; que l'AGRIF invoque en outre l'article 16 du code civil qui dispose que la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de la vie ; que l'argumentation ainsi présentée par l'AGRIF ne fait référence utile à aucun texte de loi qu'aurait pu enfreindre le FRAC en exposant les écrits litigieux de M. Y... ; que l'article 16 du code civil n'a, en effet, pas valeur normative ; qu'il ne fait que renvoyer au législateur l'application des principes qu'il énonce ; que les faits imputés au FRAC relèvent de la liberté d'expression protégée par les textes fondateurs des libertés individuelles ; qu'en application de ces textes dont la teneur a été précédemment rappelée, la liberté d'expression ne peut être bornée que par des lois protectrices de libertés ou valeurs concurrentes et selon un principe d'interprétation stricte des restrictions ainsi apportées ; que la liberté d'opinion fait partie de la liberté d'expression comme le précise l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'en jugeant que les lettres manuscrites de M. Y... sont « particulièrement abjectes » et qu'elles sont attentatoires à la dignité de la femme et au respect de l'enfant, l'AGRIF émet une opinion sur ces écrits ; que le FRAC professe une opinion contraire en insistant sur le sens artistique des textes calligraphiés de M. Y... ; que toutes les opinions peuvent être ainsi exprimées sous le régime de la liberté, sans qu'aucune des opinions divergentes puisse prévaloir d'un point de vue juridique ; que le juge est tenu par la Constitution d'assurer le respect des libertés essentielles telles qu'elles sont définies notamment par la Déclaration des droits de l'homme ; que la liberté d'expression dont a usé le FRAC ne comportant aucune restriction légale, la cour ne peut analyser les écrits de M. Y... en vue d'établir la responsabilité civile du FRAC comme le demande l'AGRIF ; que le jugement de valeur que porterait en ce cas la cour sur l'oeuvre litigieuse pour en sanctionner la diffusion réalisée par le FRAC et estimée préjudiciable par l'AGRIF, caractériserait une atteinte à la liberté d'expression et d'opinion des personnes concernées et constitue corrélativement un manquement à la mission de protection des libertés individuelles dont les juges sont investis ; qu'il ne peut être reproché au FRAC d'avoir violé une quelconque loi en exposant l'oeuvre de M. Y..., sous réserve de ce qui a été jugé à propos de l'infraction de l'article 227-24 du code pénal que l'AGRIF n'est pas habilitée à invoquer au soutien de ses intérêts ou de ceux qu'elle s'est donnée pour mission de défendre ; qu'il convient donc de conclure que les écrits litigieux et leur exposition par le FRAC bénéficient de la protection due aux libertés individuelles et qu'ils ne peuvent engager la responsabilité civile du FRAC envers l'AGRIF ; que, compte tenu des développements qui précèdent, le jugement déféré sera infirmé et les demandes de l'AGRIF seront rejetées ;

1° Alors que la contradiction des motifs d'une décision équivaut à une absence de motifs ; qu'en l'espèce, la cour a d'abord considéré, relativement à la fin de non-recevoir soulevée par le FRAC de Lorraine, que « la faute civile invoquée en l'espèce [par l'AGRIF] ne repose que sur l'existence d'une faute pénale indissociable et en épouse exactement les contours », ce pourquoi elle a jugé que son action était une « action civile » au sens de l'article 4 du code de procédure pénale ; que, dès lors, en se prononçant ensuite sur l'action en responsabilité « fondée sur des faits distincts des faits pénalement répréhensibles » quand, selon sa première motivation, ces « faits distincts » étaient supposés ne pas exister, la cour s'est déterminée par des motifs contradictoires et, de ce fait, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2° Alors qu'en vertu de l'article 16 du code civil, la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie ; que le principe ainsi énoncé a valeur constitutionnelle et constitue une norme dont il appartient au juge d'assurer le respect ; que pour demander la condamnation du FRAC de Lorraine pour avoir organisé une exposition où étaient publiés des messages d'une particulière violence à l'égard des enfants, attentatoires à leur dignité, l'AGRIF s'était notamment fondée sur ce texte ; que, pour écarter sa demande, la cour a retenu que l'article 16 du code civil n'avait pas pu être enfreint par le FRAC en exposant les écrits litigieux car il « n'a (
) aucune valeur normative » et « ne fait que renvoyer au législateur l'application des principes qu'il énonce » ; qu'en se déterminant ainsi, la cour a violé susvisé ;

3° Alors qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si les messages exposés par le FRAC de Lorraine faisant état de traitements particulièrement violents visant des enfants [esclavage, sodomie, dégradations, mutilations, viols, assassinat, tortures et actes de barbarie], et accessibles à la vue de tout enfant, ne constituaient pas des messages contraires à la dignité de la personne et au respect de l'être humain, justifiant la sanction de leur libre exposition, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles 16 et 1382 ancien du code civil ;

4° Alors que l'AGRIF, qui a demandé la condamnation du FRAC de Lorraine en raison de l'exposition de messages particulièrement violents à l'égard des enfants, a souligné dans ses écritures qu'elle ne mettait pas en cause la liberté d'expression, mais la protection des enfants exposés auxdits messages ; qu'elle n'a, a fortiori, jamais mis en cause la liberté d'expression de M. Y..., auteur de ces messages, qui n'était d'ailleurs pas présent dans la procédure ; qu'elle n'a pas davantage demandé à la cour de porter de jugement sur la nature supposément artistique des messages litigieux ; qu'en rejetant dès lors les demandes de l'AGRIF au motif que le « jugement de valeur » qu'elle était prétendument invitée à porter caractériserait une atteinte à la liberté d'expression et d'opinion « des personnes concernées », c'est-à-dire en particulier de M. Y..., contre lequel aucune demande n'était formulée, la cour a méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

5° Alors que l'AGRIF a saisi le juge, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, dans le cadre de son objet social qui est de lutter, par la mobilisation sociale et les actions judiciaires, contre « tout ce qui porte notamment atteinte (...) au respect de l'enfant », pour demander réparation au FRAC de Lorraine du préjudice causé par l'exposition des textes de M. Y... comportant objectivement des messages d'une rare violence visant des enfants [esclavage, sodomie, dégradations, mutilations, viols, assassinat, tortures et actes de barbarie] et accessibles aux enfants ; qu'ainsi, l'AGRIF n'a nullement demandé au juge de se prononcer sur l'opinion que pouvait se former ou exprimer le FRAC de Lorraine sur ces messages, laquelle était indifférente à leur contenu ; qu'en rejetant dès lors ses demandes aux motifs qu'elle n'avait pas à trancher entre les opinions divergentes de l'AGRIF et du FRAC de Lorraine sur les écrits de M. Y..., dès lors que ce jugement porterait atteinte « à la liberté d'expression et d'opinion des personnes concernées », la cour a méconnu les termes du litiges, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

6° Alors, en toute hypothèse, que la liberté d'expression, protégée par les textes fondateurs des articles 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, peut être limitée, ainsi que la cour l'a souligné, par des lois protectrices de libertés ou valeurs concurrentes ; que, dès lors que l'AGRIF, pour demander réparation du préjudice causé par l'exposition par le FRAC de Lorraine de messages violents à l'égard des enfants [esclavage, sodomie, dégradations, mutilations, viols, assassinat, tortures et actes de barbarie], et accessibles à la vue de tout enfant, faisait valoir que ces messages offensaient gravement la dignité humaine, il appartenait à la cour, qui entendait lui opposer « la liberté d'expression et d'opinion des personnes concernées », de rechercher, comme elle y était invitée, si cette liberté ne trouvait pas en l'occurrence sa limite dans le principe, à valeur constitutionnelle, imposant le respect de l'être humain et de la dignité de sa personne ; qu'en se soustrayant à cet examen essentiel, que les principes qu'elle a elle-même énoncés appelaient, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 ancien du code civil, ensemble l'article 16 du même code.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 17-16089
Date de la décision : 26/09/2018
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Analyses

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE - Dignité de la personne humaine - Article 16 du code civil - Office du juge - Etendue - Détermination - Portée

POUVOIRS DES JUGES - Office du juge - Etendue - Obligation de trancher le litige conformément aux règles de droit applicables - Article 16 du code civil - Détermination - Portée

Le principe du respect de la dignité de la personne humaine édicté par l'article 16 du code civil est un principe à valeur constitutionnelle dont il incombe au juge de faire application pour trancher le litige qui lui est soumis. Dès lors, viole ce texte, ensemble l'article 12, alinéa 1, du code de procédure civile, une cour d'appel qui, pour rejeter la demande formée par une association aux fins d'indemnisation du préjudice résultant de la représentation d'une oeuvre portant, selon elle, atteinte à la dignité de la personne humaine, retient que l'article 16 du code civil n'a pas valeur normative et ne fait que renvoyer au législateur l'application des principes qu'il énonce


Références :

article 16 du code civil

article 12 du code de procédure civile.

Décision attaquée : Cour d'appel de Metz, 19 janvier 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 26 sep. 2018, pourvoi n°17-16089, Bull. civ.Bull. 2018, I, n° 160.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles Bull. 2018, I, n° 160.

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut
Avocat(s) : SCP Le Griel, SCP Thouin-Palat et Boucard

Origine de la décision
Date de l'import : 12/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:17.16089
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award