LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
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M. H... X...,
Mme G... X...,
Mme E.... X...,
M. Z... X...,
Mme B... X... ,
M. C... X... ,
M. D... X... , parties civiles
contre l'arrêt de la cour d'assises de PARIS, 3e section, en date du 17 mars 2017, qui, dans la procédure suivie contre M. I...Y... du chef de violences aggravées ayant entraîné la mort sans intention de la donner, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 12 juin 2018 où étaient présents : M. Soulard, président, Mme Harel-Dutirou , conseiller rapporteur, M. Pers, Mme Dreifuss-Netter, M. Fossier, Mme Schneider, Mme Ingall-Montagnier, M. Lavielle, conseillers de la chambre, Mme Guého, conseiller référendaire ;
Avocat général : M. Quintard ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire Harel-Dutirou , les observations de la société civile professionnelle GARREAU, BAUER-VIOLAS et FESCHOTTE-DESBOIS et de la société civile professionnelle MEIER-BOURDEAU et LÉCUYER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général Quintard ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 13 de la loi des 16-24 août 1790, du décret-loi du 16 fructidor an III, 1382 ancien du code civil devenu l'article 1240, 2, 3, 371, 591, 593 du code de procédure pénale, violation de la loi, insuffisance de motifs ;
"en ce que l'arrêt attaqué, après avoir déclaré recevables les constitutions de partie civile de M. Z... X..., Mme E.... F... née X..., Mme G... X..., M. D... X... , M. B... X... , M. C... X... , M. H... X... et les avoir déclarées fondées en leur principe, s'est déclarée incompétente pour statuer sur les demandes indemnitaires des parties civiles ;
"aux motifs que par arrêt criminel du 10 mars 2017, l'accusé M. I...Y... a été déclaré coupable de violences par une personne dépositaire de l'autorité publique ayant entraîné la mort de J... X... sans intention de la donner et condamné, notamment, à une peine de cinq années d'emprisonnement avec sursis ; que Mme G... X..., M. Z... X..., Mme E.... X..., épouse F... , M. D... X... , Mme B... X... , M. C... X... et M. H... X..., qui s'étaient constitués partie civile lors de l'information judiciaire ont réitéré leur constitution au début des débats pénaux ;
que vu les conclusions déposées par Maître A..., avocat de Mme G... X..., M. Z... X..., Mme E.... X..., épouse F... , M. D... X... , Mme B... X... , M. C... X... et M. H... X... aux fins :
* de condamner M. I...Y... à verser :
- la somme de 20 000 euros à M. Z... X... au titre du préjudice moral,
- la somme de 20 000 euros à Mme G... X... au titre du préjudice moral,
- la somme de 20 000 euros à Mme E.... X..., épouse F... au titre du préjudice moral,
- la somme de 15 000 euros à M. D... X... au titre du préjudice moral,
- la somme de 15 000 euros à Mme B... X... au titre du préjudice moral,
- la somme de 15 000 euros à M. C... X... au titre du préjudice moral,
-la somme de 15 000 euros à M. H... X... au titre du préjudice moral,
* d'ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;
que vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat tendant à ce que la cour d'assises se déclare incompétente pour connaître des demandes des parties civiles au titre de l'action civile, la faute de M. I...Y... s'analysant comme une faute de service ;
que l'infraction pénale pour laquelle M. I...Y... a été reconnu coupable a été commise par ce dernier, alors qu'il agissait en tant que fonctionnaire de police dans le cadre de sa mission et avec son arme de service ; qu'en dépit de sa gravité, l'infraction qui lui est reprochée ne constitue pas une faute personnelle détachable du service : qu'en matière de responsabilité, la compétence de la juridiction administrative est le principe lorsque les dommages causés par l'agent trouvent leur origine dans une faute de service et plus précisément dans une faute non détachable du service (Tb des conflits 15 juin 20 15 n°4007); qu'au regard de ces circonstances, la cour d'assises ne saurait statuer sur les demandes indemnitaires des parties civiles, celles ci relevant de la compétence des juridictions administratives ;
"1°) alors que si la responsabilité de l'Etat est engagée en raison des fautes commises par ses agents lorsqu'elles ne sont pas dépourvues de tout lien avec le service, cette responsabilité n'est pas exclusive de celle des fonctionnaires auxquels est reprochée une faute personnelle détachable du service ; que constitue une telle faute celle qui révèle un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique ; qu'en se bornant à relever que l'infraction pénale pour laquelle M. Y... a été reconnu coupable a été commise par ce dernier alors qu'il agissait en tant que fonctionnaire de police dans le cadre de sa mission et avec son arme de service et qu'en dépit de sa gravité, elle ne constituait pas une faute personnelle détachable du service, lorsque, d'une part, la seule circonstance que l'accusé ait commis les faits reprochés dans l'exercice de ses fonctions, avec les moyens du service, ne pouvait exclure que son comportement relevât d'un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique et lorsque, d'autre part, l'intéressé a été définitivement déclaré coupable de violences volontaires par personne dépositaire de l'autorité publique ayant entraîné la mort de M. X... sans intention de la donner après qu'a été écarté le fait justificatif de la légitime défense, en l'absence de toute preuve d'une menace préalable de la vie du policier par la victime, et en l'état d'un tir de balle effectué volontairement par le policier dans le dos de la victime en fuite, à l'origine de son décès, ce dont il résultait que l'intéressé, par un usage disproportionné de la force, présentant un caractère de brutalité et de gravité sans rapport avec les nécessités de l'exercice de ses fonctions, s'est rendu coupable d'un manquement volontaire et inexcusable à ses obligations d'ordre professionnel et déontologique, la cour d'assises statuant en appel a méconnu les textes et principes susvisés ;
"2°) alors que l'insuffisance de motifs équivaut à l'absence de motifs ; que si la responsabilité de l'Etat est engagée en raison des fautes commises par ses agents lorsqu'elles ne sont pas dépourvues de tout lien avec le service, cette responsabilité n'est pas exclusive de celle des fonctionnaires auxquels est reproché un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique ; qu'en ne recherchant pas, alors qu'elle a elle-même constaté la gravité de l'infraction de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner par personne dépositaire de l'autorité publique agissant dans l'exercice de ses fonctions dont le policier Y... a été définitivement reconnu coupable, si cette infraction ne révélait pas un manquement volontaire et inexcusable du policier à ses obligations d'ordre professionnel et déontologique, procédant d'un usage disproportionné et non nécessaire de la force, manifesté par la gravité des violences, la cour d'assises statuant en appel n'a pas justifié légalement sa décision" ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 21 avril 2012, à Noisy-le-Sec, l'équipage de police auquel appartenait M. I...Y..., gardien de la paix, s'est lancé à la poursuite d'un individu recherché, J... X... ; que le premier a tiré à plusieurs reprises avec son arme de service en direction du second qui est décédé quelques heures plus tard d'une hémorragie interne abdominale, présentant une plaie de la région dorso-lombaire ; qu'une information a été ouverte au terme de laquelle M. Y... a été mis en accusation et renvoyé devant la cour d'assises de Seine-Saint-Denis pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner par une personne dépositaire de l'autorité publique ; que la cour d'assises de Bobigny l'a acquitté ; que, sur appel du procureur général, la cour d'assises de Paris, par arrêt criminel du 10 mars 2017, l'a déclaré coupable des faits reprochés, estimant que les circonstances de la légitime défense n'étaient pas constituées ;
Attendu que, pour se déclarer incompétente pour connaître des demandes de réparation des parties civiles à l'encontre de M. Y... sur le fondement de l'article 371 du code de procédure pénale, la cour d'assises retient notamment que l'infraction pénale pour laquelle l'accusé a été reconnu coupable, commise par lui alors qu'il agissait en tant que fonctionnaire de police dans le cadre de sa mission et avec son arme de service, ne constitue pas, en dépit de sa gravité, une faute personnelle ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans rechercher si les faits de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner commis par le policier avec son arme de service ne constituaient pas un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique, la cour d'assises n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt civil susvisé de la cour d'assises de PARIS, en date du 17 mars 2017 ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'assises de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze septembre deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.