LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième, troisième et quatrième branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 11 avril 2016), que par un acte notarié du 15 juin 1989, la société Banque des Antilles françaises (la banque) a consenti à M. Z... un prêt de 500 000 francs, soit 76 224,51 euros, garanti par une hypothèque ; qu'un arrêt du 5 octobre 1992 l'a condamné à payer à la même banque la somme de 72 687,09 francs, soit 11 081,08 euros, au titre du solde débiteur d'un compte, outre les intérêts au taux légal à compter du 14 février 1991 ; qu'une nouvelle inscription d'hypothèque a été prise par la banque sur le fondement de cette décision; que par un acte notarié du 15 mai 1996, la banque a cédé ses deux créances à la société Blue Jatiuca (le créancier) ; que les 2 et 7 juillet 2008, le créancier a assigné M. Z... aux fins de se voir attribuer l'immeuble hypothéqué; que M. Z... a opposé la prescription de l'action ;
Attendu que le créancier fait grief à l'arrêt de déclarer prescrite sa demande tendant à voir constater qu'il détenait sur M. Z... une créance d'un montant de 2 658 443,44 euros au 4 septembre 2015, outre les intérêts postérieurs jusqu'à parfait paiement, au titre du prêt notarié du 15 juin 1989, alors, selon le moyen :
1°/ que l'autorité de la chose jugée a lieu à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement ; qu'il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause et qu'elle soit formée entre les mêmes parties ; qu'en déclarant prescrite la demande du créancier tendant à faire constater qu'il détenait sur M. Z... une créance au titre du prêt notarié du 15 juin 1989, sans répondre aux conclusions du créancier, qui faisait valoir que cette fin de non-recevoir tirée de la prescription se heurtait au jugement du Juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Saint-Martin du 2 juillet 2013 qui, dans son dispositif, avait constaté qu'il était créancière de M. Z... à hauteur de 76 224,51 euros en vertu de ce prêt notarié, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que la durée de la prescription d'une créance est exclusivement déterminée par la nature de celle-ci ; qu'en se bornant à énoncer, pour déclarer prescrite la demande du créancier tendant à faire constater la créance qu'il détenait en vertu du prêt notarié du 15 juin 1989, que cette créance était soumise à la prescription décennale en raison de sa nature commerciale, sans indiquer de quels éléments il résultait que ladite créance aurait eu une nature commerciale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
3°/ que l'acte de prêt notarié du 15 juin 1989 se borne à indiquer que les fonds sont destinés à « une consolidation de découvert », sans préciser la nature civile ou commerciale de ce découvert ; qu'à supposer dès lors qu'elle se soit fondée sur les termes du contrat de prêt notarié du 15 juin 1989 pour affirmer que la créance résultant de ce prêt avait une nature commerciale, la cour d'appel en a dénaturé les termes clairs et précis, en violation de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
4°/ qu'un artisan coiffeur exerce une activité civile soumise aux règles du droit civil ; qu'à supposer que la cour d'appel se soit fondée sur la profession d'artisan coiffeur de M. Z... pour qualifier la créance, elle devait en déduire qu'elle avait la nature d'une créance civile ; qu'en décidant néanmoins que la créance du créancier afférente au prêt notarié du 15 juin 1989 était une créance commerciale soumise à la prescription décennale, la cour d'appel a violé les articles L. 110-4 et L. 121-1 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à des conclusions qui ne soutenaient pas précisément, contrairement à ce qu'implique le moyen, que le seul fait que le dispositif de la décision du juge de l'exécution de Saint-Martin du 2 juillet 2013 constate l'existence et le montant de la créance, suffirait, bien que ce dispositif ne comportât aucun chef tranchant expressément la contestation relative à la prescription, à écarter, avec l'autorité de la chose jugée, celle-ci ;
Attendu, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 17 juin 2008, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes ; que l'article L. 110-1 dudit code répute acte de commerce toute opération de banque et l'article L. 121-1 du même code qualifie de commerçant celui qui exerce des actes de commerce et en fait sa profession habituelle ; qu'il en résulte que l'action en paiement d'une créance résultant d'un prêt consenti par la Banque des Antilles françaises à un artisan coiffeur est soumise à la prescription prévue par l'article L. 110-4 du code de commerce, et ce, quand bien même la créance n'aurait pas, en elle-même, une nature commerciale et que son montant serait dû par un emprunteur n'ayant pas la qualité de commerçant; que par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, après avertissement délivré aux parties, la décision se trouve justifiée ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche, ni sur le second moyen, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Blue Jatiuca aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. Z... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juillet deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Richard, avocat aux Conseils, pour la société Blue Jatiuca.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré prescrite la demande de la Société BLUE JATIUCA tendant à voir constater qu'elle détenait sur Monsieur Luis Z... une créance d'un montant de 2.658.443,44 euros au 4 septembre 2015, outre les intérêts postérieurs jusqu'à parfait paiement, afférente à un prêt notarié consenti par la Banque des Antilles Françaises à Monsieur Luis Z... le 15 juin 1989 ;
AUX MOTIFS QUE sur la prescription, Monsieur Luis Albert Z... soutient que la prescription décennale est acquise, puisque la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance et la circonstance que celle-ci soit constatée par un acte authentique, revêtu de la formule exécutoire, n'a pas pour effet de modifier cette durée ; qu'il réplique aux motifs du premier juge que :
- la disposition de l'article 2247 (ancien), aux termes de laquelle l'interruption de la prescription est regardée comme non avenue si la demande est rejetée, est absolue et ne comporte aucune distinction selon que la demande est définitivement rejetée par un moyen de fond ou qu'elle est repoussée, soit par un moyen de forme, soit par une fin de non-recevoir laissant subsister le droit d'action ; que les commandements de payer ayant été annulés, la Société BLUE JATIUCA ne peut se prévaloir d'une interruption de la prescription ;
- que les effets du commandement ne peuvent affecter que la personne à qui il est signifié ; que dans le cas où seul Monsieur Y... est visé dans le commandement, celui-ci n'est pas opposable à Monsieur Luis Z... ;
que cependant, c'est à bon droit que le premier juge a dit que l'action de la Société BLUE JATIUCA n'était pas atteinte par la prescription ; qu'en effet, la banque a obtenu un jugement puis un arrêt de condamnation, de la Cour d'appel de céans en date du 5 octobre 1992, fixant la dette de Monsieur Z... à 72 687,09 F au titre du solde du compte bancaire ; que par l'effet de cette condamnation judiciaire définitive, la prescription s'est trouvée portée à trente ans en application de l'article 2262 du Code civil ancien ; que cette créance qui a été cédée le 15 mai 1996 à la Société BLUE JATIUCA n'était pas prescrite à la date de l'introduction de l'instance les 2 et 7 Juillet 2008 ; que la cession a été notifiée à Monsieur Z... le 9 octobre 1997 et la Société BLUE JATIUCA a repris les poursuites engagées par la BDAF, qui avait fait délivrer à Monsieur Z... un commandement de payer la somme de 567 349,47 F aux fins de saisie immobilière ; que néanmoins, la cession a été déclarée inopposable à Monsieur Z... et la procédure de saisie immobilière jugée irrégulière par jugement du Tribunal de grande instance de Basse-Terre du 11 septembre 1997, qui a ordonné la radiation du commandement de la conservation des hypothèques et il en a été de même pour les deux autres commandements délivrés par la suite le 23 juin 1998 et le 23 mars 2000 ; que dès lors, la créance résultant du prêt notarié, soumise à la prescription décennale en raison de la nature commerciale de la créance, était prescrite lors de l'introduction de l'instance, sa cession, à la Société BLUE JATIUCA n'ayant pu ni modifier, ni interrompre la durée de prescription applicable et la Société BLUE JATIUCA ne peut invoquer aucun acte interruptif valable ; que même si cette partie de la créance cédée est la plus importante, 76 224,51 € contre 11 081,08 €, la demande d'attribution reste recevable quitte à préciser qu'elle sera limitée à la valeur de la créance non prescrite, soit 11 081,08 €, et que BLUE JATIUCA devra rembourser au débiteur la valeur excédentaire en application de l'article 2460 du Code civil ; [
] que sur l'attribution des immeubles, dès l'instant que les conditions légales sont réunies, c'est-à-dire dès l'instant que le créancier hypothécaire justifie d'une créance liquide et exigible et qu'il souhaite recouvrer ce que son débiteur lui doit, le juge doit satisfaire à la demande d'attribution ; que la Société BLUE JATIUCA dispose d'une créance liquide et exigible de 11.081,08 € pour laquelle elle bénéficie d'une hypothèque sur les lots sis lieu-dit "[...]", [...] cadastrés [...], d'une contenance de 34 ares, 81 centiares, et [...], d'une contenance de 6 ares 37 centiares ; qu'il y a donc lieu d'attribuer les immeubles grevés d'une hypothèque au créancier hypothécaire en application de l'article 2258 du Code civil, comme sollicité, tout en rappelant que, en application de l'article 2460 du Code civil, la Société BLUE JATIUCA devra payer une soulte au débiteur au cas où la valeur des immeubles serait supérieure au montant de la créance ; que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a ordonné l'attribution des immeubles à la Société BLUE JATIUCA et en ce qu'il a ordonné une expertise aux fins d'évaluation des immeubles ;
1°) ALORS QUE l'autorité de la chose jugée a lieu à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement ; qu'il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause et qu'elle soit formée entre les mêmes parties ; qu'en déclarant prescrite la demande de la Société BLUE JATIUCA tendant à faire constater qu'elle détenait sur Monsieur Z... une créance au titre du prêt notarié du 15 juin 1989, sans répondre aux conclusions de la Société BLUE JATIUCA, qui faisait valoir que cette fin de non-recevoir tirée de la prescription se heurtait au jugement du Juge de l'exécution du Tribunal de grande instance de SAINT-MARTIN du 2 juillet 2013 qui, dans son dispositif, avait constaté qu'elle était créancière de Monsieur Z... à hauteur de 76.224,51 euros en vertu de ce prêt notarié, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE, subsidiairement, la durée de la prescription d'une créance est exclusivement déterminée par la nature de celle-ci ; qu'en se bornant à énoncer, pour déclarer prescrite la demande de la Société BLUE JATIUCA tendant à faire constater la créance qu'elle détenait en vertu du prêt notarié du 15 juin 1989, que cette créance était soumise à la prescription décennale en raison de sa nature commerciale, sans indiquer de quels éléments il résultait que ladite créance aurait eu une nature commerciale, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L 110-4 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
3°) ALORS QUE, très subsidiairement, l'acte de prêt notarié du 15 juin 1989 se borne à indiquer que les fonds sont destinés à « une consolidation de découvert », sans préciser la nature civile ou commerciale de ce découvert ; qu'à supposer dès lors qu'elle se soit fondée sur les termes du contrat de prêt notarié du 15 juin 1989 pour affirmer que la créance résultant de ce prêt avait une nature commerciale, la Cour d'appel en a dénaturé les termes clairs et précis, en violation de l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
4°) ALORS QUE, à titre également très subsidiaire, un artisan coiffeur exerce une activité civile soumise aux règles du droit civil ; qu'à supposer que la Cour d'appel se soit fondée sur la profession d'artisan coiffeur de Monsieur Z... pour qualifier la créance, elle devait en déduire qu'elle avait la nature d'une créance civile ; qu'en décidant néanmoins que la créance de la Société BLUE JATIUCA afférente au prêt notarié du 15 juin 1989 était une créance commerciale soumise à la prescription décennale, la Cour d'appel a violé les articles L 110-4 et L 121-1 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
5°) ALORS QU'une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir ; que seul un commandement entaché de nullité n'est pas de nature à interrompre le délai de la prescription ; qu'en se bornant à énoncer, pour déclarer prescrite la demande de la Société BLUE JATIUCA tendant à faire constater qu'elle détenait sur Monsieur Z... une créance au titre du prêt notarié du 15 juin 1989, que la procédure de saisie immobilière avait été jugée irrégulière par un jugement du Tribunal de grande instance de BASSE-TERRE du 11 septembre 1997 et qu'il en avait été de même pour les deux autres commandements délivrés le 23 juin 1998 et le 23 mars 2000, sans constater que ces commandements auraient été entachés de nullité, seule hypothèse dans laquelle ils n'auraient pu interrompre le délai de prescription, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2244 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la Société BLUE JATIUCA de sa demande tendant à voir condamner Monsieur Georges Y... à lui payer la somme de 2.814.430, 67 euros, outre les intérêts dus à compter du 5 septembre 2015 et jusqu'à parfait paiement, en vertu du prêt notarié consenti à ce dernier le 15 juin 1989 par la Banque des Antilles Françaises ;
AUX MOTIFS QUE sur les demandes de la Société BLUE JATIUCA envers M. Y..., elle estime que s'il devait être jugé qu'une prescription quelconque soit acquise au profit de Monsieur Z... et que les actes et procédures à l'encontre de Monsieur Y... n'ont pas interrompu la prescription à l'égard de Monsieur Z... , alors elle serait fondée à rechercher la responsabilité de Monsieur Y... qui aurait engagé sa responsabilité en faisant une offre réelle de paiement estimant que seule son attitude serait à l'origine du préjudice découlant de la prescription et que le retrait d'une offre réelle après plus de 9 ans de procédure constitue a minima un abus de droit; que Monsieur Y... répond qu'une telle demande, fut-elle subsidiaire, est dépourvue de tout fondement dans la mesure où l'on ne voit pas en quoi la procédure d'offre réelle diligentée par Monsieur Y... le 17 Avril 2001 aurait été de nature à dispenser la Société BLUE JATIUCA d'accomplir des actes interruptifs de prescription à l'égard de son unique débiteur, Monsieur Z... ; que c'est à bon droit que le premier juge a considéré que Monsieur Y... n'a fait qu'exercer un droit légitime qui lui était reconnu par l'article 1251-2° du Code civil et qu'aucune faute ne saurait lui être imputée, ni pour avoir fait une offre réelle de paiement déclarée insuffisante, ni pour avoir retiré son offre 9 ans après l'avoir formée, de sorte que la demande subsidiaire formée à son encontre par la Société BLUE JATIUCA doit être rejetée ;
ALORS QUE si le débiteur peut retirer une offre réelle tant qu'elle n'a pas été acceptée par le créancier, ce retrait ne doit pas être effectué dans des conditions constitutives d'un abus de droit ; qu'en déboutant la Société BLUE JATIUCA de sa demande tendant à voir condamner Monsieur Y... à lui payer le montant de sa créance telle qu'elle résultait de l'acte de prêt notarié du 15 juin 1989 et de l'arrêt de la Cour d'appel de Basse-Terre du 5 octobre 1992, motif pris que ce dernier ne pouvait se voir reprocher d'avoir retiré son offre réelle, après avoir pourtant constaté que le retrait de cette offre était intervenu soudainement, neuf années après qu'elle ait été formée, et sans constater que ce retrait avait été justifié par un fait nouveau, ce dont il résultait qu'il caractérisait un abus de droit, la Cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1382 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'ancien article 1261 du Code civil.