LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 2234 du code civil, ensemble l'article L. 110-4 du code de commerce ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 12 novembre 2015, pourvoi n° 14-23.655), que, par actes des 3 mai 1990 et 27 février 1991, Mme Y... s'est portée caution envers la caisse de Crédit agricole mutuel de l'Aube et de la Haute-Marne, aux droits de laquelle vient celle de Champagne-Bourgogne (la banque), des engagements contractés par deux sociétés civiles immobilières, à hauteur d'un certain pourcentage ; que, le 1er août 1994, la banque a introduit une action paulienne afin que soit déclaré inopposable l'apport fait par Mme Y... de certains biens à une autre société ; qu'un arrêt du 13 octobre 2008, devenu irrévocable, a accueilli la demande ; que, le 27 janvier 2010, la banque a fait délivrer à Mme Y... un commandement valant saisie immobilière ; que, le 12 mai 2010, celle-ci a saisi le juge de l'exécution en soutenant que la créance de la banque était prescrite et l'acte de cautionnement nul, et en formulant une demande de condamnation de la banque à des dommages-intérêts pour faute ;
Attendu que, pour dire irrecevables les demandes indemnitaires de Mme Y... contre la banque, l'arrêt retient que le point de départ de la prescription applicable à ces demandes est la date de la mise en demeure faite à la débitrice principale ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le délai de prescription de l'action en responsabilité intentée ne pouvait commencer à courir qu'à partir du jour où la caution avait eu connaissance de ce que les obligations résultant de son engagement de caution étaient mises à exécution par le créancier, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 avril 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Champagne-Bourgogne aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à Mme Y... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept juin deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Ghestin, avocat aux Conseils, pour Mme Y....
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué, statuant sur renvoi après cassation, d'AVOIR dit irrecevables les demandes indemnitaires de Mme X... épouse Y... contre la Crcam Champagne-Bourgogne et en compensation entre leurs créances réciproques, en raison des fautes commises par cette banque dans l'octroi des prêts et lorsqu'elle a recueilli les engagements de cautionnement de Mme Y... ;
AUX MOTIFS QUE l'action en responsabilité contre la banque engagée par la caution est soumise à la prescription de l'article L. 110-4 du code de commerce dans sa version applicable à la date de souscription des prêts, prévoyant que « les obligations nées de leur commerce entre commerçants et non commerçants se prescrivent par dix ans » ;
que l'action de Mme Iris Y... trouve son fondement dans la souscription des engagements de cautions auxquels elle a consenti les 3 mai 1990 et 27 février 1991 ;
que le point de départ du délai de prescription est le jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ;
qu'il s'en déduit que dès la souscription des actes de caution (même par une procuration donnée pour l'un des prêts à son époux), Mme Iris Y... avait connaissance ou aurait dû connaître les fautes qu'elle entend opposer à la banque, en particulier la disproportion de son engagement ou le manque de loyauté ;
qu'elle ne fait état d'aucune circonstance particulière précisément datée, ayant retardé la connaissance qu'elle pouvait avoir des griefs reprochés, ni ne discute de la date de point de départ du délai de prescription dont se prévaut la banque ;
qu'au regard de la prescription invoquée par la banque, Mme Iris Y... se contente de reproduire les motifs de l'arrêt de la Cour de Cassation du 12 novembre 2015 pour en déduire que sa demande est recevable, sans s'expliquer davantage sur le point de départ du délai de prescription ni sur les causes susceptibles d'avoir interrompu ce délai ;
que pour sa part, la Crcam fixe le point de départ du délai de prescription à la date de mise en demeure du 22 janvier 1993 faite à la débitrice principale la Sci les Hortensias ;
qu'en tout état de cause, en sa qualité de gérante de l'associée majoritaire de la Sci, Mme Iris Y... n'a pu que se convaincre de ce que l'exigibilité de la créance conduisait à la mise en oeuvre des cautionnements rappelés dans cette mise en demeure ;
que dans ces conditions, il convient d'admettre que le point de départ de la prescription applicable à la demande indemnitaire de Mme Iris Y... est la date du 22 janvier 1993 ;
qu'au demeurant, ce point de départ du délai de prescription au 22 janvier 1993 est également retenu par Mme Iris Y... dans son mémoire ampliatif du 24 décembre 2014 déposé au soutien de son pourvoi devant la Cour de Cassation ;
que le délai pour agir expirant normalement le 22 janvier 2003, il convient de rechercher si la demande indemnitaire formée par Mme Iris Y... par assignation devant le juge de l'exécution du 12 mars 2010 est atteinte par la prescription ou si de précédentes demandes indemnitaires ont pu interrompre le délai pour agir ;
qu'il résulte des pièces produites que Mme Iris Y... a saisi le Tribunal de grande instance de TROYES le 11 octobre 1994 d'une demande tendant notamment à voir déclarer nuls les actes de cautionnements estimés disproportionnés ;
que cette procédure a pris fin par l'ordonnance de mise en état du 31 mai 2007 constatant la péremption de l'instance ;
que selon les dispositions de l'article 2243 du code civil, l'interruption est non avenue si le demandeur laisse périmer l'instance ;
qu'il s'en déduit que l'action introduite par Mme Iris Y... selon assignation du 11 octobre 1994 n'a pas interrompu le délai de prescription de l'action ;
qu'à l'occasion de l'action paulienne engagée par la Crcam devant le tribunal de grande instance de Troyes le 1er août 1994, Mme Iris Y... a formé par conclusions que la banque affirme avoir été déposées au mois d'avril 2004, une demande reconventionnelle tendant à voir engager la responsabilité de la banque ;
que par jugement du 20 juillet 2007, le tribunal de grande instance de Troyes a déclaré la demande irrecevable comme étant prématurée, et que cette disposition du jugement a été confirmée par l'arrêt de la cour d'appel de Reims du 13 octobre 2008 ;
que cette fin de non-recevoir était motivée par le fait que « la faute de la banque, qui justifie d'un principe certain de créance, ne peut être invoquée par voie d'exception dans le cadre d'une défense à une action paulienne » ;
que cependant, cette décision d'irrecevabilité en l'absence de lien suffisant entre la demande de la banque et la demande indemnitaire de Mme Iris Y... n'a pas autorité de chose jugée, et n'interdit pas à son auteur d'introduire une nouvelle demande si la cause d'irrecevabilité a disparu ;
qu'en ce sens, ce n'est pas l'autorité de chose jugée de la décision de la cour d'appel de Reims du 13 octobre 2008 qui constitue une cause d'irrecevabilité de la demande indemnitaire formée par Mme Iris Y... selon son assignation du 12 mars 2010 ;
que l'irrecevabilité de la demande de Mme Iris Y... est recherchée sur le fondement de la prescription décennale ayant commencé à courir le 22 janvier 1993 ; qu'ainsi, seul importe de déterminer si la demande qu'elle avait précédemment formée dans le cadre de l'action paulienne introduite par la banque, a pu ou non interrompre son délai pour agir et faire courir un nouveau délai d'action susceptible de rendre recevable la demande formée le 12 mars 2010 dont la cour est aujourd'hui saisie ;
que la date de cette demande n'est pas l'assignation de la Crcam du 1er août 1994 tendant à voir déclarer l'acte d'apport inopposable à la banque, mais celle des conclusions de Mme Iris Y... déposées dans le cadre de l'action paulienne, qui tendaient à obtenir une indemnisation à raison des fautes commises par la banque ;
que Mme Iris Y... qui pourtant se prévaut d'un tel acte interruptif de prescription ne produit pas ses conclusions ; qu'elle produit cependant les conclusions de la banque déposées devant le tribunal de grande instance de Troyes en vue d'une audience du 27 novembre 2003 (pièce 48) qui font mention en page 5 d'une telle demande indemnitaire de Mme Y... qui lui a été signifiée le 15 mai 2003 ;
que compte tenu du délai de prescription décennal et du point de départ de ce délai au 22 janvier 1993, la prescription de l'action se trouvait acquise le 22 janvier 2003, de sorte que la demande reconventionnelle formée par Mme Y... le 15 mai 2003 n'a pu ni interrompre ni faire revivre le délai de l'action indemnitaire ;
qu'il doit en être conclu que Mme Iris Y... ne justifie d'aucune cause d'interruption du délai de prescription, de sorte que sa demande formée devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Troyes le 12 mars 2010 est atteinte par la prescription et doit être déclarée irrecevable ;
que le jugement déféré du juge de l'exécution de Troyes du 6 juillet 2010 ayant rejeté au fond la demande indemnitaire de Mme Y... et condamné la banque aux dépens, doit être informé et que, statuant à nouveau, il y a lieu de déclarer irrecevable la demande de Mme Y... ;
1°) ALORS QUE le délai de prescription de l'action en responsabilité d'une caution contre une banque pour engagements de caution disproportionnés par rapport à son patrimoine et ses ressources court à compter du jour où la caution a eu connaissance de ce que les obligations résultant de son engagement de caution étaient mises à exécution par le créancier, soit par une mise en demeure de payer, soit par une assignation en paiement ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que le Crédit Agricole a mis Mme Y... en demeure de payer en vertu de ses engagements de caution par acte du 27 janvier 2010 (arrêt p. 2 al. 5) et que Mme Y... a contesté ledit commandement de payer opposant notamment la responsabilité de la banque, par acte du 12 mars 2010 (arrêt p. 2 al. 6) ; qu'en énonçant que le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité de la caution contre la banque devait se situer à la date à laquelle un des débiteurs principaux de la banque, la Sci Les Hortensias, avait été mis en demeure de payer, soit le 22 janvier 1993, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4 du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige ;
2°) ALORS QUE la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi ; que dans la même instance, la Cour de Cassation par ses arrêts de cassation des 21 mai 2013 et 12 novembre 2015 a jugé que les demandes d'indemnisation de Mme Y... contre la banque avaient été déclarées irrecevables par l'arrêt rendu le 13 octobre 2008 par la cour d'appel de Reims en raison de leur caractère prématuré dès lors que cette banque n'avait pas mis à exécution les obligations résultant des engagements de caution de Mme Y... ; qu'en énonçant néanmoins que le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité de Mme Y... contre la banque se situait à la date du 22 janvier 1993, la cour d'appel a violé l'article 2234 du code civil ;
3°) ALORS QUE la ou les décisions rendues au cours de la même instance est (sont) revêtue(s) de l'autorité absolue de la chose jugée lorsqu'il est statué sur les suites de cette (ces) décision(s) relativement aux points irrévocablement tranchés, cette autorité absolue de la chose jugée étant d'ordre public ; que par son arrêt de cassation du 21 mars 2013, rendu dans la même instance, entre les mêmes parties, à raison des mêmes demandes, la Cour de Cassation a jugé que l'action en responsabilité de Mme Y... contre la banque à raison de ses cautionnements était irrecevable comme prématurée tant que cette banque n'avait pas mis à exécution ses engagements de caution ; que par son arrêt sur renvoi rendu le 14 avril 2014, après ladite cassation, la cour d'appel de Nancy n'a pas remis en cause, quant-à-ce, la doctrine de la Cour de Cassation, laquelle a été confirmée par son arrêt de cassation toujours rendu dans la même instance du 12 novembre 2015 ; qu'il résulte de ces décisions revêtues de l'autorité absolue de la chose jugée que Mme Y... était dans l'impossibilité d'agir en responsabilité contre la banque à raison de ses actes de cautionnement tant que cette dernière n'avait pas mis à exécution ses obligations de caution, soit le 27 janvier 2010 (arrêt attaqué p. 2 al. 5) ; qu'en décidant néanmoins que le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité de la banque diligentée par Mme Y... à raison de ses actes de cautionnement se situait au 22 janvier 1993, date de la mise en demeure d'un des débiteurs principaux, la cour d'appel a méconnu l'autorité absolue de la chose jugée par les précédentes décisions rendues dans la même instance et partant l'article 1351 ancien devenu l'article 1355 du code civil, ensemble l'article 2234 du même code ;
4°) ALORS QUE les termes du litige sont fixés par les prétentions respectives des parties ; que dans son mémoire ampliatif déposé le 24 décembre 2014 au soutien de son pourvoi, Mme Y... n'a jamais reconnu ni admis que le point de départ de la prescription se situait au 22 janvier 1993, s'étant bornée dans ledit mémoire à citer des motifs de l'arrêt attaqué ayant retenu cette date, sans s'approprier lesdits motifs bien au contraire critiqués ; qu'en énonçant que ce point de départ du délai de prescription au 22 janvier 1993 est également retenu par Mme Y... dans son mémoire ampliatif déposé le 24 décembre 2014, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile, ensemble l'article 1134 ancien du code civil, devenu l'article 1192 du code civil ;
5°) ALORS EN OUTRE QUE l'absence de contestation d'un fait par une partie n'équivaut pas à un aveu judiciaire de celui-ci ; qu'à supposer que Mme Y... n'ait pas contesté dans son mémoire ampliatif déposé le 24 décembre 2014 la date du point de départ de la prescription retenue par l'arrêt attaqué au 22 janvier 1993, cela n'emportait ni reconnaissance ni encore moins aveu judiciaire de cette date ; qu'en énonçant que cette date avait été retenue par Mme Y... dans son mémoire ampliatif déposé le 24 décembre 2014, la cour d'appel a violé l'article 1355 ancien, devenu l'article 1383 nouveau du code civil ;
6°) ALORS EN TOUTE HYPOTHESE QUE l'aveu judiciaire ne peut porter que sur un ou des points de fait et non des points de droit ; que la question du point de départ du délai de prescription d'une demande indemnitaire contre la banque opposée en défense à son action en paiement contre la caution est mélangée de fait et de droit ; qu'en énonçant néanmoins que Mme Y... avait retenu dans son mémoire ampliatif déposé le 24 décembre 2014 le point de départ du délai de prescription au 22 janvier 1993 pour lui opposer cette date, la cour d'appel a violé derechef l'article 1355 ancien du code civil, devenu l'article 1383 du nouveau code civil.