LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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La société Moulin TP,
contre l'arrêt de la cour d'appel de GRENOBLE, chambre correctionnelle, en date du 9 mai 2017, qui, pour infraction en matière d'urbanisme, l'a condamnée à 30 000 euros d'amende, a ordonné une mesure de remise en état sous astreinte et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 15 mai 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme Schneider, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Bray ;
Sur le rapport de Mme le conseiller SCHNEIDER, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DESPORTES ;
Vu le mémoire produit ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que la société Moulin TP a loué diverses parcelles de terrains situées à [...] (69) au lieu-dit « [...]» d'une superficie de 2 hectares 13 ares et 12 centiares situées en zone NAI ; que le 13 décembre 2010, la société Moulin TP a déposé à la Préfecture du Rhône une déclaration au titre des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) en vue d'exploiter une station de transit et de traitement de minéraux pour un volume annuel de 20 000 m3 ; qu'elle a été poursuivie pour réalisation irrégulière d'affouillement ou d'exhaussement et pour infraction au plan d'occupation des sols pour la période de janvier 2011 au 17 février 2015 ; que le tribunal l'a renvoyé des fins de la poursuite pour les faits d'exhaussement ou d'affouillement pour la période de janvier 2011 au 7 septembre 2011 et l'a déclarée coupable pour le surplus ; que la société Moulin TP et le procureur de la République ont formé appel ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 610-1 du code de l'urbanisme, 121-3 du code de procédure pénale, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré la société prévenue coupable d'infraction aux dispositions du plan local d'urbanisme ou du plan d'occupation des sols, faits commis courant janvier 2011 jusqu'au 17 février 2015 ;
"aux motifs que les législations de l'urbanisme et des installations classées coexistent et ne sont pas interdépendantes : les autorisations délivrées dans le cadre du droit de l'urbanisme et du droit des ICPE valent dans leur domaine respectif ; qu'il en résulte que lorsqu'une société envisage de déposer sur une parcelle des tonnes de matériaux sur une superficie de plus de deux hectares, elle doit non seulement solliciter les déclarations requises au titre du droit de l'environnement mais également toute déclaration ou permis requis par les règles de l'urbanisme en vigueur dans chaque commune, sauf dispense expressément prévue ; que d'ailleurs, figure dans le récépissé de déclaration de l'ICPE dont la société Moulin TP est détentrice, la mention selon laquelle ce document « ne préjuge en rien des autorisations qui pourraient être nécessaires, notamment au titre de l'urbanisme, pour l'implantation, l'installation et le fonctionnement de l'établissement en cause et est délivré sous réserve des droits des tiers » ; qu'une copie de ce récépissé est d'ailleurs affichée durant un mois à la mairie de [...] ; qu'en l'espèce il n'est pas contesté que les terrains exploités par Moulin TP pour cette ICPE sont situés dans la zone NAI du POS de [...] ; que cette zone constitue une zone d'urbanisation future destinée à l'installation d'activités artisanales, industrielles ou commerciales nouvelles ou au transfert d'activités implantées dans le bourg ; que le règlement diffère selon que les occupations ou utilisations du sol font ou non l'objet d'une organisation d'ensemble ; que, contrairement à ce qu'a indiqué hâtivement le cabinet Setis mandaté par la société Moulin TP pour étudier la faisabilité du dossier de déclaration au titre des ICPE, le dépôt de matériaux, prévu à titre temporaire, ne peut être qualifié d'organisation d'ensemble ou faire partie d'une organisation d'ensemble comme une zone d'activité commune (ZAC) ; que les ICPE ne sont autorisées que pour les opérations faisant l'objet d'une organisation d'ensemble ; que dans la zone NAI 1 du POS, pour les opérations ne faisant pas l'objet d'une organisation d'ensemble comme en l'espèce, ne sont ainsi autorisées que les seules occupations et utilisations du sol suivantes : les constructions, les travaux sur constructions existantes, les ouvrages techniques nécessaires au fonctionnement des services publics et l'ouverture de carrières outre les ouvrages et les bâtiments nécessaires à l'exploitation, l'extension de carrières existantes ou la poursuite de l'exploitation de carrières ; qu'en l'espèce, le dépôt de matériaux minéraux, aux fins de broyage, concassage puis revente provenant des travaux de terrassement et de démolition du tunnel de la Croix Rousse de Lyon ne constitue pas un ouvrage, ni une construction, ni une carrière c'est-à-dire une excavation d'où l'on tire de la pierre ; qu'ainsi la société anonyme Moulin TP qui ne peut se retrancher derrière le travail de son mandataire le bureau d'études Setis alors qu'il lui appartenait de se rapprocher des services de l'urbanisme de la mairie pour ne pas commettre d'erreur, est bien en infraction avec le POS ; qu'en application de l'article R. 425-25 du code de l'urbanisme relatif aux opérations pour lesquelles l'autorisation prévue par une autre législation dispense de permis d'aménager ou de déclaration préalable, « lorsqu'un affouillement ou un exhaussement du sol est soumis à déclaration, enregistrement ou à autorisation des chapitres 1er et II du titre 1er du livre V ou du chapitre 1er du titre IV du livre V du code de l'environnement, cette déclaration, cet enregistrement ou cette autorisation dispense de déclaration préalable ou du permis d'aménager ; que les chapitres 1er et II du titre 1er du livre V concernent les ICPE ; que la société Moulin est en règle concernant la législation sur les ICPE malgré l'augmentation très importante du volume des gravats traités ; que par conséquent, la culpabilité de la société Moulin TP ne peut être retenue au titre de ce chef de prévention, celle-ci étant dispensée de permis d'aménager pour les exhaussements du sol de plus de deux mètres ;
"1°) alors que la cour d'appel ne peut prononcer une peine sans avoir relevé tous les éléments constitutifs de l'infraction qu'elle réprime ; que l'article L. 610-1 qui incrimine les infractions au plan local d'urbanisme suppose que soient identifiées les dispositions du plan local d'urbanisme qui ont été méconnues ; que le plan d'occupation des sols de la commune de [...], seul visé par la cour d'appel, ayant été abrogé le 11 juin 2013, sa violation ne pouvait plus être reprochée à la société prévenue au-delà de cette date ; qu'en déclarant néanmoins la société coupable de violation du POS jusqu'au 17 février 2015, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
"2°) alors que pour considérer que l'élément intentionnel de l'infraction reprochée à la société prévenue serait caractérisé malgré l'erreur commise par le cabinet d'étude qu'elle avait consulté sur la faisabilité de son projet, la cour d'appel retient qu'il appartenait à la société de se rapprocher des services d'urbanisme de la commune pour solliciter les autorisations requises par le code de l'urbanisme ; que la cour d'appel constate toutefois par la suite que la société était dispensée de toute démarche auprès de la mairie dès lors que la déclaration effectuée au titre des ICEP l'avait dispensée de l'obligation d'obtenir un permis d'aménager ; qu'en ne tirant pas les conséquences de ces constations s'agissant de l'élément intentionnel de l'infraction, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision" ;
Attendu que, pour confirmer partiellement le jugement et déclarer la société Moulin coupable d'infraction au plan d'occupation des sols ou au plan local d'urbanisme, l'arrêt attaqué retient ,notamment , qu'il n'est pas contesté que les terrains exploités par cette société sont situés dans la zone NAI du plan d'occupation des sols et que cette zone constitue une zone d'urbanisation future destinée à l'installation d'activités artisanales, industrielles ou commerciales nouvelles ou au transfert d'activités implantées dans le bourg ; que les juges ajoutent que dans cette zone, pour les opérations ne faisant pas l'objet d'une organisation d'ensemble comme en l'espèce, ne sont autorisées que les seules occupations et utilisations du sol suivantes : les constructions, les travaux sur constructions existantes, les ouvrages techniques nécessaires au fonctionnement des services publics et l'ouverture de carrières outre les ouvrages et les bâtiments nécessaires à l'exploitation,l'extension de carrières existantes ou la poursuite de l'exploitation de carrières ; que les juges concluent qu'en l'espèce, le dépôt de matériaux minéraux, aux fins de broyage, concassage puis revente provenant des travaux de terrassement et de démolition du tunnel de la Croix Rousse de Lyon ne constitue pas un ouvrage, ni une construction, ni une carrière c'est à dire une excavation d'où l'on tire de la pierre et que la société Moulin TP, qui ne peut se retrancher derrière le travail de son mandataire alors qu'il lui appartenait de se rapprocher des services de l'urbanisme de la mairie pour ne pas commettre d'erreur, est bien en infraction avec le plan d'occupation des sols ;
Attendu qu'en statuant ainsi et dès lors qu'il n'était pas allégué, devant les juges du fond que les dispositions figurant dans le plan d'occupation des sols n'aient pas été reconduites dans le plan local d'urbanisme,la cour d'appel, qui a caractérisé en tous ses éléments, matériel et intentionnel, le délit de stockage de matériaux en méconnaissance du plan d'occupation des sols ou du plan local d'urbanisme, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen sera écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 132-1 et 132-20 du code pénal, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a condamné la société prévenue à une amende de 30 000 euros ;
"aux motifs que, sur la réalisation d'exhaussements irréguliers, la culpabilité de la société Moulin TP ne peut être retenue au titre de ce chef de prévention, celle-ci étant dispensée de permis d'aménager pour les exhaussements du sol de plus de deux mètres ; que la cour infirme le jugement déféré sur ce point et renvoie la prévenue des fins de la poursuite sur ce point ; que la société Moulin TP a déclaré un chiffre d'affaires de 30 à 35 millions d'euros pour un nombre de 300 salariés environ ; que son casier judiciaire porte mention de deux condamnations en 2012 et en 2013 pour infractions à la sécurité ; que la société Moulin TP, qui devait cesser ses activités génératrices de nuisances diverses en novembre 2012, s'est maintenue jusqu'à ce jour en violation du POS de [...] ; que la peine d'amende prononcée par le tribunal correctionnel est proportionnée par rapport à la gravité de sa faute et à ses ressources et ses charges ;
"alors que le juge pénal ne peut prononcer que des peines strictement nécessaires et proportionnées à la gravité de l'infraction ; qu'il lui appartient notamment de motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur et de sa situation matérielle ; qu'ayant infirmé le jugement du tribunal correctionnel sur l'un des deux chefs de poursuite et ainsi partiellement relaxé la société prévenue, la cour d'appel ne pouvait sans insuffisance de motivation se borner à affirmer que la peine d'amende prononcée par le tribunal correctionnel était proportionnée à la gravité des faits poursuivis" ;
Attendu que, pour condamner, après relaxe des faits de réalisation irrégulière d'exhaussement ou d'affouillement du sol, à 30 000 euros d'amende pour infraction au plan d'occupation des sols ou au plan local d'urbanisme, l'arrêt énonce que son chiffre d'affaires s'élève de 30 à 35 millions pour 300 salariés, que son casier judiciaire porte mention de deux condamnations en 2012 et 2013 pour infractions à la sécurité et que la peine de 30 000 euros prononcée par le tribunal correctionnel est proportionnée par rapport à la gravité de sa faute et à ses ressources et charges ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui avait toute latitude pour fixer la peine pour la seule infraction qu'elle retenait , a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Mais sur le troisième moyen de cassation pris de violation des articles L. 480-7 du code de l'urbanisme et 591 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a ordonné la réaffectation des lieux dans leur état initial dans un délai de trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif et exécutoire, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
"aux motifs que la cour confirme la condamnation à la remise en état des lieux prononcée à l'encontre de la société Moulin TP, en application de l'article L. 480-7 du code de l'urbanisme dans sa version applicable en 2011, sauf à préciser que le délai de trois mois lui étant imparti pour la remise en état des lieux court à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif et exécutoire ; qu'à l'issue de ce délai, en cas de non-réaffectation des lieux dans leur état initial, la cour confirme la condamnation de la société Moulin TP au paiement d'une astreinte d'un montant de 1 000 euros par jour de retard ;
"alors que l'article L. 480-7 du code de l'urbanisme prévoyait dans sa version applicable en 2011 que l'injonction de remise en état des lieux pouvait être assortie d'une astreinte de 75 euros au plus par jour de retard ; que dans sa version actuelle, l'article L. 480-7 prévoit que cette astreinte peut être portée à un montant de 500 euros au plus par jour de retard ; qu'en prononçant une astreinte de 1 000 euros par jour de retard, la cour d'appel a violé le texte susvisé" ;
Vu l'article 480-7 du code de l'urbanisme ;
Attendu que les juges, après avoir condamné le bénéficiaire de l'utilisation irrégulière du sol à la remise en état des lieux dans un délai qu'ils déterminent, ne peuvent, pour le contraindre à exécuter la mesure prescrite, fixer une astreinte d'un montant supérieur au maximum prévu par la loi ;
Attendu que l'arrêt ordonne la remise en état des lieux sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
Mais attendu qu'en prononçant une astreinte d'un montant supérieur au maximum de 75 euros prévu par l'article 480-7 du code de l'urbanisme dans sa rédaction en vigueur pour la période de prévention courant du mois de janvier 2011 au 27 mars 2014 et supérieur à 500 euros dans la rédaction en vigueur prévue par la loi n°2014-366 du 24 mars 2014 pour la période postérieure, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Grenoble, en date du 9 mai 2017, mais en ses seules dispositions ayant fixé à 1 000 euros le montant de l'astreinte prononcée, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
FIXE le montant de l' astreinte à la somme de 75 euros par jour de retard du mois de janvier 2011 au 26 mars 2014 et à la somme de 500 euros pour la période postérieure ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Grenoble et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-six juin deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.