LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
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M. Fabrice X...,
Mme D... E... Y..., parties civiles
contre l'arrêt de la cour d'appel de SAINT-DENIS DE LA RÉUNION, chambre correctionnelle, en date du 13 mars 2017, qui, dans la procédure suivie contre M. Jean Bertrand Z... et M. Louis Giovanni Z... des chefs notamment de violences, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 15 mai 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme Harel-Dutirou, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre;
Greffier de chambre : Mme Bray ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire HAREL-DUTIROU, les observations de la société civile professionnelle GARREAU, BAUER-VIOLAS et FESCHOTTE-DESBOIS, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DESPORTES;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire, commun aux demandeurs, produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 1240 (ancien article 1382) du code civil, préliminaire, 2, 3, 418, 464, 512, 515, 591 et 593 du code de procédure pénale, violation de la loi ;
"en ce que l'arrêt attaqué a dit les appels des parties civiles mal fondés et les demandes des parties civiles irrecevables comme formulées pour la première fois en cause d'appel ;
"aux motifs que par jugement en date du 22 mai 2012, le tribunal correctionnel de Saint-Denis a reconnu M. Jean Bertrand Z... entièrement responsable des suites dommageables des faits de violence commis à l'égard de M. X... et de Mme Y... et de dégradation à l'encontre de Mme B... Z..., déclaré Louis Giovanni Z... entièrement responsable des suites dommageables des faits de violence commis à l'égard de M. X..., reçu les constitutions de parties civiles de M. X..., de Mmes B... Z... et Y... et renvoyé sur intérêts civils ; que par jugement en date du 18 avril 2013, la même juridiction statuant sur intérêts civils a ordonné une expertise médicale de M. X... et de Mme Y..., une ordonnance de caducité de cette mesure a été prise le 2 janvier 2015 ; que par une décision contradictoire en date du 18 mai 2015, la même juridiction a constaté l'absence de demandes des parties civiles ; que par actes en date du 28 mai 2015, l'avocat de M. X... et de Mme Y... a interjeté appel ; que les parties ont été régulièrement citées pour l'audience de la chambre des appels correctionnels statuant sur intérêts civils du 11 avril 2016 ; que l'affaire a été retenue à l'audience du 12 décembre 2016, après renvois, la décision mise en délibéré au 13 mars 2017 ;
"Moyens des parties
"que dans des écritures reçues les 9 mai 2016 et 14 novembre 2016, l'avocat de M. X..., de Mmes Y... et B... Z... demande à la cour de déclarer recevables les appels de M. X... et de Mme Y..., de condamner in solidum MM. Jean Bertrand Z... et Louis Giovanni Z... à verser à M. X... :
- 1 000 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,
- 8 000 euros en réparation des souffrances endurées,
- 800 euros en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale,
de condamner M. Jean Bertrand Z... à verser à Mme Y... :
- 6 000 euros en réparation des souffrances endurées,
- 800 euros en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;
"qu'au soutien de leurs prétentions, après avoir rappelé les faits de l'espèce et la procédure, les appelants rappellent que par jugement du 18 avril 2013, le préjudice de Mme B... Z... aurait été définitivement liquidé ; qu'ils n'auraient pas donné suite à l'expertise ordonnée en raison des consignations à opérer ; que le jugement querellé n'aurait pas constaté un désistement présumé mais une absence de demandes ; que si le jugement venait à être considéré comme ayant constaté leur désistement présumé, il serait assimilé à un jugement par défaut en application de l'article 425 alinéa 3 du code de procédure pénale, rappel interjeté serait par conséquent recevable ; que l'agression dont a été victime M. X... aurait été d'une sauvagerie extrême, l'incapacité initiale de 2 jours aurait été prolongée de 5 jours puis de 14 jours ; qu'un praticien aurait constaté une perte de sensibilité de l'aile du nez à droite ; un IRM aurait mis en évidence un épaississement muqueux des sinus frontaux prédominant à gauche, des cellules ethmoïdales et des sinus maxillaires et un autre médecin aurait relevé un discret remaniement inflammatoire des sinus de la face sans sinusite aigue ; que Mme Y... serait restée très perturbée à la suite des faits et sujette à des crises d'angoisse, comme l'aurait relevé le médecin qui a établi un certificat les 18 septembre et 16 octobre 2012 ; que dans des conclusions en défense reçues le 10 octobre 2016, MM. Jean Bertrand Z... et Louis Giovanni Z... ont demandé à la cour de dire que l'appel serait irrecevable car tardif, subsidiairement, de ramener les demandes formulées à de plus justes proportions ; que le jugement contradictoire querellé serait du 18 mai 2015 et l'appel n'aurait pas été interjeté dans le délai de 10 jours prévu par les textes ; que pour les sommes demandées, elles seraient surévaluées ;
(
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Sur les demandes d'indemnisation
"qu'il n'est pas contesté qu'à l'audience du 16 mars 2015, devant le tribunal correctionnel statuant sur les intérêts civils, Mme Y... et M. X... n'ont pas formulé de demandes d'indemnisation de leurs préjudices, ils ne sauraient par conséquent le faire pour la première fois en appel, leurs demandes seront déclarées irrecevables ;
"1°) alors que les dispositions de l'article 515 alinéa 3 du code de procédure pénale, prohibant en cause d'appel les demandes nouvelles, ne sauraient interdire à la partie civile de préciser le montant de sa demande pour un chef de dommage déjà soumis au débat de première instance ; qu'en retenant que M. X... et Mme Y... n'avaient pas formulé de demandes d'indemnisation de leurs préjudices devant le tribunal et qu'ils ne sauraient le faire pour la première fois en appel et en déclarant leurs demandes irrecevables lorsqu'elle a constaté dans ses motifs que par jugement du 22 mai 2012, les prévenus ont été reconnus entièrement responsables des suites dommageables des faits de violence commis à l'égard de M. X... et Mme Y... et lorsque M. X... et Mme Y... ont demandé, par voie de conclusions, devant le tribunal statuant sur les intérêts civils respectivement l'indemnisation de leur préjudice corporel et de leur préjudice moral et ont obtenu du tribunal, le 18 avril 2013, le prononcé de mesures d'expertises médicale et médico-psychologique afin de déterminer l'étendue de ces préjudices dont il a reconnu l'existence et de les chiffrer, mais que ces parties civiles, n'ayant pas eu les moyens financiers de consigner les frais d'expertise, n'ont pas pu finalement chiffrer lors de l'audience du 16 mars 2015 les demandes d'indemnisation dont le tribunal était néanmoins saisi, de sorte que les parties civiles se sont bornées devant la cour d'appel à préciser, en le chiffrant, le montant de leurs demandes d'indemnisation pour des chefs de dommages déjà soumis à débat de première instance, la cour d'appel a violé le texte et les principes susvisés, ensemble le principe de réparation intégrale ;
"2°) alors que l'irrecevabilité d'une demande nouvelle en cause d'appel, n'étant pas d'ordre public, ne peut être relevée d'office par les juges ; qu'en déclarant irrecevables les demandes d'indemnisation des préjudices des parties civiles en ce qu'elles auraient été formulées pour la première fois devant la cour d'appel lorsqu'il ressort des constatations de l'arrêt que dans leurs conclusions en défense, les prévenus ont demandé à la cour d'appel de déclarer les appels des parties civiles irrecevables comme tardifs et, subsidiairement au fond, de ramener les demandes formulées à de plus justes proportions, de sorte que la cour d'appel n'a pas été saisie par les prévenus d'une exception d'irrecevabilité des demandes d'indemnisation des parties civiles à raison de leur nouveauté, la cour d'appel a violé le texte et les principes susvisés ;
"3°) alors que le juge pénal doit respecter le principe du contradictoire et le droit à un procès équitable ; qu'à supposer que le moyen tiré de l'irrecevabilité d'une demande nouvelle formulée par une partie civile pour la première fois devant la cour d'appel puisse être soulevé d'office par les juges d'appel, il ne ressort d'aucun mention de l'arrêt que la cour d'appel ait mis les parties civiles en mesure de présenter des observations sur cette irrecevabilité ; que la cour d'appel a violé les textes et principes susvisés " ;
Vu l'article 515, alinéa 3, du code de procédure pénale ;
Attendu que l'interdiction faite par ce texte à la partie civile de former, en cause d'appel, une demande nouvelle n'est pas d'ordre public ;
Attendu qu'appelée à statuer sur les conséquences dommageables de violences dont M. X... et Mme Y... ont été victimes et M. Jean Bertrand Z... et M. Louis Giovanni Z..., déclarés tenus à réparation intégrale, la juridiction du second degré était saisie de conclusions des parties civiles demandant que leur soient alloués, pour le premier, le versement par M. Jean Bertrand Z... et M. Louis Giovanni Z..., de 1 000 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 8 000 euros en réparation des souffrances endurées et 800 euros sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale, pour la seconde le versement par M. Jean Bertrand Z... de 6 000 euros en réparation des souffrances endurées et 800 euros en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;
Attendu que, pour déclarer ces demandes irrecevables, l'arrêt énonce qu'il n'est pas contesté qu'à l'audience du 16 mars 2015, devant le tribunal correctionnel statuant sur intérêts civils, Mme Y... et M. X... n'ont pas formulé de demandes d'indemnisation de leurs préjudices ; que les juges en déduisent qu'ils ne sauraient le faire pour la première fois en appel ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que les prévenus n'avaient pas invoqué l'exception prise de l'article 515, alinéa 3 du code de procédure pénale, la cour d'appel, qui ne pouvait relever cette exception d'office sans excéder ses pouvoirs, a méconnu le sens et la portée du texte sus-visé et le principe ci-dessus rappelé ;
Que la cassation est, dès lors, encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, en date du 13 mars 2017, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-six juin deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.