La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/06/2018 | FRANCE | N°17-23909

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 21 juin 2018, 17-23909


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, ci-après annexé :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 22 juin 2017), que la société Aubert et Duval a confié l'installation d'un équipement de dépoussiérage de son site industriel à la société Boldrocchi France (Boldrocchi) qui a conclu un contrat de sous-traitance avec la société Endel ; qu'en raison d'un différend avec la société Boldrocchi, le sous-traitant a arrêté le chantier et assigné l'entreprise principale en nullité du contrat de sous-traitance e

t en remboursement des sommes engagées pour la réalisation des travaux ;

Attendu q...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, ci-après annexé :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 22 juin 2017), que la société Aubert et Duval a confié l'installation d'un équipement de dépoussiérage de son site industriel à la société Boldrocchi France (Boldrocchi) qui a conclu un contrat de sous-traitance avec la société Endel ; qu'en raison d'un différend avec la société Boldrocchi, le sous-traitant a arrêté le chantier et assigné l'entreprise principale en nullité du contrat de sous-traitance et en remboursement des sommes engagées pour la réalisation des travaux ;

Attendu que la société Boldrocchi fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de condamnation de la société Endel pour abus de droit, pour avoir sollicité la nullité du contrat de sous-traitance, par application de l'article 14 de la loi du 31 décembre 1975 ;

Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs adoptés, qu'en invoquant la faute de l'entreprise principale, qui avait délibérément privé son sous-traitant de la protection prévue par la loi, dans un contexte d'importants désaccords financiers avec elle, la société Endel n'avait fait que rechercher une forme de protection qui lui avait été déniée et n'apparaissait pas avoir procédé à un détournement de la finalité poursuivie par la loi, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a pu déduire de ces seuls motifs que le sous-traitant n'avait pas commis un abus de droit et a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Boldrocchi France aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Boldrocchi France et la condamne à payer à la société Endel, la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un juin deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour la société Boldrocchi France

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Boldrocchi, entrepreneur principal, de sa demande reconventionnelle tendant à voir la société Endel, sous-traitant, condamnée à lui payer la somme de 294 000 euros au titre du préjudice causé par l'abus de droit commis par la société Endel dans l'invocation de la nullité du contrat de sous-traitance par application de l'article 14 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « l'article 14 de la loi du 31 décembre 1975 dispose qu'à peine de nullité du contrat de sous traitance, les sommes dues par l'entrepreneur principal au sous-traité doivent être garanties par une caution personnelle et solidaire sauf si l'entrepreneur délègue le maître d'ouvrage au sous-traitant.

Que la SAS BOLDROCCHI France ne justifie d'aucune garantie de paiement des sommes dues à la société ENDEL en sa qualité de sous-traitant ni avoir délégué le maître d'ouvrage au sous-traitant, elle ne conteste pas le jugement dont appel en ce qu'il a prononcé de la nullité du contrat en date du 21 janvier 2011.

Que l'annulation du contrat au motif de l'absence de garantie de paiement devant être fournie par la SAS BOLDROCCHI France est par conséquent imputable à cette dernière.

Que ce jugement sera confirmé de ce chef.

Que les manquements de la société ENDEL allégués par la SAS BOLDROCCHI France quant au déroulement du chantier en particulier l'arrêt des travaux sont par conséquent inopérants quant à l'imputabilité de la nullité du contrat de sous-traitance.

Que le contrat de sous traitance conclu le 21 janvier 2011 entre les parties étant annulé et compte tenu du caractère rétroactif de cette nullité, ce contrat est censé n'avoir jamais existé. Il convient par conséquent d'assurer aux parties le retour au statu quo ante.

Que la société ENDEL était tenue de réaliser une obligation de faire au profit de la SAS BOLDROCCHI France, obligation réalisée pour partie compte tenu de l'arrêt du chantier.

Que la prestation réalisée par la société ENDEL ayant intégré le patrimoine de la société Aubert et Duval, elle ne peut faire l'objet d'une restitution en nature par la SAS BOLDROCCHI France.

Que la SAS BOLDROCCHI France est par conséquent redevable d'une restitution par équivalent.

Que la société ENDEL a dès lors droit à une indemnisation.

Que cette indemnisation de la société ENDEL par la SAS BOLDROCCHI France représente le paiement de la contrevaleur des travaux réalisés suite à l'annulation du contrat.

Que cette indemnisation ayant pour objet la restitution par équivalent représente le coût de la contrevaleur des travaux réalisés et sans référence aucune au contrat de sous-traitance du 21 janvier 2011 puisqu'annulé.

Que la cour ne dispose pas des éléments de fait nécessaires pour procéder à une telle évaluation tant en ce qui concerne l'état effectif d'avancement des prestations à réaliser à la date de l'arrêt du chantier que l'évaluation de leur contre valeur, qu'il convient de faire droit à la demande d'expertise de la société ENDEL.

Que la SAS BOLDROCCHI France ne peut invoquer la piètre qualité des prestations pour réduire le montrant de la restitution mais peut former une demande reconventionnelle tendant à l'indemnisation du dommage subi en raison des travaux réalisés par le sous-traitant en exécution du contrat annulé.

Que la SAS BOLDROCCHI France ne justifie que de manquements au contrat annulé mais d'aucun dommage subi en raison de la réalisation du marché, sa demande à ce titre sera dès lors rejetée.

Que le jugement contesté condamnant à ce titre la société ENDEL à payer à la société BOLDROCCHI France la somme de 210 232,57euros sera infirmé de ce chef.

Que quand bien même la SAS BOLDROCCHI France aurait livré tout le matériel nécessaire à son sous-traitant et fourni tous les plans de fabrication et montage nécessaires pour lui permettre de réaliser les travaux dans les délais convenus, le non-respect de ces délais allégués et prévus par le contrat annulé ne peut dès lors être reproché au sous-traitant.

Que l'indemnisation sollicitée par la SAS BOLDROCCHI France sur ce fondement sera par conséquent rejetée en totalité.

Que par ailleurs, les frais exposés par la SAS BOLDROCCHI France suite à l'arrêt du chantier par la société ENDEL et alors que la nullité du contrat est imputable à la société BOLDROCCHI ne peuvent être à la charge de la société ENDEL.

Que la totalité de la demande d'indemnisation de la SAS BOLDROCCHI France à ce titre sera par conséquent rejetée.

Que la SAS BOLDROCCHI France ne démontre pas que la présente procédure constitue un abus de droit susceptible d'être reproché à la partie adverse.

Que sa demande à ce titre sera rejetée» ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « la société BOLDROCCHI prétend que la société ENDEL a fait un usage abusif de la loi du 31 décembre 1975, principalement en détournant la disposition de son article 14 de la fonction pour laquelle elle a été édictée à la seule fin de nuire à la défenderesse ; qu'en agissant ainsi, la société ENDEL a engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;

Qu'il sera observé que les parties s'accordent sur leur appréciation que l'intention de nuire est le point d'ancrage, retenu par la jurisprudence, de l'abus de droit ; que celui-ci a été défini, selon arrêt de la Cour de cassation, 1ère chambre civile, du 20 janvier 1964 comme « l'accomplissement d'actes malveillants, ne se justifiant par aucune utilité appréciable et portant préjudice à autrui » ; que, concernant la menace de l'emploi d'une voie de droit, grief reproché à la société ENDEL par la société BOLDROCCHI, la Cour de cassation, 3ème chambre civile, dans un arrêt du 17 janvier 1984, a tranché qu'une telle menace ne constitue une violence au sens des articles 1111 et suivants du Code civil, « que s'il y a abus de cette voie de droit soit en la détournant de son but, soit en en usant pour obtenir une promesse ou un avantage sans rapport ou hors de proportion avec l'engagement primitif» ;

Que le tribunal constatera, au vu des éléments du dossier :
- que la mission confiée à la société BOLDROCCHI était une mission lourde, tant par l'objet poursuivi que par l'importance de son contenu technique ainsi que de son coût ;
- que la société BOLDROCCHI exploite en France, depuis un peu plus de dix années, une « activité d'ingénierie, d'études techniques, de conception d'installation de divers équipements industriels », qu'elle est familière, par essence, de ce type de mission ;
- que, compte tenu de son activité, elle est familière également du recours à la sous-traitance et des contraintes légales s'y rattachant;

- qu'elle est seule responsable de la non-fourniture du cautionnement prescrit par l'article 14 de la loi du 31 décembre 1975 ;
- qu'en agissant ainsi, elle a commis une faute, ainsi qu'il en a été tranché dans le paragraphe A ci-dessus ;
- que cette faute constitue la raison originaire du litige qui oppose les parties ;
- que la société BOLDROCCHI ne démontre pas la réalité d'actes de malveillance intentionnelle de la part de la société ENDEL, visant à lui nuire, se limitant à proposer une interprétation subjective, par cette dernière, de la portée de la loi précitée ;

Que le tribunal considérera alors, sur la base de ces constats :
- que la société BOLDROCCHI a délibérément privé son sous-traitant de la protection prévue par la loi, dans son article 14 ;
- que la société ENDEL, en invoquant celui-ci dans un contexte d'importants désaccords financiers avec l'entrepreneur, n'a fait que rechercher une forme de protection qui lui avait été déniée ;
- qu'elle n'apparaît pas ainsi avoir procédé à un détournement de la finalité poursuivie par la loi ;
- que la mise en évidence de désaccords financiers motivés ne peut être assimilée, en l'espèce, à la recherche d'un « avantage sans rapport ou hors de proportion avec l'engagement primitif » ;

Que le tribunal, en conséquence, appréciant que la société ENDEL n'a pas abusé du droit qui lui est octroyé par l'article 14, déboutera la société BOLDROCCHI de sa demande reconventionnelle de voir son sous-traitant lui rembourser la somme de 294.000 euros ;

1) ALORS QUE la nullité de l'article 14 de la loi du 31 décembre 1975 a pour finalité la protection du sous-traitant contre les risques de non-paiement des sommes mentionnées au contrat de sous-traitance ; que l'action en nullité du sous-traitant sur ce fondement présente dès lors un caractère abusif lorsqu'elle est engagée dans le seul dessein de sortir à bon compte de la relation contractuelle ou d'éluder toute responsabilité résultant d'une exécution défectueuse de ses obligations par le sous-traitant ; qu'en l'espèce, pour écarter les prétentions indemnitaires de l'exposante au titre de l'abus de droit, la cour d'appel s'est bornée à énoncer, par une formule de style, que la société Boldrocchi n'aurait pas fait la démonstration de l'abus de droit commis par la société Endel (arrêt, p. 6 § 3) ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si le mécanisme de la nullité de l'article 14 n'avait pas été invoqué par la société Endel hors de tout rapport avec l'objectif de l'obligation sanctionnée de fournir caution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;

2) ALORS QUE commet un abus de droit, le contractant qui, indépendamment de toute intention de nuire, détourne une prérogative contractuelle de sa finalité pour obtenir un avantage étranger à l'objet de cette prérogative ; qu'en retenant - à supposer adoptés les motifs des premiers juges -, pour écarter tout abus de droit commis par la société Endel, que « l'intention de nuire (serait) le point d'ancrage, retenu par la jurisprudence, de l'abus de droit » et que « la société Boldrocchi ne démontre pas la réalité d'actes de malveillance intentionnelle de la part de la société ENDEL, visant à lui nuire » (jugement, p. 8, in fine et p. 9 § 1), la cour d'appel, qui a ainsi réduit la théorie de l'abus de droit à une exigence de volonté de nuire, a violé de l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;

3) ALORS QUE si c'est une faute que de ne pas respecter à la lettre les exigences de l'article 14 de la loi du 31 décembre 1975, c'en est une aussi, et plus grave, que de vouloir exploiter ce texte pour une finalité qui lui est étrangère ; qu'en retenant, par des motifs éventuellement adoptés des premiers juges, que la société Boldrocchi « est seule responsable de la non-fourniture du cautionnement prescrit par l'article 14 de la loi du 31 décembre 1975 ; qu'en agissant ainsi, elle a commis une faute ; que cette faute constitue la raison originaire du litige qui oppose les parties » (jugement, p. 9), la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision d'écarter tout abus de droit commis par la société Endel, et violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 17-23909
Date de la décision : 21/06/2018
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Grenoble, 22 juin 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 21 jui. 2018, pourvoi n°17-23909


Composition du Tribunal
Président : M. Chauvin (président)
Avocat(s) : SCP Alain Bénabent , SCP Spinosi et Sureau

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:17.23909
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award