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30/05/2018 | FRANCE | N°17-87184

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 30 mai 2018, 17-87184


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- La société VH Antibes,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, en date du 23 novembre 2017, qui, dans la procédure suivie, notamment, contre elle du chef de blanchiment en bande organisée, a confirmé l'ordonnance de saisie pénale immobilière du juge d'instruction ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 3 mai 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du co

de de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme X..., conseiller rapporteur, Mme de ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- La société VH Antibes,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, en date du 23 novembre 2017, qui, dans la procédure suivie, notamment, contre elle du chef de blanchiment en bande organisée, a confirmé l'ordonnance de saisie pénale immobilière du juge d'instruction ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 3 mai 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme X..., conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de Mme le conseiller X..., les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général Y... ;

Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle en date du 2 février 2018 prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la Violation des articles 1 du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, 131-21, al. 2, et 324-1 du code pénal, 706-141, 706-150, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a ordonné la saisie pénale immobilière de la villa Hier appartenant à la société VH Antibes ;

"aux motifs qu'à la période des faits visés par la mise en examen, la personne morale société VH Antibes encourait outre l'amende, les peines mentionnées à l'article 131-39 du code pénal, qui dans sa rédaction alors applicable prévoyant dans son 8° : « la confiscation de la chose qui a servi ou qui était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit » ; qu'en outre l'article 131-21, al. 2, dans sa rédaction issue de la loi du 5 mars 2007 prévoyait : « la confiscation porte sur tous les biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, divis ou indivis, ayant servi à commettre l'infraction ou qui étaient destinés à la commettre, et dont le condamné est propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition » ; qu'à ce stade de l'information, les déclarations de M. Stéphane Z... ont été corroborées par « l'accord de vente de villa Hier le Cap d'Antibes, France » conclu le 14 mai 2008 entre la SA Opus One Holding, vendeur, et la société Alta Assets Ltd, acheteur, document parvenu anonymement à la procédure ; qu'en outre, les versions de M. Philippe A... et de M. Alexandre B... sur leurs relations financières, sont contradictoires et dépourvues de justification ; qu'il résulte de ces différents éléments la mise au jour d'une série d'opérations entre d'une part la société VH Antibes représentée par M. B... et ses bénéficiaires économiques et d'autre part les membres de la famille A... ainsi que M. Z..., série d'opérations dont l'acquisition de la Villa Hier constitue la finalisation ; qu'il apparaît en effet que M. B... et la société VH Antibes ont dû mobiliser une somme globale de 127 millions d'euros dont 92 millions d'euros ont été dissimulés à l'administration fiscale grâce à l'utilisation de sociétés écrans domiciliées à l'étranger ; qu'ainsi :
- 14 millions d'euros ont été versés le 9 novembre 2007 par la société Alta Assets Ltd basée aux îles vierges britanniques dont le directeur est M. B..., à la société luxembourgeoise CBHM, laquelle a racheté toutes les actions de la société Villa Hier, propriétaire initiale de la villa, détenues par les membres de la famille A...,
- 2 millions d'euros de commission ont été versés à une certaine Irina, qualifiée d'intermédiaire dans la procédure d'achat de la villa, au sein de l'accord de vente du 14 mai 2008,
- 3 millions d'euros ont été virés le 13 mai 2008, par la société Alta Assets Ltd au profit de Jacques A... et ses avocats,
- 12 millions d'euros ont été payés par chèque de banque le 16 mai 2008 à M. A...,
- 61 millions d'euros ont été versés par la société Alta Assets Ltd à la société Opus One Holding SA, dont le bénéficiaire économique est M. Philippe A..., le 26/05/2008, jour de la vente de la villa pour 35 millions d'euros, prix payé par la SAS VH Antibes à concurrence de 33 millions d'euros le 2 juillet 2008 entre les mains du notaire ; que certaines de ces opérations ont fait l'objet de redressements fiscaux, comme indiqué dans l'ordonnance du 22 mai 2017 frappée d'appel, ce qui confirme l'existence d'une fraude fiscale massive de la part notamment des membres de la famille A..., finalisée par des opérations de blanchiment du produit de ces fraudes, par le biais de sociétés étrangères, dont ils sont les véritables bénéficiaires économiques et qui ont procédé à des investissements et acquisitions de biens immobiliers en France ; que ces éléments, et surtout le contenu de l'accord du 14 mai 2008 dont M. B... est signataire en qualité de directeur de la société acquéreur montrant qu'il ne pouvait ignorer le coût global de l'opération immobilière, sont autant d'indices graves et concordants laissant supposer que M. B... et les sociétés qu'il représente, notamment VH Antibes, ont apporté leur concours à cette vaste opération de blanchiment du produit des fraudes fiscales commises, en payant un prix officiel de 35 millions d'euros, tout en contribuant à la dissimulation de 92 millions d'euros par l'utilisation d'entités multiples basées à l'étranger, dont le but pourrait être de masquer l'origine des fonds investis et la véritable identité du propriétaire du bien ; qu'ainsi, au terme de ces développements et en l'état actuel de l'information, la villa Hier constitue la chose qui a servi, à l'occasion de la transaction immobilière, à commettre l'infraction de blanchiment du produit des fraudes fiscales résultant de la dissimulation des versements antérieurs et concomitants à la vente ;

"1°) alors que la saisie pénale immobilière ne peut être prononcée qu'à l'encontre des biens susceptibles de confiscation ; qu'est susceptible de confiscation au terme de l'article 131-21, al. 2, du code pénal le bien ayant servi à commettre l'infraction ; que la chambre de l'instruction, qui ne précise pas en quoi la villa aurait servi à commettre l'infraction de blanchiment de la fraude fiscale et qui se borne en effet à affirmer sans le justifier que le but de la vente aurait pu être de « masquer l'origine des fonds investis », n'a pas légalement justifié sa décision ;

"2°) alors que la chambre de l'instruction, qui considère que la vente de la villa aurait constitué dans le même temps une fraude fiscale et son blanchiment, s'est prononcée par des motifs contradictoires et imprécis ne permettant pas d'en contrôler la légalité, privant ainsi sa décision de base légale ;

"3°) alors que l'infraction de blanchiment est une infraction autonome réprimée indépendamment de l'infraction d'origine ; qu'en confondant la fraude fiscale elle-même, qui résulterait de la vente de la villa à un prix supérieur à celui déclaré, et son blanchiment, qui aurait porté sur le produit de cette fraude postérieurement à la vente, pour en déduire que le bien immobilier qui aurait servi à la fraude aurait également servi à son blanchiment et serait susceptible de confiscation à ce titre, la chambre de l'instruction a méconnu le sens et la portée des dispositions susvisées" ;

Vu les articles 213, 214 et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'une enquête, puis une information, ont été diligentées sur les conditions de la vente, par la SA Villa Hier, détenue à 100% par la société CBHM, constituée entre les membres de la famille A... et dont Philippe A... était le président et le bénéficiaire économique, de la propriété dénommée Villa Hier, le 26 mai 2008, à la société VH Antibes, constituée le 15 mai 2008 par la société luxembourgeoise VH Estates SA, détenue par la société suisse Swiru Holding AG, présidée par M. Alexander B..., de nationalité suisse, au prix de 35 millions d'euros, selon l'acte notarié, alors que divers éléments ont révélé que, antérieurement et concomitamment à la vente, le paiement d'une somme de 92 millions d'euros, susceptible de constituer un complément occulte du prix de vente, a été dissimulé à l'administration fiscale en recourant, notamment, à des sociétés écrans domiciliées à l'étranger, dirigées soit par M. B..., soit par M. Philippe A... ; que M. B..., qui conteste avoir payé un prix de vente de 127 millions d'euros pour acquérir la villa Hier, a expliqué avoir, à l'issue de discussions avec la SA éponyme, finalement réglé, début 2008, les dettes de la propriété à hauteur de 14 millions d'euros, une somme identique pour permettre le relogement de M. Jacques A..., père de Philippe A..., et la somme de 35 millions d'euros, prix convenu pour la vente de la villa Hier ; qu'il a également indiqué avoir versé à M. A... père une somme de 50 millions d'euros, correspondant au règlement d'une dette ancienne, sans lien avec la villa ; que le 1er octobre 2015, les enquêteurs ont reçu, d'un correspondant anonyme, un document établi entre les sociétés Opus One Holding SA, de droit luxembourgeois, dont l'actionnaire unique est M. Philippe A..., et Alta Assets Ltd, représentée par M. B..., daté du 14 mai 2008 et intitulé "accord de vente Villa Hier Le Cap d'Antibes", détaillant très précisément le montant et la date des virements à effectuer pour parvenir au règlement du prix de 127 millions d'euros ; que M. Philippe A..., qui conteste les faits, a été mis en examen, le 2 décembre 2015, des chefs de blanchiment de fraude fiscale, recel de ce délit et escroquerie en bande organisée tandis que la société VH Antibes, prise en la personne de son représentant M. B..., ainsi que ce dernier, ont été mis en examen le 16 mai 2017 du chef de blanchiment en bande organisée, pour avoir apporté leur concours à une opération de dissimulation du produit direct ou indirect d'un délit, en l'espèce les délits de fraude fiscale, notamment, en participant à l'opération de dissimulation du prix réel de la vente de la "Villa Hier", cession réalisée le 26 mai 2008 entre la SAS VH Antibes et la SA Société de la Villa Hier (société française qui vend le bien) et ce en payant un prix officiel de 35 millions d'euros alors que la société acheteuse ne pouvait ignorer que l'opération économique ayant mené à l'acte de cession officiel avait en réalité coûté la somme de 127 millions d'euros, soit une dissimulation de 92 millions d'euros ; que, par ordonnance du 22 mai 2017 dont la société VH Antibes a interjeté appel, le juge d'instruction a ordonné la saisie de la villa Hier sur le fondement de l'article 132-21, alinéa 6 du code pénal ;

Attendu que, pour confirmer la saisie immobilière, l'arrêt , après avoir relevé que la demanderesse n'encourait pas en 2008, date des faits, la peine complémentaire de confiscation de tout ou partie du patrimoine en cas de condamnation du chef de blanchiment, et que, n'étant pas tenue par les motifs figurant dans l'ordonnance, la chambre de l'instruction peut y substituer les siens propres, énonce que la société VH Antibes encourait, à l'époque des faits, notamment, les peines mentionnées à l'article 132-39 du code pénal qui, dans sa rédaction alors applicable, prévoyait au 8° "la confiscation de la chose qui a servi ou qui était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit" ainsi que, en vertu de l'article 131-21, alinéa 2, du même code, la confiscation du bien ayant servi à commettre l'infraction ou qui était destiné à la commettre, et dont le condamné est le propriétaire, ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition ; que les juges ajoutent que la procédure a révélé une série d'opérations entre la société VH Antibes, représentée par M. B..., et les membres de la famille A..., dont l'acquisition de la Villa Hier constitue la finalisation et constatent, après avoir détaillé les versements effectués à l'occasion de la vente immobilière, que certaines de celles-ci ont fait l'objet de redressements fiscaux, ce qui confirme l'existence d'une fraude massive de la part, notamment, des consorts A..., concrétisée par des opérations de blanchiment du produit de ces fraudes réalisées par le biais de sociétés étrangères, dont ils sont les véritables bénéficiaires économiques et qui ont procédé à des investissements et acquisitions de biens immobiliers en France ; que la chambre de l'instruction conclut que M. B... ne pouvant ignorer le coût global de la vente immobilière et ayant, ainsi que la société VH Antibes, apporté son concours à cette vaste opération de blanchiment du produit des fraudes fiscales commises, en payant un prix officiel de 35 millions d'euros, tout en contribuant à la dissimulation de 92 millions d'euros par l'utilisation d'entités multiples basées à l'étranger, dont le but pourrait être de masquer l'origine des fonds investis et la véritable identité du propriétaire, il en résulte que la Villa Hier constitue la chose qui a servi, à l'occasion de la transaction immobilière, à commettre l'infraction de blanchiment du produit des fraudes fiscales résultant de la dissimulation des versements antérieurs et concomitants à la vente ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans préciser en quoi le bien immobilier saisi aurait permis à la société VH Antibes de commettre l'infraction de blanchiment à elle reprochée et consistant, selon les termes du procès-verbal d'interrogatoire de première comparution, à avoir dissimulé le paiement de la somme de 92 millions d'euros correspondant à la partie occulte du prix de vente dudit bien afin de faire obstacle à l'application de la loi fiscale, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-En-Provence, en date du 23 novembre 2017, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-En-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le trente mai deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 17-87184
Date de la décision : 30/05/2018
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-En-Provence, 23 novembre 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 30 mai. 2018, pourvoi n°17-87184


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:17.87184
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