LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu les articles 31 du code de procédure civile et L. 16 B du livre des procédures fiscales, ce dernier dans sa rédaction issue de la loi du 4 août 2008 ;
Attendu, selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel, qu'un juge des libertés et de la détention a, le 22 octobre 2008, sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, autorisé des agents de l'administration fiscale à procéder à une visite et des saisies dans des locaux situés à Paris, susceptibles d'être occupés par les sociétés DC Immobilière, Foncière Colbert Orco management, Foncière Colbert finance, Foncière Colbert Orco développement, Faisanderie, Saggel transactions, Saggel Holding et diverses autres sociétés ainsi que par M. et Mme B..., afin de rechercher la preuve de la fraude de ces sociétés au titre de l'impôt sur les sociétés et la taxe à la valeur ajoutée ; que ces opérations de visite et de saisie sont intervenues au domicile de M. et Mme B... le 24 octobre 2008 ; que contestant la régularité de la saisie de documents la mettant en cause, la société Shanna a saisi le premier président pour en demander l'annulation ;
Attendu que pour déclarer irrecevable le recours de la société Shanna, l'ordonnance retient que, selon l'article L.16 B du livre des procédures fiscales, ne peuvent contester le déroulement des opérations de visite et de saisie autorisées par l'ordonnance du juge des libertés et de la détention que les personnes visées à cette ordonnance en qualité d'auteurs présumés des agissements dont la recherche de preuve est autorisée et les occupants des lieux ; qu'il relève ensuite que la société Shanna n'était pas mentionnée à l'ordonnance comme auteur présumé, qu'elle n'était pas l'occupante des locaux considérés et qu'il importe peu qu'à l'occasion de ces opérations, un document la concernant ait été saisi ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la société Shanna se prévalait de ce que les documents saisis fondaient une procédure de redressement la concernant, ce dont il résultait qu'elle avait qualité et intérêt à contester la régularité de leur saisie, eût-elle été effectuée dans les locaux d'un tiers, et peu important qu'elle n'ait pas été visée dans l'ordonnance comme auteur présumé des agissements frauduleux, le premier président a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 1er juillet 2016, entre les parties, par le délégataire du premier président de la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ladite ordonnance et, pour être fait droit, les renvoie devant le premier président de la cour d'appel de Paris ;
Condamne le directeur général des finances publiques aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, le condamne à payer à la société Shanna la somme de 3 000 euros et rejette sa demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente mai deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP François-Henri Briard, avocat aux Conseils, pour la société Shanna
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir déclaré la société Shanna irrecevable en son recours,
Aux motifs qu' « en application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable au jour du recours, en l'occurrence le 2 juin 2014, ne peuvent contester le déroulement des opérations autorisées par l'ordonnance que les personnes visées dans ladite ordonnance en qualité d'auteurs présumés des agissements dont la recherche de preuve est autorisée et les occupants des lieux ; que le directeur général des finances publiques est bien fondé à soutenir que la société Shanna, ni visée dans l'ordonnance comme auteur présumé ni occupante des lieux, doit être déclaré irrecevable en son recours ; qu'il importe peu qu'à l'occasion de ces opérations un document la concernant ait été saisi et utilisé dans le cadre d'un redressement fiscal ultérieur » ;
1° Alors, en premier lieu, que l'article 31 du code de procédure civile énonce que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, c'est-à-dire à toute personne intéressée à qui la décision fait grief ; que l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales prévoit que l'appel, le pourvoi en cassation et le recours en nullité contre l'ordonnance autorisant une visite domiciliaire et contre le déroulement des opérations de visite ou de saisie peuvent avoir lieu suivant les règles prévues par le code de procédure civile ; que, dans ces conditions, la contestation de la régularité des opérations de visite et de saisie effectuées sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales doit pouvoir être formée, suivant les règles prévues par le code de procédure civile, par des tiers à l'objet de la visite, dès lors que des impositions ont été établies, ou des rectifications effectuées, à leur encontre, à partir d'éléments obtenus par l'administration dans le cadre d'une telle opération ; qu'en considérant que « ne peuvent contester le déroulement des opérations autorisées par l'ordonnance que les personnes visées dans cette ordonnance en qualité d'auteurs présumés des agissements dont la recherche de preuve est autorisée et les occupants des lieux » et « qu'il importe peu qu'à l'occasion de ces opérations un document la concernant ait été saisi et utilisé dans le cadre d'un redressement fiscal ultérieur », le premier président de la cour d'appel de Paris a violé les articles 31 du code de procédure civile et L. 16 B du livre des procédures fiscales ;
2° Alors, en second lieu, qu'en matière de visite domiciliaire, les personnes intéressées doivent pouvoir obtenir un contrôle juridictionnel effectif en fait comme en droit de la régularité des opérations de visite et de saisie ; qu'il ressort des termes mêmes de l'article 164 de la loi du 4 août 2008 que la régularité des opérations de visite et de saisie effectuées sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales peut être contestée devant le premier président de la cour d'appel ; que cette contestation peut également être formée par des tiers à l'objet de la visite, dès lors que des impositions ont été établies, ou des rectifications effectuées, à leur encontre, à partir d'éléments obtenus par l'administration dans le cadre d'une telle opération ; que cette solution, fondée sur l'article 164-IV-1-d de la loi du 4 août 2008 combiné avec l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, a une portée générale, bien qu'applicable aux procédures de visite et de saisie pour lesquelles le procès-verbal ou l'inventaire mentionnés au IV de cet article a été remis ou réceptionné antérieurement à la date d'entrée en vigueur de la loi, soit antérieurement au 4 août 2008 ; qu'en effet, si une société, bien que tierce à l'autorisation et à l'exécution, doit être recevable à contester tant l'autorisation elle-même que son exécution, c'est parce que les résultats de la visite lui sont opposés pour établir sa propre fraude ; que si l'autorisation et/ou l'exécution sont irrégulières, cette société doit pouvoir s'en prévaloir pour faire écarter de la procédure les documents ainsi obtenus quelle que soit la date à laquelle la visite a eu lieu ; que refuser aux tiers la possibilité d'un recours parce que les opérations seraient postérieures à 2008 reviendrait à admettre que l'irrégularité de la visite n'est opposable à l'administration, pour les opérations postérieures à 2008, qu'en ce qui concerne les personnes visées expressément par l'autorisation comme occupants des locaux ou auteurs présumés de la fraude ; qu'une telle solution conduirait à ce que la société tierce ne bénéficie pas d'un procès équitable, c'est-à-dire d'un recours lui permettant de contester en fait et en droit l'autorisation et les mesures prises pour son exécution ; que, dans ces conditions, en retenant « qu'en application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable au jour du recours, en l'occurrence le 2 juin 2014, ne peuvent contester le déroulement des opérations autorisées par l'ordonnance que les personnes visées dans ladite ordonnance en qualité d'auteurs présumés des agissements dont la recherche de preuve est autorisée et les occupants des lieux », la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales combiné avec l'article 164-IV-1-d de la loi du 4 août 2008.