LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen :
Vu l'article 2.1.2.8.b de l'accord d'entreprise du 28 mai 2013 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué rendu en référé, que M. X... a été engagé en 2001 en qualité d'opérateur de prise de vue par la société France Télévisions ; qu'une mise à pied disciplinaire de quinze jours lui a été notifiée le 3 août 2015, pour avoir refusé le 29 juin précédent d'effectuer un duplex pour le journal national, en raison du dépassement de ses horaires qui en serait résulté ;
Attendu que pour infirmer l'ordonnance de référé du 4 décembre 2015, et ordonner le retrait à titre provisoire, sous astreinte, de la mesure de mise à pied prononcée le 3 août 2015, l'arrêt retient que l'allongement de la vacation a été annoncé au salarié très tardivement, alors que l'accord ne prévoit pas expressément cette hypothèse, puisque, d'une part il n'est pas prévu le cas du décalage de vacation -entraînant son allongement- entre la veille 10 heures du jour considéré et le jour considéré, la dernière hypothèse étant celle "jusqu'à la veille à 10 heures d'un jour considéré", d'autre part, le paragraphe suivant n'indique pas qu'un décalage de vacation dans le sens d'un allongement de la vacation peut être imposé aux salariés, mais fait clairement référence au cas d'une vacation prévue et qui n'a pu être effectuée par des circonstances indépendantes du salarié ;
Attendu cependant qu'il résulte de l'article 2.1.2.8.b de l'accord d'entreprise du 28 mai 2013 que jusqu'à l'avant veille à 17 heures d'un jour considéré, les tableaux de service peuvent être modifiés par création, allongement, réduction ou suppression de vacation ; qu'après l'avant veille à 17 heures d'un jour considéré, après concertation avec le salarié, seules peuvent intervenir des prolongations ou des créations de vacations [....] et pour certains secteurs d'activité relevant de production, de l'actualité [...] ;
Qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et attendu que la cassation à intervenir sur le premier moyen entraîne par voie de conséquence la cassation du second moyen en application de l'article 624 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 novembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne M. Jacques X... et le syndicat SNRT-CGT France Télévisions aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre mai deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société France télévisions - France 3 Ile-de-France
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé l'ordonnance de référé du conseil des prud'hommes de Boulogne Billancourt du 4 décembre 2015, d'AVOIR ordonné le retrait à titre provisoire de la mesure de mise à pied de 15 jours prononcée le 3 août 2015 à l'encontre de M. X... par la société France Télévisions, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du délai de 15 jours suivant la notification du présent arrêt et d'AVOIR en conséquence condamné la société France Télévisions à payer à titre provisionnel à M. X... la somme de 1.970 euros au titre des journées de mise à pied, avec intérêts au taux légal à compter du 28 octobre 2015, outre celle de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles.
AUX MOTIFS QUE selon l'article R. 1455-6 du code du travail le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite ; que selon l'article R. 1455-7 du code du travail, dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation ; qu'aux termes de l'article L. 1131-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire en raison de ses activités syndicales ; qu'il appartient au salarié qui se prétend lésé de soumettre au juge les éléments de faits susceptibles de caractériser cette discrimination, et il incombe à l'employeur de justifier que la situation ou les faits sont justifiés par des éléments étrangers à toute discrimination, ; que M. X... expose qu'il avait déjà accepté auparavant des dépassements de ses horaires de travail, mais cette fois-là, le 25 juin 2015, il a refusé à titre syndical, afin que l'employeur respecte les accords collectifs sur le temps de travail ; que la société prétend que l'accord d'entreprise du 28 mai 2013 prévoit la possibilité de prolonger une vacation en raison des circonstances liées à l'actualité, en avisant le jour-même le salarié, simple concertation, sans que l'accord du salarié soit nécessaire ; qu'elle souligne que le salarié a arrêté sa caméra à 19h08 alors qu'il était encore en service ; que les circonstances sont les suivantes: M. X..., dont les horaires sont 9h30/13h- 14h30/20h, a travaillé le 25 juin 2015 pour le tournage du journal régional en extérieur jusqu'à 19h06 et a arrêté sa caméra à 19h08, refusant d'assurer dans la foulée au même endroit (paris 13 ème, au siège de la brigade financière pour l'affaire UBER) le journal national, ce qui aurait entraîné pour lui une fin de tournage à 19h45/l9h55, et ce qui allait lui faire terminer sa journée de travail après 20h, rangement du matériel à la station Vanves inclus ; qu'or, au vu de l'attestation de M. A..., chef opérateur de son, présent ce soir-là avec toute l'équipe de tournage, M. X... a sur le moment invoqué, dans une conversation téléphonique avec le cadre technique des locaux de Vanves, le non respect de l'accord collectif, vu le dépassement prévisible de ses horaires de travail (20h), et vu le délai de prévenance trop court (il a été prévenu à 18h qu'il devait assurer à la fois le JT régional et le JT national) ; que M. A... précise qu'il a lui-même terminé son service ce soir- là à 21 h, ce qui correspond à une heure de plus que l'horaire de service ; qu'en effet, il n'est pas contesté, comme l'indique M. A..., qu'une fois le tournage terminé vers 19h55, le rangement du matériel nécessitait de ramener le camion de tournage dans les locaux de Vanves et de mettre en charge les batteries du matériel de tournage, alors qu'à cette heure de forte circulation dans Paris (lieu du tournage à Paris 13 ème) et sa proche banlieue sud (Vanves), le retour à Vanves pouvait mettre une heure, comme cela a été le cas ce soir- là ; que la société soutient qu'il faudrait interpréter les dispositions de l'accord d'entreprise du 28 mai 2013 pour déterminer si le refus de M. X... d'exécuter le tournage litigieux était légitime ; qu'or, l'accord d'entreprise du 28 mai 2013 indique qu'en principe, pour les activités dont l'organisation est variable, les tableaux de service mentionnant les horaires de travail sont affichés au plus tard le vendredi 17h précédant la semaine concernée, mais ces tableaux peuvent être modifiés: - jusqu'à l'avant-veille à 17h d'un jour considéré (soit 2 jours avant), -après 1'avant-veille à 17h d'un jour considéré, après concertation avec le salarié, ces modifications par prolongations ou créations de vacations, ne pouvant intervenir que pour des travaux de sécurité et pour certains secteurs d'activité relevant de la production, de l'actualité, de la continuité des programmes, de l'exploitation ou de la maintenance, - jusqu'à la veille à 10h d'un jour considéré, des décalages de vacation peuvent intervenir dans certains secteurs d'activité relevant de la production, ou de l'actualité ; que dans l'hypothèse d'un décalage de vacation après la veille à 10h d'un jour considéré, après concertation avec le salarié, les heures initialement planifiées et non effectuées n'entrent pas dans le décompte du temps de travail effectif mais sont indemnisées à 125% ... '' ; que dans le présent cas, l'allongement de la vacation annoncée à M. X... une heure avant, soit bien après la veille à 10h du jour considéré, et qui allait nécessairement entraîner un dépassement du temps de travail en soirée, comme exposé plus haut, a donc été annoncée au salarié très tardivement, alors que l'accord ne prévoit pas expressément cette hypothèse, puisque: - d'une part il n'est pas prévu le cas du décalage de vacation- entraînant son allongement- entre la veille 10h du jour considéré et le jour considéré, la dernière hypothèse étant celle "jusqu'à la veille à 10h d'un jour considéré" (soit environ 24h avant) ; - d'autre part, le paragraphe suivant "Dans l'hypothèse d'un décalage de vacation après la veille à 10h d'un jour considéré, après concertation avec le salarié, les heures initialement planifiées et non effectuées n'entrent pas dans le décompte du temps de travail effectif mais sont indemnisées à 125% ...", n'indique pas qu'un décalage de vacation dans le sens d'un allongement de la vacation (comme dans le présent litige) peut être imposé aux salariés, mais fait clairement référence au cas d'une vacation prévue et qui n'a pu être effectuée par des circonstances indépendantes du salarié, cette vacation étant néanmoins rémunérée à 125% mais ne comptant pour le calcul du temps de travail effectif (le salarié ayant bloqué sa journée conserve sa rémunération, un peu comme une astreinte), et ce si le salarié l'accepte après concertation ; qu'en conséquence, sans qu'il y ait lieu à interprétation de cet accord, dont les dispositions sont claires, il convient par la seule analyse objective de cet accord de considérer qu'il n'existe pas de contestation sérieuse, puisque M. X... a valablement refusé de poursuivre son travail au-delà de 19h08 le 25 juin 2015, car l'acceptation du tournage du journal national sur France 3 entre 19h30 et 19h45 allait entraîner un allongement d'environ une heure de ses horaires de service préalablement planifiés, en contradiction avec l'accord d'entreprise susvisé ; que dès lors, le refus de M. X... de tourner le journal national de France 3 entre 19h30 à 19h45 est directement lié à son souhait de faire respecter l'accord d'entreprise, comme lui-même l'a clairement annoncé sur le moment, et se justifiait par un net dépassement prévisible de son horaire de service et de celui de ses collègues, avec un délai de prévenance très court, soit environ une heure avant, contrairement à l'esprit de l'accord d'entreprise du 28 mai 2013 relatif à l'organisation du temps de travail que M. X... entendait contribuer à faire respecter tant à son égard qu'à l'égard des autres salariés travaillant comme lui pour des activités à organisation variable ; que ces éléments peuvent laisser présumer que la sanction disciplinaire prise à l'égard de M. X... impliquait une discrimination syndicale, dans la mesure où M. X... était délégué syndical ; que cependant, la question de savoir si la sanction était motivée par une volonté de discrimination syndicale de la part de l'employeur constitue une contestation sérieuse; en effet, la société fait valoir qu'elle a sanctionné M. X... pour son refus de poursuivre son travail et rapporte la preuve que ce refus a entraîné la perturbation du déroulement du journal télévisé national de France 3, puisqu'aucune image n'a pu être retransmise ; qu'en revanche, la société était avisée par M. X..., tant au moment de son refus de poursuivre son travail que lors de l'entretien préalable intervenu le 10 juillet 2015, des motifs de ce refus liés au non respect de l'accord d'entreprise du 28 mai 2013, la sanction disciplinaire de mise à pied doit être considérée comme illicite, en ce qu'elle porte atteinte à un accord d'entreprise ; qu'en conséquence, pour faire cesser ce trouble manifestement illicite, sera ordonné le retrait à titre provisoire de sa mise à pied, sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du délai de 15 jours suivant la notification du présent arrêt, et le paiement d'une provision de 1970 € au titre des journées de mise à pied ; que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation, soit le 28 octobre 2015 (
); que la société devra en outre verser tant à M. X... qu'au syndicat SNRT CGT France Télévisions la somme de 1500 € au titre des frais irrépétibles ; que les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de la société.
1° - ALORS QUE l'article 2.1.2.8. b) de l'accord d'entreprise du 28 mai 2013 prévoit qu'après l'avant-veille à 17 heures d'un jour considéré, les vacations prévues aux tableaux de service peuvent être prolongées, après concertation avec le salarié, notamment pour certains secteurs d'activité relevant de l'actualité ; que cet article permet donc d'informer le salarié le jour même de l'allongement de sa vacation dès lors qu'il intervient dans un secteur d'activité relevant de l'actualité et qu'il a été concerté; qu'en l'espèce, il ressort de l'arrêt que les tableaux de services prévoyaient que le 29 juin 2015, le salarié, opérateur de prise de vue, devait effectuer une vacation se terminant à 20h et qu'informé le jour même à 18 heures de ce qu'il devait assurer le tournage du journal télévisé national entre 19h30 et 19H45 pour l'affaire UBER, il a refusé de poursuivre son travail au-delà 19h08 au prétexte que cela allait allonger ses horaires de service au-delà de 20 heures ; qu'en jugeant que l'allongement de la vacation était trop tardivement annoncée au salarié une heure avant, et non prévue expressément par l'accord d'entreprise, de sorte qu'il avait valablement refusé de poursuivre son travail lequel allait entraîner un allongement d'environ une heure de ses horaires de service préalablement planifié « en contradiction avec l'accord d'entreprise », la cour d'appel a violé l'article 2.1.2.8. b) de l'accord d'entreprise du 28 mai 2013, ensemble l'article R. 1455-6 du code du travail
2° - ALORS QUE l'article 2.1.2.8. b) de l'accord d'entreprise du 28 mai 2013 prévoyant que « jusqu'à la veille à 10 heures d'un jour considéré, des décalages de vacation peuvent intervenir dans certains secteurs d'activité relevant de la production ou de l'actualité » ne s'applique qu'en cas de « décalage de vacation » et non en cas « d'allongement » ou « de prolongation » de vacation qui constitue une situation distincte; qu'en jugeant que l'allongement de la vacation annoncée au salarié le jour même, une heure avant, était trop tardivement annoncé après la veille à 10 h du jour considéré, la cour d'appel a violé l'article 2.1.2.8. b) de l'accord d'entreprise du 28 mai 2013, ensemble l'article R. 1455-6 du code du travail
3° - ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et ne peut être modifié par le juge; qu'en retenant que l'allongement de la vacation avait été annoncée trop tardivement au salarié le jour même, soit bien après la veille à 10 heures du jour considéré, lorsque les parties s'accordaient, dans leurs conclusions d'appel, sur le fait que l'allongement de la vacation pouvait intervenir après l'avant-veille à 17 heures du jour considéré, après concertation avec le salarié, et qu'elles s'opposaient uniquement sur la notion de concertation exigée par l'accord, la cour d'appel a modifié les termes de litige, violant l'article 4 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé l'ordonnance de référé du conseil des prud'hommes de Boulogne Billancourt du 4 décembre 2015 et d'AVOIR déclaré recevable et fondée l'intervention volontaire du syndicat SNRT CGT France Télévisions et d'AVOIR condamné la société France Télévisions à payer au syndicat SNRT CGT France Télévisions la somme provisionnelle de 2.000 euros à valoir sur sa demande de dommages et intérêts, outre celle de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles.
AUX MOTIFS QUE selon l'article L. 2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice concernant des faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent ; qu'en l'espèce, le syndicat SNRT CGT France Télévisions est recevable en son intervention volontaire, dans la mesure où il défend la bonne application de l'accord d'entreprise du 28 mai 2013, dont il est signataire avec d'autres syndicats, et notamment les dispositions relatives à l'organisation du temps de travail des salariés travaillant dans les activités de tournage (production et actualité) ayant une activité variable, comme M. X... ; qu'il sera alloué au syndicat la somme provisionnelle de 2000 € à valoir sur sa demande de dommages et intérêts ; que la société devra en outre verser tant à M. X... qu'au syndicat SNRT CGT France Télévisions la somme de 1500 € au titre des frais irrépétibles
ALORS QUE la cassation à intervenir de l'arrêt qualifiant de trouble manifestement illicite la sanction disciplinaire infligée au salarié comme portant atteinte à l'accord d'entreprise du 28 mai 2015 et ordonnant son retrait et le paiement à titre provisionnel des journées de mises à pied (critiquée au premier moyen) entraînera par voir de conséquence l'annulation de ce chef de dispositif, en application de l'article 624 du code de procédure civile.