LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
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L'association Avocats sans frontières,
L'association Alliance France-Israël, parties civiles ;
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 15 mars 2017, qui les a déboutés de leurs demandes après relaxe de M. X... du chef de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 10 avril 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Cathala, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de M. le conseiller CATHALA, les observations de la société civile professionnelle POTIER DE LA VARDE, BUK-LAMENT et ROBILLOT, de la société civile professionnelle LYON-CAEN et THIRIEZ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général QUINTARD ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires en demande et les observations complémentaires en défense produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 23 alinéa 1er, 24 alinéa 7, 42 de la loi du 29 juillet 1881, 1382 ancien du code civil, 591 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué, après avoir relaxé M X... du chef de provocation à la discrimination, a débouté, par voie de conséquence, les associations Alliance France Israël et Avocats sans frontières de l'ensemble de leurs demandes ;
"aux motifs que la cour relèvera que l'appel au boycott d'un produit au titre de son origine géographique, ou des origines ethniques ou religieuses de ses producteurs, est constitutif du délit prévu et réprimé par l'article 24 alinéa 7 de la loi du 29 juillet 1881 ; qu'aux termes des écritures de M. Jean-Claude X..., il apparaît qu'il ne conteste pas cette jurisprudence, mais qu'il considère, comme le premier juge, que son message ne s'analyse pas comme un appel au boycott ; qu'en effet, il n'inviterait à aucun acte positif de discrimination ; qu'il se présente néanmoins comme ancien président et président d'honneur de l'association France Palestine Solidarité, qui milite, notamment et expressément pour un boycott des produits en provenance des colonies israéliennes ; que ses écritures contiennent de longs développements relatifs au bien-fondé, selon lui, d'un militantisme sur lequel la cour n'a pas à porter d'appréciation ; qu'il n'a pas contesté que l'appel au boycott puisse être assimilé à une incitation à la discrimination, mais estime que tel n'est pas le message litigieux, dans lequel le mot « boycott » n'apparaît pas et qui ne contient aucune injonction ou exhortation ; que seules les parties civiles retiendraient ces éléments d'un propos qui se contente d'attirer l'attention des consommateurs sur l'origine des produits qu'il achètent ; qu'il reconnaît par ailleurs s'être trompé sur l'origine de la marque qu'il a mise en cause à raison d'une imprécision de son étiquetage ; que cet appel à la vigilance n'aurait donc pas pour corollaire un appel à la discrimination ; qu'il se considère comme un « lanceur d'alerte » sur le problème d'intérêt général que constituerait un étiquetage insuffisamment précis des produits en provenance d'Israël ; qu'il estime subsidiairement que son signalement ne serait pas relatif à une origine nationale, au sens de l'article 24 alinéa 7 précité, mais seulement à une « zone géographique » ; qu'il rappelle encore que l'Union européenne a pris différentes mesures, en conséquence de son appréciation de la politique israélienne de colonisation, invitant les pays membres à informer les consommateurs pour leur permettre de distinguer les produits israéliens de ceux issus des colonies implantées dans les territoires dits occupés ; que ses directives ont été prises en compte par un avis de la DGCCRF paru au journal officiel du 24 novembre 2016 ; que les parties civiles ont critiqué l'analyse sémantique du tribunal, qui a exclu le caractère discriminatoire du message litigieux, en ce qu'il ne comporterait pas de mention de forme impérative, alors que le seul terme « attention » est une mise en garde qui dans son contexte appelle à éviter des produits d'une origine déterminée tenant à l'ethnie ou la nationalité de ses fabricants ; qu'elles citent encore nombre de jurisprudences relatives à la discrimination raciale ou ethnique qui relèvent de l'appréciation des juges du fond, ceux-ci pouvant notamment tenir compte d'éléments extrinsèques à des textes ou propos poursuivis, qui retiennent ou non que des actions ou messages exhorterait au boycott de produits israéliens ; qu'elles se réfèrent en ce sens à des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date des 20 octobre 2015 et 30 mars 2016 ; qu'elles reprochent encore, en l'espèce, au premier juge de n'avoir pas contextualisé le message par rapport à la référence faite au Ramadan qui dissuaderait expressément la communauté musulmane française d'acheter des produits éventuellement fabriqués en Israël ; qu'elles considèrent encore que le second post de l'intimé, s'il nuance un propos erroné, maintient le principe de la légitimité d'un appel à la discrimination des produits israéliens issus des colonies ; qu'elles adhèrent en conséquence à la motivation de l'appel du parquet de Créteil ; que les parties civiles rappellent les options de principe de M. X... qui en d'autres circonstances et d'autres écrits l'ont amené à encourager le boycott - sans nuances ou précautions – des produits israéliens ; qu'elles produisent différentes pièces qui caractérisent son adhésion à un tel boycott antérieurement ou postérieurement aux propos poursuivis (notamment leur pièce n°16) ; que la cour rappellera que l'appel au boycott de produits en raison de leur seule origine est constitutif de l'infraction de provocation à la discrimination en raison d'une appartenance nationale, ethnique ou religieuse de leurs producteurs ; qu'il en est ainsi de la jurisprudence précitée qui a estimé qu'un groupe de personnes pouvait être visé au travers des produits considérés ; qu'en l'espèce, néanmoins, elle constatera que dans le propos de l'intimé ne figure pas le mot « boycott », qu'il se contente d'un appel à la vigilance des consommateurs, sans injonction en direction de ceux-ci ; que la précision qu'il apporte au message initial, même s'il en confirme le caractère militant, ne vise pas plus à enjoindre expressément le consommateur à ne pas acheter le produit du fait de sa provenance mais à protester contre un étiquetage qu'il estime trop imprécis ; qu'outre que la référence aux exigences d'étiquetage de la DGCCRF relève d'une volonté des autorités françaises de respecter les directives européennes quant à l'information du consommateur relative à l'origine des directives européennes quant à l'information du consommateur relative à l'origine des produits distribués en France ; le message litigieux, à la différence des jurisprudences précitées ne consiste ni en un affichage, ni en des manifestations (banderoles ou slogans scandés) dans des magasins ; que son avis, exprimé sur un site militant, en conséquence prioritairement visité par des internautes a priori acquis à ses idées, ne s'analyse qu'en un signalement et non une exhortation au boycott, et reste dès lors dans les limites de la liberté d'expression ;
"aux motifs adoptés qu'en l'espèce, il n'est pas contestable que les propos rédigés par M. X... sur son compte Facebook visent les « feuilles de bricks israéliennes », dont une photographie est jointe, en raison de leur appartenance à une nation déterminée, en l'espèce Israël, sans qu'il soit nécessaire d démontrer que le produit litigieux était effectivement d'origine israélienne ; que par ailleurs, le mobile politique revendiqué par M. X..., qui s'inscrit dans un débat d'intérêt général international, ne saurait en soit être condamné, ni constituer une excuse légitimant ses propos ; que pour autant, les propos ne comportent aucune expression littérale, ponctuation ou conjugaison impérative visant à ordonner un acte positif de discrimination envers les produits litigieux ; que le seul terme « attention » invite à une prise de conscience ou à tenir compte, sans qu'il puisse être tiré de conséquence certaine et automatique sur la décision prise par le destinataire du message ; qu'au-delà du sens, l'invitation à un boycott, telle qu'interprétée par les parties civiles a été contestée expressément le lendemain du premier post par le prévenu dans un second commentaire ; que cette insinuation, éventuelle et implicite, ne saurait caractériser une exhortation directe explicite et sans équivoque pour le consommateur moyen, à ne pas acheter lesdits produits ; que dès lors, il n'est pas démontré le caractère provocateur des messages ;
"1°) alors que le délit de provocation prévu et réprimé par l'article 24 alinéa 7 de la loi du 29 juillet 1881 est caractérisé dès lors que, tant par son sens que par sa portée, les propos incriminés tendent à inciter le public à la discrimination envers un fabricant de produits alimentaires à raison de ce qu'il est d'origine israélienne ; que le message publié, par M. X..., président d'honneur de l'association France Palestine Solidarité, militant, sur sa page Facebook, au moment des fêtes du Ramadan, dans lequel il déclare « attention à vos achats. Ceci sont des feuilles de brick israéliennes : regardez en bas, au centre » et sous lequel est reproduit un emballage de feuilles de brick de la marque JR, tend à inciter les internautes qui visitent cette page à la discrimination à l'égard du produit en les incitant à ne pas l'acheter, en raison de sa prétendue origine israélienne ; qu'en se fondant, pour relaxer M. X... des chefs de la poursuite, sur les circonstances inopérantes que le mot boycott ne figurait pas dans les propos litigieux lesquels ne contenaient pas d'injonction en direction des consommateurs, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"2°) alors que le second message publié par M. X..., sur sa page Facebook, par lequel ce dernier, venant préciser le premier, attire l'attention des consommateurs sur l'origine israélienne des feuilles de brick de marque JR tout en soulignant qu'il est impossible, en l'absence d'identification, de vérifier si les produits israéliens viennent ou non des « colonies », que donc « tout est possible en la matière ! » et que « tant que les produits des colonies ne seront pas identifiés tout restera possible », est lui aussi de nature à faire naître, dans l'esprit des internautes qui visitent sa page un sentiment de discrimination à l'égard du produit, en les incitant à ne pas l'acheter, en raison de son origine israélienne et de ce qu'il pourrait être issu « des colonies » ; qu'en jugeant pourtant le contraire aux prétextes inopérants que le second message ne consiste ni en un affichage, ni en des manifestations dans des magasins et qu'il ne vise pas à enjoindre expressément le consommateur à ne pas acheter le produit du fait de sa provenance, la cour d'appel a méconnu les textes précités ;
"3°) alors qu'en se fondant encore, pour relaxer M. X... du chef de délit de provocation à la discrimination, sur la circonstance que la DGCCRF a elle-même des exigences d'étiquetage afin de respecter les directives européennes quant à l'information du consommateur relative à l'origine des produits distribués en France laquelle n'était pourtant pas de nature à exclure que le second message faisait naître un sentiment de discrimination à l'égard des feuilles de brick de marque JR en raison de leur origine israélienne et de ce qu'elles pourraient notamment provenir « des colonies », la cour d'appel a, une fois encore, méconnu les textes précités" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de la procédure que, sur plainte de l'association Alliance France-Israël et de l'association Avocats sans frontières, le procureur de la République a fait citer devant le tribunal correctionnel, pour y répondre du délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée M. X... à la suite de la publication sur son compte Facebook, accessible à l'adresse [...], un post puis un commentaire comportant les propos suivants : "attention à vos achats. Ceci sont des feuilles de brick israéliennes : regardez en bas, au centre" et sous lequel était reproduit un emballage de feuilles de brick de marque JR, puis :"précision. Encore une fois je n'ai pas appelé au boycott des feuilles de bricks JR. J'ai attiré l'attention des consommateurs sur l'origine de ce produit. En effet, dès lors que les produits israéliens issus des colonies ne sont pas identifiables comme tels, tout est possible en la matière ! Si ces produits ne viennent pas des colonies et que c'est prouvé, dont acte, mais de toute façon tant que les produits des colonies ne seront pas identifiés tout restera possible du fait de ce refus des autorités de le faire ! Les coupables ce sont eux ! Pas les lanceurs d'alerte !" ; que les juges du premier degré ont relaxé M. X... B... de la poursuite et ont débouté les parties civiles de leurs demandes ; que le ministère public et les parties civiles ont relevé appel de cette décision, les associations ayant limité cet appel aux dispositions civiles ;
Attendu que, pour confirmer le jugement, l'arrêt, après avoir rappelé que l'appel au boycott de produits en raison de leur seule origine est constitutif de l'infraction de provocation à la discrimination en raison d'une appartenance nationale, ethnique ou religieuse de leurs producteurs, énonce que dans le propos de l'intimé ne figure pas le mot "boycott", que le prévenu se contente d'un appel à la vigilance des consommateurs, sans injonction en direction de ceux-ci ; que les juges ajoutent que la "précision" qu'il apporte au message initial, même s'il en confirme le caractère militant, ne vise pas plus à enjoindre expressément le consommateur à ne pas acheter le produit du fait de sa provenance mais à protester contre un étiquetage qu'il estime trop imprécis et que la référence aux exigences d'étiquetage de la DGCCRF, relève d'une volonté des autorités françaises de respecter les directives européennes quant à l'information du consommateur relative à l'origine des produits distribués en France, le message litigieux, ne consiste ni en un affichage, ni en des manifestation (banderoles ou slogans scandés) dans des magasins ; qu'ils en déduisent que son avis, exprimé sur un site militant, en conséquence prioritairement visité par des internautes a priori acquis à ses idées, ne s'analyse qu'en un signalement et non une exhortation au boycott, et reste dès lors dans les limites de la liberté d'expression ;
Attendu qu'en statuant ainsi, dès lors que les propos incriminés ne contiennent pas, même sous une forme implicite, en eux-mêmes d'appel ou d'exhortation à la discrimination envers l'ensemble des producteurs israéliens à raison de leur appartenance à cette nation, la cour d'appel a justement apprécié le sens et la portée du texte susvisé ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
FIXE à 2 500 euros la somme que l'association Avocats sans frontières et l'association Alliance France-Israël devront payer à M. Jean-Claude X... au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-trois mai deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.