LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 24 novembre 2016), que, par ordonnance sur requête du 17 juin 2014, le président du tribunal de grande instance de Nice a autorisé la Caisse nationale du régime social des indépendants (la Caisse) à mandater un huissier de justice avec la mission de se rendre à la réunion d'information tenue le 21 juin 2014 à Nice par l'association Mouvement pour la liberté de la protection sociale (l'association) en vue de procéder à l'enregistrement des débats et à la retranscription des propos tenus par les intervenants ;
Sur le premier moyen :
Délibéré par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, sur l'avis de M. de Monteynard, avocat général, et après débats à l'audience publique du 13 décembre 2017, où étaient présents : Mme Flise, président, Mme Vieillard, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, Mme Parchemal, greffier de chambre ;
Attendu que l'association fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de rétractation de l'ordonnance sur requête, alors, selon le moyen, qu'en application des articles 61-1 et 62 de la Constitution, l'abrogation par le Conseil constitutionnel des dispositions de l'ordonnance n° 2005-1528 du 8 décembre 2005, en ce qu'elles instituent la Caisse nationale du régime social des indépendants, privera cette dernière de qualité à agir contre le Mouvement pour la liberté de la protection sociale et ne pourra donc que justifier la rétractation de l'ordonnance sur requête du juge des référés du tribunal de grande instance de Nice du 17 juin 2014 ;
Mais attendu que par arrêt n° 1191 F-D du 29 juin 2017, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de renvoyer cette question au Conseil constitutionnel ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le second moyen, pris en sa première branche :
Attendu que l'association fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que chacun a droit au respect de sa vie privée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui, refusant de rétracter l'ordonnance sur requête autorisant un huissier de justice à pénétrer au sein de la réunion d'une association organisée par et pour ses membres et à retranscrire les propos qui y seraient tenus, a validé cette mesure intrusive en se fondant sur des motifs insuffisants à établir le caractère public de ladite réunion, a violé les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil, ensemble l'article 493 du code de procédure civile ;
Mais attendu que, si les personnes morales disposent, notamment, d'un droit à la protection de leur nom, de leur domicile, de leurs correspondances et de leur réputation, seules les personnes physiques peuvent se prévaloir d'une atteinte à la vie privée au sens de l'article 9 du code civil ; que, par ce motif de pur droit, substitué, dans les conditions de l'article 1015 du code de procédure civile, à ceux critiqués, la décision de la cour d'appel d'écarter le caractère attentatoire à la vie privée de la mesure ordonnée et, par suite, de rejeter la demande de rétractation formée exclusivement par l'association, dont la personnalité juridique est distincte de celle de ses membres, se trouve légalement justifiée ;
Sur la seconde branche du même moyen, ci-après annexé :
Attendu que ce grief n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'association Mouvement pour la liberté de la protection sociale aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la Caisse nationale du régime social des indépendants la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize mai deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour l'association Mouvement pour la liberté de la protection sociale
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté le MOUVEMENT POUR LA LIBERTE DE LA PROTECTION SOCIALE (MLPS) de sa demande de rétractation de l'ordonnance sur requête du juge des référés du tribunal de grande instance de Nice du 17 juin 2014 ;
Aux motifs que : « [le MLPS] fait valoir que la CNRSI est une mutuelle, régie par le code de la mutualité, qu'elle ne s'est pas inscrite au registre prévu par ce code et se trouve donc dissoute ; que, selon lui, la loi, la jurisprudence et la doctrine confirment ce statut ;
[
] cependant que l'intimée se fonde sur un arrêt avant dire droit de la cour d'appel de Limoges du 20 octobre 20144 mais que, statuant au fond, la même juridiction a décidé, le 23 mars 2015, que le RSI relevait du code de la sécurité sociale ;
[
] que, comme l'expose l'appelante, les dispositions légales visées par l'intimé sont anciennes, alors que son régime résulte d'une ordonnance du 08 décembre 2005 ; qu'elle relève du code de la sécurité sociale (article L 611-1 et suivants), selon lequel le RSI, qui comprend trois branches (assurance maladie et maternité, assurance vieillesse des professions artisanales et assurance vieillesse des professions industrielles et commerciales) comporte une caisse nationale et des caisses de base, ces organismes de droit privé chargés d'une mission de service public étant dotés de la personnalité morale ; que, s'agissant de la CNRSI, elle est représentée en justice par son directeur général ;
[
] que l'appelante verse aux débats de multiples décisions de justice confortant cette situation, de même que, par ailleurs, l'inapplicabilité à son égard des directives communautaires relatives à l'assurance ;
[
] en conséquence que la qualité pour agir de la CNRSI, représentée par son directeur général, n'est pas sérieusement discutable ; que l'appel doit être déclaré recevable ;
[
] au fond, que l'intimé ne discute pas que les circonstances, d'ailleurs exposées au juge des requêtes, justifiaient qu'il fût dérogé au principe de la contradiction ; qu'il conteste à tort n'être pas visé par les pièces produites par la CNRSI puisque celle-ci versait au soutien de sa demande divers procès-verbaux de constat concernant des réunions d'information auxquelles participait le président du MLPS pour « sortir de la sécu » ;
[
] que l'intimé argue enfin de la tenue de réunions privées, produisant une pièce selon laquelle une autre réunion était annoncée comme de caractère strictement privé, une inscription nominative étant obligatoire ;
Mais [
] que la réunion litigieuse était annoncée sur un site internet accessible à tout internaute, qu'aucune invitation nominative n'était exigée mais seulement une inscription préalable à l'adresse indiquée et une participation de 10 € ; qu'il s'ensuit qu'à l'évidence la réunion d'information était publique, de sorte que la mesure sollicitée n'était pas attentatoire à la vie privée ;
[
] que l'ordonnance n'est pas contestée pour le surplus, ce qui conduit à rejeter la demande de rétractation » ;
Alors que en application des articles 61-1 et 62 de la Constitution, l'abrogation par le Conseil constitutionnel des dispositions de l'ordonnance n° 2005-1.528 du 8 décembre 2005, en ce qu'elles instituent la CAISSE NATIONALE DU REGIME SOCIAL DES INDEPENDANTS (CNRSI), privera cette dernière de qualité à agir contre le MOUVEMENT POUR LA LIBERTE DE LA PROTECTION SOCIALE (MLPS) et ne pourra donc que justifier la rétractation de l'ordonnance sur requête du juge des référés du tribunal de grande instance de Nice du 17 juin 2014.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté le MOUVEMENT POUR LA LIBERTE DE LA PROTECTION SOCIALE (MLPS) de sa demande de rétractation de l'ordonnance sur requête du juge des référés du tribunal de grande instance de Nice du 17 juin 2014 ;
Aux motifs que : « [le MLPS] fait valoir que la CNRSI est une mutuelle, régie par le code de la mutualité, qu'elle ne s'est pas inscrite au registre prévu par ce code et se trouve donc dissoute ;
que, selon lui, la loi, la jurisprudence et la doctrine confirment ce statut ;
[
] cependant que l'intimée se fonde sur un arrêt avant dire droit de la cour d'appel de Limoges du 20 octobre 20144 mais que, statuant au fond, la même juridiction a décidé, le 23 mars 2015, que le RSI relevait du code de la sécurité sociale ;
[
] que, comme l'expose l'appelante, les dispositions légales visées par l'intimé sont anciennes, alors que son régime résulte d'une ordonnance du 08 décembre 2005 ; qu'elle relève du code de la sécurité sociale (article L 611-1 et suivants), selon lequel le RSI, qui comprend trois branches (assurance maladie et maternité, assurance vieillesse des professions artisanales et assurance vieillesse des professions industrielles et commerciales) comporte une caisse nationale et des caisses de base, ces organismes de droit privé chargés d'une mission de service public étant dotés de la personnalité morale ; que, s'agissant de la CNRSI, elle est représentée en justice par son directeur général ;
[
] que l'appelante verse aux débats de multiples décisions de justice confortant cette situation, de même que, par ailleurs, l'inapplicabilité à son égard des directives communautaires relatives à l'assurance ;
[
] en conséquence que la qualité pour agir de la CNRSI, représentée par son directeur général, n'est pas sérieusement discutable ; que l'appel doit être déclaré recevable ;
[
] au fond, que l'intimé ne discute pas que les circonstances, d'ailleurs exposées au juge des requêtes, justifiaient qu'il fût dérogé au principe de la contradiction ; qu'il conteste à tort n'être pas visé par les pièces produites par la CNRSI puisque celle-ci versait au soutien de sa demande divers procès-verbaux de constat concernant des réunions d'information auxquelles participait le président du MLPS pour « sortir de la sécu » ;
[
] que l'intimé argue enfin de la tenue de réunions privées, produisant une pièce selon laquelle une autre réunion était annoncée comme de caractère strictement privé, une inscription nominative étant obligatoire ;
Mais [
] que la réunion litigieuse était annoncée sur un site internet accessible à tout internaute, qu'aucune invitation nominative n'était exigée mais seulement une inscription préalable à l'adresse indiquée et une participation de 10 € ; qu'il s'ensuit qu'à l'évidence la réunion d'information était publique, de sorte que la mesure sollicitée n'était pas attentatoire à la vie privée ;
[
] que l'ordonnance n'est pas contestée pour le surplus, ce qui conduit à rejeter la demande de rétractation » ;
1. Alors que, d'une part, chacun a droit au respect de sa vie privée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui, refusant de rétracter l'ordonnance sur requête autorisant un huissier de justice à pénétrer au sein de la réunion d'une association organisée par et pour ses membres et à retranscrire les propos qui y seraient tenus, a validé cette mesure intrusive, en se fondant sur des motifs insuffisants à établir le caractère public de ladite réunion, a violé les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 9 du Code civil, ensemble l'article 493 du Code de procédure civile ;
2. Alors que, d'autre part, les restrictions à la liberté d'expression doivent être prévues par la loi, poursuivre un but légitime et constituer une ingérence nécessaire dans une société démocratique ; qu'en l'espèce, les propos tenus à la réunion du MLPS s'inscrivaient dans un contexte essentiellement privé entre membres d'une même association et consistaient en des échanges qui s'inscrivaient dans un débat d'intérêt général ; qu'en refusant de rétracter l'ordonnance sur requête autorisant un huissier de justice à pénétrer au sein de cette réunion organisée par et pour les membres de l'association et à retranscrire les propos qui y seraient tenus, la cour d'appel, qui a ainsi validé des mesures susceptibles d'obérer, en amont, les émissions d'opinions ainsi exprimées, a porté une atteinte disproportionnées au droit des membres de ladite association à la liberté d'expression et a violé l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.