LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 8 septembre 1999, M. Gabriel Y... a ouvert un compte n° [...] dans les livres de la société Banque populaire du Sud (la banque), lequel a ensuite été transformé en compte joint avec son épouse, Mme X... (les emprunteurs) ; que, le 5 septembre 2003, il a ouvert un second compte n° [...] auprès de la même banque ; que, le 8 décembre 2009, la banque lui a consenti, ainsi qu'à son épouse, un prêt garanti par le cautionnement solidaire de Raphaël Y... et de Mme Yolande Y... (les cautions) ; qu'après avoir dénoncé les conventions d'ouverture de compte et prononcé la déchéance du terme du prêt, la banque a assigné les emprunteurs et les cautions en paiement des sommes restant dues au titre des comptes et du prêt ; que Raphaël Y... est décédé en cours d'instance ;
Sur le second moyen, ci-après annexé :
Attendu que les emprunteurs et Mme Yolande Y... font grief à l'arrêt de rejeter la demande de dommages-intérêts fondée sur la faute de gestion imputée à la banque au titre du fonctionnement du compte n° [...] ;
Attendu qu'en retenant que l'existence d'une faute de gestion ne pouvait résulter du seul maintien du compte litigieux pendant quelques mois, avant sa clôture par la banque à défaut de régularisation du solde débiteur, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a répondu aux conclusions prétendument délaissées ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
Attendu que, pour rejeter la demande de déchéance du droit aux intérêts conventionnels au titre du compte n° [...], l'arrêt retient que les éléments produits ne permettent pas de considérer que le solde de ce compte a été débiteur pendant plus de trois mois consécutifs ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les relevés n° 1, n° 2, n° 3 et n° 4 du compte litigieux, respectivement édités les 26 juillet, 27 septembre, 25 octobre et 25 novembre 2010, laissaient apparaître un solde constamment débiteur au cours de la période considérée, la cour d'appel a méconnu le principe susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du premier moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. Gabriel Y... à payer à la société Banque populaire du Sud la somme de 1 000,01 euros au titre du solde du compte n° [...], majorée des intérêts au taux contractuel de 15,70 % à compter du 1er juin 2011, l'arrêt rendu le 26 octobre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier, autrement composée ;
Condamne la société Banque populaire du Sud aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. Gabriel Y..., Mme X... et Mme Yolande Y... la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize mai deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour Mme X..., M. Gabriel Y... et Mme Yolande Y....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné Monsieur Gabriel Y... à payer à la Banque Populaire du Sud la somme de 1000,01 € au titre du solde du compte n° [...] (en réalité n° [...]) majorée des intérêts au taux contractuel de 15,70 % à compter du 1er juin 2011 jusqu'à parfait paiement ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE ainsi que le fait observer le premier juge les éléments produits ne permettent pas de faire la même application des articles L. 311-2 et L. 311-33 du code de la consommation ; que le compte s'est trouvé légèrement débiteur fin août (i. e : juillet) et septembre 2010 à la suite de frais de procédure civile d'exécution et des frais d'agios ont été calculés pour cette période à hauteur de 18,19 €, cette facilité de caisse ponctuelle n'ayant jamais été contestée par ce dernier, que par la suite, le 27 octobre 2010, un virement de 80 € et la remise de deux chèques pour un montant de 112,50 € venaient réduire de ce solde débiteur à la somme de 250,01 € de sorte qu'à ce stade, il n'y avait pas lieu pour la banque à formuler une offre préalable de crédit à raison de cette simple tolérance qui ne devait être que passagère ; qu'or, le jour même et au cours des deux semaines suivantes, trois retraits de caisse ont été effectués pour un montant de 750 € de sorte que le solde débiteur s'est brusquement aggravé pour être arrêté à la somme de 1000,01 € ; que rejetant tant le moyen soulevé à titre principal que celui soulevé à titre incident par la banque, le jugement sera donc confirmé sur ce point (arrêt pp. 9 et 10) ;
ALORS QUE 1°), le prêteur, qui omet de présenter une offre préalable de crédit au titulaire d'un compte bancaire ayant fonctionné à découvert pendant plus de trois mois, est déchu du droit aux intérêts courus sur le solde débiteur de ce compte ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que le compte personnel de Monsieur Y... était débiteur entre le mois de juillet 2010 (l'arrêt indiquant « août » par une simple erreur matérielle) et le mois de novembre suivant, soit pendant plus de trois mois, la cour d'appel a accueilli la demande de la banque en paiement du solde débiteur de ce compte outre les intérêts au taux contractuel de 15,70% ; qu'en statuant ainsi, sans prononcer la déchéance du droit aux intérêts, quand il résultait de ses constatations que le découvert en compte tacitement accordé à Monsieur Y... s'était prolongé plus de trois mois sans émission d'une offre préalable de crédit, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 311-2 et L. 311-33 du code de la consommation dans leur rédaction applicable à la cause ;
ALORS QUE 2°), la cour d'appel, qui avait constaté que le compte avait fonctionné en débit pendant plus de trois mois consécutifs, ne pouvait se fonder sur une « facilité de caisse ponctuelle » ou « une simple tolérance passagère » pour refuser de faire bénéficier Monsieur Y... des dispositions protectrices du code de la consommation ; qu'en se déterminant pourtant de la sorte, elle a statué par un motif inopérant, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles L. 311-2 et L. 311-33 du code de la consommation dans leur rédaction applicable à la cause ;
ALORS QUE 3°) subsidiairement, il ressort clairement et précisément des relevés bancaires versés aux débats (relevés n° 1 au 26/07/2010, n° 2 au 27/09/2010, n° 3 au 25/10/2010 et n° 4 au 25/11/2010 – production) que le compte de Monsieur Y... avait été débiteur à partir de juillet 2010 ; qu'à supposer que l'arrêt ne soit pas entaché d'une erreur matérielle en ce qu'il a relevé que le compte était débiteur à partir de « fin août (
) 2010 », la cour d'appel aurait, dans ce cas, dénaturé les relevés bancaires susvisés, en violation du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause,
ALORS QUE 4°), par ailleurs, en relevant l'existence d'une « facilité de caisse ponctuelle » sans constater préalablement que la convention de compte-courant signée par Monsieur Y... portait autorisation d'un découvert occasionnel avec prélèvement d'agios, la cour d'appel a, en toute hypothèse, privé sa décision de base légale au regard des articles L. 311-2 et L. 311-33 du code de la consommation dans leur rédaction applicable à la cause ;
ET AUX MOTIFS DES PREMIERS JUGES (à les supposer adoptés) QUE les éléments produits ne permettent pas de constater un tel fonctionnement débiteur durant une période excédant trois mois alors que Gabriel Y... n'a pas cru utile à cette démonstration de produire les relevés antérieurs et de mettre ainsi le tribunal en mesure de vérifier la thèse qu'il soutient malgré tout ; qu'en revanche, la réclamation de la banque ne peut excéder le montant figurant sur le dernier relevé en date du 25 novembre 2011 (i.e : 2010), soit 1000,01 € assortie des intérêts au taux contractuel (jugement p. 5) ;
ALORS QUE 5°) subsidiairement, il résulte du bordereau des pièces communiquées par Monsieur Y... que celui-ci versait aux débats, sous le n° 6, des relevés bancaires du 28 août 2009 au 25 novembre 2010 (production) ; qu'en affirmant qu'il ne produisait pas les relevés pour la période antérieure à septembre 2010, la cour d'appel a dénaturé le bordereau de communication de pièces susvisé, en violation du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis,
ALORS QUE 6°), il ressort clairement et précisément des relevés bancaires versés aux débats (relevés n° 1 au 26/07/2010, n° 2 au 27/09/2010, n° 3 au 25/10/2010 et n° 4 au 25/11/2010 – production) que le compte de Monsieur Y... avait été débiteur du 26 juillet 2010 au 25 novembre 2010, soit pendant plus de trois mois ; qu'en affirmant cependant que les éléments produits ne permettaient pas de constater un fonctionnement débiteur durant une période excédant trois mois, la cour d'appel a dénaturé les relevés bancaires susvisés, en violation du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Monsieur Y... de sa demande tendant à voir condamner la banque à lui payer la somme de 13.889,53 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi résultant de la faute de gestion de la banque ayant consisté à laisser fonctionner le compte n° [...] en position débitrice durant une longue période ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « par des motifs complets et pertinents que la cour adopte, le premier juge a fait une juste application des dispositions des articles L. 311-2 et L. 311-33 du code de la consommation en prononçant la déchéance du droit à tout intérêt couru, légal ou conventionnel, sur le solde débiteur d'un compte bancaire ayant fonctionné avec des avances de fonds pendant plus de 3 mois de nature à constituer une ouverture tacite de crédit, alors que la banque s'est abstenue de formuler une offre préalable régulière de crédit ; que les relevés de compte du 28 décembre 2009 au 31 juillet 2010 démontrent en effet la persistance d'un solde débiteur sur une période de plus de 6 mois au cours de laquelle celui-ci n'a fait que s'accroître de la somme de 40,64 € à celle de 10.075,01 € ; que la créance de la banque s'établit donc la somme de 10 527,72 €, selon le décompte des intérêts opéré par le premier juge ; que l'appel incident de la banque de ce chef sera donc en voie de rejet et le jugement confirmé sur ce point » (arrêt p. 8) ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « il ressort des articles L. 311-2 et L. 311-33 du code de la consommation que lorsqu'une banque a consenti à son client des avances de fonds pendant plus de trois mois, ce découvert en compte constitue une ouverture de crédit ; et que lorsque celle-ci est comme en l'occurrence, consentie tacitement, l'absence d'offre préalable régulière entraîne pour l'organisme de crédit la déchéance du droit à tout intérêt couru, légal ou conventionnel, sur le solde débiteur d'un compte bancaire ayant fonctionné dans de telles conditions ; que s'agissant du compte n° [...], il découle de l'examen des relevés produits par la banque sur la période ayant couru du 31 janvier au 25 novembre 2010 que le compte a fonctionné en position débitrice croissante, le simple constat mois par mois de mouvements débiteurs excédant ceux portés au crédit étant suffisant à faire cette démonstration ; que la banque ne peut dès lors réclamer que le capital restant dû, soit au cas précis, la somme de 12.920,36 € diminuée des intérêts décomptés mensuellement tels qu'ils l'ont été à partir du mois d'avril 2010 sous forme de frais d'arrêtés de compte ou de commissions d'intervention (
) de telle sorte que sa créance s'établit à la somme de 10.527,72 € ; et que cette sanction est la seule envisageable, Gabriel Y... ne pouvait soutenir l'existence d'une faute de gestion du simple fait du maintien du compte durant quelques mois avant que la banque ne prenne l'initiative à partir d'une certain seuil d'en provoquer la clôture à défaut de régularisation d'une situation que le défendeur avait tout loisir de ne pas laisser se dégrader par l'usage qu'il continuait lui-même à faire de ce compte » (jugement p. 5) ;
ALORS QUE Monsieur Y... faisait expressément valoir (conclusions d'appel p. 4) que l'établissement de crédit avait laissé le compte joint des époux Y... fonctionner à découvert pendant quasiment un an tout en ayant parfaitement connaissance de la situation extrêmement difficile de ses titulaires, ceux-ci ayant d'ailleurs sollicité un prêt pour régler les difficultés de fonctionnement de ce compte ; qu'en conséquence, en se bornant, pour débouter Monsieur Y... de sa demande, à relever que celui-ci ne pouvait « soutenir l'existence d'une faute de gestion du simple fait du maintien du compte durant quelques mois avant que la banque ne prenne l'initiative à partir d'un certain seuil d'en provoquer la clôture » sans répondre aux conclusions de Monsieur Y... invoquant la nécessaire connaissance par la banque de sa situation financière très délicate imposant au banquier d'alerter son client sur le fonctionnement du compte sans cesse débiteur, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.