LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 novembre 2016, RG n° 16/03271), que la société hongroise Select Hungaria a confié à la société française Valco la conception et la construction en Hongrie d'un site industriel de tri et de recyclage de déchets ; qu'un différend ayant opposé les parties, au cours de l'exécution du contrat, la première a assigné la seconde devant une juridiction hongroise en remboursement des acomptes versés ; que sa demande ayant été accueillie, la société Select Hungaria a saisi le greffier en chef du tribunal de grande instance de Paris qui, par déclaration du 15 décembre 2014, a déclaré exécutoire l'arrêt de la cour d'appel de Budapest du 13 décembre 2013 ; que la société Valco a été placée en liquidation judiciaire et la sociétéBecheret-Thierry-Sénéchal-Y... (la SCP BTSG) désignée en qualité de liquidateur ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu que la SCP BTSG, ès qualités, fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de révocation de la déclaration du greffier en chef, alors, selon le moyen, qu'une décision étrangère rendue en méconnaissance des exigences du droit à un procès équitable heurte l'ordre public français et ne peut être reconnue exécutoire en France ; que le droit à un procès équitable implique, à la charge du juge, de motiver sa décision ; qu'en l'espèce, pour s'opposer à la reconnaissance en France de l'arrêt rendu le 18 décembre 2013 par la cour d'appel de Budapest, la société Valco reprochait à cette dernière d'avoir laissé sans réponse le moyen tiré, en l'état des liens étroits existants entre les société Valco et la société Select Hungaria et de l'absence d'activité réelle et effective de cette dernière, du caractère fictif et frauduleux de l'opération ayant conduit aux deux virements d'un total de 4 250 000 euros ; qu'en retenant que la cour d'appel de Budapest n'avait pas méconnu l'exigence de motivation dès lors, qu'en relevant l'existence du moyen tiré de la fraude et en appréciant l'étendue des obligations contractuelles incombant à la société Valco et le manquement de celle-ci à ces obligations, elle avait « nécessairement entendu écarter le grief d'une prétendue fraude découlant d'une absence de cause aux deux versements de janvier 2003 et avril 2004 », quand le moyen tiré de la fraude, qui posait une question logiquement et juridiquement distincte de celles de la détermination et de la bonne exécution par la société Valco des obligations contractuellement mises à sa charge dans le cadre d'une opération dont le caractère fictif était précisément dénoncée comme étant le siège de la fraude, impliquait une réponse explicite, la cour d'appel a violé l'article 34, § 1, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu qu'après avoir énoncé que, selon la cour d'appel de Budapest, la société Valco n'a invoqué, devant le tribunal, l'existence d'une fraude que si le demandeur persistait à mettre en cause l'accomplissement de ses obligations contractuelles, ce qui revient à reconnaître que les versements litigieux ont été effectués d'une façon frauduleuse et non pas à des fins économiques, l'arrêt relève que cette juridiction étrangère a confirmé l'appréciation du tribunal de Budapest quant à l'étendue des obligations contractuelles de la société Valco au vu du contrat initial de 2003 et de ses modifications ultérieures et a entériné la motivation de celui-ci fondée sur une expertise judiciaire contradictoire, selon laquelle les documents élaborés par Valco étaient « nécessaires à la phase préparatoire mais pas suffisants pour connaître la technologie », et notamment pour permettre à la banque partenaire d'évaluer la demande et d'octroyer le crédit nécessaire à la réalisation du projet ; qu'il ajoute qu'elle a confirmé le refus du tribunal d'admettre « l'exception d'imputation » invoquée par la société Valco, et a approuvé le taux d'achèvement, par cette société, des prestations qualifiées de « transmission préalable de données », et le caractère insuffisant de cette transmission ; que de ces énonciations et constatations, la cour d'appel a exactement déduit que la juridiction étrangère avait implicitement mais nécessairement écarté le moyen tiré de l'existence d'une fraude, sans méconnaître l'obligation de motivation, de sorte qu'aucune violation de l'ordre public français ne pouvait, à ce titre, être opposée à la reconnaissance de cette décision dans l'ordre juridique français ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur la seconde branche du moyen, ci-après annexé :
Attendu que ce grief n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la sociétéBecheret-Thierry-Sénéchal-Y... , ès qualités, aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mai deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils, pour la société Becheret-Thierry-Sénéchal-Y... , ès qualités.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande de la SCP Becheret Thierry Sénéchal Y... représentée par Me Y..., ès qualité de mandataire judiciaire de la société Valco, tendant à la révocation de la déclaration du greffier en chef du tribunal de grande instance de Paris du 15 décembre 2014 constatant le caractère exécutoire de l'arrêt de la cour d'appel de Budapest en date du 18 décembre 2013 et confirmé ladite déclaration ;
AUX MOTIFS QUE « Sur la demande de révocation de la déclaration constatant la force exécutoire de la décision de la cour d'appel de Budapest ; qu'aux termes de l'article 38 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, les décisions rendues dans un Etat membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre Etat membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée ; que suivant les articles 43 et 45.1 du même règlement, l'une ou l'autre des parties peut former un recours contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire, la juridiction saisie du recours ne pouvant alors refuser ou révoquer une déclaration constatant la force exécutoire que pour l'un des motifs prévus aux articles 34 et 35 ; qu'aux termes de l'article 34 précité, "une décision n'est pas reconnue si : 1) la reconnaissance est manifestement contraire à l'ordre public de l'Etat membre requis" ; qu'à l'appui de son recours, la SCP BTSG, ès qualités, fait valoir principalement que la reconnaissance de l'arrêt de la cour d'appel de Budapest doit être refusée pour être manifestement contraire à l'ordre public français et en particulier à l'exigence de motivation qui suppose une réponse spécifique et explicite aux conclusions régulièrement présentées par les parties ; qu'en omettant de répondre au moyen tiré de l'existence d'une fraude à l'origine des deux virements litigieux de la société HUNGARIA à la société VALCO sur la base d'opérations de nature fictive entre des entités entretenant des liens étroits, suivis du reversement de ces fonds par la société VALVO à deux sociétés domiciliées, l'une au Luxembourg, l'autre au Royaume-Uni, les sociétés NEUMAN et STF n'ayant jamais entretenu de liens d'affaires avec elle, la décision hongroise a méconnu l'obligation de motivation sur des arguments ayant une incidence évidente sur la solution du litige et l'existence d'une droit de créance de la SELECT HUNGARIA ; que la société VALCO a d'ailleurs régularisé une plainte avec constitution de partie civile devant le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Paris visant à faire constater la collusion frauduleuse dont elle a fait l'objet pour obtenir sa condamnation indue ; que la société SELECT HUNGARIA répond pour l'essentiel que la clause relative à l'ordre public ne doit jouer que dans des cas exceptionnels et qu'elle est d'interprétation stricte ; que l'exigence de motivation varie selon la nature de la décision, les tribunaux n'étant pas tenus d'apporter une réponse détaillée à chaque argument soulevé ; que la procédure civile hongroise s'est déroulée de manière contradictoire dans le respect des droits de la défense, que l'arrêt hongrois est motivé en fait et en droit, que le grief de fraude ne représentait, à partir du deuxième jeu d'écritures de VALCO devant le tribunal de Budapest après changement de conseil, et devant la cour d'appel, qu'un caractère subsidiaire par rapport à ses autres demandes tendant à dire, en contrariété avec ses premières conclusions, que les virements d'argent de SELECT HUNGARIA étaient la contrepartie des prestations fournies par VALCO et que les reversements de celle-ci aux entreprises NEUMAN SA et STF avaient pour but, en lien avec le projet, de "préparer ses prestations à venir", que les digressions de l'appelante sur la fraude tendent à faire oublier les agissements frauduleux de ses propres actionnaires qui ont fait disparaître ses actifs au détriment de SELECT HUNGARIA, son créancier le plus important ; que la cour d'appel de Budapest relève que l'existence d'une fraude était invoquée devant le tribunal par la société VALCO "dans le cas où le demandeur continue(rait) à mettre en cause l'accomplissement (de ses obligations contractuelles), position qui reviendrait selon cette société à reconnaître que "le montant a été versé d'une façon frauduleuse et non pas à des fins économiques" ; que la cour d'appel de Budapest a confirmé l'appréciation du tribunal quant à l'étendue des obligations contractuelles de la société VALCO au vu du contrat initial de 2003 et ses modifications ultérieures en constatant que seule cette société était en capacité de répondre aux exigences d'études techniques liées au projet y compris celles formalisées par l'établissement de crédit, signataire de l'offre de prêt avec SELECT HUNGARIA, pour en conditionner l'octroi ; que la cour d'appel de Budapest a validé également la motivation des premiers juges s'appuyant sur l'expertise judiciaire contradictoire selon laquelle les documents élaborés par VALCO étaient "nécessaires à la phase préparatoire mais pas suffisants pour connaître la technologie", et notamment pour permettre à la banque partenaire d'évaluer la demande et d'octroyer le crédit nécessaire à la réalisation du projet ; qu'elle poursuit en confirmant le refus initial du tribunal de grande instance de Budapest d'admettre "l'exception d'imputation" invoquée par VALCO, approuvant le taux d'achèvement des prestations par cette société qualifiées de "transmission préalable de données", et le caractère insuffisant de cette transmission ; que ce faisant, la cour d'appel de Budapest a nécessairement entendu écarter le grief d'une prétendue fraude découlant d'une absence de cause aux deux versements de janvier 2003 et avril 2004 ; que dès lors l'arrêt de la cour d'appel de Budapest ne méconnaît pas l'obligation de motivation et qu'à ce titre, aucune violation de l'ordre public français ne peut être opposée à sa reconnaissance dans l'ordre juridique français ; qu'il y a donc lieu de déclarer de rejeter la demande de la SCP BTSG, ès qualités, de révocation de la déclaration du greffier en chef du tribunal de grande instance de Paris du 15 décembre 2014 constatant le caractère exécutoire de l'arrêt de la cour d'appel de Budapest en date du 18 décembre 2013 et de confirmer cette déclaration » ;
1/ ALORS QU'une décision étrangère rendue en méconnaissance des exigences du droit à un procès équitable heurte l'ordre public français et ne peut être reconnue exécutoire en France ; que le droit à un procès équitable implique, à la charge du juge, de motiver sa décision ; qu'en l'espèce, pour s'opposer à la reconnaissance en France de l'arrêt rendu le 18 décembre 2013 par la cour d'appel de Budapest, la société Valco reprochait à cette dernière d'avoir laissé sans réponse le moyen tiré, en l'état des liens étroits existants entre les société Valco et la société Select Hungaria et de l'absence d'activité réelle et effective de cette dernière, du caractère fictif et frauduleux de l'opération ayant conduit aux deux virements d'un total de 4.250.000 euros ; qu'en retenant que la cour d'appel de Budapest n'avait pas méconnu l'exigence de motivation dès lors, qu'en relevant l'existence du moyen tiré de la fraude et en appréciant l'étendue des obligations contractuelles incombant à la société Valco et le manquement de celle-ci à ces obligations, elle avait « nécessairement entendu écarter le grief d'une prétendue fraude découlant d'une absence de cause aux deux versements de janvier 2003 et avril 2004 », quand le moyen tiré de la fraude, qui posait une question logiquement et juridiquement distincte de celles de la détermination et de la bonne exécution par la société Valco des obligations contractuellement mises à sa charge dans le cadre d'une opération dont le caractère fictif était précisément dénoncée comme étant le siège de la fraude, impliquait une réponse explicite, la cour d'appel a violé l'article 34 1) du Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2/ ALORS SUBSIDIAIREMENT ET EN TOUTE HYPOTHESE QUE le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ; qu'en retenant que la cour d'appel de Budapest, dans son arrêt du 18 décembre 2013, avait « nécessairement entendu écarter le grief d'une prétendue fraude découlant d'une absence de cause aux deux versements de janvier 2003 et avril 2004 » quand la cour d'appel de Budapest n'avait aucunement répondu, fût-ce implicitement, à ce moyen, la cour d'appel a dénaturé l'arrêt de la cour d'appel de Budapest du 18 décembre 2013 et ainsi violé le principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause.