LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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Mme Corinne C..., partie civile,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de FORT-DE-FRANCE, en date du 21 mars 2017, qui a dit n'y avoir lieu à suivre contre MM. A... X..., B... Y... et D... Z... du chef de harcèlement moral ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 27 mars 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de M. le conseillerBONNAL, les observations de la société civile professionnelle GARREAU, BAUER-VIOLAS et FESCHOTTE-DESBOIS, avocat en la Cour, et les conclusions de M. le premier avocat général CORDIER ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 222-33-2 du code pénal, 51, 80, 591 et 593 du code de procédure pénale, violation de la loi, insuffisance de motifs ;
"en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à suivre contre MM. B... Y..., A... X... et D... Z... du chef de harcèlement moral ;
"aux motifs que, dans son mémoire, l'avocat de M. Z... concluait au non lieu au motif qu'aucun nouvel élément n'était apparu à la procédure depuis que son client avait bénéficié d'un non lieu par le juge d'instruction sur réquisitions conformes du procureur de la République de Fort de France ; que dans son mémoire l'avocat de la partie civile concluait au renvoi des trois mis en examen devant le tribunal correctionnel ; Le délit de harcèlement moral trouvait aussi à s'appliquer quand il émanait d'un subordonné) l'encontre de son supérieur, les mails, dont certains extrêmement violents, constituaient les agissements répétés, ceux-ci avaient eu ou pouvaient avoir eu les conséquences prévues par la loi sur la personne de Mme C... ; que l'article 222-33-2 du code pénal définit le harcèlement moral comme des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité, d'altérer la santé physique ou mentale ou de compromettre l'avenir professionnel ; que si Mme C..., outre des mails litigieux, a également dénoncé des tracts la mettant directement en cause en des termes plus que déplaisants, l'information n'a pas permis d'établir que les trois mis en examen étaient les auteurs ou les instigateurs de ces faits ; qu'ainsi les seuls agissements susceptibles d'être reprochés aux trois mis en examen sont la rédaction et l'envoi de mails aux contenus litigieux ; que les trois mis en examen n'ont pas contesté être les auteurs de ces mails ; que les mails de M. Y... contenaient notamment les propos suivants :"Il ne faut pas tomber dans le piège de la délinquance universitaire que la présidence a érigé en mode de gouvernance", "Envoyer en avant les voyous de son entourage, c'est la méthode bien connue des mafieux", "Volonté malveillante de poursuivre la destruction de I'UAG, notamment en tentant de nuire aux laboratoires qui fonctionnent, notamment le Ceregmia qui est le rempart contre la zone des talibans que veut généraliser la présidente sur le pôle Martinique", "La présidente et son équipe de dangereux amateurs", "Elle continue de croire, ou de nous faire croire, que le management d'une université s'apparente à un défilé de mode ou à un concours de beauté", "Des méthodes staliniennes gagnent du terrain dans notre institution" ,"Une institution universitaire étranglée par une poignée de mercenaires revanchards" ; que M. Y... contestait que ces faits puissent recevoir une qualification pénale ; qu'étant dans l'opposition à Mme C... il estimait avoir un devoir de vigilance par rapport à son mode de gestion ; que les mails incriminés n'avaient jamais été envoyés à Mme C... mais aux membres de la communauté universitaire ; que le mail de M. X... contenait notamment les propos suivants : "Notre présidente devrait ses problèmes au fait qu'elle est une femme dans un monde d'affreux phallocrates, pire de misogynes. Il faut reconnaître que se retrancher derrière l'argument du genre présente des vertus car il constitue un pare feu efficace et permet de faire l'économie d'une remise en cause", "Cette agitation frénétique d'un petit nombre, toujours les mêmes, cache mal l'angoisse de perdre l'emprise totalitaire et malsaine qu'ils imposent", "Fossoyeurs de réputation" ; que M. X... contestait que ces faits puissent recevoir une qualification pénale il ne faisait que répondre à des attaques diffamatoires et mensongères dans la presse ; qu'un mail de M. Z... contenait notamment les propos suivants :"Si je comprends leur absence totale de confiance dans une présidente dont les méthodes de gouvernance restent la duplicité, la haine, la manipulation, etc. " ; "Notons que par son incapacité à gérer la grève en Guyane, la présidente vient de tuer définitivement l'UAG, voila son meilleur bilan à la tête de I'UAG" ; "Division consommée du pôle Martinique qu'elle a orchestrée sur la haine et qu'elle a semée entre les universitaires de ce pôle" ; "Animée par une haine viscérale" ; "Il faut inventer un bouc émissaire, voilà la méthode de gouvernance de la Présidente" ; que M. Z... contestait que ces faits puissent recevoir une qualification pénale estimant que les propos qu'il avait pu tenir se situaient dans le cadre de la liberté d'expression ; que s'il ne peut être contesté que ces mails ont pour certains d'entre eux un contenu extrêmement violent à l'encontre de la partie civile ils ne peuvent, au sens de la loi, à eux seuls en leur matérialité constituer les agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité, d'altérer la santé physique ou mentale ou de compromettre l'avenir professionnel ; qu'en conséquence MM. Y..., X... et Z... ne peuvent pas être renvoyés devant le tribunal correctionnel pour répondre du délit de harcèlement moral pour lequel ils ont été mis en examen le 12 octobre 2016 ; non lieu sera donc prononcé ;
"1°) alors que le délit de harcèlement moral est matériellement constitué par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail d'autrui susceptible de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que ces agissements peuvent consister uniquement en des propos écrits ou oraux, sans qu'il soit nécessaire qu'ils s'accompagnent d'un comportement, tenus de façon répétée par un subordonné à l'encontre de son supérieur ; qu'ont nécessairement pour objet ou effet une dégradation des conditions de travail d'un supérieur hiérarchique susceptible de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, et excèdent l'exercice normal de la critique, des propos injurieux, diffamatoires et dénigrants d'une grande violence, tenus de façon répétée par un subordonné à l'encontre de son supérieur et destinés à dévaloriser publiquement l'action de celui-ci ainsi qu'à diffuser une image d'incompétence ; qu'en retenant que les courriels litigieux adressés par MM. Y..., X... et Z..., en dépit de leur contenu extrêmement violent à l'encontre de la partie civile, ne pouvaient constituer à eux seuls, en leur matérialité, des agissements constitutifs du délit de harcèlement moral et en ordonnant un non-lieu de ce chef lorsqu'il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que les trois mis en examen ont reconnu être les auteurs des courriels litigieux et que des propos répétés, blessants, outrageants et diffamatoires ayant pour objet de présenter, pendant plusieurs mois, auprès de la communauté universitaire la présidente d'une université comme une personne délinquante, malveillante et haineuse, recherchant la destruction de l'université qu'elle dirige, ayant recours à des méthodes de régimes totalitaires, de surcroît notoirement incompétente et ne prenant pas, à raison des préoccupations supposées de son sexe, la mesure de sa mission, constituent nécessairement des agissements répétés ayant pour objet ou effet la dégradation des conditions de travail, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision ;
"2°) alors que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance de motifs équivaut à l'absence de motifs ; qu'en se bornant, après avoir rappelé la teneur des propos contenus dans certains des mails des trois mis en examen dénoncés par la partie civile, à affirmer que ces mails ne pouvaient à eux seuls constituer matériellement le délit de harcèlement moral sans analyser le contenu des propos litigieux et sans expliciter dans ses motifs, alors qu'elle avait constaté la répétition des propos et leur extrême violence, en quoi ceux-ci ne pouvaient caractériser matériellement des agissements répétés ayant pour objet ou effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision ;
"3°) alors que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance de motifs équivaut à l'absence de motifs ; que si la simple possibilité d'une dégradation des conditions de travail est suffisante à consommer le délit, lorsque la partie civile se prévaut d'une dégradation effective des conditions de travail, celle-ci doit être examinée par les juges en ce qu'elle participe de la caractérisation de l'infraction ; qu'en se bornant, pour prononcer un non-lieu à suivre du chef de harcèlement moral, à relever que les mails litigieux adressés par les trois mis en examen ne pouvaient à eux seuls constituer les agissements répétés ayant pour objet ou effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits ou à la dignité, d'altérer la santé physique ou mentale ou de compromettre l'avenir professionnel sans rechercher, comme elle y était invitée, si la rédaction et l'envoi répété de ces mails au contenu extrêmement violent, attentatoire à la dignité de la partie civile, n'avaient pas altéré la santé de celle-ci, comme en attestaient le malaise intervenu lors du conseil d'administration du 16 décembre 2014 suite à l'évocation publique des faits dont elle était victime et ayant conduit à la prescription d'anxiolytiques ainsi que l'arrêt de travail de trois semaines intervenu en juillet 2015, et n'avaient pas compromis son avenir professionnel en la contraignant à démissionner de ses fonctions en septembre 2016 et à demander sa mutation, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision ;
"4°) alors que la juridiction d'instruction doit se prononcer sur tous les faits dont elle est régulièrement saisie par le réquisitoire introductif du parquet et ses éventuels réquisitoires supplétifs ainsi que par la plainte de la partie civile ; qu'en omettant de statuer sur plusieurs propos contenus dans les courriels de M. Y... des 14 janvier 2014, 15 janvier 2014 et 18 décembre 2013 (" Mais je pense que le macoutisme commence comme ça
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) Je crois que le macoutisme se poursuit lorsque les mêmes s'octroient aujourd'hui le droit de fixer la date de la fin des hostilités
sans doute pour avoir les mains libres afin de manipuler à leur avantage la refonte de l'UAG par ordonnance avant juillet 2014. Puisque la présidente et son équipe de dangereux amateurs ont choisi de décider de la date de début des hostilités, je pense qu'il nous revient de décider de la date de fin et de la violence des coups à donner" ; " Un amateurisme à tous les niveaux de la gouvernance"; " Nous ne souhaitons pas que notre faculté de droit et d'économie devienne une zone des talibans comme la faculté de lettres où l'on sanctionne quand on n'approuve pas " la ligne du parti ") et dans le courriel de M. X... du 15 février 2014 (" Vous revêtez, Mme la présidente, une fois de plus, les habits de la grande prêtresse manipulatrice. Rien d'étonnant, vous vous êtes investie du rôle de la " passionaria de l'UAG "; " La présidente est à l'origine de l'éclatement de l'Université des Antilles et de la Guyane par aveuglement et incompétence " ; " Conformément aux stratégies des Etats totalitaires, vous nommez vos partisans à la manoeuvre, assimilant vos méthodes à celles des talibans tristement célèbres "), lorsque ces propos étaient visés dans le réquisitoire introductif du parquet, la plainte de la partie civile et son mémoire devant la chambre de l'instruction et que le délit de harcèlement moral est constitué par une pluralité d'agissements, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision ;
"5°) alors que la juridiction d'instruction doit se prononcer sur tous les faits dont elle est régulièrement saisie par le réquisitoire introductif du parquet et les éventuels réquisitoires supplétifs, y compris après avoir requalifié les faits ; qu'en omettant de statuer sur les propos contenus dans les courriels de M. Y... des 1er, 3 et 5 novembre 2014 lorsqu'elle était saisie de ces faits par le réquisitoire supplétif du 23 décembre 2014, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision" ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, sur la plainte de Mme Corinne C..., présidente de l'université Antilles-Guyane, une information judiciaire a été ouverte des chefs de diffamation publique envers particulier et harcèlement moral, puis, après un réquisitoire supplétif, de diffamation publique et d'injures publiques envers un particulier et de menaces ; que MM. B... Y..., A... X... et D... Z..., enseignants au sein de l'université, ont été mis en examen du chef de diffamation publique et, s'agissant du troisième nommé, d'injures publiques et de menaces ; que le juge d'instruction a rendu une ordonnance de non-lieu sur ces faits ; que la chambre de l'instruction a confirmé cette décision et a ordonné un supplément d'information sur les faits de harcèlement moral, pour lesquels MM. Y..., X... et Z... ont été mis en examen ;
Attendu que, pour dire n'y avoir lieu à suivre de ce chef contre les mis en examen, l'arrêt attaqué, après avoir analysé certains des courriers électroniques dénoncés, retient que, malgré leur contenu parfois extrêmement violent à l'égard de la partie civile, ces courriels ne peuvent à eux seuls en leur matérialité constituer les agissements répétés susceptibles de caractériser le harcèlement moral ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans analyser l'ensemble des courriels dénoncés ni examiner si le comportement des mis en examen n'excédait pas les limites admissibles de la contestation par des enseignants de l'action de la présidente de l'université, et sans répondre au mémoire qui faisait valoir que les agissements en cause avaient eu pour effet d'altérer la santé physique et mentale de la partie civile et de compromettre son avenir professionnel ni analyser les pièces produites en ce sens, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Fort-de-France, en date du 21 mars 2017, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Fort-de-France et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept mai deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.