LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 5 novembre 2015, pourvoi n° 14-23.489), qu'Esperanza C... est décédée le [...] , laissant à sa survivance ses trois enfants, Mme Z... et MM. Amado et Jésus C... , ces derniers ayant renoncé à sa succession ; que M. X... (le notaire), chargé du règlement de cette succession, a fait rapport des primes d'un contrat d'assurance sur la vie souscrit par la défunte auprès de la Banque postale ; que, par lettres des 24 mars et 11 avril 2005, la Caisse nationale d'assurance vieillesse d'Ile-de-France (la caisse) a formé opposition entre les mains du notaire pour avoir paiement de la somme de 63 410,85 euros au titre du recouvrement de l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité qu'elle avait versée à Esperanza C... entre le 1er novembre 1974 et le 30 novembre 2004 ; que, le 10 décembre 2005, la caisse a obtenu de M. Amado C... le règlement de la somme de 21 136,85 euros, puis du notaire, le 9 février 2010, le solde, soit la somme de 42 273,90 euros, prélevée sur l'actif net successoral ; que, soutenant que le notaire avait commis une faute dans l'accomplissement de sa mission en effectuant de son propre chef le rapport des primes d'assurance sur la vie, Mme Z... l'a assigné en responsabilité et paiement de la somme de 42 273,90 euros ; que le notaire a appelé la caisse en garantie ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches, ci-après annexé :
Attendu que ces griefs ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le même moyen, pris en sa troisième branche, qui est recevable :
Vu l'article 1382, devenu 1240 du code civil ;
Attendu que, pour condamner le notaire à payer à Mme Z... une certaine somme à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient, d'une part, que, dans le principe, la caisse peut recouvrer les sommes versées à un allocataire au titre de l'allocation de solidarité aux personnes âgées lorsque l'actif net de la succession est supérieur à la somme de 39 000 euros, d'autre part, que sa créance n'était pas prescrite lorsqu'elle a fait opposition entre les mains du notaire, mais que sa créance n'est ni certaine, ni liquide, ni exigible à hauteur de la somme de 42 273,90 euros qu'elle sollicite, dès lors que cette créance n'a pas été reconnue en justice et qu'elle est contestée par Mme Z... ; qu'il ajoute qu'en l'état, le préjudice invoqué par cette dernière est réel et certain et trouve directement sa cause dans la faute commise par le notaire ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations qu'il existait un aléa sur le point de savoir si Mme Z... aurait été redevable de la somme de 42 273,90 euros envers la caisse sans la faute du notaire, de sorte que le préjudice par elle subi ne pouvait être constitué que d'une perte de chance, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le second moyen :
Vu l'article 624 du code de procédure civile ;
Attendu que la disposition condamnant le notaire à indemniser un préjudice réel et certain, au lieu d'une perte de chance, emporte la cassation par voie de conséquence de celle rejetant la garantie sollicitée de ce chef à l'encontre de la caisse ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la quatrième branche du premier moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. X... à payer à Mme Z... la somme de 39 000 euros à titre de dommages-intérêts et en ce qu'il rejette la demande de garantie formée par celui-ci contre la Caisse nationale d'assurance vieillesse d'Ile-de-France, l'arrêt rendu le 12 janvier 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne Mme Z... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois mai deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. X...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement prononcé par le tribunal de grande instance de Libourne en ce qu'il avait retenu la responsabilité de M. X... mais par motifs substitués, d'AVOIR dit que M. X... avait commis une faute en rapportant à l'actif net de la succession de Mme Esperanza C... l'assurance-vie souscrite au profit de ses trois enfants auprès de la Banque Postale le 24 juin 1994, d'AVOIR dit que cette faute était directement à l'origine du préjudice subi par Mme Z... et d'AVOIR condamné M. X... à payer à Mme Z... la somme de 39 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE sur la faute invoquée du notaire : Mme Esperanza C... , née le [...] et décédée le [...] , a laissé à sa succession la somme de 48 969,61 euros au titre de ses avoirs bancaires, outre un contrat d'assurance-vie souscrit le 24 juin 1994 auprès de la Banque Postale s'élevant à la somme de 55 427,74 euros ; que Mme Z... reproche au notaire d'avoir rapporté à l'actif de la succession de sa mère le montant de l'assurance-vie, qui plus est sans l'avoir préalablement informée, mais encore d'avoir réglé à la CNAV la somme de 42 273,90 euros alors qu'elle ne pouvait prétendre à percevoir cette somme sans avoir préalablement intenté une action à la fraude paulienne pour faire éventuellement reconnaître sa créance, mais encore, elle soutient que la créance invoquée par cette dernière est prescrite ; que sur ce dernier point, Mme Z... ne peut à nouveau invoquer la prescription de la créance de la CNAV dès lors que la Cour de cassation dans son arrêt du 5 novembre 2015, a précisément cassé l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux qui avait fait droit à cette exception de prescription qu'elle avait opposé devant cette cour, la Cour de cassation faisant en cela application de sa jurisprudence constante et ancienne (Ch. Soc. 9 octobre 1986) à l'égard du recouvrement de sommes en application du code de la sécurité sociale, qui consiste à juger qu'une lettre recommandée avec accusé de réception adressée par un organisme de sécurité sociale à un assuré à l'effet de lui demander le remboursement d'un trop-perçu vaut commandement interruptif de prescription au sens de l'article 2244 du code civil, et ce quels qu'en aient été les modes de délivrance (cf. Civ. 2ème 25 octobre 2006 pourvoi n° 05-10.565 en matière de recouvrement de l'allocation supplémentaire du fonds national de solidarité sur la succession) ou encore, lorsque la lettre recommandée avec AR mettait en demeure au moins l'un des ayant droit (Civ. 2ème 7 octobre 2010 pourvoi n° 09-68831) ; que pour sa part, le notaire soutient que « le montant des primes de l'assurance-vie devait être impérativement rapportées à la succession » en application de l'article L. 132-13 du code de assurances dès lors que les primes sont manifestement exagérées au égard aux facultés de la défunte et de l'article 757 B du code général des impôts (CGI) dès lors que la défunte avait versé ces primes après son 70ème anniversaire ; que selon l'article L. 132-13 du code de assurances : « Le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés » ; que selon l'article 757 B du CGI : « I. Les sommes, rentes ou valeurs quelconques dues directement ou indirectement par un assureur, à raison du décès de l'assuré, donnent ouverture aux droits de mutation par décès suivant le degré de parenté existant entre le bénéficiaire à titre gratuit et l'assuré à concurrence de la fraction des primes versées après l'âge de soixante-dix ans qui excède 30 500 €. II. Lorsque plusieurs contrats sont conclus sur la tête d'un même assuré, il est tenu compte de l'ensemble des primes versées après le soixante-dixième anniversaire de l'assuré pour l'appréciation de la limite de 30 500 € » ; qu'il résulte du premier article que le principe est le non rapport à succession des primes d'une assurance-vie, à moins que celles-ci n'étaient été manifestement exagérées eu égard aux facultés de la contractante ; que le second article implique seulement le rapport à l'actif brut de la succession de ces primes versées au-delà de 70 ans, pour ouvrir éventuellement aux droits de mutation par décès suivant le degré le parenté existant entre le bénéficiaire à titre gratuit et l'assuré à concurrence de la fraction des primes versées après l'âge de soixante-dix ans excédant le somme de 30 500 € ; qu'il en résulte qu'aux termes de ces deux articles invoqués par le notaire, celui-ci n'avait pas de son propre chef, qui plus est, sans en aviser l'héritière qui aurait pu contester la créance de la CNAV, comptabiliser à l'actif net de la succession l'assurance-vie dont le principe est le non rapport, et en application de l'article 757 B du code général des impôts et du décret n° 78-262 du 8 mars 1978, il devait seulement inclure les capitaux issus de ce contrat d'assurance-vie dans l'actif brut de la succession, sur lequel également il devait calculer ses émoluments ; que s'agissant de l'article L. 132-13 du code des assurances, il ne lui appartenait pas de s'ériger en juge pour apprécier le caractère manifestement exagéré des primes ou encore l'utilité d'un tel contrat à l'âge de la défunte, dont l'appréciation relève des seuls juridictions du fond et ce quand bien même cette prime de 55 000 € ainsi placée en 1994 pouvait avoir l'apparence d'être manifestement exagérée eu égard aux ressources de la défunte qui percevait la somme mensuelle d'environ 500 € au titre de sa pension de retraie et celle mensuelle de 458 € de la CNAV au titre de l'ALS, dès lors que le notaire ne disposait d'aucun autre élément concernant notamment la provenance et l'origine de cette somme placée en prime unique d'assurance-vie en 1994 ni même l'opportunité ou les motifs ayant conduit la défunte à procéder à ce placement, ni même encore les conditions à remplir jusqu'en 2004 pour pouvoir bénéficier de cette allocation solidarité et notamment si le bénéficiaire avait l'obligation de déclarer ses avoirs bancaires ou autres ; qu'en intégrant ainsi, de son propre chef, le montant de l'assurance-vie à l'actif net de la succession sans en aviser en outre l'héritier qui disposait du droit de contester la créance de la CNAV, le notaire, en l'absence de l'accord de l'héritière, a donc commis une faute outrepassant manifestement ses pouvoirs d'officier public et ministériel ;
sur le préjudice invoqué par Mme Z... : que d'une part, il est constant et ce n'est pas contesté que dans le principe, la CNAV peut, sur le fondement de l'article L. 815-12 du code de la sécurité sociale alors applicable (devenu l'article 815-13), recouvrer les sommes versées à un allocataire au titre de l'allocation de solidarité aux personnes âgées dès lors que l'actif net de la succession est supérieur à la somme de 39 000 € ; que d'autre part, sa créance n'était pas prescrite tel qu'il a été dit ci-dessus lorsqu'elle a fait opposition entre les mains du notaire ; que toutefois, et en l'espèce, la créance de la CNAV n'est ni certaine, ni liquide ni exigible à hauteur de la somme de 42 273,90 euros qu'elle sollicite, dès lors qu'elle n'a pas été reconnue en justice et qu'elle est contestée par Mme Z... et que le seul fait de demander à la cour de constater qu'elle pouvait saisir le TASS pour la faire reconnaître ne permet pas de présumer de la décision de cette juridiction, alors en possession de tous les éléments ; qu'en l'état, le préjudice invoqué par Mme Z... est donc réel et certain et trouve directement sa cause dans la faute commise par le notaire ; que la succession hors assurance-vie s'établissait à hauteur de 48 969,61 € au titre des avoirs bancaire de la défunte et d'un passif de 2 500,48 € soit une masse active nette de 46 469,13 € de sorte que la CNAV pouvait récupérer d'une manière certaine la somme de 7 469,13 € (46 469,13 € - 39 000 €) ; que le préjudice réellement souffert par Mme Z... s'établi donc à la somme de 39 000 € (46 469,13 € - 7 469,13 €) à l'indemnisation duquel sera condamné le notaire ;
1° ALORS QUE, le notaire est tenu à une obligation de prudence dès lors que des tiers aux opérations qu'il est chargé d'effectuer revendiquent des droits dont l'existence soulève une difficulté sérieuse ; qu'en imputant à faute à M. X... d'avoir fait figurer à l'actif net de la succession les primes du contrat d'assurance-vie, se faisant juge du caractère manifestement exagéré des primes ou de l'utilité d'un tel contrat, quand il incombait au notaire, tenu à un devoir de prudence, de délivrer à la CNAV une information complète dont il appartenait à cet organisme de tirer les conséquences, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
2° ALORS QUE le notaire ne saurait répondre d'un dommage résultant d'une décision prise par un organisme public sur la base de son analyse juridique ; qu'en imputant à M. X... les conséquences des réclamations de la CNAV sans rechercher ainsi qu'elle y était invitée si celles-ci ne résultaient pas uniquement de la décision prise par cet organisme, considérant que les primes d'assurance, versées par Mme C... , étaient exagérées, avait estimé qu'elles devaient être intégrées à l'actif de la succession et dès lors prise en compte dans le calcul des sommes dues en vertu des articles L. 815-12 et D. 815-1 anciens du code de la sécurité sociale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil devenu 1240 du code civil ;
3° ALORS QU'en toute hypothèse, lorsque la situation dans laquelle se serait trouvée la victime sans le fait dommageable est incertaine, son préjudice ne peut s'analyser qu'en une perte de chance ; qu'en jugeant que la faute imputée à M. X... avait causé à Mme Z... un préjudice entièrement consommé qui s'établissait à la somme de 39 000 euros, quand elle constatait que la CNAV ne pouvait récupérer de manière certaine que la somme 7 469,13 euros et que, pour le reste, sa créance n'était ni certaine, ni liquide, ni exigible à hauteur de la somme de 42 273,90 euros qu'elle sollicitait dès lors qu'elle n'avait pas été reconnue en justice et qu'elle était contestée par Mme Z..., rien ne permettant de présumer de la décision du TASS, qui n'avait pas été saisi, sur le sort du contrat d'assurance-vie et partant le montant de la créance de la CNAV, de sorte qu'il existait un aléa sur le point de savoir si Mme Z... aurait ou non été redevable de cette somme sans la faute imputée au notaire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquence légales de ses propres constatations en violation de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
4° ALORS QU'en toute hypothèse, l'indemnisation doit être fixée à l'exacte mesure du préjudice subi ; qu'en évaluant le préjudice subi par Mme Z... en conséquence de la faute imputée à M. X... à la somme de la 39 000 euros, en retranchant la somme de 7 469,13 euros que Mme Z... aurait en toute hypothèse dû régler à la CNAV, de l'actif net hors assurance-vie de 46 469,13 euros, quand son préjudice correspondait à la différence entre ce qu'elle avait effectivement réglé à la CNAV par la faute imputée au notaire, soit 42 273,90 euros, et ce qu'elle aurait dû payer sans cette faute si la créance de la CNAV s'était limitée à la somme de 7 469,13 euros, soit 34 804,77 euros, la cour d'appel a méconnu le principe de la réparation intégrale et violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté M. X... de sa demande en restitution auprès de la CNAV ;
AUX MOTIFS QUE sur la demande en restitution sollicitée par M. X... auprès de la CNAV : la faute du notaire étant directement à l'origine de son propre préjudice, il sera débouté de cette demande ;
1° ALORS QUE le responsable d'un dommage est fondé à exercer une action récursoire contre celui dont il a acquitté la dette en versant des dommages et intérêts ; qu'en écartant l'appel en garantie formé par le notaire contre la CNAV au motif que la faute du notaire était directement à l'origine de son propre préjudice, quand le notaire était fondé à agir contre cet organisme qui devait supporter la charge finale de la dette de restitution que le notaire avait acquittée en indemnisant Mme Z... de son préjudice, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
2° ALORS QUE, la faute du professionnel qui a procédé à un paiement indu ne le prive pas de la possibilité d'agir en répétition de l'indu dès lors que l'indu est objectif ; qu'en déboutant M. X... de sa demande de restitution contre la CNAV au seul motif que la faute du notaire était directement à l'origine de son propre préjudice, quand elle considérait qu'une partie du paiement effectué par le notaire était indu, la CNAV ne pouvant récupérer de manière certaine que la somme de 7 469,13 euros, la cour d'appel a violé les ancien articles 1376 et 1377 du code civil ;
3° ALORS QU'en toute hypothèse, l'auteur, même fautif, d'un dommage peut agir en responsabilité et en garantie contre le co-auteur fautif ; qu'en déboutant M. X... de sa demande de restitution contre la CNAV au seul motif que la faute du notaire était directement à l'origine de son propre préjudice, quand elle considérait que la position de la CNAV était injustifiée, cette dernière ne pouvant récupérer de manière certaine que la somme de 7 469,13 euros, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil.