LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 28 octobre 2016), que Mme Y..., salariée de M. Z... depuis le 1er juillet 1990, a déposé plainte pour harcèlement contre son employeur le 20 novembre 2006 et saisi le conseil de prud'hommes le 2 mai 2007 pour violation de l'obligation de sécurité de l'employeur; qu'elle a été licenciée pour inaptitude le 23 septembre 2008 ; que la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Douai a, par décision du 26 juin 2009, reconnu M. Z... coupable de faits de harcèlement moral et l'a condamné à payer à ce titre une somme à titre de dommages-intérêts à la salariée ; que statuant en matière sociale, la cour d'appel de Douai a, par décision du 28 octobre 2016, dit nul le licenciement pour inaptitude en raison des faits de harcèlement, et condamné M. Z... au paiement d'une somme à titre de dommages-intérêts pour la nullité du licenciement, ainsi que d'une somme à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur ;
Sur le premier moyen :
Attendu que l'employeur reproche à l'arrêt d'écarter la fin de non recevoir tirée de la prescription de la demande en nullité du licenciement formée par la salariée, alors, selon le moyen, que l'interruption de la prescription ne peut s'étendre à une autre action, ayant une cause distincte, que lorsque les deux actions tendent à un seul et même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; qu'il en résulte que l'effet interruptif de la prescription attachée à une demande en justice ne s'étant pas à une seconde demande différente de la première par son objet ; que la demande en paiement de dommages-intérêts, formée par un salarié à l'encontre de son employeur, fondée sur un manquement de celui-ci à ses obligations dans le cadre de l'exécution du contrat de travail, n'a pas le même objet et ne tend pas au même but que la demande tendant à contester la rupture du contrat de travail ; qu'il en résulte que l'effet interruptif attaché à la première demande ne s'étend pas à la seconde ; qu'en décidant néanmoins que M. Z... n'était pas fondé à opposer à Mme Y... la prescription de l'action tendant à voir prononcé la nullité du licenciement, motif pris que si cette dernière n'avait pas formé cette demande dans le délai de la prescription, elle avait néanmoins saisi la juridiction prud'homale, dans ce délai, afin d'obtenir le paiement de dommages-intérêts au titre de l'exécution du contrat de travail, pour en déduire que l'action n'était pas prescrite, bien que les demandes aient eu une cause distincte et n'aient pas eu le même objet, de sorte que l'effet interruptif attaché à la première action n'avait pu s'étendre à la seconde, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-1, L. 1152-2 dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2012-954 du 6 août 2012, L. 1152-3 du code du travail et 2224 du code civil ;
Mais attendu que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, au cours d'une même instance, concernent l'exécution du même contrat de travail ;
Et attendu qu'ayant constaté que la prescription avait été interrompue par la saisine du conseil de prud'hommes le 2 mai 2007, c'est à bon droit que la cour d'appel a rejeté la fin de non recevoir résultant de la présentation de demandes nouvelles en annulation du licenciement par conclusions du 14 avril 2014 ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la salariée au titre de la nullité de son licenciement la somme de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts, en ce compris la somme de 2 611,62 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 261,16 euros au titre des congés payés afférents alors, selon le moyen, que M. Z... soutenait que l'indemnité compensatrice de préavis avait été versée à Mme Y... à l'occasion de son licenciement ; qu'il ajoutait qu'à cette occasion, Mme Y... avait signé un reçu pour solde de tout compte, établissant ce règlement, et produisait ce document aux débats, pour en déduire qu'« elle a donc perçu une indemnité correspondante à ce titre » ; qu'en condamnant M. Z... à payer à Mme Y... la somme de 2 611,62 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 261,16 euros au titre des congés payés afférents, sans répondre aux conclusions de M. Z..., soutenant que cette indemnité avait d'ores et déjà été versée, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'il résulte du dispositif de l'arrêt qu'aucune condamnation au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et au titre des congés payés afférents n'a été prononcée ; que le moyen manque en fait ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à Mme Y... des dommages-intérêts au titre de la violation de l'obligation de sécurité de résultat alors, selon le moyen, qu'en vertu du principe de la réparation de intégrale du préjudice, l'indemnité allouée afin de réparer le dommage doit correspondre à l'évaluation de celui-ci, sans perte ni profit pour la victime ; qu'il en résulte que deux indemnités ne peuvent être allouées pour réparer un même préjudice, fût-ce sur deux fondements juridiques distincts ; qu'en décidant que Mme Y... était fondée à prétendre à l'indemnisation du préjudice qu'elle avait subi en raison des faits de harcèlement reprochés à M. Z..., quand bien même la juridiction pénale lui avait alloué une indemnité à ce titre, au motif inopérant que le juge pénal avait fondé sa décision sur le délit de harcèlement prévu et réprimé par l'article 222-33-2 du code pénal, tandis que Mme Y... fondait sa demande sur l'obligation de sécurité de résultat pesant sur l'employeur, la cour d'appel, qui a réparé deux fois le même préjudice au motif inopérant que les deux demandes avaient des fondements juridiques distincts, a violé les articles L. 4121-1 dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 et L. 4121-2 dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2012-954 du 6 août 2012, du code du travail, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice ;
Mais attendu que les obligations résultant des articles L. 1152-1 et L. 1152-4 du code du travail sont distinctes en sorte que la méconnaissance de chacune d'elles, lorsqu'elle entraîne des préjudices distincts, peut ouvrir droit à des réparations spécifiques; que c'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a alloué à la salariée des dommages-intérêts réparant le préjudice subi du fait de l'absence de mesures de prévention en matière de harcèlement moral, quand bien même la salariée avait été indemnisée par la juridiction pénale pour l'infraction de harcèlement moral retenue à l'encontre de son employeur ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Z... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. Z... et le condamne à payer à la SCP Waquet, Farge et Hazan la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze avril deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Richard, avocat aux Conseils, pour M. Z...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription, puis d'avoir prononcé la nullité du licenciement notifié par Monsieur Jean-François Z... à Madame Evelyne Y..., par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 23 septembre 2008, et d'avoir condamné Monsieur Z... à payer à Madame Y... les sommes de 25.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul et 8.000 euros à titre dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de résultat ;
AUX MOTIFS QU'en vertu du principe des dispositions de l'article R. 1452-6 du Code du travail, applicables au présent litige, toutes les demandes liées au contrat de travail entre les mêmes parties font, qu'elles émanent du demandeur ou du défendeur, l'objet d'une seule instance ; que cette règle ne s'oppose pas à la recevabilité de demandes nouvelles lorsque l'instance a été radiée, la radiation n'éteignant pas l'instance ; que dès lors, il ne peut être valablement opposé à Madame Y... la prescription de sa demande en nullité du licenciement au motif d'un dépôt de conclusions formalisant cette demande plus de cinq ans après l'introduction de l'instance prud'homale, dès lors que le licenciement n'était pas intervenu lorsqu'elle a saisi le Conseil de prud'hommes le 2 mai 2007 et que la radiation intervenue le 13 avril 2012 n'a pas éteint l'instance, de telle sorte que la salariée était recevable à former de nouvelles demandes relatives à la contestation du licenciement notifié par l'employeur le 23 septembre 2008 ; que la fin de non-recevoir tirée de la prescription sera donc rejetée ;
ALORS QUE l'interruption de la prescription ne peut s'étendre à une autre action, ayant une cause distincte, que lorsque les deux actions tendent à un seul et même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; qu'il en résulte que l'effet interruptif de la prescription attachée à une demande en justice ne s'étant pas à une seconde demande différente de la première par son objet ; que la demande en paiement de dommages-intérêts, formée par un salarié à l'encontre de son employeur, fondée sur un manquement de celui-ci à ses obligations dans le cadre de l'exécution du contrat de travail, n'a pas le même objet et ne tend pas au même but que la demande tendant à contester la rupture du contrat de travail ; qu'il en résulte que l'effet interruptif attaché à la première demande ne s'étend pas à la seconde ; qu'en décidant néanmoins que le Docteur Z... n'était pas fondé à opposer à Madame Y... la prescription de l'action tendant à voir prononcé la nullité du licenciement, motif pris que si cette dernière n'avait pas formé cette demande dans le délai de la prescription, elle avait néanmoins saisi la juridiction prud'homale, dans ce délai, afin d'obtenir le paiement de dommages-intérêts au titre de l'exécution du contrat de travail, pour en déduire que l'action n'était pas prescrite, bien que les demandes aient eu une cause distincte et n'aient pas eu le même objet, de sorte que l'effet interruptif attaché à la première action n'avait pu s'étendre à la seconde, la Cour d'appel a violé les articles L. 1152-1, L. 1152-2 dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2012-954 du 6 août 2012, L. 1152-3 du Code du travail et 2224 du Code civil.
DEUXIÈ
ME MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué, après avoir prononcé la nullité du licenciement notifié par Monsieur Jean-François Z... à Madame Evelyne Y..., de l'avoir condamné à payer à cette dernière la somme de 25.000 euros à titre de dommages-intérêts, en ce compris la somme de 2.611,62 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 261,16 euros au titre des congés payés afférents ;
AUX MOTIFS QUE l'inaptitude médicalement constatée étant la conséquence d'agissements fautifs de l'employeur qui caractérisent un harcèlement moral, ce dernier est redevable d'une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire, soit la somme de 2.611,62 euros (1.305,81 × 2), outre 261,16 euros au titre des congés payés afférents ; que, conformément aux dispositions de l'article L.1235-5 du Code du travail, l'effectif du cabinet médical n'atteignant pas le seuil fixé à l'article L. 1235-3 du même code, Madame Y... est en droit d'obtenir des dommages-intérêts pour licenciement abusif, en fonction du préjudice qu'elle a subi ; que l'employeur demande au dispositif de ses écritures, dans le cadre d'un subsidiaire, la limitation de l'indemnisation à ce titre à hauteur de six mois de salaire ; que compte-tenu des circonstances de la rupture, qui procède de faits caractérisés de harcèlement moral, de l'ancienneté de la salariée (18 ans, 2 mois et 23 jours), de son âge (62 ans) et des difficultés de réinsertion consécutives à la perte de son emploi, il est justifié de condamner Monsieur Z... à lui payer la somme de 25.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif ;
ALORS QUE le Docteur Z... soutenait que l'indemnité compensatrice de préavis avait été versée à Madame Y... à l'occasion de son licenciement ; qu'il ajoutait qu'à cette occasion, Madame Y... avait signé un reçu pour solde de tout compte, établissant ce règlement, et produisait ce document aux débats, pour en déduire qu'« elle a donc perçu une indemnité correspondante à ce titre » ; qu'en condamnant le Docteur Z... à payer à Madame Y... la somme de 2.611,62 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 261,16 euros au titre des congés payés afférents, sans répondre aux conclusions du Docteur Z..., soutenant que cette indemnité avait d'ores et déjà été versée, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.
TROISIÈ
ME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir, condamné Monsieur Jean-François Z... à payer à Madame Evelyne Y... la somme de 8.000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de résultat ;
AUX MOTIFS QUE l'article L. 4121-1 du Code du travail dispose : « l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1°) des actions de prévention des risques professionnels et de pénibilité au travail ; 2°) des actions d'information et de formation ; 3°) la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés ; l'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes » ; qu'en vertu du contrat de travail qui le lie au salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat en vertu de laquelle il doit prendre les dispositions nécessaires pour protéger sa santé physique et mentale ; qu'à défaut de rapporter la preuve d'une faute exclusive de la victime ou de circonstances de nature à caractériser la force majeure, l'employeur qui manque à ses obligations quant à la sécurité des salariés engage donc sa responsabilité civile ; qu'en l'espèce, il est établi que le comportement adopté par Monsieur Z... par des propos et attitudes répétés à caractère outrancier et vulgaire prononcés à l'encontre de sa secrétaire, attentatoires à sa dignité, est directement à l'origine d'une souffrance au travail subie par Madame Y..., qui est à l'origine de l'arrêt de travail du 24 août 2004 et de la déclaration d'inaptitude médicale qui a permis au médecin du travail de constater l'existence d'un danger immédiat à l'issue d'une seule visite de reprise ; que le préjudice subi au titre de ce manquement caractérisé de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat est distinct de celui qui résulte de la nullité du licenciement en ce qu'il ne vient à indemniser la perte injustifiée de l'emploi mais les conséquences résultant pour la salariée, notamment au titre de la dégradation de son état de santé, de l'absence de mesures prises, ne serait-ce que par l'acquisition ou le développement d'une meilleure maîtrise de soi, pour assurer sa sécurité et protéger sa santé physique et mentale ; qu'il ne se confond pas plus avec l'indemnisation allouée par le juge pénal au titre du délit de harcèlement prévu et réprimé par l'article 222-33-2 du Code pénal, l'indemnisation du préjudice né de cette infraction étant distincte de celle résultant spécifiquement du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, qui est de nature préventive ; qu'en considération des circonstances de l'espèce, il est justifié de condamner Monsieur Z... à payer à Madame Y... la somme de 8.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du manquement par l'employeur à son obligation de sécurité de résultat ;
ALORS QU'en vertu du principe de la réparation de intégrale du préjudice, l'indemnité allouée afin de réparer le dommage doit correspondre à l'évaluation de celui-ci, sans perte ni profit pour la victime ; qu'il en résulte que deux indemnités ne peuvent être allouées pour réparer un même préjudice, fût-ce sur deux fondements juridiques distincts ; qu'en décidant que Madame Y... était fondée à prétendre à l'indemnisation du préjudice qu'elle avait subi en raison des faits de harcèlement reprochés au Docteur Z..., quand bien même la juridiction pénale lui avait alloué une indemnité à ce titre, au motif inopérant que le juge pénal avait fondé sa décision sur le délit de harcèlement prévu et réprimé par l'article 222-33-2 du Code pénal, tandis que Madame Y... fondait sa demande sur l'obligation de sécurité de résultat pesant sur l'employeur, la Cour d'appel, qui a réparé deux fois le même préjudice au motif inopérant que les deux demandes avaient des fondements juridiques distincts, a violé les articles L. 4121-1 dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 et L. 4121-2 dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2012-954 du 6 août 2012, du Code du travail, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice.