LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu qu'à l'occasion d'un pourvoi qu'elle a formé contre un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 21 mars 2017, la Fondation Nafond Privatstiftung, par mémoires spéciaux, demande de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité ainsi rédigées :
1. « La taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles possédés en France par des personnes morales et entités juridiques françaises ou étrangères, telle qu'elle résulte des dispositions combinées des articles 990 D et 990 E du code général des impôts dans leurs rédactions issues de la loi n° 92-1376 du 30 décembre 1992 de finances pour 1993 et de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007, est-elle conforme aux droits et libertés que la Constitution garantit, et notamment aux principes d'égalité devant les charges publiques et de proportionnalité et d'individualisation des peines consacrés aux articles 6, 8 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ? » ;
2. « Les mots « actionnaires, associés ou autre membres », visés par l'article 990 E 3° d) et e) du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007, sont-ils conformes aux droits et libertés que la Constitution garantit, et notamment au plein exercice par le législateur de sa compétence, à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ainsi qu'au principe d'égalité devant la loi fiscale issu de l'article 6 de la même Déclaration ? » ;
Attendu que l'article 990 D du code général des impôts dispose que « les entités juridiques : personnes morales, organismes, fiducies ou institutions comparables qui, directement ou par entité interposée, possèdent un ou plusieurs immeubles situés en France ou sont titulaires de droits réels portant sur ces biens sont redevables d'une taxe annuelle égale à 3 % de la valeur vénale de ces immeubles ou droits.
Aux fins d'application du présent article, est réputée posséder des biens ou droits immobiliers en France par entité interposée toute entité juridique qui détient une participation, quelles qu'en soient la forme et la quotité, dans une personne morale, un organisme, une fiducie ou une institution comparable, autre qu'une entité juridique visée aux 1°, a et b du 2° et a, b et c du 3° de l'article 990 E, qui est propriétaire de ces biens ou droits ou détenteur d'une participation dans une troisième personne morale, organisme, fiducie ou institution comparable lui-même propriétaire des biens ou droits ou interposé dans la chaîne des participations. Cette disposition s'applique quel que soit le nombre de ces entités juridiques interposées » ;
Attendu que l'article 990 E dispose que « la taxe prévue à l'article 990 D n'est pas applicable :
1° Aux organisations internationales, aux Etats souverains, à leurs subdivisions politiques et territoriales, ainsi qu'aux personnes morales, organismes, fiducies ou institutions comparables qu'ils contrôlent majoritairement ;
2° Aux entités juridiques : personnes morales, organismes, fiducies ou institutions comparables,
a) Dont les actifs immobiliers, au sens de l'article 990 D, situés en France, représentent moins de 50 % des actifs français détenus directement ou par l'intermédiaire d'une ou plusieurs entités juridiques. Pour l'application de cette disposition, ne sont pas inclus dans les actifs immobiliers les actifs détenus directement ou indirectement que les entités juridiques définies à l'article 990 D ou les entités juridiques interposées affectent directement ou indirectement à leur activité professionnelle autre qu'immobilière ou à celle d'une entité juridique avec laquelle elles ont un lien de dépendance au sens du 12 de l'article 39 ;
b) Ou dont les actions, parts et autres droits font l'objet de négociations significatives et régulières sur un marché réglementé, ainsi qu'aux personnes morales dont ces entités détiennent directement ou indirectement la totalité du capital social ;
3° Aux entités juridiques : personnes morales, organismes, fiducies ou institutions comparables qui ont leur siège en France, dans un Etat membre de l'Union européenne ou dans un pays ou territoire ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ou dans un Etat ayant conclu avec la France un traité leur permettant de bénéficier du même traitement que les entités qui ont leur siège en France :
a) Dont la quote-part du ou des immeubles situés en France ou des droits réels détenus directement ou indirectement portant sur ces biens est inférieure à 100 000 euros ou à 5 % de la valeur vénale desdits biens ou autres droits ;
b) Ou instituées en vue de gérer des régimes de retraite, à leurs groupements, ainsi que ceux, reconnus d'utilité publique ou dont la gestion est désintéressée, et dont l'activité ou le financement justifie la propriété des immeubles ou droits immobiliers ;
c) Ou qui prennent la forme de sociétés de placement à prépondérance immobilière à capital variable ou de fonds de placement immobilier régis par les articles L. 214-89 et suivants du code monétaire et financier qui ne sont pas constitués sous la forme mentionnée à l'article L. 214-144 du même code ou ceux qui sont soumis à une réglementation équivalente dans l'Etat ou le territoire où ils sont établis ;
d) Ou qui communiquent chaque année ou prennent et respectent l'engagement de communiquer à l'administration fiscale, sur sa demande, la situation, la consistance et la valeur des immeubles possédés au 1er janvier, l'identité et l'adresse de l'ensemble des actionnaires, associés ou autres membres qui détiennent, à quelque titre que ce soit, plus de 1 % des actions, parts ou autres droits, ainsi que le nombre des actions, parts ou autres droits détenus par chacun d'eux. L'engagement est pris à la date de l'acquisition par l'entité du bien ou droit immobilier ou de la participation mentionnés à l'article 990 D ou, pour les biens, droits ou participations déjà possédés au 1er janvier 2008, au plus tard le 15 mai 2008 ;
e) Ou qui déclarent chaque année au plus tard le 15 mai, au lieu fixé par l'arrêté prévu à l'article 990 F, la situation, la consistance et la valeur des immeubles possédés au 1er janvier, l'identité et l'adresse des actionnaires, associés ou autres membres qui détiennent plus de 1 % des actions, parts ou autres droits dont ils ont connaissance à la même date, ainsi que le nombre des actions, parts ou autres droits détenus par chacun d'eux, au prorata du nombre d'actions, parts ou autres droits détenus au 1er janvier par des actionnaires, associés ou autres membres dont l'identité et l'adresse ont été déclarées » ;
Attendu que les dispositions contestées sont applicables au litige, lequel concerne les conditions d'exonération de la taxe de 3 % sur la valeur des immeubles possédés directement ou indirectement en France par des entités juridiques, personnes morales, organismes, fiducies ou institutions comparables ;
Qu'elles n'ont pas, dans leur rédaction issue des lois n° 92-376 du 30 décembre 1992 et n° 2007-1824 du 25 décembre 2007, déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;
Mais attendu, d'une part, que, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil n'aurait pas eu encore l'occasion de faire application, les questions ne sont pas nouvelles ;
Et attendu, d'autre part, que la première question ne présente pas un caractère sérieux en ce que, d'abord, la règle contestée s'applique de la même façon à toutes les entités juridiques, qu'elles soient des personnes morales, des organismes, des fiducies ou des institutions comparables qui, directement ou par entité interposée, possèdent un ou plusieurs immeubles situés en France ou sont titulaires de droits réels portant sur ces biens, aucune inégalité devant les charges publiques et devant la loi ne pouvant résulter du fait que le « membre d'une fiducie ou d'une institution comparable » est susceptible de s'interroger sur la portée de cette notion ; qu'ensuite, ne visant pas à sanctionner un comportement fautif, mais à assurer l'effectivité du principe d'égalité devant la loi et les charges publiques, la disposition contestée ne revêt pas le caractère d'une punition ;
Que la seconde question ne présente pas non plus un caractère sérieux dès lors que, si le plein exercice de sa compétence, par le législateur, ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi, aucune méconnaissance de cette nature n'est caractérisée en l'espèce dès lors que les termes contestés d'« actionnaires, associés ou autres membres » des « entités juridiques : personnes morales, organismes, fiducies ou institutions comparables » figurant dans l'article 990 E, 3°, d) et e), s'ils sont entendus largement afin de permettre d'appréhender toutes les entités, quelle que soit leur forme juridique, susceptibles d'être concernées par ce texte, sont suffisamment précis pour que soient identifiées les personnes et entités concernées, au besoin grâce à une interprétation menée à la lumière de l'intention du législateur, qui est, dans un but de lutte contre la fraude et l'évasion fiscale, de dissuader les contribuables assujettis à l'impôt de solidarité sur la fortune d'échapper à cette imposition en créant, dans des Etats n'ayant pas conclu avec la France une convention fiscale comportant une clause d'assistance administrative, des entités qui deviennent propriétaires d'immeubles situés en France, ce qui exclut les risques précités ;
D'où il suit qu'il n'y a pas lieu de les renvoyer au Conseil Constitutionnel ;
PAR CES MOTIFS :
DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze avril deux mille dix-huit.