LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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La société Constructions Industrielles de la Méditerranée,
contre l'arrêt de la cour d'appel de LYON, 7e chambre, en date du 26 juin 2014, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 11 juin 2013, n° 12-80.551), pour blessures involontaires, l'a condamnée à 15 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 27 février 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. X..., conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire X..., les observations de la société civile professionnelle BOUTET et HOURDEAUX, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général Y... ;
Vu le mémoire produit ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. Jérémie Z..., travailleur intérimaire, soudeur, a été mis à la disposition de la société Constructions Industrielles Méditerranée (CNIM), spécialisée notamment dans la conception de pièces mécaniques et affecté dans ses locaux de la zone portuaire à La Seyne-sur-Mer ; que le 17 février 2005, alors qu'il devait effectuer des soudures sur une volumineuse pièce métallique appelée surbau, ce qui nécessitait au préalable qu'elle soit levée à la verticale depuis la position horizontale où elle se trouvait, ce salarié a été heurté par cette pièce de plus d'une tonne qui s'était mise à rouler et à se balancer ; qu'il est apparu que si M. Z... n'aurait pas dû se trouver dans le voisinage de la pièce en mouvement, le pontier, qui opérait la manoeuvre, ne pouvait l'apercevoir du fait de la configuration des commandes ; que le premier a subi de graves blessures, dont une fracture du massif facial ;
Attendu que la société CNIM a été citée à comparaître devant le tribunal correctionnel du chef de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité temporaire totale supérieure à trois mois faute de mesures permettant de pallier l'impossibilité pour le pontier de suivre des yeux le trajet entier du surbau et faute de mesures permettant d'éviter que les personnes à proximité ne se trouvent en danger lors de la manipulation du surbau, telles qu'un balisage ; que les premiers juges ont déclaré la prévention établie ; que la prévenue et le ministère public ont interjeté appel de cette décision ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 121-3 du code pénal, R. 4323-37 et R. 4323-41 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la société CNIM coupable des faits qui lui étaient reprochés et, en répression, l'a condamnée à une amende délictuelle de 15 000 euros ;
"aux motifs que s'agissant d'une poursuite contre une personne morale, comme en l'espèce, une faute simple, dès lors qu'elle est en lien de causalité avec le dommage, suffit à constituer le délit ; que la faute du salarié, à la supposer commise, n'est exonératoire que si elle est exclusive ; qu'aux termes de l'article R. 233-13-7 devenu l'article R. 4323-41 du code de travail, le poste de manoeuvre d'un appareil de levage doit être disposé de telle façon que le conducteur puisse suivre des yeux les manoeuvres effectuées par les éléments mobiles de l'appareil et, dans le cas où il ne peut observer le trajet entier de la charge, être dirigé par un chef de manoeuvre, le cas échéant aidé par un ou plusieurs travailleurs ; que M. Patrick A..., ouvrier intérimaire exerçant la profession de pontier le jour des faits, a déclaré que lors de la manoeuvre, il n'avait pas d'où il se trouvait la possibilité de voir ce qui se passait derrière le gros cylindre d'où était apparu M. Jérémie Z... et ne l'avait pas vu lorsque le surbau qu'il était en train de lever avait basculé ; qu'un ouvrier soudeur, M. Jérémie B..., a produit une attestation indiquant que la visibilité était très réduite vu le volume de pièces fabriquées et que l'espace réduit dû à un stockage de pièces et d'appareils inutilisés ne permettait pas de respecter les périmètres de sécurité nécessaires ; que M. Z... a également déclaré que, selon lui, l'atelier était en fait un endroit de stockage non adapté aux manoeuvres de déplacement de pièces ; que M. C... a déclaré qu'il n'avait pas vu M. Z... arriver, de même que M. D..., monteur soudeur présent sur place ; qu'il convient de noter qu'aucun des ouvriers présents sur place, ni M. C... lui-même lors de l'enquête, ne font état d'une communication entre M. A... et M. C... pour pallier le manque de visibilité du premier sur une partie de la zone pouvant être affectée par la manoeuvre et le ballant du surbau ; que le service de prévention sécurité groupe de la CNIM a fait état dans son analyse par l'arbre des causes de ce que le déplacement de la victime n'était pas visibile du pontier de même que la zone entre les deux pièces, surbau et cylindre ; que l'inspecteur du travail a confirmé que M. A... ne pouvait avoir une vue d'ensemble de la zone d'évolution du surbau et que du fait de la commande du pont roulant par une mandoline pourvue d'un câble de commande, le pontier n'avait pas le choix de sa position et ne pouvait voir une personne placée derrière le surbau de 2,20 mètres ; que le CHSCT, après avoir analysé les cause de l'accident, a préconisé notamment une délimitation de la zone de manutention par un balisage par bandes de type aéroport, et la direction de la manutention par un chef de manoeuvre, ainsi que le remplacement de la commande par une commande à distance ; que l'absence de balisage de la zone, permettant à des travailleurs circulant dans l'atelier d'être mis en danger par la charge ainsi manipulée en accédant à la zone de danger, l'absence de direction de la manutention par un chef de manoeuvre pouvant suivre des yeux le trajet entier de la charge et aviser le pontier des dangers survenant dans la zone non visible par ce dernier, constituent une imprudence et des négligences fautives, causes certaines de l'accident dont M. Z... a été victime ; que l'imprudence alléguée de M. Z..., qui a surgi dans la zone de manoeuvre du surbau alors qu'il avait dû être averti notamment par le signal sonore déclenché par le pontier, ne saurait dans ces conditions être considérée comme une cause exclusive de l'accident, exonératoire de responsabilité ;
"aux motifs éventuellement adoptés que le tribunal correctionnel a retenu la culpabilité de la prévenue considérant que la sécurité, lors de la manutention d'une pièce aussi imposante et de forme particulière, apparaît insuffisante ; qu'en effet, d'une part, le simple fait d'aviser verbalement les employés présents d'une opération en cours et d'actionner un klaxon avant son déroulement n'apparaissent pas suffisantes ; que les personnes présentes et notamment celle se présentant comme le responsable de la manoeuvre (M. Christophe C...) se trouvait dans un coin de l'atelier sans visibilité sur l'ensemble puisqu'il indique lui-même qu'il n'a pas vu arriver la victime ; que ce simple fait démontre l'obligation de sécuriser la zone comme l'indiquent les services de l'Inspection du travail par la mise en place notamment d'un dispositif de sécurité (placement de plots
) ;
"et aux motifs que M. E..., directeur général adjoint de la SA Constructions Industrielles Méditerranée, bénéficiait aux termes d'un document du 4 mai 2000 versé au dossier, d'une délégation de pouvoirs aux fins de « mettre en oeuvre tous les moyens pour assurer la sécurité » du personnel de la société, du personnel temporaire, organiser les formations pratiques et appropriées en matière de sécurité, faire respecter en tous lieux, par le même personnel, les dispositions relatives à l'hygiène et à la sécurité, faire prendre toutes les mesures ponctuelles pour assurer la prévention des accidents du travail, qu'elles soient d'urgence ou non, mettre en place les moyens et lancer les actions nécessaires au déroulement du travail dans le strict respect des règles de sécurité ; que lui-même a subdélégué ses pouvoirs à M. Daniel F..., directeur de production, le 1er février 2001 ; qu'il ne résulte pas des éléments du dossier que cette subdélégation ait été rapportée, M. F... figurant toujours en qualité de directeur de fabrication groupe dans le compte-rendu de réunion du CHSCT, en date du 4 mars 2005, appelé à analyser l'accident dont avait été victime M. Z..., ni que les pouvoirs dont elle fait état aient été subdélégués ; que M. F... avait de par sa position dans l'entreprise les moyens et la compétence pour exercer cette délégation ; qu'il apparaît ainsi que l'accident résultant des différentes imprudences et négligences ci-dessus, qu'il appartenait à M. F... de prévenir en prenant et ordonnant toutes mesures utiles de prévention, et en surveillant leur effectivité, a été commise, en la personne de celui-ci, par un de ses organes ou représentants, agissant pour le compte de la personne morale ;
"1°) alors que la cour d'appel est tenue de répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que la société CNIM faisait valoir que l'ingénieur conseil du service prévention gestion des risques professionnels de la CRAM, informé de l'accident en cause, n'avait, après son enquête, pas prononcé de mesures d'injonction à son encontre, ce dont il résultait qu'elle n'avait retenu aucune imprudence ni négligence fautive ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen opérant des conclusions de la demanderesse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
"2°) alors que la société CNIM faisait encore valoir que M. F..., qui n'était pas présent le jour de l'accident litigieux, n'avait pas, s'agissant d'une opération de manutention tout à fait banale, été personnellement consulté pour la manipulation du surbau effectuée par M. A... ; qu'elle en déduisant qu'aucune faute ne pouvait être imputée à M. F... pour mettre en cause sa responsabilité pénale ; qu'en ne répondant pas à l'argumentation ainsi développée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;
Attendu que, pour déclarer la prévention établie, l'arrêt retient à l'encontre de la CNIM des fautes consistant en l'absence de visibilité complète de la manoeuvre par le pontier, faute de commande à distance, en l'absence d'assistance de ce dernier par des tiers, à défaut de chef de manoeuvre, et en l'absence d'une mesure d'organisation limitant l'accès à la zone dangereuse pour éviter toute collision dangereuse pour les personnes, telle qu'un balisage alors que l'atelier s'avère avoir été un lieu très encombré ; que les juges ajoutent qu'ainsi le comportement de la victime ne peut s'analyser en la cause exclusive de l'accident ; qu'enfin la cour d'appel relève que M. F..., disposant d'une délégation de pouvoirs utile, est la personne physique à qui les manquements relevés doivent être imputés, en sorte que la responsabilité pénale de la personne morale est valablement engagée ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre la prévenue dans le détail de son argumentation, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 132-19, 132-20 et 132-24 du code pénal, 485, 512 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que la cour d'appel a condamné la société CNIM à la peine de 15 000 euros d'amende ;
"aux motifs que, sur la peine, il y a lieu, par réformation du jugement, de condamner la société Constructions Industrielles Méditerranée à la peine de 15 000 euros d'amende ;
"alors que les juges du fond sont tenus de motiver les peines qu'ils prononcent ; qu'en condamnant la société CNIM à une amende de 15 000 euros, sans motiver plus avant le choix de cette peine, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ; que l'arrêt attaqué n'est pas légalement justifié" ;
Vu les articles 132-1 et 132-20, alinéa 2, du code pénal ;
Attendu que selon le premier de ces textes, en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ; que ces exigences s'imposent en ce qui concerne les peines prononcée à l'encontre tant des personnes physiques que des personnes morales ;
Attendu que selon le second de ces textes, le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision en tenant compte des ressources et des charges du prévenu ;
Attendu que, pour prononcer à l'encontre de la société CNIM 15 000 euros d'amende, l'arrêt statue par les motifs repris au moyen ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans s'expliquer sur les ressources et charges de la personne morale, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle sera limitée aux peines, dès lors que les déclarations de culpabilité et les dispositions civiles n'encourent pas la censure ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon, en date du 26 juin 2014, en ses seules dispositions relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Lyon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix avril deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.