LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que salarié de la société Petroineos Manufacturing France (la société), M. X... a déclaré, le 27 novembre 2014, une maladie prise en charge, le 2 avril 2015, au titre du tableau n° 30 des maladies professionnelles, par la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône (la caisse) ; que contestant l'opposabilité de cette décision, la société a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article R. 441-14 du code de la sécurité sociale ;
Attendu que le défaut de signature, par l'agent d'une caisse primaire, d'une décision de reconnaissance du caractère professionnel d'une maladie, ne rend pas cette décision inopposable à l'employeur, qui conserve la possibilité de contester tant le bien-fondé de la décision que ses modalités de mise en oeuvre au regard des obligations d'information incombant à l'organisme social ;
Attendu que pour déclarer inopposable à la société la décision de prise en charge de la maladie déclarée par M. X..., l'arrêt relève que s'il n'y a pas de contestation quant à l'existence d'une délégation de pouvoir du directeur de la caisse à l'agent qui a pris la décision du 2 avril 2015, cette délégation de pouvoir implique une « délégation de signature » et que, les mots ayant un sens, la signature ainsi déléguée doit apparaître sur la décision notifiée aux parties ; que la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations prévoit, en son article 4, que « toute décision prise par l'une des autorités administratives mentionnées à l'article 1er comporte, outre la signature de son auteur, la mention en caractères lisibles, du prénom, nom et de la qualité de celui-ci » ; que s'agissant d'une loi relative aux relations entre les citoyens et les administrations, cette signature doit apparaître sur le document original conservé par l'administration dans son dossier, mais aussi sur l'exemplaire notifié aux « citoyens », donc, en l'espèce, à l'employeur ; que les organismes de sécurité sociale sont soumis à l'application de ce texte ; que le non-respect de cette formalité substantielle doit être sanctionné par l'inopposabilité de la décision à l'employeur ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le même moyen, pris en sa seconde branche :
Vu l'article R. 441-14 du code de la sécurité sociale ;
Attendu que pour accueillir le recours de la société, l'arrêt relève que celle-ci, avisée de la fin de l'enquête le 13 mars 2015, est allée consulter le dossier le 25 mars 2015 et en a demandé la communication dématérialisée ou version papier le jour-même, ce qui lui a été refusé ; que la communication se caractérise par la remise matérielle et effective de l'objet de la communication ; qu'une simple consultation de ces pièces ne pourrait suffire à constituer la « communication » imposée par l'article 132 du code de procédure civile qui garantit le caractère contradictoire de la procédure ; que la société avait le droit d'obtenir la communication du dossier, du moins pour sa partie communicable ; que le refus de la caisse constitue un manquement au respect du principe du contradictoire qui doit être sanctionné par l'inopposabilité de la décision de prise en charge ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la caisse avait informé l'employeur de la clôture de l'instruction, de la date à compter de laquelle elle entendait prendre sa décision et de la possibilité de consulter le dossier dans ses locaux pendant un délai de dix jours francs au moins, le mettant ainsi en mesure de prendre connaissance des éléments susceptibles de lui faire grief et de faire valoir ses arguments, peu important la remise effective d'une copie du dossier, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 janvier 2017, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne la société Petroineos Manufacturing France aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Petroineos Manufacturing France et la condamne à payer à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône la somme de 2 800 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre avril deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'Avoir déclaré inopposable à la SAS PETROINEOS MANUFACTURING FRANCE la décision du 2 avril 2015 par laquelle la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône a pris en charge au titre du tableau n°30 la maladie professionnelle de son salarié, Monsieur X....
AUX MOTIFS QUE « L'employeur, avisé de la fin de l'enquête de la caisse, le 13 mars 2015, est allé consulter le dossier le 25 mars 2015 et en a demandé la communication dématérialisée ou version papier le jour-même, ce qui lui a été refusé.
La décision de prise en charge est datée du 2 avril 2015.
I. - Concernant la communication des pièces du dossier à l'employeur, la caisse ne conteste pas avoir reçu cette demande le jour où l'avocat de l'employeur se trouvait dans ses locaux pour consulter le dossier, mais elle considère que son refus était parfaitement fondé dans la mesure où sa seule obligation est de permettre la consultation du dossier, qui avait bien eu lieu puisqu'une attestation avait été établie selon laquelle l'avocat avait pu lire sur écran, l'enquête administrative et la «fiche colloque ».
L'article R.441-13 dans sa rédaction (inchangée avant juin 2016) issue du décret du 21 décembre 1986, prévoit que ‘Le dossier constitué par la caisse primaire doit comprendre:
1° -la déclaration d'accident et l'attestation de salaire,
2° -les divers certificats médicaux;
3° -les constats faits par la caisse primaire;
4°-les informations parvenues à la caisse de chacune des parties;
5°-les éléments communiqués par la caisse régionale;
6°-éventuellement le rapport de l'expert technique. Il peut, à leur demande, être communiqué à l'assuré, à ses ayants droit et à l'employeur ou à leurs mandataires.
Ce dossier ne peut être communiqué à un tiers que sur demande de l'autorité judiciaire.'
Ce dossier contient donc des éléments médicaux qui, toutefois, ne doivent pas être connus de l'employeur ni des tiers, alors même qu'à ce stade de l'enquête ils concernent uniquement la maladie ou les lésions prétendument causées par le travail, et qui, en tout état de cause, seront révélés ultérieurement, ainsi que toute autre pathologie préexistante, à la faveur d'une expertise médicale en cas de recours contentieux, puisque le rapport d'expertise est ‘communiqué' aux parties dans le respect du principe du contradictoire posé par l'article 132 du code de procédure civile.
Il n'en demeure pas moins que, par ce texte, le pouvoir réglementaire a instauré un droit d'obtenir communication d'un dossier dont il fixe le contenu sans émettre de restriction à cette communication, ce droit étant toutefois mis en oeuvre selon la qualité de ceux qui demandent à l'exercer.
Dans ce contexte, le verbe ‘pouvoir' ne saurait s'entendre comme laissant à la caisse la faculté d'accepter ou de refuser la demande, mais comme lui donnant l'autorisation de communiquer un dossier ou du moins une petite partie de ce dossier.
Le verbe ‘communiquer' est un verbe transitif dont le complément d'objet direct peut être immatériel (communiquer une idée, un don, etc ...) ou matériel (communiquer un contrat, une photographie, un dossier, etc ...).
Dans ce second cas, la communication se caractérise par la remise matérielle et effective de l'objet de communication.
Ce sens est plus large que celui de ‘consultation' qui, lorsqu'il s'agit de la consultation d'un document écrit ou sonore, se définit comme la mise à disposition d'un document pour permettre qu'il soit lu ou entendu.
Contrairement à la consultation, la communication implique nécessairement la remise matérielle de l'objet ou de sa copie.
C'est ainsi que le texte prévoit que le dossier doit contenir ‘les éléments communiqués par la caisse régionale' ce qui implique la remise matérielle d'un document.
C'est ainsi également que, d'une manière plus générale, l'article 132 du code de procédure civile prévoit la «communication» des pièces dont les parties à un procès entendent faire état: cette communication s'opère par la remise des documents (copie papier ou copie dématérialisée); une simple consultation de ces pièces proposée à l'adversaire ne pourrait suffire à constituer la ‘communication' imposée par ce texte qui garantit le caractère contradictoire de la procédure.
Le code de la sécurité sociale procède à la même distinction en posant le principe général de la communication du dossier (article R.441-13 supra) et en réglant plus spécifiquement sa consultation (article R.441-14 infra) qui permet aux parties de présenter leurs observations avant la décision de la caisse.
L'article R.441-14 du code de la sécurité sociale, dans sa version en vigueur depuis le décret du 29 juillet 2009, prévoit qu'une fois son enquête terminée, et dix jours avant de prendre sa décision sur une demande de reconnaissance d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, la caisse doit informer la victime et l'employeur ‘sur les éléments recueillis et susceptibles de leur faire grief, ainsi que sur la possibilité de consulter le dossier mentionné à l'article R.441-13.'
Cette règle garantit aux parties le respect du principe du contradictoire.
Tout manquement à ce principe est sanctionné par l'inopposabilité de la décision.
Si les modalités de la communication (papier ou non) et de la consultation (lieu et durée de la consultation, consultation avec ou sans rendez-vous, sur papier ou sur écran) relèvent du seul pouvoir de la caisse, le juge judiciaire doit veiller au respect effectif des droits de consultation (délai ‘suffisant') et de communication du dossier, car ces droits garantissent le respect du principe du contradictoire.
Il vient d'être démontré que l'employeur avait le droit d'obtenir la communication du dossier, du moins sur sa partie communicable, qu'il en avait fait la demande et s'est heurté à un refus.
Ce refus constitue un manquement au respect du principe du contradictoire et doit être sanctionné par l'inopposabilité de la décision de prise en charge du 2 avril 2015.
II. - Concernant la signature de la décision de prise en charge, la caisse primaire a fait valoir que cette formalité n'est pas prévue à peine de nullité et que, dès lors que la délégation de pouvoir de l'agent ayant pris la décision est incontestable et que l'employeur dispose d'un recours sur le fond, celui-ci n'est pas fondé à se prévaloir de l'absence de signature de la décision de prise en charge.
La Cour rappelle que, s'il est vrai qu'il n'y a pas de contestation quant à l'existence d'une délégation de pouvoir du directeur de la caisse à l'agent qui a pris la décision du 2 avril 2015, cette délégation de pouvoir implique une ‘délégation de signature' et que, les mots ayant un sens, la signature ainsi déléguée doit apparaître sur la décision notifiée aux parties.
En effet, la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations prévoit, en son article 4 que ‘toute décision prise par l'une des autorités administratives mentionnées à l'article 1er comporte, outre la signature de son auteur, la mention en caractères lisibles, du prénom, nom et de la qualité de celui-ci.'
S'agissant d'une loi relative aux relations entre les citoyens et les administrations, cette signature doit apparaître sur le document original conservé par l'administration dans son dossier, mais aussi sur l'exemplaire notifié aux ‘citoyens', donc, en l'espèce, à l'employeur.
II n'est pas contesté que les organismes de sécurité sociale sont soumis à l'application de ce texte. Leurs décisions, qui mettent en oeuvre une prérogative de puissance publique, se définissent comme des actes faisant grief, notamment parce que la reconnaissance d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle aura des conséquences financières pour l'employeur, ce qui justifie son droit d'exercer un recours à l'encontre de ces décisions.
Les textes régissant les règles de sécurité sociale sont d'ordre public et la formalité ainsi imposée par l'article 4 précité en fait une formalité substantielle.
Le non-respect de cette formalité substantielle, qui serait sanctionné par la nullité de la décision devant la juridiction administrative, doit être sanctionné également devant la juridiction judiciaire au nom du principe d'égalité des citoyens devant la loi.
Puisque le présent contentieux s'inscrit dans les seules relations entre la caisse et l'employeur, cette sanction est l'inopposabilité de la décision à l'employeur.
II importe peu que l'employeur puisse émettre ultérieurement une contestation sur le fond, comme l'a fait valoir la caisse primaire, car cela reviendrait à décider que les règles de forme n'ont jamais à être respectées.
La société appelante est donc fondée à soutenir, pour ce second motif également, l'inopposabilité à son égard de la décision de prise en charge notifiée le 2 avril 2015. »
ALORS D'UNE PART QUE l'omission des mentions prévues par l'article 4, alinéa 2, de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 n'affecte pas la validité de la notification de la décision de la caisse de prendre en charge une maladie à titre professionnel prévue par l'article R.441-14 du code de la sécurité sociale, dès lors que celle-ci précise la dénomination de l'organisme qui l'a émise ; qu'en l'espèce, l'employeur avait fait valoir que la décision de la caisse primaire lui était inopposable au motif que la décision de prise en charge litigieuse ne porte aucune signature ; qu'en retenant, pour faire droit à ce moyen, que la formalité imposée par le texte précité en fait une formalité substantielle dont le non respect doit être sanctionné devant la juridiction judiciaire au nom du principe d'égalité des citoyens devant la loi par l'inopposabilité de la décision à l'employeur, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 4, alinéa 2, de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
ALORS D'AUTRE PART QUE les articles R.441-11 et suivants du code de la sécurité sociale ne soumettent à aucune forme particulière la communication du dossier et n'imposent pas à la caisse qui a instruit le dossier de maladie professionnelle de faire droit à la demande de l'employeur de lui en délivrer copie ; qu'en retenant, pour déclarer la décision de prise en charge inopposable à l'employeur, que la caisse a refusé d'en faire tenir à l'employeur une copie papier ou une copie dématérialisée, la cour d'appel a violé les articles R.441-11 et suivants du code de la sécurité sociale.