LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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Mme B... A... , partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-9, en date du 20 octobre 2016, qui, dans la procédure suivie, sur sa plainte contre M. Y... X... et Mme Z... X... du chef d'infractions à la législation sur les étrangers, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 7 février 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Moreau, conseiller rapporteur, M. Castel, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de M. le conseiller Moreau, les observations de la société civile professionnelle BORÉ, SALVE DE BRUNETON et MÉGRET, de la société civile professionnelle FOUSSARD et FROGER, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général MORACCHINI;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 225-4-1, 22, 225-13, 225-14, 225-15, 225-15-1 du code pénal, L. 622-1, L. 622-3 et L. 622-5 du CESEDA, de l'article 1382, devenu 1240, du code civil, 2, 3, 497, 509, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt a confirmé le jugement ayant relaxé les prévenus des faits de soumission d'une personne vulnérable ou dépendante à des conditions d'hébergement indignes, d'emploi d'un étranger non muni d'une autorisation de travail salarié et d'obtention de services non rétribués par une personne vulnérable ou dépendante et les a déclarés coupables des faits qualifiés d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France, l'ayant déclaré irrecevable la constitution de partie civile de Mme B... A... s'agissant des faits d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France et a rejeté les demandes émises par Mme A... ;
"aux motifs que les dispositions pénales du jugement déféré, non frappées d'appel par les prévenus et le ministère public sont définitives tant sur les relaxes prononcées au titre des délits dont le tribunal était précisément saisi par l'arrêt de renvoi du 3 février 2014 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris (soit la fourniture par une personne vulnérable de services non rétribués, la soumission d'une personne vulnérable à des conditions d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine et l'emploi d'une étrangère non munie d'un titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France), que sur la condamnation prononcée au titre du délit d'aide directe ou indirecte au séjour irrégulier d'une étrangère en France ; qu'il sera d'autre part rappelé sur les demandes émises par Mme A..., qu'en l'absence d'appel du ministère public, l'appel de la seule partie civile d'un jugement de relaxe a pour seul effet de déférer à la juridiction du second degré l'action en réparation des conséquences dommageables pouvant résulter de la faute civile des prévenus définitivement relaxés, cette faute devant être démontrée par la partie civile appelante à partir et dans la limite des faits objets de la poursuite ; que le juge répressif d'appel ne peut rechercher dans ce cadre procédural, comme le lui demande la partie civile, si les faits poursuivis pour lesquels les prévenus ont été définitivement relaxés constituent une infraction pénale sans méconnaître le principe de la présomption d'innocence garanti par l'article 6,§2, de la de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'en l'état de la seule action civile dévolue par l'appel de la partie civile, la cour ne peut pas procéder à une requalification des délits ayant donné lieu à la décision de première instance de relaxe partielle, ni ajouter une circonstance aggravante, non visée à la condamnation prononcée pour aide au séjour irrégulier de Mme A... en France ; que le tribunal a valablement déclaré irrecevable la constitution de partie civile de Mme A... au titre du délit d'aide au séjour réprimé, dès lors qu'elle ne peut justifier d'un préjudice en découlant directement, la commission de ce délit lui ayant a contrario permis de se maintenir durablement sur le territoire français sur toute la période de prévention retenue ; qu'en conséquence, compte tenu des éléments ci, dessus développés et dès lors que la partie civile n'allègue ni ne caractérise une faute civile imputable à M. Y... C... X... et Mme Z... X... dans la limite des faits objets de la poursuite, la cour doit confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions civiles et rejeter les demandes émises par Mme A... ;
"1°) alors que la partie civile, seule appelante d'un jugement de relaxe, peut obtenir réparation du dommage résultant de la faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits, objet de la poursuite ; qu'en affirmant comme un principe que « le juge répressif d'appel ne peut rechercher dans ce cadre procédural, comme le lui demande la partie civile, si les faits poursuivis pour lesquels les prévenus ont été définitivement relaxés constituent une infraction pénale sans méconnaître le principe de la présomption d'innocence garanti par l'article 6, § 2, de la de la Convention européenne des droits de l'homme » alors que la partie civile, seule appelante d'une décision de relaxe, peut obtenir réparation de son préjudice résultant directement d'une faute civile démontrée à partir et dans les limites des faits objet de la poursuite, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"2°) alors que les juges répressifs, saisis des seuls intérêts civils, peuvent, après avoir mis l'auteur présumé de la faute en mesure de s'expliquer sur le nouveau fondement envisagé, donner à la faute civile le fondement adéquat, différent de celui sur lequel reposait la qualification des infractions initialement poursuivies, à la condition de ne pas prendre en considération des faits qui n'étaient pas compris dans les poursuites ; qu'il résulte des constatations des juges du fond, que les prévenus étaient poursuivis du chef de soumission d'une personne vulnérable ou dépendante à des conditions d'hébergement indignes, du chef d'emploi d'un étranger non muni d'une autorisation de travail salarié, pour avoir engagé et conservé à son service Mme A..., étrangère non munie du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France, du chef d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France, pour avoir hébergé et facilité le séjour irrégulier en France de Mme A... et du chef d'obtention de services non rétribués par une personne vulnérable ou dépendante ; que la partie civile faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que les faits poursuivis sous les qualifications de soumission d'une personne vulnérable ou dépendante à des conditions d'hébergement indignes, d'emploi d'un étranger non muni d'une autorisation de travail salarié, pour avoir engagé et conservé à son service Mme A..., étrangère non munie du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France, d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France, pour avoir hébergé et facilité le séjour irrégulier en France de Mme A... et d'obtention de services non rétribués par une personne vulnérable ou dépendante pouvaient être requalifiés du chef de traite des êtres humains et que ces faits lui avaient causé un préjudice moral et financier dont elle demandait réparation ; qu'en affirmant, comme un principe, qu'« en l'état de la seule action civile dévolue par l'appel de la partie civile, la cour ne peut pas procéder à une requalification des délits ayant donné lieu à la décision de première instance de relaxe partielle » alors que les juges répressifs, saisis des seuls intérêts civils, peuvent, après avoir mis l'auteur présumé de la faute en mesure de s'expliquer sur le nouveau fondement envisagé, donner à la faute civile le fondement adéquat, différent de celui sur lequel reposait la qualification des infractions initialement poursuivies, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"3°) alors que la partie civile, seule appelante d'un jugement de relaxe, peut obtenir réparation du dommage résultant de la faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits, objet de la poursuite ; que la partie civile sollicitait, dans ses conclusions d'appel, réparation du préjudice résultant des faits d'obtention de services non rétribués par une personne vulnérable ou dépendante en faisant valoir que par sa situation irrégulière sur le territoire français, son absence de liens familiaux ou amicaux en France et l'absence de rémunération, elle se trouvait dans une situation de dépendance et de sujétion totale à l'égard de M. et Mme X... et qu'elle occupait un poste de garde d'enfants à temps plein sans qu'aucune rémunération ne lui soit versée ; qu'il résulte des constatations des juges du fond que les prévenus étaient poursuivis notamment du chef d'emploi d'un étranger non muni d'une autorisation de travail salarié, pour avoir engagé et conservé à son service Mme A..., étrangère non munie du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France et du chef d'obtention de services non rétribués par une personne vulnérable ou dépendante ; qu'en affirmant que « la partie civile n'allègue ni ne caractérise une faute civile imputable à M. Y... C... X... et Mme Z... X... dans la limite des faits objets de la poursuite » sans rechercher, comme cela lui était demandé, si le fait d'avoir employé la partie civile, en état de vulnérabilité, à un poste de garde d'enfant à temps plein sans aucune rémunération ne caractérisait pas une faute civile imputable aux prévenus entrant dans les limites des faits objets de la poursuite et ouvrant droit à réparation, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"4°) alors que la partie civile, seule appelante d'un jugement de relaxe, peut obtenir réparation du dommage résultant de la faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits, objet de la poursuite ; que la partie civile sollicitait, dans ses conclusions d'appel, réparation du préjudice résultant des faits conditions de travail et d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine en faisant valoir qu'elle avait été hébergée dans l'unique intention d'être placée à la disposition de la famille entière, en assurant l'ensemble des tâches domestiques de leur foyer et la garde de trois enfants dont en particulier celle du plus jeune et qu'elle avait ainsi occupé un poste de garde d'enfant et d'employée de maison sans qu'aucune pièce ne lui soit réservée afin de garantie la préservation de son intimité puisqu'elle dormait dans la chambre des enfants ; qu'il résulte des constatations des juges du fond que les prévenus étaient poursuivis du chef de soumission d'une personne vulnérable ou dépendante à des conditions d'hébergement indignes et du chef d'obtention de services non rétribués par une personne vulnérable ou dépendante ; qu'en affirmant que « la partie civile n'allègue ni ne caractérise une faute civile imputable à M. Y... C... X... et Mme Z... X... dans la limite des faits objets de la poursuite » sans rechercher, comme cela lui était demandé, si le fait d'avoir privé la partie civile de toute intimité et de l'avoir laissée à la disposition permanente des enfants dont elle avait la charge sans aucune rémunération ne caractérisait pas une faute civile entrant dans les limites des faits objets de la poursuite ouvrant droit à réparation, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"5°) alors que tout arrêt doit comporter des motifs propres à justifier la décision et répondre aux moyens péremptoires des conclusions des parties ; que la partie civile faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que la commission du délit d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irrégulier d'un étranger pour lequel les prévenus avaient été condamnés avait eu pour effet de la soumettre à des conditions de vie, de travail et d'hébergement incompatible avec la dignité humaine et que les époux X... l'avaient maintenue dans une situation administrative irrégulière afin de la faire travailler en permanence à leur domicile ; qu'en affirmant que « le tribunal a valablement déclaré irrecevable la constitution de partie civile de Mme A... au titre du délit d'aide au séjour réprimé, dès lors qu'elle ne peut justifier d'un préjudice en découlant directement, la commission de ce délit lui ayant a contrario permis de se maintenir durablement sur le territoire français sur toute la période de prévention retenue » sans rechercher, comme cela lui était demandé, si les prévenus n'avaient pas facilité son entrée en France et ne l'avait pas maintenue en situation irrégulière afin de la contraindre à accepter des conditions de vie, de travail et d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Mme B... A... a porté plainte et s'est constituée partie civile auprès du doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance d'Evry à l'encontre des époux X..., qui l'avaient hébergée durant treize mois à leur domicile, des chefs de traite d'être humain, rétribution inexistante ou insuffisante du travail d'une personne vulnérable ou dépendante, conditions de travail et d'hébergement indignes contraires à la dignité humaine, aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France et emploi d'un étranger non muni d'une autorisation de travail salarié ; qu'au terme de l'information, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a renvoyé M. et Mme X... devant le tribunal correctionnel des chefs de soumission d'une personne vulnérable ou dépendante à des conditions d'hébergement indignes, emploi d'un étranger non muni d'une autorisation de travail salarié, obtention de services non rétribués par une personne vulnérable ou dépendante, aide au séjour irrégulier ; que le tribunal correctionnel, condamnant les prévenus du seul délit d'aide au séjour irrégulier, a déclaré recevable mais non fondée la constitution de partie civile de Mme A... ; que Mme A... a interjeté appel de cette décision en invitant la cour à reconsidérer, dans ses conséquences civiles, la décision de relaxe partielle prononcée par le tribunal, au besoin en recherchant de nouvelles qualifications juridiques ;
Attendu que pour confirmer le jugement et rejeter les demandes d'indemnisation de la partie civile, la cour d'appel retient qu'elle ne peut procéder, comme le lui demande la partie civile, à une requalification des délits ayant donné lieu à relaxe et que la partie civile n'allègue ainsi ni ne caractérise une faute civile imputable aux époux X... dans la limite des faits objets de la poursuite ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans autrement rechercher elle-même, alors qu'elle y était invitée par la partie civile dans le cadre de la demande de réparation, si le fait d'avoir travaillé au profit des époux X... comme garde d'enfant et employée de maison sans rémunération pendant treize mois, ne caractérisait pas une faute civile entrant dans les limites des faits objets de la poursuite, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE , en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 20 octobre 2016 et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-huit mars deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.