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14/03/2018 | FRANCE | N°17-50021

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 14 mars 2018, 17-50021


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le premier moyen :

Vu l'article 47 du code civil ;

Attendu, selon ce texte, que tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant, après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne corresponde

nt pas à la réalité ; que, concernant la désignation de la mère dans les actes de naissance...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le premier moyen :

Vu l'article 47 du code civil ;

Attendu, selon ce texte, que tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant, après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ; que, concernant la désignation de la mère dans les actes de naissance, la réalité, au sens de ce texte, est la réalité de l'accouchement ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'aux termes de leurs actes de naissance, établis par les autorités ghanéennes, Camille, Brice et Lucile X... sont nés le [...]           à Accra (Ghana), de M. X... et Mme Y...        , son épouse, tous deux de nationalité française ; que, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes n'ayant pas donné suite à la demande de M. et Mme X... tendant à la transcription des actes de naissance, sur les registres de l'état civil consulaire français, en raison d'une suspicion de recours à une convention de gestation pour autrui, ces derniers l'ont assigné à cette fin ;

Attendu que, pour ordonner la transcription des actes de naissance des enfants en ce qu'ils désignent Mme X... en qualité de mère, l'arrêt, après avoir constaté qu'elle n'a pas accouché des enfants, retient que la réalité, au sens de l'article 47 du code civil, est la réalité matérielle de l'événement déclaré, mais également celle qui existe juridiquement au jour où l'acte de naissance étranger est dressé ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et vu l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il ordonne la transcription, sur les registres de l'état civil français, des actes de naissance de Camille, Brice et Lucile X..., nés le [...]           à Accra (Ghana), en ce qu'ils sont nés de Mme Martine Y...        , née le [...]         , l'arrêt rendu le 6 mars 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Ordonne la transcription, sur les registres de l'état civil français, des actes de naissance de :

- Camille X..., née le [...]           à Accra (Ghana), de M. Christian, Jean, Marie X..., né le [...]         à Rouen (76) ;

- Brice X..., né le [...]           à Accra (Ghana), de M. Christian, Jean, Marie X..., né le [...]         à Rouen (76) ;

- Lucile X..., née le [...]           à Accra (Ghana), de M. Christian, Jean, Marie X..., né le [...]         à Rouen (76) ;

Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze mars deux mille dix-huit.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par le procureur général près la cour d'appel de Rennes

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé la transcription sur les registres de l'état civil français, des actes de naissance de Camille X..., Brice X... et Lucile X..., tous nés le [...]           à Accra (Ghana) alors qu'il est admis par les défendeurs que les enfants sont issus d'une gestation pour autrui.

Aux motifs que :

L'article 47 du code civil énonce que tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ;

Les dispositions précitées relatives à la force probante des actes de l'état civil faits à l'étranger, issues dans leur version initiale, de la loi du 11 mars 1803, ont été modifiées d'une part, par la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France et à la nationalité, qui a introduit une procédure de vérification de l'authenticité de l'acte pour lutter contre les mariages frauduleux contractés à des fins étrangères à l'union matrimoniale, d'autre part, par la loi du 14 novembre 2006 relative au contrôle de la validité des mariages qui a inséré la mention "le cas échéant après toutes vérifications utiles" pour renforcer le contrôle exercé sur la sincérité de l'intention matrimoniale et la lutte contre la fraude à l'état civil et qui par ailleurs, a simplifié la vérification de l'authenticité des actes de l'état civil étranger, en supprimant le mécanisme de sursis administratif et de vérification judiciaire institué par la loi précitée de 2003 ;

Le recours à une convention de gestation pour autrui recouvre une pluralité de situations, dont la matérialité des choses (matériaux biologiques fournis) est saisie par le droit, selon la législation du pays de naissance qui autorise cette pratique ;

Le juge, saisi d'une demande de transcription de l'acte de naissance sur les registres de l'état civil français, est tenu d'examiner la question à la lumière de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, garantissant à l'enfant, dont l'intérêt supérieur est une considération primordiale dans toutes les décisions le concernant en vertu de l'article 3 §1 de la Convention internationale des droits de l'enfant, le droit au respect de sa vie privée et familiale ;

La réalité est une notion commune, non définie par le législateur et conformément au principe selon lequel il est défendu de distinguer là où la loi ne distingue pas, il n'y a pas lieu de restreindre le champ d'application du texte de loi qui est conçu en termes généraux et non limitatifs ;

Les précisions apportées en 2006 dans la rédaction du texte de l'article 47 du code civil, invitent le juge à procéder à une approche concrète et complète de la situation au jour où l'acte étranger a été dressé ;

La réalité au sens de l'article 47 du code civil, doit s'entendre comme la réalité matérielle de l'événement déclaré quant à l'existence, au jour, au lieu de naissance du nouveau-né et aux autres énonciations relatives à son sexe, à ses nom et prénom, par opposition à une situation fictive, irréelle ou imaginaire ;

Dans l'intérêt supérieur de l'enfant qui a droit à une identité qui inclut la filiation, la réalité au sens de l'article 47 du code civil, s'entend aussi comme celle qui existe juridiquement au jour où l'acte de naissance étranger a été dressé ;

Il s'ensuit que la force probante des actes de naissance litigieux doit être examinée uniquement au regard des dispositions édictées en vue de leur transcription par l'article 47 du code civil et non par application de la loi désignée par la règle de conflit pour l'établissement de la filiation d'un enfant ;

Le ministère public pour dire que les actes de naissance litigieux ne sont pas conformes à la réalité au sens de l'article 47 du code civil en ce qu'ils indiquent le nom de Mme Martine Y...         comme mère, alors qu'elle n'a pas accouché, opère un rattachement exclusif de la maternité avec l'acte charnel d'accouchement, conformément à la maxime mater semper certa est, en ignorant d'une part, la réalité qu'établit le droit étranger qui déclare Mme Martine Y...         comme mère légale de l'enfant conformément aux règles de droit applicables au Ghana où les actes de naissance ont été dressés, ce qui est conforme aux liens affectifs, éducatifs et familiaux qui unissent Camille, Brice et Lucile tant à M. X..., qu'à Mme Martine Y...        , leurs parents d'intention, d'autre part, la réalité et la sincérité de la volonté du couple parental d'attribuer à ces enfants, une filiation d'intention, objectivées par la demande de transcription des époux X... (faite conformément aux dispositions de l'article 7 du décret du 3 août 1962 modifiant certaines règles relatives aux actes de l'état civil) et non contredites par des données extérieures ou des éléments tirés des actes eux-mêmes ;

Les intimés soutiennent que M. X... qui a épousé Mme Martine Y...         le 29 décembre 2001 à [...]        , bénéficie de la présomption de paternité par application de l'article 312 du code civil, qui dispose que l'enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari et que la présomption de paternité n'a pas lieu d'être écartée en l'espèce en vertu de l'article 313 ;

Le ministère public s'oppose à la reconnaissance du lien de filiation entre M. X... et les trois enfants, en contestant l'application de la présomption de paternité telle que résultant de l'application des règles de droit français ;

En tout état de cause, la filiation paternelle des enfants est légalement établie entre M. X... et les trois enfants, en qualité de père légal, en l'absence de données extérieures ou des éléments tirés des actes eux-mêmes qui établissent qu'il n'est pas le père ;

Un refus de demande de transcription ne saurait être opposé à un droit régulièrement acquis à l'étranger, alors même que ce refus aurait pour conséquence de méconnaître le principe de continuité du statut personnel, de porter atteinte aux droits garantis par les conventions internationales ratifiées par la France, en particulier, le droit au respect de la vie privée et familiale des enfants ;

La marge d'appréciation dont disposent les Etats au sens de la Convention européenne des droits de l'homme, est atténuée en matière de filiation et de parenté d'intention ;

La transcription des actes de naissance est conforme à l'intérêt supérieur des trois enfants qui est de bénéficier de la protection et de l'éducation du couple parental, de la stabilité des liens familiaux et affectifs, de la continuité de la communauté de vie effective et affective qu'ils partagent avec leurs parents, d'avoir un rattachement juridique tant à l'égard de leur père que de leur mère, leur permettant leur intégration complète dans leur famille et l'inscription sur le livret de famille de leurs parents ;

L'intérêt supérieur des enfants implique la reconnaissance de la situation constituée à l'étranger en conformité avec la loi étrangère afin de leur garantir sur le territoire national, le droit au respect de leur identité dont la filiation et la nationalité française, constituent un aspect essentiel ;

En l'espèce, les actes de naissance ghanéens produits ont été dressés par l'officier d'état civil d'Accra le 4 mars 2014, traduits le 2 mai 2014 par un traducteur expert près la cour de cassation et légalisés par le chef de service consulaire de l'ambassade du Ghana à Paris le 15 juillet 2014 ;

Camille, Brice et Lucile X... ne disposent au vu des actes de naissance établis par les autorités ghanéennes que d'une seule filiation maternelle, en la personne de Mme Y...         ;

Les premiers juges, pour faire droit à la demande de transcription, après avoir relevé que les actes de naissance litigieux, ont été légalisés par la section consulaire de l'ambassade du Ghana en France le 15 juillet 2014, que l'authenticité des actes établis au Ghana n'est pas contestable, qu'il n'est ni établi ni soutenu que ces actes auraient été dressés en fraude à la loi ghanéenne, qu'il n'est ni justifié ni soutenu que les enfants disposeraient d'autres filiations établies en contradiction avec celles qui ressortent des actes de naissance dont la transcription est sollicitée, qu'il apparaît en conséquence, que ces derniers actes ont été régulièrement établis et correspondent à la réalité, en ce qu'ils portent mention des seuls liens de filiation tant paternel que maternel reconnus aux enfants, ont dit à bon droit, qu'en l'état de ces éléments, les actes en cause sont probants au sens de l'article 47 du code civil et les époux X... en leur qualité de ressortissants français, sont fondés à en obtenir la transcription sur les registres consulaires, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une astreinte ;

En effet, les actes de naissance des enfants sont réguliers en la forme, ayant été établis conformément à la loi ghanéenne, étant rappelé que la loi étrangère est seule compétente pour déterminer les formes dans lesquelles les actes de l'état civil sont rédigés, traduits en langue française et légalisés par les autorités compétentes et le ministère public n'invoque aucun élément pertinent de nature à remettre en cause la force probante des actes de l'état civil ghanéen par application de l'article 47 du code civil, ce texte instituant une présomption de régularité de l'acte civil établi à l'étranger selon les formes usitées dans le pays où il a été dressé, sauf en cas de fraude, ce qui n'est pas démontré ;

Le ministère public ne rapporte donc pas la preuve qui lui incombe, que les actes de naissance litigieux ne seraient pas conformes à la réalité au sens de l'article 47 du code civil et les enfants ne peuvent se voir privés de la filiation maternelle et paternelle que le droit ghanéen leur reconnaît, qui correspond à la réalité des liens familiaux unissant les trois enfants à Mme Martine Y...         et à M. X... ;

En recherchant la solution la plus adaptée à l'intérêt supérieur de l'enfant, comme sujet de droit, le juge contribue à la cohésion sociale, en mettant fin à l'incertitude et à l'insécurité juridique pesant sur le statut des enfants vivants avec un ou des parents français, nés à l'étranger dans un pays où la pratique de la gestation pour autrui est conforme à la loi, en faisant prévaloir le principe d'égalité de tous les enfants quelle que soit leur naissance, conformément à l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme qui interdit toute forme de discrimination, mais sans que toutefois, soit remis en cause le principe d'ordre public de prohibition de la gestation pour autrui en France affirmé aux articles 16-7 et 16-9 du code civil et réprimé à l'article 227-12 du code pénal ;

Les actes de naissance litigieux faisant apparaître la filiation paternelle et maternelle d'intention de Camille, Brice et Lucile, sont bien conformes à la réalité au sens de l'article 47 du code civil ;

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a fait droit à la demande de transcription des actes de naissance des enfants Camille, Brice et Lucile X..., nés à l'étranger.

Alors que :

Premier moyen de cassation, sur la conformité à l'article 47 du code civil :

L'article 47 du code civil accorde foi à tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait dans un pays étranger, sauf si notamment, les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.

La réalité citée par l'article 47 du code civil correspond nécessairement à la conformité des énonciations de l'acte d'état civil par rapport aux faits qu'il relate.

Mme Martine Y...         étant citée comme mère alors qu'elle n'a pas accouché, les actes de naissance de Camille, Brice et Lucile X... ne peuvent être déclarés conformes aux exigences de l'article 47 du code civil.

En statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 47 du code civil.

Second moyen de cassation, sur le respect du principe d'ordre public de prohibition de la gestation pour autrui en France affirmé aux articles 16-7 et 16-9 du code civil :

L'article 16-7 du code civil, d'ordre public aux termes de l'article 16-9 du code civil, dispose que « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle ».

Or, en admettant de donner plein effet juridique en France d'une gestation pour autrui réalisée à l'étranger, la cour d'appel a contrevenu au principe qu'elle prétend respecter.

En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 16-7 et 16-9 du code civil.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 17-50021
Date de la décision : 14/03/2018
Sens de l'arrêt : Cassation partielle sans renvoi
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes, 06 mars 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 14 mar. 2018, pourvoi n°17-50021


Composition du Tribunal
Président : Mme Batut (président)
Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:17.50021
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