La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/03/2018 | FRANCE | N°16-24553;16-24559;16-24562

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 07 mars 2018, 16-24553 et suivants


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Vu la connexité, joint les pourvois n° K 16-24.553, A 16-24.559 et D 16-24.562 ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon les arrêts attaqués (Metz, 3 août 2016), que MM. X..., Y... et Z... ont travaillé dans l'établissement Carling Saint-Alvold, alors exploité par la société CDF chimie/Atochem, aux droits de laquelle se trouve la société Total Petrochemicals France, lequel était inscrit sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travaille

urs de l'amiante (ACAATA) pour la période de 1952 à 1980 par arrêté ministériel du ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Vu la connexité, joint les pourvois n° K 16-24.553, A 16-24.559 et D 16-24.562 ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon les arrêts attaqués (Metz, 3 août 2016), que MM. X..., Y... et Z... ont travaillé dans l'établissement Carling Saint-Alvold, alors exploité par la société CDF chimie/Atochem, aux droits de laquelle se trouve la société Total Petrochemicals France, lequel était inscrit sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) pour la période de 1952 à 1980 par arrêté ministériel du 3 juillet 2000 ; que ces salariés ont saisi la juridiction prud'homale le 24 mars 2014 pour obtenir réparation d'un préjudice d'anxiété ;

Attendu que les salariés font grief aux arrêts de déclarer leurs demandes irrecevables comme prescrites, alors, selon le moyen :

1°/ que jusqu'à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans ; que depuis cette loi, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que les salariés exposés à l'amiante ne peuvent avoir eu personnellement connaissance du risque à l'origine de l'anxiété qu'à compter du moment où ils ont pu bénéficier de l'allocation de cessation anticipée d'activité (ACAATA) et non à compter de l'arrêté ministériel ayant inscrit l'entreprise sur la liste des établissements permettant la mise en œuvre de ce régime légal spécifique ; qu'il est constant que le bénéfice de l'ACAATA ayant été accordé aux salariés avec effet au 1er janvier 2011, c'est à cette date qu'il a pu avoir connaissance de son exposition à l'amiante ; que c'est en conséquence cette date qui doit être retenue comme point de départ de la prescription de l'action en réparation de son préjudice d'anxiété ; qu'en considérant cependant qu'« il convient de fixer au 3 juillet 2000 le point de départ de la prescription opposable en l'espèce au salarié, soit la date de publication du classement du site CDF Chimie/Atochem dans la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA constituant le fait générateur de leur préjudice ainsi que l'élément objectif permettant de considérer qu'ils ont alors été informés des risques auxquels leur travail pouvait les exposer », la cour d'appel a violé l'article 2262 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, l'article 26-II de cette même loi, et l'article 2224 du code civil, ensemble l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et l'article L. 4121-1 du code du travail ;

2°/ que l'application systématique d'un délai de prescription limite le droit d'accès à un tribunal ; que le délai de prescription de l'action des salariés en réparation de leur préjudice d'anxiété en raison de leur exposition à l'amiante, initialement fixé à 30 ans, a été brutalement réduit à 5 ans par la loi du 17 juin 2008, ne permettant pas aux victimes d'exercer un recours effectif ; qu'en considérant cependant que l'action en indemnisation enfermée dans un délai réduit à 5 ans à compter de la date de publication du classement du site sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA, ne limitait pas le droit d'accès à un tribunal à la victime du préjudice d'anxiété, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel a retenu, à bon droit, que c'est à la date de l'arrêté ministériel ayant inscrit l'activité de la société sur la liste des établissements permettant la mise en œuvre du régime légal de l'ACAATA que les salariés avaient eu connaissance du risque à l'origine de leur anxiété en sorte que cette date constituait le point de départ du délai de prescription de leur action ;

Attendu, ensuite, qu'ayant relevé que les salariés, pour agir en réparation de leur préjudice d'anxiété, avaient d'abord disposé d'un délai de 30 ans à compter de l'arrêté du 3 juillet 2000, et qu'à partir du 19 juin 2008, ils avaient pu agir pendant 5 ans, la cour d'appel en a exactement déduit qu'il n'avait pas été porté atteinte à leur droit de saisir un tribunal tel que garanti par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Condamne MM. X..., Y... et Z... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept mars deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen commun produit par Me B..., avocat aux Conseils, pour MM. X..., Y... et Z..., demandeurs aux pourvois n° U 16-24.553, A 16-24.559 et D 16-24.562

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable pour être prescrite la demande formée par Monsieur Antoine X... au titre du préjudice d'anxiété,

AUX MOTIFS QUE "sur le point de départ de la prescription, L'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 a créé un dispositif spécifique destiné à compenser la perte d'espérance de vie que peuvent connaître des salariés en raison de leur exposition à l'amiante. Une allocation de cessation anticipée d'activité (ACAATA) est versée aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparations navales, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent certaines conditions. Par arrêté du 3 juillet 2000, l'usine de Carling-Saint-Avold exploitée par la CDF Chimie/Atochem, aux droits de laquelle vient en l'espèce la société Total, a été classée dans la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante pour la période de 1952 à 1980. Si M. X... a pu adhérer, au contraire de certains de ses collègues, au dispositif ACAATA, dont le bénéfice lui a été accordé avec effet au 1er janvier 2011, c'est bien parce qu'il avait travaillé dans l'usine pendant la période visée par cet arrêté. Contrairement à ce qu'affirme M. X..., le point de départ de la connaissance du risque à l'origine de l'anxiété à compter de l'arrêté ministériel ayant inscrit l'activité concernée sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre du régime légal spécifique, soit une date fixe, objective et propre à chaque établissement, identique pour l'ensemble des salariés d'une même entreprise, peu important que les décisions concernées fassent ou non l'objet d'une publication. En conséquence, il convient de fixer au 3 juillet 2000 le point de départ de la prescription opposable en l'espèce au salarié, soit la date de publication du classement du site CDF Chimie/Atochem dans la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA constituant le fait générateur de son préjudice ainsi que l'élément objectif permettant de considérer qu'il a alors été informé des risques auxquels son travail pouvait l'exposer.
Sur la durée de prescription applicable, L'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Selon l'ancien article 2262 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, cette prescription était de trente ans. L'article 2222, al. 2, prévoit qu'en cas de réduction de la durée du délai de prescription, le nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. Ce n'est que lorsque le préjudice d'anxiété est la conséquence d'une pathologie déclarée que la prescription de l'action en réparation est de 10 ans, en application des dispositions de l'article 2226 du code civil. En revanche, lorsque le préjudice d'anxiété ne résulte pas d'une atteinte à l'intégrité physique, l'action en réparation est soumise à la prescription quinquennale.
Sur le droit d'accès au juge, La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) juge que le droit d'accès à un tribunal n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l'État, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation et peut notamment définir des délais légaux de péremption ou de prescription qui ont plusieurs finalités importantes, dont celle de garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions. Toutefois, elle rappelle que ces limitations ne sauraient restreindre l'accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s'en trouve atteint dans sa substance même. Ainsi, dans un arrêt "Howald, Moor et autres c. Suisse"
rendu le 11 mars 2014, elle a jugé que l'application systématique du délai de prescription a limité le droit d'accès à un tribunal au point de constituer une violation de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme. Cependant, il s'agissait en l'espèce de victimes de l'amiante qui ne pouvaient être diagnostiquées que de longues années après les événements pathogènes et qui étaient ainsi privées de la possibilité de faire valoir leurs droits en justice. La CEDH a en effet estimé que dans les cas où il est scientifiquement prouvé qu'une personne est dans l'impossibilité de savoir qu'elle souffre d'une certaine maladie, cette circonstance devrait être prise en compte dans le calcul du délai de prescription. Or, M. X... ne se prévaut d'aucune pathologie, mais bien d'une anxiété consécutive au risque anormalement élevé auquel il est confronté de contracter une pathologie liée à son exposition à l'amiante, préjudice issu précisément de cette incertitude et qui prend naissance dès qu'il est censé avoir connaissance de l'existence de ce risque, ce en quoi l'espèce jurisprudentielle visée n'est pas transposable à sa propre situation. Dès lors, il convient de dire que l'action en indemnisation de ce préjudice, enfermée dans un délai réduit à 5 ans depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, ne limite pas le droit d'accès à un tribunal à celui qui se prévaut d'une tel préjudice, puisque le point de départ de son droit d'agir est déterminé par la date, certaine et précise, à laquelle il est admissible de dire que l'information sur son exposition au risque est communément accessible à toute personne placée dans une telle situation d'incertitude, immédiatement génératrice d'anxiété, et que le sort de ce recours n'est pas soumis au préalable d'un diagnostic révélant aléatoirement sa pathologie à une victime, voire à ses ayants-droits, de nombreuses années parfois après son exposition. M. X... disposait en effet dans un premier temps d'un délai de 30 ans s'exerçant précisément à compter de la publication de l'arrêté ministériel au Journal Officiel du 3 juillet 2003, classant l'usine de Carling-Saint-Avold où il a travaillé parmi les établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante. Il disposait encore d'un délai de 5 ans à compter du 19 juin 2008 pour agir, de sorte qu'aucune atteinte à son droit de saisir les tribunaux en vue de l'indemnisation de son préjudice d'anxiété n'a été portée à compter de la publication de l'arrêté ministériel au journal officiel. Or, il a saisi le conseil des prud'hommes de Forbach par requête enregistrée au greffe de cette juridiction le 26 mars 2014 seulement.
Il convient dès lors de déclarer irrecevable sa demande, en application des dispositions de l'article 122 du code de procédure civile" (arrêt, p. 3 à 5),

1°) ALORS QUE jusqu'à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans ; que depuis cette loi, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que les salariés exposés à l'amiante ne peuvent avoir eu personnellement connaissance du risque à l'origine de l'anxiété qu'à compter du moment où ils ont pu bénéficier de l'allocation de cessation anticipée d'activité (ACAATA) et non à compter de l'arrêté ministériel ayant inscrit l'entreprise sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de ce régime légal spécifique ;

Qu'il est constant que le bénéfice de l'ACAATA ayant été accordé à Monsieur Antoine X... avec effet au 1er janvier 2011, c'est à cette date qu'il a pu avoir connaissance de son exposition à l'amiante ; que c'est en conséquence cette date qui doit être retenue comme point de départ de la prescription de l'action en réparation de son préjudice d'anxiété ;

Qu'en considérant cependant qu'« il convient de fixer au 3 juillet 2000 le point de départ de la prescription opposable en l'espèce au salarié, soit la date de publication du classement du site CDF Chimie/Atochem dans la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA constituant le fait générateur de son préjudice ainsi que l'élément objectif permettant de considérer qu'il a alors été informé des risques auxquels son travail pouvait l'exposer », la cour d'appel a violé l'article 2262 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, l'article 26-II de cette même loi, et l'article 2224 du code civil, ensemble l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et l'article L. 4121-1 du code du travail ;

2°) ALORS QUE l'application systématique d'un délai de prescription limite le droit d'accès à un tribunal ;

Que le délai de prescription de l'action des salariés en réparation de leur préjudice d'anxiété en raison de leur exposition à l'amiante, initialement fixé à 30 ans, a été brutalement réduit à 5 ans par la loi du 17 juin 2008, ne permettant pas aux victimes d'exercer un recours effectif ;

Qu'en considérant cependant que l'action en indemnisation enfermée dans un délai réduit à 5 ans à compter de la date de publication du classement du site sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA, ne limitait pas le droit d'accès à un tribunal à la victime du préjudice d'anxiété, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 16-24553;16-24559;16-24562
Date de la décision : 07/03/2018
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Metz, 03 août 2016


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 07 mar. 2018, pourvoi n°16-24553;16-24559;16-24562


Composition du Tribunal
Président : Mme Farthouat-Danon (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : Me Carbonnier, SCP Gatineau et Fattaccini

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:16.24553
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award