LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Corentin X..., partie civile ;
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PARIS, 3e section, en date du 3 mars 2017, qui, dans l'information suivie sur sa plainte contre personne non dénommée du chef d'agression sexuelle, a constaté la prescription de l'action publique ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 10 janvier 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. de Larosière de Champfeu, conseiller rapporteur, M. Castel, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de M. le conseiller B... , les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général Y... ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 310 et 312 du code pénal alors applicables, 7, 591 et 593 du code de procédure pénale alors applicables, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à suivre ;
"aux motifs propres que le 1er septembre 2014, la brigade de protection des mineurs était saisie par le procureur de Paris aux fins d'audition de Corentin X... qui avait déposé une lettre plainte par l'intermédiaire de son avocat, dans laquelle il dénonçait des faits d'agression sexuelles commis sur lui par un dénommé Olivier Z... au cours de l'été 1985 ou 1986 (D 56) ; que le 3 septembre 2014, Corentin X... était entendu par les services de police ; qu'il relatait que dans son enfance, il passait ses étés dans la maison de campagne de sa mère située à Brossac ; qu'au cours de l'été 85 ou 86, il avait été laissé, avec ses deux soeurs âgées de 10 et 6 ans à la garde d'une jeune fille au pair du nom de Mme Angélique A... ; que cette jeune fille avait de nombreux amis dont un dénommé Olivier Z... ; qu'un jour, alors qu'il avait été laissé à la garde de ce dernier, sans accord préalable de sa mère, il aurait été agressé sexuellement par lui ; qu'ainsi, alors qu'ils étaient partis se baigner, Olivier Z... aurait conduit Corentin X... dans une cabine de change, il aurait enlevé son maillot de bain, se serait masturbé, aurait demandé à Corentin X... d'en faire autant puis l'aurait lui-même masturbé jusqu'à éjaculation ; que la scène se serait produite une seconde fois, le lendemain, Olivier Z... aurait alors indiqué à Corentin X... qu'il s'agissait d'un secret et ce dernier n'en aurait pas parle ni à Mme A... ni à sa mère ou à ses soeurs (D 57) ; qu'interrogé sur les conséquences de cet acte, Corentin X... évoquait avoir souffert pendant de nombreuses années d'activité de masturbation compulsive au point d'être désocialisé ; qu'il ajoutait avoir suivi dix ans de thérapie ; qu'il mettait cela en lien avec les faits subis ; qu'il souhaitait porter plainte afin que d'autres victimes de Olivier Z..., qu'il décrivait comme un jeune homme empreint de pulsions, soient identifiées ; que le 22 septembre 2014, Olivier Z... était entendu ; qu'il reconnaissait avoir sympathisé avec la mère de Corentin X... à Brossac et avoir fait fonction de baby-sitter à plusieurs occasions au cours de l'été ; que s'agissant des faits dénoncés par M. X..., il niait tout attouchement de nature sexuelle ; qu'il disait ne pas connaître Mme Angélique A... ; qu'il était effondré par de telles accusations qu'il ne s'expliquait pas (D59) ; que cette plainte faisait donc l'objet d'un classement sans suite le 15 juin 2015 au motif que les faits dénoncés ayant une nature correctionnelle, ils étaient donc prescrits et l'action publique éteinte (D53 à 61) ; qu'en parallèle de l'enquête de la brigade de protection des mineurs, une plainte avec constitution de partie civile était déposée par Corentin X... le 28 octobre 2014 ; qu'une information judiciaire était ouverte ; que le 16 septembre 2015, le ministère public sollicitait qu'une ordonnance de refus d'informer soit rendue au motif que les faits dénoncés étaient prescrits (D 48) ; que le 21 septembre 2015, une ordonnance était rendue afin de passer outre le refus d'informer du ministère public, ceci pour permettre l'audition de Corentin X... et s'assurer que les faits ne pouvaient pas revêtir une qualification criminelle (D 50) ; que Corentin X... était entendu en qualité de partie civile le 2 mars 2016 ; qu'il soutenait avoir été victime d'actes de masturbation de la part de Olivier Z..., commis entre l'été 1985 et 1986 alors qu'il était âgé de 9 ou 10 ans ; qu'interrogé sur d'éventuels actes de pénétration ou une tentative de pénétration, il confirmait qu'il s'agissait d'une agression sexuelle ayant consisté à lui toucher le sexe et l'avoir masturbé ( D52) ; qu'interrogé sur l'éventuelle prescription des faits dénoncés, il soutenait vouloir poursuivre Olivier Z... ; que par une note en date du 1er avril 2016, Corentin X... et son avocat souhaitaient que les fait dénoncés soient qualifiés de violences volontaires ayant entraîné une infirmité permanente, caractérisée par une angoisse permanente, une addiction handicapante aux images pornographiques et une pratique de masturbations compulsives ; que cette qualification présentée comme criminelle permettrait d'éviter l'écueil de la prescription correctionnelle ; que le 6 avril 2016, l'avis de fin d'information était rendu ; que par réquisitoire définitif en date du 21 avril 2016, le ministère public soutenait sa position initiale et requérait l'extinction de l'action publique compte tenu de la prescription des faits dénoncés par Corentin X... (D 71) ; que par deux demandes successives, formées après la notification du réquisitoire définitif, la partie civile sollicitait une confrontation entre Olivier Z... et Corentin X... ainsi que l'audition de Mme Angélique A... en qualité de témoin ; qu'il versait également une attestation émanant de son psychanalyste qui insistait, à des fins thérapeutiques, quant à la nécessité que l'agression sexuelle subie soit reconnue ; que Mme l'avocat général, dans ses écritures, requiert la confirmation de l'ordonnance ; que suivant mémoire en date du 20 février 2017, l'avocat de Corentin X... sollicite l'infirmation de l'ordonnance entreprise en ce que les faits dénoncés par le plaignant, qu'il affirme désormais avec certitude, avoir été commis au début de l'été 1985 et non plus en 1986 doivent être qualifiés de violences volontaires ayant entraîné une infirmité permanente par personne ayant autorité ; que dès lors, en application des dispositions de l'article 7 du code de procédure pénale, modifié par les lois du 10 juillet 1989 et 9 mars 2004, ces faits ne sont pas prescrits ; que la confrontation sollicitée est nécessaire à la manifestation de la vérité ; que s'agissant de l'audition de Mme Angélique A..., elle n'est plus utile ; que ceci étant exposé, l'ordonnance de non-lieu est ainsi motivée : « Corentin X... dénonce de manière constante, sérieuse et crédible des faits d'agressions sexuelles qu'il a subis entre 1985 et 1986. La crédibilité de ses propos n'est pas remise en cause ni même la réalité des agissements subis. Pour autant, s'agissant de caresses et d'actes masturbatoires imposés, ils ne peuvent que revêtir la qualification d'agression sexuelle sur mineur et non pas de viols, aucun acte de pénétration n'ayant été dénoncé ni établi. En effet, la qualification de violences volontaires ayant entraîné une mutilation permanente consisterait un réel détournement de procédure, pour échapper aux règles de prescription, en ce que les faits décrits sont de nature sexuelle et donc qualifiable d'agressions sexuelle et non pas de violences, outre le fait que ni la qualité de personne ayant autorité ni même l'existence d'une infirmité permanente ne résulte des pièces de la procédure. Au surplus, comme l'a justement relevé le Ministère Public, même sous cette qualification, les faits conserveraient une nature correctionnelle et ne modifierait en rien le régime de prescription. Dès lors les faits dénoncés ont été commis courant 1985 ou 1986, durant la minorité de partie civile et sont donc prescrits, s'agissant de faits de nature délictuelle, depuis l'été 1989 au plus tard. Les lois modificatives de prescription sont soit inapplicables au cas d'espèce soit postérieures à la prescription déjà acquise. Les demandes d'acte formulées par la partie civile son inutiles et doivent être écartées. En conséquence, constatons l'extinction de l'action publique pour cause de prescription s'agissant des faits d'agression sexuelle subis par Corentin X... entre 1985 et 1986 ; Disons n'y avoir lieu à suivre contre quiconque de ces chefs. Par ces motifs, déclarons n'y avoir lieu à suivre en l'état et ordonnons le dépôt du dossier au greffe pour y être repris s'il survenait des charges nouvelles » ; que pour retenir la qualification criminelle de violences volontaires ayant entraîné une infirmité permanente par personne ayant autorité, la partie civile fait valoir notamment que les faits dénoncés ont entraîné chez Corentin X... une infirmité permanente ; que la Cour de cassation définit l'infirmité permanente ainsi : « pour être qualifiée de permanente, l'infirmité doit être définitive et sans récupération aucune, seule étant visée l'atteinte dans sa portée irréversible, que ce qu'elle représente de particulièrement grave pour les victimes ; que l'incapacité, même permanente, se distingue de l'infirmité par son absence de caractère invalidant, qu'ainsi que l'a déjà jugé la cour de cassation, ne peut entrer dans le champ de cette qualification une fatigue intellectuelle rapide et un certain retard dans la pensée et l'élocution, fut-ce d'une manière permanente ; qu'en revanche peut être considérée comme souffrant d'une infirmité permanente la personne qui, du fait des violences volontaires dont elle a été la victime, présente une atteinte grave et définitive de ses facultés mentales, la rendant incapable de mener une vie indépendante ; qu'il s'agit donc d'une infirmité irréversible, entendue comme la privation irrémédiable de l'usage de ses facultés organiques ou intellectuelles, dépassant de simples gênes ou amoindrissements, seraient-ils permanents » ; qu'en l'espèce, Corentin X... évoquait en ces termes les conséquences des faits lors de son audition en qualité de partie civile par le magistrat instructeur, le 2 mars 2016 : « J'aimerais parler un peu des conséquences. J'ai mis très longtemps à les reconnaître. J'ai souffert et je souffre encore de mon addiction à la masturbation. Ça a été handicapant même pendant mes études. J'étais focalisé à mon addiction. J'ai fait une thérapie et j'ai pu faire le lien entre cette pratique compulsive et les faits dénoncés. Avec cette pratique compulsive, il y a tout ce qui va avec. L'incapacité à me mettre au travail, j'ai mis plusieurs années à me mettre au travail. Et lutter en permanence contre celte pulsion. Avoir une vie à côté et une vie sexuelle satisfaisante avec une femme. Je réalise qu'une vie existe, que tout le monde n'est pas comme moi », « Il y a beaucoup de conséquences. Je parle de la plus handicapante. Pour vous répondre, les autres sont le sentiment d'être souillé, de ne pas s'aimer physiquement... L'angoisse. Je suis angoissé en permanence sans raison. J'ai une très bonne situation, j'ai des amis. Pour vous répondre, je n'ai pas de vie sentimentale stable. Je change tous les trois ans. Je ne trouve pas de satisfaction avec la personne que j'aime et ai besoin d'aller chercher une compensation ailleurs, je n'arrive donc pas à construire une relation durable. Je somatise beaucoup. Je passe beaucoup d'examens médicaux pour m'entendre dire que je n'ai rien. J'ai passé dernièrement trois mois à m'occuper de mon coude. Je continue à faire du sport pour m'entretenir et mener une vie normale ; » ; que par ailleurs, M. Philippe C... , psychanalyste, mentionne dans un document écrit du 4 juillet 2016 (D75) que : « la reconnaissance du fait de l'agression sexuelle criminelle jouera le rôle du pouvoir thérapeutique, consolidant la contention hors du danger, pour lui » ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que les conséquences des faits ainsi décrites ne constituent pas une infirmité irréversible, entendue comme la privation irrémédiable de l'usage de ses facultés organiques ou intellectuelles, la rendant incapable de mener une vie indépendante dépassant de simples gênes ou amoindrissements, seraient-ils permanents. ; qu'aucun élément de la procédure ne permet non plus de caractériser l'autorité exercée par Olivier Z..., s'agissant d'un jeune garçon à l'époque des faits de 14 au 15 ans, ayant approché de manière ponctuelle Corentin X... au cours de vacances d'été ; qu'en conséquence, ces faits, à les supposer avérés, ne pouvant revêtir qu'une qualification délictuelle, sont prescrits depuis 1988 ; que partant, la confrontation sollicitée est inutile ;
"aux motifs éventuellement adoptés que Corentin X... dénonce de manière constante, sérieuse et crédible des faits d'agressions sexuelles qu'il a subis entre 1985 et 1986 ; que la crédibilité de ses propos n'est pas remise en cause ni même la réalité des agissements subis ; que pour autant, s'agissant de caresses et d'actes masturbatoires imposés, ils ne peuvent que revêtir la qualification d'agression sexuelle sur mineur et non pas de viols, aucun acte de pénétration n'ayant été dénoncé ni établi ; qu'en effet, la qualification de violences volontaires ayant entraîné une mutilation permanente consisterait un réel détournement de procédure, pour échapper aux règles de prescription, en ce que les faits décrits sont de nature sexuelle et donc qualifiable d'agressions sexuelles et non pas de violences, outre le fait que ni la qualité de personne ayant autorité ni même l'existence d'une infirmité permanente ne résulte des pièces de la procédure ; qu'au surplus, comme l'a justement relevé le ministère public, même sous cette qualification, les faits conserveraient une nature correctionnelle et ne modifierait en rien le régime de prescription ; que dès lors les faits dénoncés ont été commis courant 1985 ou 1986, durant la minorité de la partie civile et sont donc prescrits, s'agissant de faits de nature délictuelle, depuis l'été 1989 au plus tard ; que les lois modificatives de prescription sont soit inapplicables au cas d'espèce soit postérieures à la prescription déjà acquise ; que les demandes d'acte formulées par la partie civile son inutiles et doivent être écartées ; qu'en conséquence, constatons l'extinction de l'action publique pour cause de prescription s'agissant des faits d'agression sexuelle subi par Corentin X... entre 1985 et 1989 ; que disons n'y avoir lieu à suivre contre quiconque de ces chefs ;
"1°) alors que constitue une infirmité permanente et irréversible un état d'angoisse permanent résultant d'une addiction handicapante aux images pornographiques et d'une pratique de masturbations compulsives, prohibant toute activité professionnelle durable et relation personnelle stable ; qu'en jugeant qu'aucun élément de la procédure ne permettant de caractériser que Corentin X... serait atteint d'une infirmité permanente et irréversible après avoir relevé que la victime faisait état d'un état d'angoisse permanent pour lutter contre ses pulsions sexuelles et son addiction à la masturbation, le rendant incapable de travailler et d'avoir une vie sexuelle avec une femme ou une relation durable, la chambre de l'instruction qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a méconnu les dispositions susvisées ;
"2°) alors que la chambre de l'instruction ne peut écarter l'existence d'un lien d'autorité invoqué par une victime avec la personne qu'elle met en cause sans relever les circonstances particulières de fait déniant l'existence de toute autorité ; qu'en écartant tout lien d'autorité entre Corentin X..., très jeune garçon âgé de 8 ans, et Olivier Z... au regard des seules circonstances abstraites et inopérantes tenant à l'âge de Olivier Z... qui n'était pas majeur mais âgé de 14 ou 15 ans et le fait que les deux garçons n'avaient été en contact qu'occasionnellement lors des vacances d'été, après avoir pourtant relevé que Olivier Z... avait été le baby-sitter de Corentin X... pendant l'été, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, le 3 septembre 2014, Corentin X... a déposé une plainte avec constitution de partie civile pour des faits d'agressions sexuelles commises en 1985 ou en 1986, alors qu'il était adolescent et séjournait, pendant ses vacances, dans la maison de campagne familiale, par un homme plus âgé que lui, Olivier Z..., lequel a contesté les faits ; qu'une information a été ouverte pour agressions sexuelles sur mineur de 15 ans ; que, par ordonnance du 19 septembre 2016, après avoir rejeté une demande de la partie civile tendant à la requalification des faits en violences volontaires ayant entraîné une infirmité permanente par personne ayant autorité sur la victime, le juge d'instruction a constaté la prescription de l'action publique ; que Corentin X... a relevé appel de cette décision ; que, devant la chambre de l'instruction, la partie civile a de nouveau sollicité que soit retenue la qualification criminelle de violences volontaires ayant entraîné une infirmité permanente par une personne ayant autorité sur la victime ; que Corentin X... a fait valoir que l'infirmité consistait en une angoisse permanente, une addiction handicapante aux images pornographiques et une pratique compulsive de la masturbation, les faits ayant été commis alors qu'il se trouvait sous l'autorité d'Olivier Z... ;
Attendu que, pour écarter cette qualification criminelle et confirmer la prescription de l'action publique, l'arrêt attaqué retient, d'une part, que les doléances de Corentin X... ne caractérisent pas une infirmité permanente, qui implique la privation irrémédiable de l'usage d'une faculté organique ou intellectuelle, laquelle n'est pas établie en l'espèce, et, d'autre part, qu'aucun élément de la procédure n'établit l'existence d'un lien d'autorité entre Olivier Z... et Corentin X... à l'époque des faits ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision sans encourir les griefs du moyen, lequel ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-huit février deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.