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27/02/2018 | FRANCE | N°17-81457

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 27 février 2018, 17-81457


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

-
La société Electro Dépôt France,

contre l'arrêt de la cour d'appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date du 11 janvier 2017, qui, pour entrave à l'exercice régulier des fonctions d'un délégué du personnel, l'a condamnée à 5 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 9 janvier 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de p

rocédure pénale : M. Soulard, président, M. X..., conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller d...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

-
La société Electro Dépôt France,

contre l'arrêt de la cour d'appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date du 11 janvier 2017, qui, pour entrave à l'exercice régulier des fonctions d'un délégué du personnel, l'a condamnée à 5 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 9 janvier 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. X..., conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Bray ;

Sur le rapport de M. le conseiller X..., les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN et THIRIEZ, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général Y... ;

Vu le mémoire produit ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. Virgil H...      , délégué du personnel au sein de la société Electro Dépôt France (la société) a porté plainte du chef susvisé, invoquant, d'une part, sa mise à l'écart, exprimée dans un courrier électronique du 20 janvier 2012 rédigé par Mme Céline Z..., directrice du magasin de Lampertheim au sein duquel il avait été affecté, d'autre part, l'absence de tenue de réunion avec le délégué du personnel au cours des mois de mars et avril 2012 ; que la société ayant été renvoyée de ce chef devant le tribunal correctionnel et M. H...       et le syndicat du commerce et des services CGT 67 s'étant constitués parties civiles, les premiers juges ont renvoyé la société prévenue des fins de la poursuite et débouté les parties civiles de leur demande ; que le procureur de la République, les parties civiles et la société ont relevé appel de cette décision ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 2316-1 du code du travail, préliminaire, 388, 427 et 591 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné la société Electro Dépôt SAS, pour entrave à l'activité du délégué du personnel, à une amende de 5 000 euros et s'est prononcée sur les intérêts civils ;

"aux motifs que c'est par une analyse erronée des circonstances de l'espèce que les premiers juges ont considéré que l'absence de tenue de seulement deux réunions ne constitue pas une volonté habituelle de porter atteinte à l'exercice des fonctions des délégués du personnel et ne caractérise par la volonté de la Sas Electro Dépôt France de porter atteinte à l'exercice régulier des fonctions du délégué du personnel ; que c'est à juste titre que M. Virgil H...       souligne que les premiers juges ont donné au terme « régulier », une signification inexacte ; qu'en effet, dans l'esprit du législateur, le terme « régulier » doit s'entendre dans son acceptation première, à savoir dans sa conformité aux dispositions légales et réglementaires en vigueur ; qu'il a pour synonyme l'exercice normal de la fonction de délégué du personnel et est sans rapport avec la régularité mensuelle des réunions auxquelles l'employeur doit se soumettre en application de l'article L. 2315-8 alinéa 1 du code du travail ; qu'il est constant qu'aucun texte ne précise les modalités de la convocation que l'employeur doit adresser au délégué du personnel que celle-ci peut dès lors lui être adressée par tout moyen, sous condition de fiabilité cependant ; qu'en l'espèce, compte tenu du contexte conflictuel existant dans l'entreprise en raison du management désastreux mené par M. Christophe A..., licencié de ce fait et remplacé dans ses fonctions de directeur par Mme Céline Z..., il appartenait à cette dernière de prendre toutes les précautions pour éviter d'éventuelles contestations de M. H...       et cela d'autant plus qu'elle a déclaré dans le cadre de l'enquête que depuis son arrivée, « Virgil H...       m'a toujours déclaré qu'il était contre son entreprise et qu'il la traitait d'entreprise de destruction ou d'obstruction à l'action syndicale et professionnelle du délégué du personnel ... et que depuis des mois nos relations étaient tendues » ; que ces relations, qui étaient pour le moins délétères, commandaient à Mme Z..., qui prétend avoir remis la convocation en main propre à M. H...      , à faire cette remise contre décharge et, en cas de refus, de l'adresser à M. H...       par lettre recommandée avec accusé de réception ou encore par courrier électronique avec accusé de réception ; qu'eu égard aux contestations de M. H...       quant à la prétendue remise de la convocation en main propre pour la réunion du 31 mars 2012, Mme Z... ne peut valablement s'appuyer sur les annotations qu'elle a portées dans le registre spécial dans lequel ne sont consignées que les seules réclamations des délégués du personnel et les réponses qui y ont été apportées par la direction ; que, par ailleurs, son explication quant à l'absence de questions soumises par M. H...      , telle qu'avancée lors de l'enquête, ne pouvait en aucun cas la dispenser de tenir la réunion ; que s'agissant de la réunion du 30 avril 2012, la société Electro Dépôt France avance que celle-ci n'a pu se tenir du fait du comportement de M. H...       ; qu'elle développe à cet effet que M. H...       était en congé le samedi 28 avril, Mme Z... lui a proposé de lui remettre les questions le jour même, que lorsque Mme Z... lui a demandé les questions avant de commencer la réunion, ce dernier a refusé de la tenir au motif qu'il ne lui faisait pas confiance dès lors que ce délai de 48 heures n'était pas respecté ; que ces explications, contestées par M. H...      , sont mises à mal par le bulletin de paie du mois d'avril 2012 produit par M. H...       qui ne mentionne pas de jour de congé qui est invoqué pour justifier le report de la remise des questions le (jeudi) jour de la réunion ; que là encore, les annotations qui ont été portées par Mme Z... dans le registre ne sont pas de nature à établir que la réunion n'a pu se tenir en raison du refus exprimé par M. H...      , nul ne pouvant se constituer une preuve à lui-même ; que, par ailleurs, la société ne peut sérieusement soutenir « qu'il est évident que si les réunions du 31 mars et 30 avril 2012 n'avaient pas été tenues à l'initiative de Electro Dépôt, M. H...       lui aurait nécessairement demandé leur tenue » alors que la charge de la preuve de la remise de la convocation incombe à l'employeur ; que cette preuve ne peut davantage résulter de l'argumentation erronée des premiers juges qui reprochent à M. H...       de n'avoir jamais mis en demeure, voire même simplement demandé à la société de tenir les réunions alors que l'employeur a l'obligation de prendre l'initiative de la réunion mensuelle des délégués du personnel ; qu'il importe de rappeler à cet effet que la chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 27 septembre 2009 a décidé que l'article L. 424-1 du code du travail n'instituant aucune dérogation au principe de réunion mensuelle exigée par ce texte lorsque l'entreprise ne comporte qu'un seul délégué du personnel, ce qui est le cas en l'espèce, que l'inobservation de cette obligation ne peut être justifiée, hors le cas de force majeure, que si elle a pour cause le refus ou la défection du salarié ; que force est de constater que la société Brico Dépôt (sic) ne fait état d'aucun cas de force majeure et n'établit pas davantage que M. H...       a refusé d'assister aux deux réunions ou ne s'y est pas présenté après y avoir été convoqué par l'une ou l'autre modalité précédemment énoncée, les mentions portées par Mme Z... dans le registre des réunions des délégués du personnel ne pouvant tenir lieu de preuve ; qu'au regard de ce qui précède, c'est par une interprétation inexacte des textes et de la jurisprudence que les permiers juges ont considéré que dans la mesure où il apparaît que les réunions mensuelles des délégués du personnel ont été tenues avant mars 2012 et ont été tenues après avril 2012, l'absence de tenue de seulement deux réunions ne constitue pas une volonté habituelle de porter atteinte à l'exercice des fonctions des délégués du personnel et ne caractérise pas la volonté de la société Electro Dépôt France de porter atteinte à l'exercice régulier des fonctions de délégué du personnel alors qu'il apparaît que c'est délibérément que les dites réunions n'ont pas été tenues compte tenu des vives critiques formulées par Mme Z... à l'endroit de M. H...      , pris en sa qualité de délégué du personnel, critiques qui sont établies au regard des mentions portées sur le registre des délégués du personnel. Il est observé que la société Brico Dépôt (sic) s'est abstenue de tout développement sur ce point se contentant d'invoquer le comportement de M. H...       pour justifier de la non tenue des réunions, ainsi, il doit être admis que les réunions n'ont pas été tenues et que cette abstention constitue une atteinte directe et volontaire aux fonctions de délégué du personnel de M. H...       et caractérise l'élément intentionnel du délit d'entrave ;

"1°) alors que les juges doivent se prononcer sur les seuls faits visés dans l'acte de prévention ; que la société Electro Dépôt France a été poursuivie pour entrave résultant de l'omission de tenir deux réunions avec le délégué du personnel en mars et avril 2012 ; que ce délégué prétendait, dans sa plainte, qu'il avait été convoqué à la réunion de mars 2012, laquelle ne s'était pas tenue ; que l'inspection du travail avait seulement mis en cause le fait que les réunions ne s'étaient pas tenues en l'absence de questions présentées par le délégué du personnel ; qu'en estimant que l'entrave résultait de l'absence de convocation du délégué du personnel à la réunion du 30 mars 2012, la cour d'appel qui s'est prononcée sur des faits qui n'étaient pas visés à la prévention, a méconnu l'article 388 du code de procédure pénale ;

"2°) alors que subsidiairement tout prévenu étant présumé innocent tant que sa culpabilité n'est pas établie, la charge de la preuve des faits délictueux qu'il aurait commis incombe à la partie poursuivante ; qu'en retenant l'entrave par défaut de convocation du délégué du personnel à la réunion du 30 mars 2012, faute pour la société d'établir que cette convocation avait été adressée au délégué du personnel, la cour d'appel qui a inversé la charge de la preuve a méconnu l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article préliminaire ;

"3°) alors qu'en outre et enfin, la preuve d'un fait est libre, sauf si la loi en dispose autrement ; que bien qu'elle ait constaté que la convocation des délégués du personnel aux réunions mensuelles n'étaient pas soumises par la loi ou le règlement à des conditions de forme particulière, la cour d'appel a estimé que la société Electro Dépôt aurait dû cependant prendre la précaution d'adresser les convocations au délégué du personnel, par lettre recommandée avec accusé de réception et qu'en ne le faisant pas, la preuve de la convocation n'était pas rapportée ; qu'en refusant de retenir, à titre de preuve des convocations, les mentions portées par la directrice du magasin sur le registre spécial faisant état du refus du délégué du personnel d'y participer, notamment à la réunion du lundi, en estimant que ce registre ne pouvait porter que sur les questions-réponses et que nul ne pouvait se constituer de preuve à soi-même, la cour d'appel a méconnu le principe selon lequel la preuve d'un fait peut être apportée par tout moyen, même en faisant état de documents émanant de celui qui les invoque" ;

Attendu que, pour déclarer la société prévenue coupable du chef d'entrave à l'exercice régulier des fonctions d'un délégué du personnel au motif que celle-ci a omis de tenir les réunions mensuelles de délégué du personnel des mois de mars et avril 2012, l'arrêt relève, notamment, que la société n'a pas été en mesure de fournir la preuve qu'elle avait convoqué l'intéressé pour ces réunions autrement qu'en présentant des mentions rédigées par la directrice du magasin dans le registre spécial destiné à consigner les seules réclamations des délégués du personnel et les réponses apportées à ces dernières ; que les juges ajoutent que la société ne fait état d'aucun cas de force majeure et n'établit pas que M. H...       aurait refusé d'assister aux deux réunions en cause ou ne s'y serait pas présenté après y avoir été valablement convoqué ; qu'ils en déduisent que lesdites réunions n'ont pas été tenues et que cette abstention constitue une atteinte directe et volontaire aux fonctions de délégué du personnel caractérisant l'élément intentionnel du délit dont la société prévenue a été poursuivie ;

Attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, procédant d'une appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, la cour d'appel, qui n'a pas inversé la charge de la preuve, ni excédé sa saisine, a donné une base légale à sa décision, dès lors que commet le délit d'entrave à l'exercice régulier des fonctions d'un délégué du personnel, l'employeur qui s'abstient de convoquer ce délégué aux réunions mensuelles, et ce, nonobstant l'absence de régime légal de convocation obligatoire ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 2315-1 et suivants et L. 2316-1 du code du travail, 388, 427, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné la société Electro dépôt SAS, pour entrave à l'activité du délégué du personnel, à une amende de 5 000 euros et s'est prononcée sur les intérêts civils ;

"aux motifs que, contrairement à ce qui est soutenu par la société Brico Dépôt, le tableau "Forces/Faiblesses et Opportunités/Menaces" qui a fait l'objet du courrier électronique du 20 janvier 2012 n'a pas été établi à la seule initiative de Mme Z... ; qu'en effet, elle a déclaré lors de l'enquête qu'il a été élaboré de concert avec son supérieur hiérarchique, M. B..., ce que la société n'a pas contesté lors des débats devant la cour ; que ce tableau était destiné à être présenté à la réunion de l'ensemble des directeurs des magasins de la société qui s'est tenue à Metz ; que sa présentation lors de cette réunion a du reste suscité un émoi général de l'assemblée eu égard les mentions qui y ont été portées ; qu'en effet, le tableau mentionnait à la rubrique "diagnostic des menaces" : DP encore présent et virulent et à la rubrique "plan d'action" : DP à continuer à mettre à l'écart ; que Mme Z... et la société Electro Dépôt ne peuvent sérieusement soutenir qu'il s'agit d'une maladresse et que ce n'était pas la fonction de délégué du personnel qui était visée mais le comportement de l'individu en sa qualité d'équipier ; que les premiers juges pouvaient encore moins considérer que ce courrier électronique constitue « la simple expression, réelle ou maladroite, d'une volonté que l'article L. 2316-1 du code du travail ne réprime pas » et cela d'autant moins que Mme Z... a déclaré aux enquêteurs qu'elle assumait ses propos en ce qui concerne la mention « à continuer à mettre à l'écart » car « l'intéressé au lieu de protéger les salariés de par sa fonction, il leur inspire plutôt la peur et l'insécurité, de ce fait, je prends sur moi pour protéger mes salariés et mon magasin ... pour moi je devais l'isoler, car il a un mauvais impact sur l'ambiance du magasin, compte tenu de son comportement auprès de ses collègues et de ses fonctions de délégué du personnel » ; qu'il est dès lors patent que M. H...       était visé en sa seule qualité de délégué du personnel et non pas en sa qualité de salarié ; que du reste le comportement allégué, qui n'est corroboré par aucun fait précis, n'a donné lieu à aucun avertissement mais à la suspension des fonctions d'équipier de M. H...       dans le but d'éviter qu'il n'ait des contacts avec les employés du magasin ; que pour ce faire, il a été affecté à d'autres tâches ; qu' au surplus, les explications avancées par Mme Z... lors de la réunion du 25 février 2012 à propos des mentions portées sur le tableau sont mises à mal par son courrier électronique du 12 septembre 2011 qu'elle avait adressé à M. Stéphane C..., directeur des ressources humaines, en effet, on peut y lire, notamment : « Il faut comprendre que Virgil n'est pas quelqu'un qu'on peut déstabiliser par la force, justement, ça va le conforter dans son rôle de justicier. En analysant Virgil, ce qui le tient en haleine, c'est l'injustice, les rapports de forces », contre une entreprise qui leur ont fait du « mal », Regarde pourquoi Virgil s'est présenté au DP, juste parce que la relation qu'il avait avec Christophe était mauvaise » ; qu'ainsi pour Virgil, le seul moyen pour contrer Christophe était de prendre le pouvoir et rappeler à Christophe que les employés sont des êtres humains », tout ceci pour dire que si un autre directeur vient, je pense que Virgil va devenir méfiant vis à vis de moi et j'aurai plus d'emprise sur lui
. Pour l'instant, Virgil me laisse faire. si nous faisons venir des directeurs, nous risquons d'endommager la situation car Virgil peut par la suite nous coller « un harcèlement moral » si nous allons trop loin, et il en est tout à fait capable
en plus ils écoutent tout ce qu'il se trame et se font vite embarquer par Virgil H...       ,... pour l'instant je maîtrise Virgil
, mais maintenant si vous restez dans l'objectif de passer par un rapport de force je préfère t'annoncer de suite de ne pas me demander de faire des miracles .., car je doute de pouvoir continuer à maîtriser Virgil » ; qu'il ressort de ce courrier électronique que M. H...      , en sa qualité de délégué du personnel, constituait une gêne pour la société ce qui a motivé la mise en oeuvre de tout un processus pour stigmatiser et déstabiliser son activité de délégué du personnel et ce alors qu'il avait réussi à mettre un terme aux réunions « Pizza Form » qui se tenaient pendant les heures de pause et à imposer la rémunération des heures supplémentaires et ce non seulement pour le magasin de Lampertheim mais pour tous les magasins de la société ; que ce courrier électronique qui a précédé le tableau constitue incontestablement la preuve que M. H...       était dans le viseur de la société non pas en sa qualité de salarié mais en sa qualité de délégué du personnel ; que l'audition de certains salariés de la société qui ont affirmé n'avoir eu aucune consigne particulière pour tenir à l'écart M. H...      , pas plus que les attestations de salariés produites par la société Electro Dépôt ne sont pas suffisantes pour convaincre la cour de la pertinence de la thèse avancée par elle et cela d'autant moins qu'elle est contredite par les auditions d'autres salariés entendus dans le cadre de l'enquête de gendarmerie ; qu'ainsi, M. Mathieu D..., salarié de Electro Dépôt depuis 2012, a déclaré que s'il n'avait eu aucune consigne particulière concernant M. H...      , il n'en demeure pas moins qu'il a relaté que « quand nous discutions avec lui, il est vrai qu'il y avait toujours quelqu'un qui vient nous dire que nous ne sommes pas là pour discuter. Quand un chef passe, il nous fait comprendre sans le dire directement », Mme Johanna E... a fait des déclarations confirmant les propos de M. D..., M. Mathieu F..., qui a travaillé dans la société jusqu'en septembre 2011 a affirmé que « dès l'élection de M. H...       », même un peu avant, nous avons subi des pressions diverses et variées de la part de la direction extérieure de la chaîne qui nous faisait bien comprendre que les deux délégués du personnel (le délégué suppléant, M. Cyril G... qui a démissionné) allaient avoir des soucis et que le but était de les intimider et de s'en défaire", ces auditions viennent conforter le courrier électronique que Mme Z... a adressé à M. Stéphane C... le 12 septembre 2011 dans lequel elle a écrit « pour l'instant nous marchons sur des oeufs... et surtout nous tenons les nouveaux el les quelques anciens qui nous restent... tu le sais les autres ne tiennent pas le magasin et surtout sont issus de l'ancien encadrement et ils ont trop d'animosité envers l'entreprise » ; que ces éléments accréditent la thèse avancée par M. H...       au cours de l'enquête et selon laquelle la société s'est progressivement séparée de l'ancienne équipe pour procéder à de nouvelles embauches afin que les nouveaux embauchés aient le moins de contacts possibles avec lui ; qu'elle a ainsi procédé, de façon subtile, à sa mise à l'écart dans le seul but d'entraver l'exercice de ses fonctions de délégué du personnel ; qu'il est enfin démontré par la retranscription de la lecture du fichier vidéo que M. H...       était surveillé, pour le moins le 24 avril 2012, à l'aide d'une caméra qui révèle que ses collègues de travail passaient furtivement devant lui et lui adressaient brièvement la parole pour s'éloigner aussitôt ; qu'ainsi, la société Electro Dépôt n'est pas crédible à soutenir que M. H...       s'est mis à l'écart de son propre fait d'une part en ne se présentant pas aux réunions pour lesquelles il avait été régulièrement convoqué, d'autre part qu'il ne respectait pas les pointages alors qu'aucun avertissement ne lui a jamais été délivré de ce chef et enfin en ne remplissant pas les tâches qui lui incombaient en sa qualité d'équipier commercial alors qu'il avait été suspendu de ces pour être affecté à d'autres tâches ; qu'il résulte de l'ensemble des développements qui précèdent que M. H...       a été mis à l'écart non pas en sa qualité de salarié mais en sa qualité de délégué du personnel et que cette mise à l'écart s'est concrétisée dés avant l'élaboration du tableau litigieux qui mentionne, on ne peut plus clairement : « DP à continuer à mettre à l'écart » ; que cette mise à l'écart est confirmée au surplus par la modification de ses attributions dans le dessein de limiter ses contacts avec les autres salariés du magasin qui, pour l'essentiel, étaient des embauches récentes. Il apparaît ainsi que la société a délibérément mis en place une stratégie insidieuse ayant pour objectif d'entraver l'exercice par M. H...       de ses fonctions de délégué du personnel et ce après s'être progressivement séparée de ses anciens salariés pour renouveler son équipe et d'oeuvrer afin que celle-ci ait le moins de contact possible avec le délégué du personnel qui est, il est vrai, très revendicatif vis à vis de la hiérarchie en ce qui concerne le respect du droit du travail au sein du magasin ; que dès lors, la cour considère que tant d'élément matériel que l'élément moral du délit d'entrave sont caractérisés ;

"1°) alors que l'entrave à l'exercice de l'activité du délégué du personnel résulte de tout acte ou omission ayant pour but de rendre plus difficile la réalisation de ses missions et ne saurait résulter de propos ; que la société Electro Dépôt France a été poursuivie pour avoir entravé l'activité du délégué du personnel aux motifs que la directrice du magasin où travaillait le délégué du personnel avait diffusé, par courriel, une note faisant état de la nécessité de continuer à l'isoler ; qu'en estimant que ces propos étaient constitutifs d'entrave, la cour d'appel a méconnu l'article L. 2316-1 du code du travail ;

"2°) alors que les juges ne peuvent se prononcer sur d'autres faits que ceux visés à la prévention ; qu'en jugeant que la société Electro Dépôt avait entravé l'activité du délégué du personnel en l'isolant et qu'il était surveillé lorsqu'il s'entretenait avec les autres salariés de l'établissement, la cour d'appel qui déduit l'entrave de faits qui n'étaient pas visés à la prévention, a méconnu le principe sus-énoncé et l'article 388 du code de procédure pénale ;

"3°) alors que l'insuffisance de motifs équivaut au défaut de motifs ; qu'en n'expliquant quelles étaient les nouvelles tâches auxquelles le délégué du personnel aurait été affecté, sans relever aucune modification de son contrat de travail, sans préciser en quoi elle l'isolait des autres salariés dans des conditions ne lui permettant pas d'exercer ses fonctions et en quoi la surveillance de ses échanges avec les autres salariés n'entraient pas dans le cadre normal de l'activité de l'employeur pendant les heures de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;

Attendu que, pour déclarer la société prévenue coupable du chef d'entrave à l'exercice régulier des fonctions d'un délégué du personnel, motif pris de ce que, dans un courrier électronique interne du 20 janvier 2012, ladite société a exprimé sa volonté de continuer à isoler et à mettre à l'écart ce dernier, l'arrêt, après avoir noté que le courrier en cause avait été élaboré par Mme Z..., de concert avec sa hiérarchie, relève que ces écrits, loin de constituer la simple expression d'une volonté, non réprimée par la loi, a révélé la réalité d'un processus, déjà exprimé dans un document antérieur et dont la mise en oeuvre a été évoquée par plusieurs salariés, destiné à isoler M. H...       au sein de l'entreprise, en sa seule qualité de délégué du personnel ; que les juges ajoutent que la mise à l'écart de l'intéressé a été confirmée par la modification de ses attributions dans le dessein de limiter ses contacts avec les autres salariés du magasin ; qu'ils en déduisent la mise en place d'une stratégie ayant pour objet d'entraver l'exercice par la partie civile de ses fonctions de délégué du personnel dans un contexte de renouvellement du personnel ;

Attendu qu'en prononçant par ces motifs, exempts d'insuffisance comme de contradiction, la cour d'appel, qui n'a pas excédé sa saisine, en ce que la société prévenue n'a été déclarée coupable du chef d'entrave à l'exercice régulier des fonctions d'un délégué du personnel à l'égard de M. H...       que pour la mise à l'écart de ce dernier au sein de l'entreprise exprimée dans le courrier électronique en cause, le constat de la réalité de cette mise à l'écart n'étant pris en compte que dans l'administration de la preuve des seuls faits poursuivis, et qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions régulièrement déposées devant elle, a caractérisé en tous ses éléments, tant matériel qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré la société prévenue coupable ;

D'où il suit que le moyen, qui revient à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être accueilli ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 2316-1 du code du travail, 121-2 du code pénal, 459, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné la société Electro Dépôt France SAS, pour entrave à l'activité du délégué du personnel, à une amende de 5 000 euros et s'est prononcée sur les intérêts civils ;

"aux motifs que la société soutient qu'elle n'est pour rien dans la rédaction et la diffusion du tableau en cause, début 2012 dont les éléments litigieux ont été retirés dés après sa présentation aux collègues et cadres supérieurs d'Electro Dépôt lors de la réunion d'objectifs de sorte qu'aucune volonté d'entraver les fonctions du délégué du personnel ne peut être relevée à son encontre du chef de ce « power point » ; que pour étayer son absence de responsabilité pénale elle argue de sa politique de dialogue social exemplaire pour avoir mis en place une politique sociale et de concertation, d'information et de négociation avec l'ensemble des représentants du personnel et des forces syndicales ; que dans le cadre du présent litige, il n'appartient pas à la cour d'apprécier la qualité de la politique, sociale, de dialogue, de concertation mise en place par la société Electro Dépôt au sein des divers magasins exploités sous son enseigne mais de déterminer si, en l'espèce, elle a commis les faits d'entrave qui lui sont reprochés ; que force est de constater que l'élément matériel et moral (ou intentionnel) du délit a été suffisamment caractérisé par les développements qui précèdent et que les faits ont été commis pour le compte de la société par l'un de ses représentants, à savoir Mme Z..., directrice du magasin de Lampertheim dont il n'a pas été soutenu qu'elle ne pouvait pas engager la responsabilité de la société pour ne pas être titulaire d'une délégation de pouvoir aux fins d'assurer la gestion du magasin dont elle avait la charge ; qu'en tout état de cause, il apparaît que les agissements de Mme Z... ne résultent pas de sa seule volonté mais de celle de la direction générale de la société pour tenter d'évincer par tous moyens M. H...       ;

"1°) alors que les personnes morales ne sont pénalement responsables que des infractions commises en leur nom et pour leur compte par leurs représentants ou leurs organes ; qu'une personne morale ne peut se voir imputer une infraction commise par l'un de ses employés, qui n'est ni légalement ni statutairement un organe ou représentant, que s'il est établi que ce salarié était muni d'une délégation de pouvoirs lui permettant d'agir en toute indépendance ; qu'il appartient aux seules parties poursuivantes d'établir cette délégation de pouvoirs lorsqu'elle n'est pas invoquée par la personne morale poursuivie ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu la responsabilité de la société Electro Dépôt France aux motifs que l'entrave à l'activité du délégué du personnel a été commise par Mme Z..., dont la société n'a pas soutenu qu'elle ne disposait pas d'une délégation de pouvoirs ; que, dès lors que la société Electro Dépôt France soutenait que Mme Z... avait agi en contradiction avec la politique de l'entreprise et que la note de cette dernière faisant état de la nécessité de continuer à isoler le délégué du personnel qui avait choqué les autres directeurs de magasin, avait été retirée immédiatement après les faits, en n'établissant pas la réalité d'une délégation de pouvoirs que la société poursuivie n'invoquait pas, celle-ci contestant au contraire la possibilité de lui imputer l'infraction commise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

"2°) alors que la contradiction et l'insuffisance de motifs équivalent au défaut de motifs ; qu'en prétendant que les actes reprochés à Mme Z... exprimaient la volonté de la direction générale, la cour d'appel n'a ainsi pas exclu que Mme Z... n'ait pas agi en toute indépendance, condition nécessaire pour retenir la délégation de pouvoirs ; qu'ainsi, elle a encore privé sa décision de base légale ;

"3°) alors que la cour d'appel qui impute l'infraction à la société aux motifs que les actes de la salariée exprimaient la volonté de la direction générale, sans préciser quel représentant ou organe de la direction générale qui aurait été en charge des relations avec les institutions représentatives du personnel, aurait donné son accord aux actes de Mme Z... et quels éléments de preuve l'établissaient, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale ;

"4°) alors que les personnes morales ne sont responsables que des infractions commises pour leur compte ; qu'elles ne sauraient être responsables d'infractions commises en contradiction avec sa politique, manifestant un excès de pouvoirs ; qu'en estimant qu'elle n'avait pas à se prononcer sur le moyen de défense tiré du fait que les actes commis par Mme Z... n'avaient été en contradiction avec la politique de la société et que celle-ci avait fait supprimé le tableau litigieux que cette salariée avait diffusé par courriel, la cour d'appel a méconnu l'article 121-2 du code pénal" ;

Attendu que, pour déclarer la société prévenue coupable du chef d'entrave à l'exercice régulier des fonctions d'un délégué du personnel, l'arrêt relève, outre les éléments constitutifs du délit matérialisé dans l'omission de tenir les réunions mensuelles de délégué du personnel des mois de mars et avril 2012 et dans le courrier électronique du 20 janvier 2012 exprimant la volonté de la société de continuer à isoler et à mettre à l'écart le délégué du personnel, que les faits ont été commis pour le compte de la société par l'un de ses représentants, identifié en la personne de Mme Z..., directrice du magasin de Lampertheim, au sujet de laquelle il n'a pas été soutenu qu'elle ne pouvait pas engager la responsabilité de la société pour ne pas être titulaire d'une délégation de pouvoir aux fins d'assurer la gestion du magasin dont elle avait la charge ; que les juges ajoutent que les agissements de cette directrice ne résultent pas de sa seule volonté, mais de celle de la direction générale de la société dans le but d'évincer M. H...      , délégué du personnel ;

Attendu qu'en l'état de ces seules énonciations, exemptes d'insuffisance comme de contradiction, dont il se déduit que la cour d'appel, qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions régulièrement déposées devant elle, a relevé une faute d'un représentant de la société Electro Dépôt France, en la personne de la directrice du magasin précitée, laquelle, investie des pouvoirs correspondants et des moyens de leur mise en œuvre, ce dont il se déduit une délégation de pouvoirs de fait, a agi pour le compte de la société et ainsi engagé la responsabilité pénale de la personne morale au sens de l'article 121-2 du code pénal, a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen, nouveau en sa première branche et comme tel irrecevable, doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-sept février deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 17-81457
Date de la décision : 27/02/2018
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Colmar, 11 janvier 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 27 fév. 2018, pourvoi n°17-81457


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:17.81457
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