LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'Eric Y..., employé depuis 2001 par la société Airbus Hélicopters, anciennement dénommée Eurocopter, a été assassiné le 1er septembre 2011 à Bangkok, en Thaïlande ; que sa veuve, Mme X..., a saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infraction pour obtenir réparation de ses préjudices ;
Attendu que pour allouer à Mme X... la somme de 1 924 266 euros au titre du préjudice économique, l'arrêt, après avoir relevé qu'au moment de son décès, Eric Y... était employé par la société Eurocopter dans le cadre d'un contrat à durée déterminée d'une durée de deux ans qui arrivait à son terme le 30 septembre 2011 et qui était en cours de renouvellement, énonce qu'à long terme, son employeur avait le projet de lui offrir un contrat permanent, qu'un accord verbal était intervenu pour lui proposer un contrat à durée indéterminée avec une évolution de son poste et de son salaire sur des responsabilités plus importantes, que les différentes attestations de formation qu'Eric Y... a suivies de façon régulière entre 2001 et 2011 témoignent également de son investissement dans son entreprise et de la volonté de son employeur de conserver ce salarié, et qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments qu'Eric Y... avait
une situation stable et pérenne au sein de son entreprise, de sorte que le préjudice économique de ses ayants droit devait être calculé en fonction d'un revenu professionnel définitif et non d'une simple perte de chance ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations qu'Eric Y... était décédé avant que n'ait été conclu un nouveau contrat de travail à durée indéterminée et qu'au terme du contrat à durée déterminée le liant à son employeur, le préjudice économique subi par sa veuve en raison du décès de son mari ne pouvait consister qu'en la perte de chance, pour ce dernier, d'avoir pu bénéficier d'un tel contrat à durée indéterminée, la cour d'appel a violé le principe susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il alloue à Mme X..., veuve Y..., la somme de 1 924 266 euros au titre du préjudice économique, l'arrêt rendu le 13 octobre 2016, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme X... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Delvolvé et Trichet, avocat aux Conseils, pour le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorismes et d'autres infractions
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir fixé le montant du préjudice économique de Mme Valérie X... consécutif au décès de M. Eric Y... à la somme de 1.924.266 euros ;
Aux motifs propres que « il ressort des pièces produites qu'au moment de son décès M. Eric Y... travaillait pour le compte de la société Eurocopter dans le cadre d'un contrat à durée déterminée de deux ans ; que M. Eric Y... a été employé par Airbus Helicopters (anciennement Eurocopter) sans discontinuité depuis 2001 et avant son décès, la société était en train de renouveler son contrat qui finissait le 30 septembre 2011 ; que les attestations produites aux débats émanant de la direction de l'entreprise témoignent de la très haute estime dans laquelle M. Y... était tenu sur le plan professionnel, dont l'activité était qualifiée d'exceptionnelle y compris auprès des sociétés clientes de l'entreprise, ainsi qu'en atteste la construction par l'une d'entre elles d'une école en mémoire de celui-ci ; que M. B..., directeur général de Airbus Helicopters South East Asia (anciennement Eurocopter) confirme qu'ils n'avaient jamais envisagé se séparer de M. Eric Y..., qu'à long terme il y avait un projet de lui offrir un contrat permanent et qu'un accord verbal était intervenu pour lui proposer un contrat à durée indéterminée avec une évolution de son poste et de son salaire sur de plus importantes responsabilités ; que les différentes attestations de formations que M. Eric Y... a suivies de façon régulière entre 2001 et 2011 témoignent également de son investissement dans son entreprise et de la volonté de son employeur de conserver ce salarié ; qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments que M. Eric Y... avait une situation professionnelle stable et pérenne au sein de son entreprise, ainsi que l'a relevé le premier juge qui à juste titre a calculé le préjudice de ses ayants droit en raisonnant à partir d'un revenu professionnel définitif et non pas d'une simple perte de chance comme le sollicite le Fonds de Garantie ; qu'il ressort des pièces versées aux débats (bulletins de salaire) qu'au moment de son décès, M. Eric Y... percevait un salaire [...] de 14.200 dollars singapouriens, soit après conversion en euros un revenu mensuel de 8.189,05 € et pour une année 98.268,60 € ; qu'il n'y a pas lieu ainsi que le demande le Fonds de Garantie de déduire du revenu professionnel une partie de son salaire constitutive des avantages en nature liés au coût de la vie pour les expatriés ; que le principe de la réparation intégrale du préjudice commande en effet de retenir comme base de calcul l'intégralité du revenu de la personne décédée y compris les avantages en nature soumis à l'imposition et dont la famille de M. Eric Y... sera désormais privée alors qu'elle doit continuer après son décès à exposer des frais notamment pour se loger; qu'à cette somme s'ajoute le montant d'une retraite que M. Y... percevait, soit 9.670,32 € par an ; que Mme Y... ne disposait quant à elle d'aucun revenu de sorte que les revenus annuels du foyer avant décès peuvent être fixés à 98.268,60 € +
9.670,32 € soit 107.938,92€ ; que les parties s'accordent pour considérer que la part de ce revenu consommé par la victime peut être fixée à 25 %, soit 26.984,73 € ; que Mme Y... perçoit désormais une pension mensuelle de réversion de 420,82 €, soit pour l'année 5.049,84 € ; que la perte financière annuelle du foyer peut donc être fixée à 107.938 ,92 € - (26.984,73€ + 5.049,84€) soit 75.904,35 € ; qu'il est nécessaire pour calculer le préjudice viager du foyer de capitaliser cette perte financière annuelle ; que c'est à bon droit que le premier juge a fait application du barème de capitalisation publié dans la gazette du Palais du 27 et 28 mars 2013 qui repose sur des critères actualisés prenant en considération : -les tables d'espérances de vie les plus récentes publiées par l'Insee (table définitive Insee 2006-2008 France entière) – un taux d'intérêt de 1,20% inférieur à ceux des précédents barèmes, mais qui prend en compte l'évolution du coût de la vie et du taux d'inflation ; qu'après application de ce barème, compte-tenu de l'âge de la victime au moment de son décès, soit 42 ans, le préjudice viager du foyer peut être fixé à 75.904,35 € x 28,861, soit 2.190.675€ ; qu'à ce stade du raisonnement, il n'y avait pas lieu ainsi que l'a retenu le premier juge de calculer le préjudice économique de Madame Y... sur la base d'un simple pourcentage du préjudice viager du foyer, ce calcul ne prenant pas en compte le fait qu'à compter du jour où les enfants seront indépendants financièrement, Madame Y... a vocation à bénéficier de l'intégralité de l'indemnité compensant le préjudice viager du foyer ; qu'il est nécessaire de calculer d'abord le préjudice économique de chacun des enfants, celui de la veuve étant constitué de la différence ; que les parties s'accordent pour considérer que chacun des enfants absorbe 20% des revenus du foyer ; que Madigan était sur le point d'avoir 17 ans lors du décès de son père et Cameron avait 13 ans ; qu'après capitalisation sur la base d'un euro de rente temporaire limité à 25 ans, étant précisé que les taux sollicités par l'appelante sont légèrement inférieurs que ce qui ressort du barème, leur préjudice économique peut être fixé ainsi à – Madigan 75.904,35 € x 20% x 7,209 soit 109.438,89 € , - Cameron 75.904,35 € x 20% x 10,340 soit 156.970,19€ ; qu'après déduction de ces deux montants, il revient à Mme Y... au titre de son préjudice la somme de 2.190.675 € - (109.438,89 + 156.970,19€) soit 1.924.266 € ; qu'il convient dès lors, réformant le jugement de ce chef, d'allouer à Madame Y... la somme de 1.924.266 € au titre de son préjudice économique » ( p.4 §6 – p.6 §9) ;
Et aux motifs expressément adoptés que : « le décès du parent actif engendre pour les survivants un préjudice économique dont le processus d'évaluation consiste à rechercher la perte annuelle pour les survivants (épouse, enfants) et à la répartir entre eux en fonction de la durée pendant laquelle ils pouvaient normalement y prétendre ; qu'il est acquis aux débats que Madame veuve Y... ne percevait aucun revenu et que les ressources du ménage étaient constituées par les revenus de feu Eric Y... ; qu'un point de discussion existe entre les parties sur le fait de savoir si l'activité de Monsieur Y... était stable et pérenne ; qu'au vu des pièces fournies, le Fonds de Garantie indique qu'il accepte de raisonner à partir d'une salaire annuel de 54 132 € à la date du décès jusqu'à la date de renouvellement du contrat auprès d'Eurocopter soit le 30 septembre 2013, mais que par la suite, il n'est pas certain que le contrat de Monsieur Y... aurait été renouvelé et qu'ainsi l'indemnisation ne peut reposer sur un calcul viager mais sur la notion de « perte de chance » ; qu'il ressort cependant des pièces fournies et notamment de l'attestation d'Eurocopter en date du 6 décembre 2013 que Monsieur Y... était un employé dévoué, que la société au moment de son décès était en train de renouveler son contrat et qu'il y avait à long terme un projet offrant un contrat permanent avec le même salaire ; que dès lors la stabilité de la situation professionnelle de Monsieur Y... est suffisamment démontrée ; qu'il y a donc lieu de statuer comme suite : - détermination du revenu annuel du ménage avant le décès, au vu des pièces produites et alors qu'il a été relevé ci-dessus la stabilité de la situation de Monsieur Y... ( l'épouse étant quant à elle sans revenu), le salaire mensuel moyen perçu par le défunt peut être évalué à la somme de 14 200 $ Singapour (le bulletin de salaire d'août 2011 retient ainsi 14 200 $Singapour, celui de juillet 2011 14 350,75 $ Singapour, celui de juin 2011 14 200 Singapour ; celui de mai 2011 14 800 $ Singapour
.) soit après conversion en euros, selon la valeur 2011 la somme mensuelle de 8 189,05 € et des revenus annuels de 98 268,60 € ; que le défunt percevait en outre une pension de retraite ( 805,86€ par mois selon le bulletin de pension du 6 septembre 2011) soit à retenir annuellement 805,86 x 12 = 9 670,32, soit un revenu annuel de 107 938,92 € » (p. 3 § 10- p.4 §6) ;
Alors que la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable constitue une perte de chance dont la réparation ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ; qu'en l'espèce, les juges du fond ont constaté que M. Y... bénéficiait d'un contrat de travail à durée déterminée qui était en cours de renouvellement pour une période de deux ans au moment de son décès et, qu'à long terme, son employeur avait le projet de lui proposer un contrat à durée indéterminée ; qu'en relevant néanmoins que M. Y... avait une situation stable et pérenne dans l'entreprise pour calculer le préjudice économique de ses ayants droit sur la base de la perte viagère d'un revenu professionnel définitivement acquis, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que leur préjudice économique, au terme du contrat à durée déterminée en cours de renouvellement au moment du décès de leur auteur, consistait seulement en la perte d'une chance de voir un projet de conclusion d'un contrat à durée indéterminée se concrétiser, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
Alors, subsidiairement, que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé sans perte ni profit pour les victimes ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'une partie du salaire mensuel versé à M. Y... correspondait à des avantages en nature destinés à couvrir le coût élevé de la vie pour les expatriés ; qu'en retenant comme base de calcul du préjudice économique de ses ayants droit l'intégralité des sommes versées à la victime sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si, dès lors que la famille de M. Y... n'était plus domiciliée à l'étranger et ce, depuis le décès, elle avait subi un préjudice du fait de la perte de la partie du salaire constitutive d'avantages en nature liées au coût de la vie pour des expatriés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable au litige, ensemble le principe de réparation intégrale du préjudice.