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07/02/2018 | FRANCE | N°16-27307

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 07 février 2018, 16-27307


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que les représentants des employeurs et des organisations syndicales représentatives des salariés du secteur de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie, soumis à la convention collective nationale étendue des entreprises artisanales relevant de ce secteur, ont conclu, le 24 avril 2006, un avenant n° 83 à cette convention collective par lequel ils ont décidé de me

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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que les représentants des employeurs et des organisations syndicales représentatives des salariés du secteur de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie, soumis à la convention collective nationale étendue des entreprises artisanales relevant de ce secteur, ont conclu, le 24 avril 2006, un avenant n° 83 à cette convention collective par lequel ils ont décidé de mettre en oeuvre un régime de remboursement complémentaire obligatoire des frais de santé pour les salariés entrant dans le champ d'application de ce secteur ; qu'AG2R prévoyance a été désignée aux termes de l'article 13 de cet avenant pour gérer ce régime et l'article 14 a imposé à toutes les entreprises entrant dans le champ d'application de l'avenant n° 83 de souscrire les garanties qu'il prévoit à compter du 1er janvier 2007 ; que l'accord a été étendu au plan national, par arrêté ministériel du 16 octobre 2006, à toute la branche de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie ; qu'AG2R prévoyance a été désignée par les partenaires sociaux, pour une nouvelle durée de cinq ans, comme unique gestionnaire du régime, aux termes d'un avenant n° 100 du 27 mai 2011 étendu par arrêté du 23 décembre 2011 ; que M. Y..., exerçant la profession de boulanger-patissier, ayant refusé de s'affilier au régime géré par AG2R prévoyance, cette dernière a, par acte du 25 janvier 2012, saisi le tribunal de grande instance pour obtenir la régularisation de l'adhésion de la société et le paiement des cotisations dues pour l'ensemble de ses salariés depuis le 1er janvier 2007 ; que par décision du 8 juillet 2016, le Conseil d'Etat a annulé l'article 6 de l'arrêté du 23 décembre 2011 ; que l'institution AG2R prévoyance est devenue AG2R Réunica prévoyance ;

Attendu que pour faire application de l'article 14 de l'avenant n°83 du 26 avril 2006 étendu par arrêté ministériel du 16 octobre 2006, la cour d'appel retient que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 13 juin 2013, a énoncé que la déclaration d'inconstitutionnalité n'était pas applicable aux contrats pris sur ce fondement en cours lors de la publication de la décision et liant les entreprises à celles qui sont régies par le code des assurances, aux institutions relevant du titre III du code de la sécurité sociale et aux mutuelles relevant du code de la mutualité, et qu'il en résulte que les demandes de M. Y... relatives à l'illégalité ou l'illicéité de la clause de migration ou encore de la liberté d'adhésion ne peuvent qu'être rejetées ;

Attendu cependant, d'abord, que la Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt du 17 décembre 2015 (C-25/14 et C-26/14), a dit pour droit que c'est l'arrêté d'extension de l'accord collectif confiant à un unique opérateur, choisi par les partenaires sociaux, la gestion d'un régime de prévoyance complémentaire obligatoire au profit des salariés, qui a un effet d'exclusion à l'égard des opérateurs établis dans d'autres Etats membres et qui seraient potentiellement intéressés par l'exercice de cette activité de gestion ; qu'il apparaît que dans un mécanisme tel que celui en cause, c'est l'intervention de l'autorité publique qui est à l'origine de la création d'un droit exclusif et qui doit ainsi avoir lieu dans le respect de l'obligation de transparence découlant de l'article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Attendu ensuite qu' il résulte du principe d'effectivité issu des dispositions de ce Traité, telles qu'elles ont été interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que le juge national chargé d'appliquer les dispositions du droit de l'Union a l'obligation d'en assurer le plein effet en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire ; qu'à cet effet, il doit pouvoir, en cas de difficulté d'interprétation de ces normes, en saisir lui-même la Cour de justice à titre préjudiciel ou, lorsqu'il s'estime en état de le faire, appliquer le droit de l'Union, sans être tenu de saisir au préalable la juridiction administrative d'une question préjudicielle, dans le cas où serait en cause devant lui, à titre incident, la conformité d'un acte administratif au droit de l'Union européenne ; qu'il en résulte que l'arrêté du 16 octobre 2006 simplement précédé de la publicité prévue à l'article L. 133-14 du code du travail, alors applicable, qui ne peut être regardée comme ayant permis aux opérateurs intéressés de manifester leur intérêt pour la gestion des régimes de prévoyance concernés avant l'adoption de la décision d'extension, incompatible avec les règles issues du droit de l'Union tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, doit voir son application écartée en l'espèce ;

Qu'en statuant comme elle l'a fait, sans constater que M. Y... était adhérent d'une organisation professionnelle signataire de l'avenant numéro n°83 du 24 avril 2006 étendu par l'arrêté du 16 octobre 2006, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit applicable à M. Y... l'article 14 de l'avenant n°83 du 26 avril 2006, étendu par arrêté ministériel du 16 octobre 2006, l'arrêt rendu le 6 octobre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Condamne la société AG2R Réunica prévoyance aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société AG2R Réunica prévoyance à payer à M. Y... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept février deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour M. Y....

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué D'AVOIR débouté monsieur Y... de toutes ses demandes fondées sur la clause dite de migration stipulée à l'article 14 de l'avenant nº83 du 26 avril 2006, étendu par arrêté ministériel du 16 octobre 2006 ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE la clause dite de migration (article 14 de l'avenant nº83 du 24 avril 2006, étendu par arrêté ministériel du 16 octobre 2006) imposait à celles des entreprises qui étaient dotées d'un dispositif propre de couverture pour les risques couverts par l'accord de branche, y compris lorsque le niveau de garantie offert à ce titre était plus favorable que celui offert par l'organisme désigné par l'accord de branche, de résilier leur contrat d'assurance et de se placer sous le régime défini par l'accord de branche et mis en oeuvre par l'organisme désigné par cet accord ; que cette clause se fondait sur les articles L. 912-1 du code de la sécurité sociale, pris ensemble le deuxième alinéa de l'article L. 132-23 du code du travail, tels qu'interprétés par une jurisprudence constante de la Cour de cassation, selon laquelle l'adaptation évoquée par ces textes des conventions ou accords conclus antérieurement à la désignation d'un organisme unique de gestion de la complémentaire-santé imposait l'adhésion de l'entreprise au régime géré par l'institution désigné par l'accord collectif ; que la Cour de justice de l'Union européenne avait, par ailleurs, dans son arrêt du 3 mars 2011 (C-437/09), prononcé sur une question préjudicielle se rapportant précisément à l'avenant en cause dans le présent litige, relevé que le degré élevé de solidarité du régime concerné, en raison notamment du caractère forfaitaire des cotisations et de l'obligation d'accepter tous les risques, qui rendait le service offert moins compétitif qu'un service comparable fourni par des compagnies d'assurances non soumises à de telles contraintes, « contribu[ai]ent à justifier le droit exclusif de cet organisme de gérer un tel régime, sans qu'aucune dispense d'affiliation ne soit possible », ajoutant que « la suppression de la clause de migration pourrait aboutir à une impossibilité pour l'organisme concerné d'accomplir les missions d'intérêt général qui lui [avaient] été imparties dans des conditions économiques acceptables » pour conclure que les articles 102 TFUE et 106 TFUE, à les supposer applicables à la gestion d'un régime de remboursement complémentaire de frais de santé, « d[evai]ent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'oppos[ai]ent pas à ce que les pouvoirs publics investissent un organisme de prévoyance du droit exclusif de gérer ce régime, sans aucune possibilité pour les entreprises du secteur d'activité concerné d'être dispensées de s'y affilier » ; que monsieur Y... se prévalait cependant de la décision ultérieure en droit interne du Conseil constitutionnel en date du 13 juin 2013 (DC nº2013-672) qui avait jugé que les dispositions de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale portaient à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi de mutualisation des risques et avait déclaré ce texte non conforme à la Constitution ; que le Conseil constitutionnel avait par ailleurs énoncé dans un considérant 14, auquel faisait référence le dispositif de sa décision, que cette déclaration d'inconstitutionnalité n'était pas applicable aux contrats pris sur ce fondement, en cours lors de la publication de la décision et liant les entreprises à celles qui étaient régies par le code des assurances, aux institutions relevant du titre III du code de la sécurité sociale et aux mutuelles relevant du code de la mutualité ; que les contrats en cours visés par cette décision ne pouvaient être, comme le soutenait monsieur Y... ni les contrats antérieurement souscrits par des entreprises avec un autre organismes gestionnaire que l'organisme désigné par l'accord de branche - ce qui aurait pour effet comme il le soulignait de les sanctuariser - ni les contrats déjà conclus avec l'organisme désigné - de sorte que faute de contrat par lui conclu avec la société AG2R, celle-ci ne serait plus fondée à exiger son adhésion - ces deux thèses revenant à attacher un effet immédiat à la déclaration d'inconstitutionnalité, contraire aux modalités d'application dans le temps que le Conseil constitutionnel avait précisément entendu ménager dans son considérant nº14, ci-dessus rappelé ; qu'il en résultait que les contrats en cours au sens de cette décision étaient les actes, conventions ou accords collectifs ayant procédé à la désignation d'organismes assureurs pour les besoins du fonctionnement des dispositifs de mutualisation que les partenaires sociaux avaient entendu mettre en place ainsi que, le cas échéant, les actes contractuels signés par eux avec les organismes assureurs en vue de lier ces derniers et de préciser les stipulations du texte conventionnel de branche et ses modalités de mise en oeuvre effective, lesquels étaient révisables à l'issu d'un délai de cinq ans ; que l'arrêté ministériel du 23 décembre 2011 d'extension de l'avenant nº100 du 27 mai 2011 à la convention en cause étant en cours à la date de publication de la décision du Conseil constitutionnel, les demandes de monsieur Y... prises de cette décision ou de l'illégalité ou l'illicéité de la clause de migration ou encore de la liberté d'adhésion ne pouvaient qu'être rejetées (arrêt, pp. 5 et 6) ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE concernant la clause de migration, la CJUE avait expressément indiqué que l'avenant n° 83 de par sa nature d'accord résultant d'une négociation collective entre organisation représentatives et son objet, savoir l'amélioration des conditions de travail des salariés, ne relevait pas de la notion d'accord entre entreprises ou de pratiques concertées tels qu'interdits par l'article 101 §1 TFUE, peu important que l'affiliation soit obligatoire sans possibilité de dispense et qu'en conséquence les pouvoirs publics étaient libres de rendre obligatoire à des personnes non formellement liées par cet accord (ce qui avait été fait en la circonstance, l'avenant ayant été rendu obligatoire à toutes les entreprises de la branche par l'arrêté d'extension du 16 octobre 2006, arrêté validé par le Conseil d'Etat dans son arrêt du 19 mai 2008) ; que la décision du Conseil constitutionnel du 13 juin 2013 n'était toutefois pas applicable aux contrats pris sur ce fondement en cours lors de cette publication et liant les entreprises à celles qui étaient régies par le code de assurances ; que la portée de cette décision était ainsi limitée aux seuls contrats qui pourraient être signés ; que ce serait vainement que le défendeur soutiendrait qu'il n'existerait pas de contrat en cours dans la mesure où il n'avait pas adhéré au régime ; qu'il était en effet manifeste que le contrat visé par le Conseil constitutionnel était l'accord collectif, seul acte fondateur de garanties collectives et qu'il n'était pas discutable que les avenants n° 83 et n° 100 avaient été signés antérieurement à la décision du 13 juin 2013 et n'étaient donc pas privés de fondement légal ; que les contrats en cours resteraient en vigueur jusqu'à la dénonciation de la convention collective par les partenaires sociaux (jugement, p. 4, § 8 ; p. 5, §§ 9 et 10 p. 6, § 1) ;

ALORS QUE s'agissant du droit de l'Union européenne, dont le respect constitue une obligation, tant en vertu du Traité sur l'Union européenne et du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qu'en application de l'article 88-1 de la Constitution, il résulte du principe d'effectivité issu des dispositions de ces Traités, telles qu'elles ont été interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que le juge national chargé d'appliquer les dispositions du droit de l'Union a l'obligation d'en assurer le plein effet en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire ; qu'à cet effet, il doit pouvoir, en cas de difficulté d'interprétation de ces normes, en saisir lui-même la Cour de justice à titre préjudiciel ou, lorsqu'il s'estime en état de le faire, appliquer le droit de l'Union, sans être tenu de saisir au préalable la juridiction administrative d'une question préjudicielle, dans le cas où serait en cause devant lui, à titre incident, la conformité d'un acte administratif au droit de l'Union européenne ; qu'il en résulte que l'arrêté du 16 octobre 2006, ayant étendu les disposition de l'avenant n°83 du 24 avril 2006 à la convention collective nationale de la boulangerie-pâtisserie relatif à la mise en place d'un régime de remboursement complémentaire de frais de santé, simplement précédé de la publicité prévue à l'article L. 133-14 du code du travail, alors applicable, qui ne peut être regardée comme ayant permis aux opérateurs intéressés de manifester leur intérêt pour la gestion des régimes de prévoyance concernés avant l'adoption de la décision d'extension, incompatible avec les règles issues du droit de l'Union tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, doit voir son application écartée ; qu'en retenant néanmoins, que devait être regardée comme applicable la clause de migration stipulée à l'article 14 de l'avenant n° 83 du 26 avril 2006 étendue par arrêté du 16 octobre 2006, cependant qu'au contraire, ledit arrêté étant inapplicable, ladite clause de migration, qui avait pour unique support cet arrêté, devait également vois son application écartée, la cour d'appel a violé l'article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 16-27307
Date de la décision : 07/02/2018
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Nîmes, 06 octobre 2016


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 07 fév. 2018, pourvoi n°16-27307


Composition du Tribunal
Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : Me Le Prado, SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:16.27307
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