LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Merial, société pharmaceutique diffusant des médicaments destinés aux animaux, est titulaire de la marque verbale « Frontline » n° 94 509 301, déposée le 3 mars 1994 et renouvelée le 8 décembre 2003, pour désigner, en classe 5, les « insecticides et produits antiparasitaires et produits antiparasitaires à usage vétérinaire », sous laquelle elle commercialise un antiparasitaire à base d'un principe actif dénommé « fipronil » pour tuer les tiques et les puces des animaux domestiques ; que la société Virbac, qui exerce la même activité, a déposé, le 17 juillet 2008, la marque française « Fiproline » sous le numéro 3 588 921, pour désigner, en classe 5, les « préparations vétérinaires, en particulier un antiparasitaire externe » et commercialise sous cette marque, depuis que le brevet qui couvrait le « fipronil » est tombé dans le domaine public en mai 2009, un antiparasitaire pour chiens et chats à base de ce principe actif, fabriqué par la société Alfamed ; que la société Merial a assigné ces deux sociétés en annulation de la marque « Fiproline », pour atteinte à la renommée de sa marque « Frontline » et en concurrence déloyale ;
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, et le troisième moyen :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu les articles L. 711-2 et L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle, tels qu'interprétés à la lumière de l'article 3, paragraphe 1, de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques ;
Attendu que pour annuler la marque française « Fiproline » n° 3 588 921 avec inscription au registre national des marques, l'arrêt retient qu'ainsi qu'indiqué sur les emballages, les produits commercialisés sous cette marque par les sociétés Virbac et Alfamed contiennent un principe actif connu sous la dénomination « fipronil », que ladite marque, ayant un radical identique et un suffixe dont les lettres sont inversées, reprend de façon presque parfaite, et en déduit que cette marque, indiquant de cette façon le principe actif contenu dans les produits vétérinaires vendus, est dénuée de caractère distinctif au regard du produit qu'elle désigne ;
Qu'en statuant ainsi, en prenant en considération les produits commercialisés sous la marque « Fiproline », et non au regard des produits désignés à son enregistrement, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle, tel qu'interprété à la lumière de l'article 5 de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques ;
Attendu que pour condamner les sociétés Virbac et Alfamed pour atteinte à la renommée de la marque « Frontline », l'arrêt, après avoir considéré que la renommée de celle-ci était établie, retient que, sur le plan visuel, les termes « Frontline » et « Fiproline » présentent une ressemblance forte et que, si les emballages ne sont pas identiques, des couleurs semblables, orange, rouge, violet et turquoise, sont utilisées, ainsi que des photographies, paraissant identiques, de chiens dont certains qui sont de la même race, en sorte que ce visuel relève de l'imitation ; qu'il retient en outre que, sur le plan phonétique, l'impression auditive générale est semblable et que la prononciation à l'anglaise de ces termes rend la confusion possible pour le consommateur ; qu'il en déduit que la marque « Fiproline » constitue une imitation de la marque « Frontline » et que cette imitation engendre un risque de confusion dans l'esprit du consommateur ;
Qu'en statuant ainsi, en prenant en compte le mode de conditionnement des produits, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche :
Vu l'article 4 du code de procédure civile ;
Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient encore que l'imitation de la marque renommée « Frontline » par la marque « Fiproline », en engendrant la confusion dans l'esprit du consommateur, est de nature à porter préjudice à la société Merial ;
Qu'en statuant ainsi, alors que, dans ses écritures d'appel, la société Merial se bornait à alléguer le fait que la marque « Fiproline » tirait indûment profit de la renommée de la marque « Frontline », la cour d'appel, qui a méconnu les termes du litige, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que le dépôt et l'utilisation de la marque « Fiproline » constituent des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Merial, l'arrêt rendu le 13 mai 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un janvier deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour les sociétés Virbac et Alfamed.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir annulé la marque « Fiproline » et d'avoir ordonné l'inscription de la décision au registre national des marques sur réquisition du greffe dans le mois de son prononcé,
AUX MOTIFS QUE le principe actif contenu dans les produits de la marque « Fiproline » est bien le fipronil, comme l'indiquent les emballages des produits versés aux débats par les sociétés Virbac et Alfamed elles-mêmes ; que, comme le relève avec pertinence le premier juge, ce suffixe « line » est bien issu d'une inversion des lettres contenues dans le suffixe « nil » du terme fipronil, l'impression phonétique étant d'ailleurs de nature à induire la confusion ; que, concernant le début du terme, « fipro » est repris de façon intégrale ; que, comme le souligne la décision entreprise à bon droit, les deux dénominations sont quasiment identiques et le terme « Fiproline » reprend de façon presque parfaite le terme fipronil, constituant la dénomination commune du produit et indique de cette façon le principe actif qu'il contient ; que, pareillement au premier jugement, la cour constate que le terme « Fiproline » est dénué d'arbitraire au regard du produit désigné, ce qui rend la marque dénuée de caractère distinctif au sens de l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle ; qu'en conséquence, la marque « Fiproline » est déclarée nulle en application des dispositions de l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle ;
1°/ ALORS QUE le caractère distinctif d'un signe de nature à constituer une marque s'apprécie à l'égard des produits ou services visés dans la demande d'enregistrement ; qu'en appréciant le caractère distinctif de la marque « Fiproline » au regard des produits commercialisés sous cette marque, et non au regard des produits désignés dans la demande d'enregistrement, savoir « préparations vétérinaires, en particulier un antiparasitaire externe », la cour d'appel a violé les articles L. 711-2 et L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière de l'article 3 §1 de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques ;
2°/ ALORS QUE le caractère distinctif d'un signe de nature à constituer une marque s'apprécie en considération de la perception du consommateur moyen des produits ou services désignés ; qu'en se bornant à énoncer, pour dénier tout caractère distinctif à la marque « Fiproline », que la dénomination était proche du terme fipronil, substance active du produit désigné, sans identifier le public pertinent, et sans rechercher, comme elle y était invitée, si le consommateur moyen des produits revêtus de la marque « Fiproline » connaissait la signification du terme fipronil, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 711-2 et L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière de l'article 3 §1 de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques ;
3°/ ALORS QU' un signe évocateur n'est pas dépourvu de caractère distinctif ; qu'en se bornant à affirmer, pour annuler la marque « Fiproline », que, sur un plan visuel, elle reprenait presque à l'identique le terme fipronil, les lettres du suffixe étant simplement inversées, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, aux plans phonétique et conceptuel, le remplacement du suffixe « nil » par le suffixe « line » ne donnait pas naissance à un signe évocateur, la cour d'appel a de nouveau privé sa décision de base légale au regard des articles L. 711-2 et L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière de l'article 3 §1 de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la marque « Fiproline » portait atteinte à la renommée de la marque « Frontline », causant un préjudice moral et économique à la société Merial, d'avoir en conséquence condamné les sociétés Virbac et Alfamed à payer à la société Merial la somme de 80.000 euros au titre de son préjudice moral et la somme globale de 2.000.000 euros au titre de son préjudice économique et commercial, d'avoir ordonné, sous astreinte, aux sociétés Virbac et Alfamed de cesser d'utiliser et de faire cesser l'utilisation par les sociétés du groupe Virbac de la dénomination « Fiproline », et d'avoir ordonné le rappel et la destruction des produits commercialisés sous la marque « Fiproline », outre une mesure de publication judiciaire, AUX MOTIFS QU' en ce qui concerne la similitude des signes entre la marque « Frontline » et la marque « Fiproline », contrairement à ce que soutiennent les sociétés intimées, la ressemblance entre les deux termes « Frontline » et « Fiproline » est forte ; que, d'un point de vue visuel, sur les neufs lettres qui composent chaque mot, sept sont identiques, et, qui plus est, placées dans le même ordre ; que, s'il est vrai que les emballages ne sont pas identiques, il est remarquable que des couleurs semblables sont utilisées (orange, rouge violet, turquoise), ainsi que des photographies de chiens dont certains qui sont de la même race, semblant identiques ; que ce visuel relève de l'imitation au sens de l'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle ; que, d'un point de vue phonétique, s'il est vrai que le terme « Frontline » est bisyllabique et que le terme « Fiproline » est trisyllabique, l'impression auditive, générale est semblable, l'attaque est similaire par le son de la lettre F, suivi directement et très rapidement du son de la lettre R, et la fin du terme est strictement identique ; que, de plus, la prononciation à l'anglaise de ces termes a pour conséquence la confusion possible entre les termes pour les consommateurs, que la cour constate donc que la marque « Fiproline » constitue une imitation de la marque « Frontline » au sens de l'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle et de l'article 6 bis de la convention de Paris ; que cette imitation, en entraînant la confusion dans l'esprit du consommateur, est bien de nature à porter préjudice à la société Merial qui exploite la marque « Frontline », imitée par la marque « Fiproline » ;
1°/ ALORS QUE l'imitation d'une marque renommée s'apprécie en considération des ressemblances visuelles, auditives et conceptuelles des signes en présence ; qu'en retenant notamment, pour affirmer que la marque « Fiproline » imitait la marque « Frontline », que le groupe Virbac utilisait pour ses emballages une même gamme de couleurs que la société Merial, ainsi que des photographies de chiens dont certains étaient de même race, la cour d'appel, qui s'est fondée sur des éléments étrangers aux signes en présence, a violé l'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l'article 5 de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques ;
2°/ ALORS QU' en outre, la société Merial se bornait à faire valoir, au titre de l'atteinte à la renommée de la marque « Frontline », que la marque « Fiproline » tirait indument profit de la renommée de sa marque « Frontline » (conclusions récapitulatives d'appel de la société Merial, p. 29 à 34) ; qu'en retenant, pour affirmer que la marque « Fiproline » portait atteinte à la renommée de la marque « Frontline », que l'imitation de la marque « Frontline » par la marque « Fiproline » entraînait une confusion dans l'esprit du consommateur et était de nature à porter préjudice à la société Merial, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le dépôt et l'utilisation de la marque « Fiproline » constituaient des actes de concurrence déloyale, causant un préjudice moral et économique à la société Merial, d'avoir en conséquence condamné les sociétés Virbac et Alfamed à payer à la société Merial la somme de 80.000 euros au titre de son préjudice moral et la somme globale de 2.000.000 euros au titre de son préjudice économique et commercial, d'avoir ordonné, sous astreinte, aux sociétés Virbac et Alfamed de cesser d'utiliser et de faire cesser l'utilisation par les sociétés du groupe Virbac de la dénomination « Fiproline », et d'avoir ordonné le rappel et la destruction des produits commercialisés sous la marque « Fiproline », outre une mesure de publication judiciaire,
AUX MOTIFS QUE, comme l'a retenu à juste titre le jugement, bien que la molécule fipronil soit tombée dans le domaine public, en déposant et en utilisant une marque dont le nom est quasiment identique au principe actif utilisé, les sociétés Virbac et Alfamed ont bien utilisé un procédé déloyal qui porte atteinte à la renommée de la marque « Frontline » ; qu'en effet, la proximité du nom de la marque avec le principe actif est de nature à induire une préférence d'utilisation pour le consommateur ; que ce comportement est un procédé déloyal, qui constitue une faute de la part des sociétés Virbac et Alfamed ;
ALORS QUE la conquête de la clientèle d'autrui relève du libre jeu de la concurrence, sauf à ce qu'elle résulte de la mise en oeuvre de procédés déloyaux ; qu'en se bornant à affirmer, pour imputer à faute aux sociétés Virbac et Alfamed le dépôt et l'utilisation de la marque « Fiproline », que la proximité du nom de la marque « Fiproline » avec la substance active fipronil était de nature à induire une préférence d'utilisation pour le consommateur, sans rechercher si le consommateur moyen connaissait la signification du terme fipronil et était en mesure de l'identifier comme la substance active du produit, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné solidairement les sociétés Virbac et Alfamed à payer à la société Merial la somme de 80.000 euros au titre du préjudice moral subi du fait de l'atteinte à la renommée de la marque « Frontline » et la somme globale de 2.000.000 euros au titre du préjudice économique et commercial subi du fait de l'atteinte portée à la renommée de la marque « Frontline »,
AUX MOTIFS QU' en ce qui concerne le préjudice moral découlant de l'atteinte à la marque « Frontline », qui est réel, il doit être réparé à hauteur de 80.000 euros ;
ET QUE le préjudice commercial causé par l'atteinte à la renommée de la marque doit être fixé en tenant compte du fait que la molécule fipronil peut faire l'objet d'une utilisation entièrement libre depuis qu'elle se trouve dans le domaine public, en tenant compte des investissements faits par la société Merial pour la promotion de sa marque et pour sa protection contre toute utilisation déloyale par ses concurrents, en tenant compte de la gravité de l'atteinte à la marque, gravité qui a nécessairement un retentissement économique sur le volume des ventes, compte tenu de la confusion créée dans l'esprit du consommateur moyen, en tenant compte des volumes et quantités des produits mis sur le marché par le concurrent déloyal, de sorte que la cour estime que les éléments de fait qui ont été contradictoirement débattus dans les conclusions et documents donnés au débat permettent de fixer le préjudice commercial à la somme de 2.000.000 euros qui répare le préjudice né de l'atteinte à la renommée de la marque ;
1°/ ALORS QUE l'octroi de dommages-intérêts suppose l'existence d'un préjudice qu'il appartient aux juges du fond de caractériser ; qu'en se bornant à affirmer, pour condamner les sociétés Virbac et Alfamed à payer à la société Merial la somme de 80.000 euros en réparation du préjudice moral résultant de l'atteinte à la renommée de la marque « Frontline », que ce préjudice était réel, sans autrement le caractériser, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 du code civil et L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle ;
2°/ ALORS QU' en vertu du principe de la réparation intégrale, le préjudice doit être réparé sans perte ni profit pour aucune des parties ; que la réparation doit correspondre au préjudice et ne peut être évaluée de manière abstraite ou forfaitaire ; qu'en se bornant à affirmer, pour condamner les sociétés Virbac et Alfamed à payer à la société Merial la somme globale de 2.000.000 euros en réparation de son préjudice économique et commercial, que l'atteinte à la renommée de la marque « Frontline » avait nécessairement un retentissement sur le volume des ventes, sans constater de baisse effective des ventes de la société Merial et sans préciser quelle part serait imputable aux fautes reprochées aux sociétés Virbac et Alfamed, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 du code civil et L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle et du principe de réparation intégrale.