LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 2270-1 du code civil, alors applicable, tel qu'interprété à la lumière des articles 10 et 11 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux ;
Attendu qu'il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêts du 4 juillet 2006, Adeneler, C-212/04 et du 15 avril 2008, Impact, C-268/06), que l'obligation pour le juge national de se référer au contenu d'une directive lorsqu'il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne trouve ses limites dans les principes généraux du droit, notamment les principes de sécurité juridique ainsi que de non-rétroactivité, et que cette obligation ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a reçu, le 23 mai 1996, une injection du vaccin contre l'hépatite B, dénommé Engerix B, produit par la société Laboratoire Glaxosmithkline (la société) ; que, le diagnostic de la sclérose en plaques ayant été établi le 1er juillet 1996, M. X... et son épouse ont assigné la société, courant 2010, en référé aux fins d'expertise, puis, le 7 février 2013, en responsabilité et indemnisation ;
Attendu que, pour déclarer l'action irrecevable comme prescrite, l'arrêt retient, d'abord, que la transposition de la directive précitée, qui devait être effectuée au plus tard le 30 juillet 1988, n'est intervenue que le 19 mai 1998, de sorte que les conditions de l'action en responsabilité introduite à l'encontre du fabricant d'un produit défectueux doivent être interprétées à la lumière de cette directive, même non encore transposée, et que cette dernière prévoit deux délais de prescription de l'action en réparation, le premier de trois ans à compter de la date à laquelle le plaignant aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur, le second de dix ans à compter de la date à laquelle le producteur a mis en circulation le produit ; qu'il relève, ensuite, que le diagnostic de la sclérose en plaques constituant le dommage incriminé, posé le 1er juillet 1996, constitue nécessairement le point de départ de la prescription de trois ans visée par la directive européenne, et que le point de départ du délai de dix ans est nécessairement antérieur à la date du 23 mai 1996 ; qu'il en déduit que, lors de l'assignation en référé aux fins d'expertise, en 2010, l'un comme l'autre délai étaient expirés ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'action en responsabilité extra contractuelle dirigée contre le producteur d'un produit dont le caractère défectueux est invoqué, qui a été mis en circulation après l'expiration du délai de transposition de la directive, mais avant la date d'entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998 transposant cette directive, se prescrit, selon les dispositions du droit interne, qui ne sont pas susceptibles de faire l'objet sur ce point d'une interprétation conforme au droit de l'Union, par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé, permettant seule au demandeur de mesurer l'étendue de son dommage et d'avoir ainsi connaissance de celui-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et attendu qu'en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation de l'article 11 de la directive, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 septembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne la société Laboratoire Glaxosmithkline aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à M. et Mme X... la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept janvier deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour M. et Mme X...
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré prescrite et, par conséquent, irrecevable l'action de José et Karine X... ;
AUX MOTIFS QU'il est constant que la directive européenne 85/374 devait faire l'objet d'une transposition en droit national au plus tard trois ans à compter de sa notification, soit avant le 30 juillet 1988, mais que la loi de transposition est intervenue par une loi du 19 mai 1998. Dans l'espèce, l'action a été engagée sur le fondement de la responsabilité contractuelle du fabricant d'un produit défectueux utilisé pour un vaccin effectué le 23 mai 1996, dont la fabrication était nécessairement antérieure à cette date. La directive prévoit deux délais de prescription pour l'action en réparation du dommage, soit de 3 ans à compter de la date à laquelle le plaignant aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur, soit de 10 ans à compter de la date à laquelle le producteur a mis en circulation le produit. Le diagnostic de la sclérose en plaques constituant le dommage incriminé posé le 1er juillet 1996 constitue nécessairement le point de départ de la prescription de 3 ans visée par la directive européenne, et le point de départ du délai de 10 ans est nécessairement antérieur à la date du 23 mai 1996. Il en résulte qu'à la date du 1er mars 2012 à laquelle José et Karine X... ont engagé une action judiciaire contre la société Laboratoire Glaxosmithkline, fabricant producteur du produit ENGERIX B, et même à la date de l'assignation en référé aux fins d'expertise le 30 mai 2010, l'un comme l'autre délai était expiré. Les conditions de l'action en responsabilité introduite à l'encontre du fabricant d'un produit défectueux doivent être interprétées à la lumière de la directive européenne même non encore transposée, en application des règles d'interprétation du droit national en vue d'atteindre le résultat recherché par la norme communautaire, pour un litige né d'un dommage postérieur à la date d'expiration du délai de transposition. La cour constate en conséquence la prescription de l'action en responsabilité contractuelle introduite par les époux X... à l'encontre du producteur fabricant du produit ENGERIX B. Le premier juge a opposé à tort à la nécessaire interprétation du droit national à la lumière de la directive européenne, constituant pour le juge national une norme juridique supérieur en application des traités, une application littérale de textes en contradiction avec le contenu de la directive, directement applicable en France, État membre des communautés européennes, à compter de l'expiration du délai de transposition le 30 juillet 1988, au regard de l'objectif et de l'économie de celle-ci, c'est-à-dire la mise en oeuvre d'un délai de prescription uniforme, dans l'intérêt de la victime comme dans celui du producteur. Un défaut d'effet horizontal direct de la directive à l'encontre d'un particulier ne pouvait pas davantage être retenu par le premier juge, alors que le régime de prescription de la directive 85/374 constitue après le 30 juillet 1988 le droit positif national applicable ;
1) ALORS QUE l'action en responsabilité extra contractuelle dirigée contre le producteur d'un produit dont le caractère défectueux est invoqué, qui a été mis en circulation après l'expiration du délai de transposition de la directive n° 85-374 du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, mais avant la date d'entrée en vigueur de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 transposant cette directive, se prescrit, selon les dispositions du droit interne, qui ne sont pas susceptibles de faire l'objet sur ce point d'une interprétation conforme au droit de l'Union, par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé, permettant seule au demandeur de mesurer l'étendue de son dommage et d'avoir ainsi connaissance de celui-ci ; qu'en décidant que l'action des époux X... se prescrivait par trois ans à compter du diagnostic de la sclérose en plaques constituant le dommage incriminé, quand il ressortait de ses propres constatations que José X... avait été vacciné le 23 mai 1996 de sorte que le produit défectueux avait été mis en circulation avant l'entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998, ce dont il résultait que seule la prescription de droit commun de dix ans à compter de la date de consolidation du dommage avait vocation à s'appliquer, la cour d'appel a violé l'article 2270-1 du code civil ;
2) ALORS QUE l'action en responsabilité extra contractuelle dirigée contre le producteur d'un produit dont le caractère défectueux est invoqué, qui a été mis en circulation après l'expiration du délai de transposition de la directive n° 85-374 du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, mais avant la date d'entrée en vigueur de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 transposant cette directive, se prescrit, selon les dispositions du droit interne, qui ne sont pas susceptibles de faire l'objet sur ce point d'une interprétation conforme au droit de l'Union, par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé, permettant seule au demandeur de mesurer l'étendue de son dommage et d'avoir ainsi connaissance de celui-ci ; qu'en jugeant que l'action des époux X... était éteinte en application du délai de dix ans à compter de la mise en circulation du produit prévue par l'article 11 de la directive du 25 juillet 1985, quand il ressortait de ses propres constatations que José X... avait été vacciné le 23 mai 1996 de sorte que le produit défectueux avait été mis en circulation avant l'entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998, ce dont il résultait que seule la prescription de droit commun de dix ans à compter de la date de consolidation du dommage avait vocation à s'appliquer, la cour d'appel a violé l'article 2270-1 du code civil.