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16/01/2018 | FRANCE | N°16-86925

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 16 janvier 2018, 16-86925


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- L'association pour la protection des animaux sauvages,
- La fédération Sepanso Gironde,
- La ligue pour la protection des oiseaux,
- La commune de Macau, parties civiles,

contre l'arrêt de la cour d'appel de BORDEAUX, chambre correctionnelle, en date du 14 octobre 2016, qui, dans la procédure suivie contre M. Gilles X... et la société Les docks des pétroles d'Ambès, a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats e

n l'audience publique du 5 décembre 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'artic...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- L'association pour la protection des animaux sauvages,
- La fédération Sepanso Gironde,
- La ligue pour la protection des oiseaux,
- La commune de Macau, parties civiles,

contre l'arrêt de la cour d'appel de BORDEAUX, chambre correctionnelle, en date du 14 octobre 2016, qui, dans la procédure suivie contre M. Gilles X... et la société Les docks des pétroles d'Ambès, a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 5 décembre 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme Farrenq-Nési.,conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Hervé ;

Sur le rapport de Mme le conseiller Farrenq-Nési., les observations de Me Y..., la société civile professionnelle GARREAU, BAUER-VIOLAS ET FESCHOTTE-DESBOIS, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général QUINTARD ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires en demande, communs aux demandeurs, en défense et les observations complémentaires produits ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 12 janvier 2007, suite à la rupture d'un fonds de bac de stockage de produits pétroliers appartenant à la société pétrolière du Bec d'Ambès (PBA), du pétrole brut s'est répandu dans la Garonne et la Dordogne ; que, le 26 février 2007 de fortes pluies ont entraîné, malgré sa neutralisation, le débordement du décanteur du site dans lequel s'était accumulée une grande quantité de ces hydrocarbures et l'évacuation d'un bouchon d'hydrocarbure qui s'est déversé dans la Garonne et la Dordogne ; qu'une information judiciaire a été ouverte, à l'issue de laquelle ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel la société DPA du chef de rejet nuisible à la faune piscicole pour les faits du 12 janvier 2007, et cette même société ainsi que son directeur général M. X..., du chef de pollution des eaux ayant entraîné des dommages à la faune ou à la flore , pour les faits du 26 février 2007 ; que le tribunal correctionnel, par jugement du 1er décembre 2014, a relaxé les prévenus et déclaré en conséquence les parties civiles irrecevables en leurs demandes ; que l'association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS), la fédération Sepanso de la Gironde, la ligue de protection des oiseaux (LPO) et la commune de Macau ont interjeté appel des dispositions civiles du jugement ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 4 et 1382 du code civil dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevables les demandes en dommages-intérêts de la commune de Macau, de l'ASPAS, de la LPO et de la Sepanso ;

"aux motifs que, sur l'existence de fautes civiles commises par M. X... et/ou la société DPA, l'appel des parties civiles dont les constitutions sont recevables a pour effet de déférer à la juridiction du second degré l'action en réparation des conséquences dommageables qui peuvent résulter de la faute civile des prévenus définitivement relaxés, cette faute devant être démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite ; qu'il y a donc lieu de rechercher si, pour chacun des faits retenus dans l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction, la société DPA et M. X... ont commis une faute en lien de causalité avec les dommages dont est demandée réparation ; que, sur les faits du février 2007, la convention conclue le 29 juin 2006 entre la société SPBA et la société DPA confiait à cette dernière « la mission d'opérer, pour son compte, l'ensemble des installations du site d'Ambès » dont le bac 1602, « et d'effectuer, sous son contrôle, certaines tâches administrative et techniques qu'elle ne peut réaliser elle-même » ; que, parmi les opérations et missions techniques constituant le domaine d'intervention dévolu à la société DPA dans la convention du 29 juin 2006, figure un article « 2-4 Entretien et contrôle des installations », où il est écrit que cette société « prend toutes dispositions nécessaires pour assurer l'entretien des installations du site d'Ambès, de façon à ce que ces dernières restent pleinement opérationnelles et qu'elles ne portent pas atteinte à la sécurité des personnes et des biens, ni à l'environnement » ; qu'il était ajouté que l'entretien comprend, d'une part, l'« entretien courant », c'est-à-dire « toutes les opérations d'entretien à caractère répétitif, de petite maintenance ou de petite réparation des installations », et d'autre part le « gros entretien », défini contractuellement comme « toutes les opérations d'entretien, de maintenance ou de réparation autres que celles définies comme entretien courant. A titre d'exemple, les opérations de gros entretien sont les suivantes : opérations décennales et rebarèmage de bac, changement de joint de toit, peinture, etc. » ; qu'il était en outre stipulé que la société DPA « effectuera ou fera effectuer un suivi et un contrôle des installations du site d'Ambès de manière à identifier les opérations de gros entretien qui s'avéreraient nécessaires pour la bonne marche de ces dernières » ; que ces dispositions contractuelles mettaient ainsi à la charge de la société DPA tous les travaux d'entretien du bac de stockage 1602, dont ceux imposés tous les dix ans par les règles d'aménagement et d'exploitation des dépôts d'hydrocarbures liquides et elle devait donc, à tout le moins, au moment de commencer sa mission d'opérateur, se préoccuper de la date et des conclusions du précédent contrôle décennal de cette cuve qu'elle avait mission de conserver dans état conforme à son usage spécifique ; qu'ainsi, il appartenait à la société DPA, à défaut de communication spontanée par la société SPBA, de prendre l'initiative de lui réclamer tous éléments sur l'état d'entretien du bac 1602, et subordonner la mise en service du bac à la communication de tous les éléments susceptibles d'avoir une incidence sur les conditions d'exploitation du site, à charge pour la société SPBA d'interpeller à son tour les sociétés Esso et TPB ; que, dans l'hypothèse où cette demande de communication aurait été satisfaite, la société DPA aurait ainsi appris qu'en 2006 les contrôleurs avaient constaté l'existence d'une perte d'épaisseur importante du fond du réservoir du bac 1602 et que le contrôle décennal avait porté sur seulement 10 % du contrôle des soudures au moyen d'une boîte à vide, alors que le bac était en service depuis 1958 ; qu'il en résulte que la société DPA n'a pas accompli les diligences normales qui lui incombaient avant d'entreprendre en toute sécurité son activité d'opérateur, et que dans la mesure où son ignorance n'est pas légitime, elle ne saurait simplement se retrancher derrière l'attitude de son cocontractant SPBA ou de tiers qui ne lui ont pas révélé de leur propre initiative les résultats des opérations décennales réalisées antérieures à l'entrée en vigueur du contrat du 29 juin 2006 ; que cette négligence constitue une faute civile qui est la cause du déversement de pétrole dans la Garonne et d'autres cours d'eau, puisque la société DPA, en s'abstenant de s'informer sur l'état du bac 1602 au moment de l'entrée en vigueur du contrat conclu avec la société SPBA, ne s'est pas mise en situation d'exiger la délivrance d'une installation industrielle conforme à sa destination et sans danger pour l'environnement ; que la société DPA a commis une autre faute d'imprudence à l'origine de ce déversement du 12 février 2007, en choisissant, après le premier incident de la veille, une solution attentiste consistant à mettre en place un « pied d'eau » et en reportant au lendemain toute opération de vidange du pétrole ; qu'en effet, M. A..., ancien chef de dépôt du site d'Ambès pour le compte de la société TPB, a indiqué lors de son audition par le juge d'instruction, sans que cette assertion soit contestée par la société DPA, que le plan d'opération interne (POT) prévoyait « un scénario correspondant directement à ce type de fuite et préconisant le transfert immédiat du contenu vers une autre cuve, ce qui était facilement réalisable rapidement sur le site d'Ambès, par un pompage à distance sur le pied du bac » et que « une bonne partie du transfert pouvait même être réalisé par simple gravité » de bac à bac, le « pied d'eau » n'étant alors qu'un moyen « pour éviter trop d'infiltration d'hydrocarbure dans le sol » pendant que devaient se dérouler l'opération essentielle de pompage ; que M. A... a ajouté que le pompage de nuit et le chargement de pétrole sur des bateaux était une pratique régulière et qu'elle ne nécessitait pas la pose de béquille sur le toit flottant et que, moyennant certaines précautions, cette technique pouvait être mise en oeuvre sans risque d'explosion du ciel gazeux ; que, dès lors, précisément parce qu'ils ignoraient les causes exacte de la fuite et que celles-ci pouvaient être multiples, les préposés de la société DPA auraient dû agir dès le 11 janvier 2007 avec le maximum de précautions pour limiter le sinistre, en mettant certes en oeuvre un « pied d'eau » pour remédier aux conséquences immédiate de l'accident, mais aussi en procédant parallèlement et sans atermoiement à une opération de pompage du pétrole du bac 1602 ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société DPA a commis des fautes d'imprudence, à l'origine de la pollution de la Garonne et de la Dordogne le 12 janvier 2007 ; que, sur les faits du 26 février 2007, hormis le pétrole qui s'était répandu dans les milieux naturels à la suite de l'accident du 12 janvier 2007, le contenu du bac 1602 avait été contenu à l'intérieur du site industriel du Bec d'Ambès, et notamment dans un décanteur qui recueillait aussi les eaux de pluie ; que le 26 février 2007, vers 11 heures, à la suite d'un important épisode pluvieux, une surpression s'est produite dans une conduite d'évacuation qui avait été fermée après l'accident du 12 janvier 2007, ce qui a causé un dysfonctionnement de la vanne commandant cette fermeture et un écoulement de produits pétroliers dans la rivière ; que la société DPA et M. X... invoquent la force majeure, qui les exonérerait de toute responsabilité ; que, pour constituer un cas de force majeure de nature à exonérer totalement les auteurs de faits dommageables, un événement naturel doit présenter un caractère imprévisible et irrésistible ; qu'en l'espèce, il est exact que la pluviométrie du mois de février 2007 a été localement d'une abondance exceptionnelle, avec 139,4 mm (comparée avec la moyenne des mois de février de 2001 à 2013, établie à 56,06 mm), le cumul de pluie s'étant même élevé à 46 mm du 23 au 25 février 2007 ; qu'il n' en reste pas moins que la société DPA avait eu connaissance de la survenance de ce phénomène météorologique au moins 19 jours avant les faits de pollution du 26 février, puisque, dans ses écritures déposées devant la cour d'appel, elle indique qu'à son initiative, « les autorités compétentes avaient été alertées du risque de pollution liées aux fortes pluies et à l'augmentation subséquente du niveau du bassin de rétention (...) alerte donnée dès le 7 février 2007 » ; qu'en effet, à cette date, dans un courrier adressé à la société DPA, le secrétaire général de la préfecture de la Gironde exposait que « les eaux issues des installations ont été stockées dans des réservoirs et dans un bassin de rétention », soit « environ 20 000 m² d'eau et quelques centaines de mètres cubes d'émulseurs et d'hydrocarbures en surface » et qu'en raison de l'importance de ce volume « et de la situation d'urgence liée au risque de débordement du bassin de rétention en raison des pluies, vous m'avez demandé l'autorisation exceptionnelle de rejeter les effluents en Garonne via la jalle », autorisation accordée le même jour, sous réserve de certaines précautions énumérées dans ce courrier ; qu'il en résulte que le cumul de pluies ayant provoqué la pollution du 26 février 2007 n'a pas eu le caractère soudain qui aurait rendu ce phénomène naturel imprévisible et la pollution des cours d'eau n'était pas non plus inévitable, dès lors que la société DPA et M. X... pouvaient prendre de manière anticipée les mesures que ce dernier qualifiait lui-même de « préventive » (procès-verbal d'audition cote D30 page 2), techniquement très simples à mettre en oeuvre, consistant à munir « la ligne d'évacuation habituelle (...) d'un joint isolant en aval du décanteur », à créer « un regard en sortie de ligne le plus en aval possible » et en triplant la nouvelle ligne d'évacuation afin « d'en augmenter le débit vers la jalle » ; que les éléments constitutifs de la force majeure ne sont donc pas réunis, de sorte que la société DPA et M. X... ont bien commis une faute d'imprudence qui a eu pour conséquence de laisser s'écouler dans la Garonne et la Dordogne du pétrole brut entraînant des dommages à la flore ou à la faune à la suite des faits du 26 février 2007 ; que, sur la recevabilité des demandes formées par l'ASPAS, la LPO et la Sepanso, les constitutions de ces parties civiles sont recevables ainsi qu'il a été dit dans des développements précédents, mais il convient de rechercher si leurs demandes en dommages-intérêts et en remboursement de frais de procédure sont elles-même recevables ; que la solidarité entre co-prévenus, mode d'exécution des réparations civiles devant les juridictions pénales, ne déroge pas à l'obligation de prouver que le dommage résulte directement d'une faute unique commise par plusieurs ou d'un ensemble de fautes indivisibles ou connexes ; qu'il apparaît que les faits survenus à plusieurs semaines de distances, les 12 janvier 2007 et 26 février 2007, ne sont pas indissociables, puisque les seconds, dus à un défaut de diligences dans le processus d'évacuation des eaux souillées contenues dans le décanteur du site industriel, n'ont pas été les conséquences inévitables des premiers, et que dans la mesure où M. X... n'a pas participé activement à la commission des faits du 12 janvier 2007 pour lesquels il avait été mis en examen avant de bénéficier d'un non-lieu, la cour ne peut mettre à sa charge, solidairement avec la société DPA, que les conséquences dommageables de la pollution des cours d'eau à la suite du débordement du décanteur le 26 février 2007, et non les conséquences de la pollution directement causée par la rupture du bac 1602 le 12 février 2007 ; que chacun des appelants dont la constitution de partie civile est recevable sollicite la condamnation solidaire de M. X... et de la société DPA à lui payer des dommages-intérêts sans distinguer leurs préjudices selon qu'ils découleraient d'une part des faits du 12 janvier 2007, imputables à la seule société DPA, d'autre part des faits distincts du 26 février 2007, imputables à M. X... et la société DPA solidairement, si bien que ces demandes ne sauraient prospérer et doivent être rejetées, étant précisé qu'en tout état de cause, la solidarité édictée par l'article 480-1 du code de procédure pénale pour les restitutions et dommages-intérêts, n'est pas applicable au paiement des frais non recouvrables prévus par l'article 475-1 du code de procédure pénale ; qu'en définitive, les demandes de ces parties civiles sont irrecevables ;

"1°) alors que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; qu'en déclarant irrecevables les demandes de dommages-intérêts formulées par les parties civiles après avoir pourtant relevé, d'une part, que la faute commise le 12 janvier 2007 par la société DPA était directement à l'origine du déversement de pétrole dans les milieux naturels et, plus précisément, de la pollution de la Garonne et de la Dordogne, d'autre part, que la faute commise par la société DPA et M. X... le 26 février 2007 était, également, directement à l'origine de dommages à la flore et à la faune, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et s'est contredite ;

"2°) alors que le juge ne peut refuser d'évaluer un dommage dont il a constaté l'existence en son principe ; qu'ayant constaté une pollution de la Garonne et de la Dordogne, directement causée par le manquement commis par la société DPA le 12 janvier 2007, ainsi que l'existence de dommages causés à la flore et à la faune, directement consécutifs au manquement commis par M. X... et la société DPA le 26 février 2007, la cour d'appel, en refusant cependant d'indemniser ces dommages, a méconnu son office et commis un déni de justice ;

"3°) alors et subsidiairement, qu'en retenant, pour écarter l'indivisibilité ou la connexité des fautes commises le 12 janvier 2007 et le 26 février 2007, que les faits du 26 février 2007 n'avaient pas été la conséquence de ceux du 12 janvier 2007, après avoir pourtant constaté que l'incident survenu le 26 février 2007 résultait d'une surpression qui s'est produite dans une conduite d'évacuation qui avait été fermée après l'accident du janvier 2007, ce qui avait causé un dysfonctionnement de la vanne commandant cette fermeture et un écoulement de produits pétroliers dans la rivière, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et s'est contredite" ;

Vu l'article 2 du code de procédure pénale, ensemble l'article 1382 du code civil devenu l'article 1240 du même code ;

Attendu que, lorsque plusieurs fautes ont concouru à la production du dommage, la responsabilité de leurs auteurs se trouve engagée dans une mesure dont l'appréciation appartient souverainement aux juges du fond ;

Attendu que, pour déclarer les parties civiles irrecevables en leurs demandes de dommages-intérêts pour préjudices environnemental et financier, l'arrêt retient qu'elles sollicitent, chacune, la condamnation solidaire de M. X... et de la société PBA sans distinguer leurs préjudices selon qu'ils découleraient d'une part des faits du 12 janvier 2007 imputables à la seule société, d'autre part des faits distincts du 26 février 2007, qui n'ont pas été la conséquence inévitable des premiers, imputables à M. X... et à la société DPA solidairement ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu' il résultait de ces énonciations que les fautes d'imprudence commises successivement ou ensemble par les prévenus à l'occasion des faits poursuivis avaient eu pour conséquence une pollution de la Garonne et de la Dordogne et qu' il lui appartenait de fixer l'indemnité propre à assurer la réparation des préjudices en résultant, la cour d'appel, qui s'est déterminée par un motif inopérant, pris du mode d'exécution des réparations civiles que constitue la solidarité, a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Et sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 475-1, 480-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevables les demandes en remboursement des frais de procédure de la commune de Macau, de l'ASPAS, de la LPO et de la Sepanso ;

"aux motifs que, sur l'existence de fautes civiles commises par M. X... et/ou la société DPA, l'appel des parties civiles dont les constitutions sont recevables a pour effet de déférer à la juridiction du second degré l'action en réparation des conséquences dommageables qui peuvent résulter de la faute civile des prévenus définitivement relaxés, cette faute devant être démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite ; qu'il y a donc lieu de rechercher si, pour chacun des faits retenus dans l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction, la société DPA et M. X... ont commis une faute en lien de causalité avec les dommages dont est demandée réparation ; que, sur les faits du février 2007, la convention conclue le 29 juin 2006 entre la société SPBA et la société DPA confiait à cette dernière « la mission d'opérer, pour son compte, l'ensemble des installations du site d'Ambès » dont le bac 1602, « et d'effectuer, sous son contrôle, certaines tâches administrative et techniques qu'elle ne peut réaliser elle-même » ; que, parmi les opérations et missions techniques constituant le domaine d'intervention dévolu à la société DPA dans la convention du 29 juin 2006, figure un article « 2-4 Entretien et contrôle des installations », où il est écrit que cette société « prend toutes dispositions nécessaires pour assurer l'entretien des installations du site d'Ambès, de façon à ce que ces dernières restent pleinement opérationnelles et qu'elles ne portent pas atteinte à la sécurité des personnes et des biens, ni à l'environnement » ; qu'il était ajouté que l'entretien comprend, d'une part, l'« entretien courant », c'est-à-dire « toutes les opérations d'entretien à caractère répétitif, de petite maintenance ou de petite réparation des installations », et d'autre part le « gros entretien », défini contractuellement comme « toutes les opérations d'entretien, de maintenance ou de réparation autres que celles définies comme entretien courant. A titre d'exemple, les opérations de gros entretien sont les suivantes : opérations décennales et rebarèmage de bac, changement de joint de toit, peinture, etc. » ; qu'il était en outre stipulé que la société DPA « effectuera ou fera effectuer un suivi et un contrôle des installations du site d'Ambès de manière à identifier les opérations de gros entretien qui s'avéreraient nécessaires pour la bonne marche de ces dernières » ; que ces dispositions contractuelles mettaient ainsi à la charge de la société DPA tous les travaux d'entretien du bac de stockage 1602, dont ceux imposés tous les dix ans par les règles d'aménagement et d'exploitation des dépôts d'hydrocarbures liquides et elle devait donc, à tout le moins, au moment de commencer sa mission d'opérateur, se préoccuper de la date et des conclusions du précédent contrôle décennal de cette cuve qu'elle avait mission de conserver dans état conforme à son usage spécifique ; qu'ainsi, il appartenait à la société DPA, à défaut de communication spontanée par la société SPBA, de prendre l'initiative de lui réclamer tous éléments sur l'état d'entretien du bac 1602, et subordonner la mise en service du bac à la communication de tous les éléments susceptibles d'avoir une incidence sur les conditions d'exploitation du site, à charge pour la société SPBA d'interpeller à son tour les sociétés Esso et TPB ; que, dans l'hypothèse où cette demande de communication aurait été satisfaite, la société DPA aurait ainsi appris qu'en 2006 les contrôleurs avaient constaté l'existence d'une perte d'épaisseur importante du fond du réservoir du bac 1602 et que le contrôle décennal avait porté sur seulement 10 % du contrôle des soudures au moyen d'une boîte à vide, alors que le bac était en service depuis 1958 ; qu'il en résulte que la société DPA n'a pas accompli les diligences normales qui lui incombaient avant d'entreprendre en toute sécurité son activité d'opérateur, et que dans la mesure où son ignorance n'est pas légitime, elle ne saurait simplement se retrancher derrière l'attitude de son cocontractant SPBA ou de tiers qui ne lui ont pas révélé de leur propre initiative les résultats des opérations décennales réalisées antérieures à l'entrée en vigueur du contrat du 29 juin 2006 ; que cette négligence constitue une faute civile qui est la cause du déversement de pétrole dans la Garonne et d'autres cours d'eau, puisque la société DPA, en s'abstenant de s'informer sur l'état du bac 1602 au moment de l'entrée en vigueur du contrat conclu avec la société SPBA, ne s'est pas mise en situation d'exiger la délivrance d'une installation industrielle conforme à sa destination et sans danger pour l'environnement ; que la société DPA a commis une autre faute d'imprudence à l'origine de ce déversement du 12 février 2007, en choisissant, après le premier incident de la veille, une solution attentiste consistant à mettre en place un « pied d'eau » et en reportant au lendemain toute opération de vidange du pétrole ; qu'en effet, M. A..., ancien chef de dépôt du site d'Ambès pour le compte de la société TPB, a indiqué lors de son audition par le juge d'instruction, sans que cette assertion soit contestée par la société DPA, que le plan d'opération interne (POT) prévoyait « un scénario correspondant directement à ce type de fuite et préconisant le transfert immédiat du contenu vers une autre cuve, ce qui était facilement réalisable rapidement sur le site d'Ambès, par un pompage à distance sur le pied du bac » et que « une bonne partie du transfert pouvait même être réalisé par simple gravité » de bac à bac, le « pied d'eau » n'étant alors qu'un moyen « pour éviter trop d'infiltration d'hydrocarbure dans le sol » pendant que devaient se dérouler l'opération essentielle de pompage ; que M. A... a ajouté que le pompage de nuit et le chargement de pétrole sur des bateaux était une pratique régulière et qu'elle ne nécessitait pas la pose de béquille sur le toit flottant et que, moyennant certaines précautions, cette technique pouvait être mise en oeuvre sans risque d'explosion du ciel gazeux ; que, dès lors, précisément parce qu'ils ignoraient les causes exacte de la fuite et que celles-ci pouvaient être multiples, les préposés de la société DPA auraient dû agir dès le 11 janvier 2007 avec le maximum de précautions pour limiter le sinistre, en mettant certes en oeuvre un « pied d'eau » pour remédier aux conséquences immédiate de l'accident, mais aussi en procédant parallèlement et sans atermoiement à une opération de pompage du pétrole du bac 1602 ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société DPA a commis des fautes d'imprudence, à l'origine de la pollution de la Garonne et de la Dordogne le 12 janvier 2007 ; que, sur les faits du 26 février 2007, hormis le pétrole qui s'était répandu dans les milieux naturels à la suite de l'accident du 12 janvier 2007, le contenu du bac 1602 avait été contenu à l'intérieur du site industriel du Bec d'Ambès, et notamment dans un décanteur qui recueillait aussi les eaux de pluie ; que le 26 février 2007, vers 11 heures, à la suite d'un important épisode pluvieux, une surpression s'est produite dans une conduite d'évacuation qui avait été fermée après l'accident du 12 janvier 2007, ce qui a causé un dysfonctionnement de la vanne commandant cette fermeture et un écoulement de produits pétroliers dans la rivière ; que la société DPA et M. X... invoquent la force majeure, qui les exonérerait de toute responsabilité ; que, pour constituer un cas de force majeure de nature à exonérer totalement les auteurs de faits dommageables, un événement naturel doit présenter un caractère imprévisible et irrésistible ; qu'en l'espèce, il est exact que la pluviométrie du mois de février 2007 a été localement d'une abondance exceptionnelle, avec 139,4 mm (comparée avec la moyenne des mois de février de 2001 à 2013, établie à 56,06 mm), le cumul de pluie s'étant même élevé à 46 mm du 23 au 25 février 2007 ; qu'il n' en reste pas moins que la société DPA avait eu connaissance de la survenance de ce phénomène météorologique au moins 19 jours avant les faits de pollution du 26 février, puisque, dans ses écritures déposées devant la cour d'appel, elle indique qu'à son initiative, « les autorités compétentes avaient été alertées du risque de pollution liées aux fortes pluies et à l'augmentation subséquente du niveau du bassin de rétention (...) alerte donnée dès le 7 février 2007 » ; qu'en effet, à cette date, dans un courrier adressé à la société DPA, le secrétaire général de la préfecture de la Gironde exposait que « les eaux issues des installations ont été stockées dans des réservoirs et dans un bassin de rétention », soit « environ 20 000 m² d'eau et quelques centaines de mètres cubes d'émulseurs et d'hydrocarbures en surface » et qu'en raison de l'importance de ce volume « et de la situation d'urgence liée au risque de débordement du bassin de rétention en raison des pluies, vous m'avez demandé l'autorisation exceptionnelle de rejeter les effluents en Garonne via la jalle », autorisation accordée le même jour, sous réserve de certaines précautions énumérées dans ce courrier ; qu'il en résulte que le cumul de pluies ayant provoqué la pollution du 26 février 2007 n'a pas eu le caractère soudain qui aurait rendu ce phénomène naturel imprévisible et la pollution des cours d'eau n'était pas non plus inévitable, dès lors que la société DPA et M. X... pouvaient prendre de manière anticipée les mesures que ce dernier qualifiait lui-même de « préventive » (procès-verbal d'audition cote D30 page 2), techniquement très simples à mettre en oeuvre, consistant à munir « la ligne d'évacuation habituelle (...) d'un joint isolant en aval du décanteur », à créer « un regard en sortie de ligne le plus en aval possible » et en triplant la nouvelle ligne d'évacuation afin « d'en augmenter le débit vers la jalle » ; que les éléments constitutifs de la force majeure ne sont donc pas réunis, de sorte que la société DPA et M. X... ont bien commis une faute d'imprudence qui a eu pour conséquence de laisser s'écouler dans la Garonne et la Dordogne du pétrole brut entraînant des dommages à la flore ou à la faune à la suite des faits du 26 février 2007 ; que, sur la recevabilité des demandes formées par l'ASPAS, la LPO et la Sepanso, les constitutions de ces parties civiles sont recevables ainsi qu'il a été dit dans des développements précédents, mais il convient de rechercher si leurs demandes en dommages-intérêts et en remboursement de frais de procédure sont elles-même recevables ; que la solidarité entre co-prévenus, mode d'exécution des réparations civiles devant les juridictions pénales, ne déroge pas à l'obligation de prouver que le dommage résulte directement d'une faute unique commise par plusieurs ou d'un ensemble de fautes indivisibles ou connexes ; qu'il apparaît que les faits survenus à plusieurs semaines de distances, les 12 janvier 2007 et 26 février 2007, ne sont pas indissociables, puisque les seconds, dus à un défaut de diligences dans le processus d'évacuation des eaux souillées contenues dans le décanteur du site industriel, n'ont pas été les conséquences inévitables des premiers, et que dans la mesure où M. X... n'a pas participé activement à la commission des faits du 12 janvier 2007 pour lesquels il avait été mis en examen avant de bénéficier d'un non-lieu, la cour ne peut mettre à sa charge, solidairement avec la société DPA, que les conséquences dommageables de la pollution des cours d'eau à la suite du débordement du décanteur le 26 février 2007, et non les conséquences de la pollution directement causée par la rupture du bac 1602 le 12 février 2007 ; que chacun des appelants dont la constitution de partie civile est recevable sollicite la condamnation solidaire de M. X... et de la société DPA à lui payer des dommages-intérêts sans distinguer leurs préjudices selon qu'ils découleraient d'une part des faits du 12 janvier 2007, imputables à la seule société DPA, d'autre part des faits distincts du 26 février 2007, imputables à M. X... et la société DPA solidairement, si bien que ces demandes ne sauraient prospérer et doivent être rejetées, étant précisé qu'en tout état de cause, la solidarité édictée par l'article 480-1 du code de procédure pénale pour les restitutions et dommages-intérêts, n'est pas applicable au paiement des frais non recouvrables prévus par l'article 475-1 du code de procédure pénale ; qu'en définitive, les demandes de ces parties civiles sont irrecevables ;

"alors que si le juge répressif a la faculté de rejeter une demande formée devant lui au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, il ne peut le faire que pour des motifs tirés de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée ; qu'en se fondant, pour rejeter les demandes des parties civiles tendant à la condamnation de M. X... et de la société DPA au paiement des frais non recouvrables, sur la circonstance inopérante que la solidarité édictée par l'article 480-1 du code de procédure pénale n'est pas applicable au paiement de ces frais, sans rechercher si l'équité ou la situation économique de M. X... et de la société DPA justifiaient qu'il n'y ait pas lieu à condamnation à ce titre, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour déclarer irrecevables les demandes des parties civiles en remboursement des frais de procédure, l'arrêt attaqué énonce que la solidarité édictée par l'article 480-1 du code de procédure pénale pour les restitutions et dommages-intérêts n'est pas applicable au paiement des frais non recouvrables prévus par l'article 475-1 du code de procédure pénale ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, par un motif impropre à exclure la détermination, par le juge, de la somme due à la partie civile au titre des frais non payés par l'Etat et exposés par celle-ci, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est à nouveau encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 14 octobre 2016, mais en ses seules dispositions ayant déclaré irrecevables les demandes en dommages-intérêts et en remboursement des frais de procédure de la commune de Macau, de L'ASPAS, de la LPO et de la fédération Sepanso Gironde, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bordeaux et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le seize janvier deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 16-86925
Date de la décision : 16/01/2018
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Bordeaux, 14 octobre 2016


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 16 jan. 2018, pourvoi n°16-86925


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : Me Haas, SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:16.86925
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