LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'à la suite du décès de Jeanne G..., laissant pour lui succéder ses enfants, Alain, Denise, Patrick et Liliane Z..., et son époux, M. D... Z..., ce dernier, agissant en son nom et au nom de l'indivision post-successorale, a procédé, par acte notarié du 30 janvier 1990, à la vente à la société Château Tour de Pez de diverses parcelles de vigne, ainsi que de droits de plantation et de matériel agricole et vinicole ; que Patrick Z... est ultérieurement décédé, laissant pour héritiers son épouse, Mme Mireille Y... et ses enfants Céline, C... et B... Z... ; que par actes des 27 et 28 mai 2013, Mmes Denise Z..., Mireille Y..., MM. C... et B... Z... (les consorts Z... Y...) ont assigné la société Château Tour de Pez, MM. D... et Alain Z..., Mmes Liliane et Céline Z... devant un tribunal de grande instance en vue de voir prononcer la nullité de la vente du 30 janvier 1990, ordonner la restitution des parcelles et biens objets de ladite vente et de se voir allouer des dommages-intérêts ; qu'ils ont interjeté appel du jugement déclarant irrecevable leur demande d'annulation ;
Sur la requête en rectification d'erreur matérielle et le premier moyen :
Attendu que les consorts Z... Y... demandent que soit rectifié l'arrêt attaqué en y ajoutant, conformément à ses motifs, le chef de dispositif suivant : "déclare irrecevable la demande d'inopposabilité formulée par Mme Mireille Y..., épouse Z..., Mme Denise Z..., M. B... Z... et M. C... Z..." et font grief à l'arrêt ainsi rectifié de déclarer irrecevable leur demande d'inopposabilité, de confirmer le jugement en ce qu'il les avait condamnés in solidum à payer à MM. D... et Alain Z... et Mmes Liliane et Céline Z... la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts et de les condamner in solidum à payer à M. D... Z..., M. Alain Z... assisté par M. D... Z... et Mme Corinne H... en qualité de curateurs, Mme Liliane Z..., représentée par Mme Julie E... et M. Rémy E... en qualité de co-tuteurs, et Mme Céline Z... la somme supplémentaire de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en indemnisation de leur préjudice moral et de les condamner in solidum à payer à la société Château Tour de Pez la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts en indemnisation de son préjudice moral, alors, selon le moyen, que la demande par laquelle le propriétaire indivis d'un immeuble prétend faire déclarer inopposable à son égard l'aliénation consentie par un coïndivisaire sans pouvoir tend aux mêmes fins que la demande en nullité du même acte ; qu'en déclarant irrecevable la demande, formulée pour la première fois en cause d'appel, tendant à voir le juge déclarer inopposable à l'indivision Z...-G... l'acte de vente du 6 janvier 1990, quand cette demande tendait aux mêmes fins que la demande en nullité de l'acte qui avait été soumise aux premiers juges, la cour d'appel a violé les articles 564 et 565 du code de procédure civile ;
Mais attendu que les erreurs et omissions matérielles qui affectent une décision frappée de pourvoi ne pouvant être rectifiées par la Cour de cassation qu'à la condition que cette décision lui soit, sur ce point, déférée, une requête en rectification d'erreur matérielle ne peut être présentée en vue de rendre recevable un moyen de cassation ;
Et attendu que le dispositif de l'arrêt ne contenant aucun chef déclarant irrecevable la demande d'inopposabilité de l'acte de vente formée en cause d'appel par les consorts Z... Y..., le moyen reprochant à la cour d'appel d'avoir ainsi statué n'est pas recevable ;
D'où il suit que la requête en rectification d'erreur matérielle et le moyen ne sont pas recevables ;
Mais sur le second moyen :
Vu les articles 32-1 du code de procédure civile et 1382, devenu 1240, du code civil ;
Attendu que pour condamner les consorts Z... Y... à payer à la société Château Tour de Pez une somme à titre de dommages-intérêts, l'arrêt, après avoir rejeté la demande de cette société au titre de l'abus du droit d'agir en justice, retient qu'il sera fait droit à sa demande d'indemnisation de son préjudice moral, l'action, visant à contester sa qualité de légitime propriétaire, ayant inévitablement porté atteinte à sa réputation ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'exercice d'une action en justice ne peut constituer un abus de droit que dans des circonstances particulières le rendant fautif, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du même code ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné in solidum Mme Denise Z..., Mme Mireille Y..., veuve Z..., M. C... Z... et M. B... Z... à payer à la société Château Tour de Pez la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts en indemnisation de son préjudice moral, l'arrêt rendu le 31 août 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
REJETTE la demande de dommages-intérêts formée par la société Château Tour de Pez à l'encontre de Mmes Denise Z..., Mireille Y..., veuve Z... et MM. C... et B... Z... ;
Condamne la société Chateau Tour de Pez aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze janvier deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour les consorts Z... Y...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable la demande d'inopposabilité formulée par les appelants, d'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il avait condamné in solidum Mme Denise Z..., Mme Mireille Y... veuve Z..., M. C... Z... et M. B... Z... à payer à M. D... Z..., M. Alain Z..., Mme Liliane Z... et Mme Céline Z... la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts et d'AVOIR condamné in solidum Mme Denise Z..., Mme Mireille Y... veuve Z..., M. C... Z... et M. B... Z... à payer à M. D... Z..., M. Alain Z... assisté par M. D... Z... et Mme Corinne H... en qualité de curateurs, Mme Liliane Z... épouse E... représentée par Mme Julie E... et M. Rémy E... en qualité de co-tuteurs, et Mme Céline Z... la somme supplémentaire de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation de leur préjudice moral et d'AVOIR condamné in solidum Mme Denise Z..., Mme Mireille Y... veuve Z..., M. C... Z... et M. B... Z... à payer à la société Château Tour de Pez la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation de son préjudice moral ;
AUX MOTIFS QUE les appelants développent divers moyens tendant à la nullité de l'acte de vente et du mandat auxquels les intimés s'opposent en invoquant notamment la prescription de l'action ; qu'aux termes des dispositions de l'article 1304 du code civil applicable au litige, "dans tous les cas où l'action en nullité ou en rescision d'une convention n'est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans. Ce temps ne court, dans le cas d'erreur ou de dol que du jour où ils ont été découverts" ; que cette prescription, qui prévoit pour agir un délai de cinq ans à compter de la découverte du vice, constitue la règle de droit commun en matière de nullité pour vice du consentement, la prescription extinctive trentenaire de l'article 2262 du code civil n'étant pas applicable ; qu'en l'espèce, les appelants, qui fondent leur action sur les dispositions de l'article 815-3 du code civil ("les actes d'administration et disposition relatifs aux biens indivis requièrent le consentement de tous les indivisaires"), ne contestent pas avoir été informés de la vente ; qu'ils se bornent à soutenir qu'ils en ignoraient les conditions, et que le délai n'a commencé à courir qu'en 2012, date à laquelle ils ont pris connaissance de l'acte dont ils n'avaient jamais reçu de copie, de sorte qu'ils n'avaient été informés ni de la valeur des biens indivis ni des conditions de vente, échanges et autres actions de transmission effectués par D... Z... ; qu'il ressort des pièces produites aux débats que la vente a donné lieu à l'établissement de divers documents : • un "compte rendu de répartition des revenus de la vente de la propriété" daté du 1er mars 1990 précisant la répartition du montant de la vente (4 712 600 Frs) entre les coindivisaires ; • des attestations datées des 14 et 17 juin et septembre 1990 aux termes desquelles Patrick Z... et Denise Z... ont reconnu avoir perçu les 3e et 4e acomptes "sur la vente Bouchara" ; • un décompte manuscrit intitulé "Indivision Z... – dernier versement Bouchara" daté du 8 décembre 1990 récapitulant les superficies vendues, les montants et la répartition des versements entre les indivisaires ; que tous ces documents ont été signés par l'ensemble des co-indivisaires, y compris Patrick Z... et Denise Z... dont les appelants ne contestent pas l'authenticité des signatures ; qu'il en résulte que les intéressés, qui ont perçu entre mars 1990 et août 1992 diverses sommes au titre de cette vente (Patrick Z..., une somme totale de 999 095 Frs et Denise Z... une somme totale de 1 109 080 Frs), selon un calendrier convenu dans l'acte de vente, le prix de vente étant stipulé payable en quatre trimestrialités, ont eu connaissance non seulement de la cession intervenue, mais aussi de ses modalités, dès le 1er mars 1990, et au plus tard le 8 décembre 1990, date du dernier versement ; qu'ils ne peuvent sérieusement soutenir dans ces conditions avoir ignoré les termes de la vente et le vice de nullité supposé l'affecter ; que le délai de l'action en nullité ayant commencé à courir le 9 décembre 1990 et expiré le 9 décembre 1995, l'action était prescrite lors de l'assignation délivrée les 27 et 28 mai 2013 ; que l'action intentée sera en conséquence déclarée irrecevable, et le jugement confirmé en toutes ses dispositions bien que par substitution de motifs, la demande d'inopposabilité formulée à titre subsidiaire par les appelants, pour la première fois devant la cour, étant quant à elle irrecevable car nouvelle par application des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile qui dispose qu'"à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait" ;
ALORS QUE la demande par laquelle le propriétaire indivis d'un immeuble prétend faire déclarer inopposable à son égard l'aliénation consentie par un coïndivisaire sans pouvoir tend aux mêmes fins que la demande en nullité du même acte ; qu'en déclarant irrecevable la demande, formulée pour la première fois en cause d'appel, tendant à voir le juge déclarer inopposable à l'indivision Z...-G... l'acte de vente du 6 janvier 1990, quand cette demande tendait aux mêmes fins que la demande en nullité de l'acte qui avait été soumise aux premiers juges, la cour d'appel a violé les articles 564 et 565 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné in solidum Mme Denise Z..., Mme Mireille Y... veuve Z..., M. C... Z... et M. B... Z... à payer à la société Château Tour de Pez la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation de son préjudice moral ;
AUX MOTIFS QUE la SAS Château Tour de Pez quant à elle sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté sa demande d'indemnisation, en faisant valoir que l'action intentée lui a causé un préjudice à la fois financier et moral ; qu'il résulte des pièces qu'elle verse aux débats que l'intimée a dû mettre en sommeil ses projets de restructuration qui passaient par la cession de certaines parcelles, et interrompre les négociations engagées auprès d'acquéreurs potentiels, ce qui lui a causé un préjudice financier qu'elle chiffre à 103 950 € dans le dispositif de ses conclusions et à 138 600 € dans ses motifs, correspondant au manque à gagner généré par le placement du prix de vente à un taux de 3 % pendant 4 ans ; que cependant, comme l'a relevé le tribunal, la poursuite de l'exploitation des terres lui a procuré un revenu dont elle ne démontre pas qu'il est inférieur au rendement du capital dont elle a été privée ; que le jugement qui a rejeté sa demande comme insuffisamment fondée sera dès lors confirmé ; qu'il sera également confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande au titre de l'abus du droit d'agir en justice faute pour la SAS Château Tour de Pez de démontrer l'existence d'un préjudice particulier non indemnisé par l'octroi d'une somme au titre des frais irrépétibles ; qu'il sera en revanche fait droit à sa demande d'indemnisation de son préjudice moral, l'action, visant à contester sa qualité de légitime propriétaire, ayant inévitablement porté atteinte à sa réputation ; que les appelants seront condamnés à lui verser à ce titre la somme de 20.000 € ;
ALORS QUE l'abus du droit d'agir en justice n'est caractérisée qu'en présence d'une faute dans l'exercice de ce droit ; qu'en se bornant à juger qu'il serait fait droit à la demande d'indemnisation de son préjudice moral formulée par la société Château Tour de Pez, « l'action, visant à contester sa qualité de légitime propriétaire, ayant inévitablement porté atteinte à sa réputation », sans caractériser une faute des exposants faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce, et 32-1 du code de procédure civile.