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30/11/2017 | FRANCE | N°16-25241

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 30 novembre 2017, 16-25241


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a été engagé par la société Barthélémy Manutention le 1er août 2001 en qualité de mécanicien ; que l'employeur lui a notifié un avertissement le 22 juillet 2009 ; que par lettre du 25 avril 2010, le salarié a dénoncé à l'employeur des faits de harcèlement moral dont il serait victime de sa part ; qu'il a été licencié le 23 novembre 2011 ; qu'invoquant un harcèlement moral et sollicitant l'annulation de l'avertissement ainsi que du licenciement, il a saisi

la juridiction prud'homale ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la socié...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a été engagé par la société Barthélémy Manutention le 1er août 2001 en qualité de mécanicien ; que l'employeur lui a notifié un avertissement le 22 juillet 2009 ; que par lettre du 25 avril 2010, le salarié a dénoncé à l'employeur des faits de harcèlement moral dont il serait victime de sa part ; qu'il a été licencié le 23 novembre 2011 ; qu'invoquant un harcèlement moral et sollicitant l'annulation de l'avertissement ainsi que du licenciement, il a saisi la juridiction prud'homale ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société fait grief à l'arrêt d'annuler l'avertissement notifié le 22 juillet 2009, alors selon le moyen :

1°/ qu'interdiction est faite au juge de dénaturer les écrits soumis à son examen ; que dans son courrier du 27 septembre 2009, M. Y... se bornait à affirmer qu' « Un jour, ce bonhomme a cessé de travailler quelques instants pour bricoler le pédalier de son vélo dans l'atelier chez nous. On m'a dit vers 16 h 30, alors qu'on nous avait coupé l'informatique » ; qu'en jugeant qu'il résultait de ce courrier que M. X... ne pouvait travailler du fait de la panne informatique, lorsque cet écrit était silencieux sur les nécessités de l'informatique pour l'exercice des fonctions d'attaché commercial de M. X..., la cour d'appel l'a dénaturé en violation du principe susvisé ;

2°/ que l'avertissement reprochait à M. X... d'avoir « sans autorisation » cessé ses fonctions d' attaché commercial le 3 juillet 2009 afin de réparer son vélo dans l'atelier de l'entreprise, rappelant qu' « il est strictement interdit d'utiliser les outils de l'entreprise pour des activités personnelles et sans lien avec le travail » ; qu'en se bornant à relever que M. X... était qualifié pour utiliser ces outils sans danger, pour exclure toute faute de sa part, sans cependant rechercher si M. X... n'aurait pas dû recueillir l'autorisation de son employeur pour utiliser à des fins personnelles les outils de l'entreprise dont ses fonctions ne requéraient pas l'usage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1331-1, L. 1333-1 et L. 1333-2 du code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel, sans dénaturation, a estimé, dans l'exercice des pouvoirs qu'elle tient des articles L. 1333-1 et L. 1333-2 du code du travail, que l'avertissement infligé au salarié n'était pas justifié ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision motivée sur le moyen annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le troisième moyen :

Vu l'article L. 1152-3 du code du travail ;

Attendu que pour constater la nullité du licenciement et condamner la société au paiement d'une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, l'arrêt retient que l'article L. 1152-3 du code du travail dispose que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul et que les motifs du licenciement pour cause réelle et sérieuse ne seront pas discutés dès lors que cette rupture du contrat de travail est intervenue dans la continuité du harcèlement moral établi et qu'en conséquence elle se trouve frappée de nullité ;

Qu'en statuant ainsi, sans caractériser le fait que le salarié avait été licencié pour avoir subi ou refusé de subir un harcèlement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il constate la nullité du licenciement et en ce qu'il condamne la société Barthélémy Manutention à payer à M. X... la somme de 33 334 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, l'arrêt rendu le 2 septembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé et signé par M. Chauvet, conseiller doyen faisant fonction de président, et par Mme Becker, greffier de chambre présente lors de la mise à dispositions de l'arrêt le trente novembre deux mille dix-sept.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société Barthélémy manutention.

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR annulé l'avertissement notifié par la société Barthélémy Manutention à M. X... le 22 juillet 2009 et d'AVOIR condamné la première à verser à ce dernier une indemnité en application de l'article 700 du Code de procédure civile

AUX MOTIFS QUE « Sur l'avertissement du 22 juillet 2009 : Le salarié sollicite l'annulation de l'avertissement notifié le 22 juillet 2009 au motif que ce dernier est infondé expliquant que l'établissement avait été victime d'une panne générale d'informatique à compter de 16 heures 30 le jour des faits de sorte qu'il avait utilisé les quelques instants où il ne pouvait plus accomplir son travail pour réparer le pédalier de son vélo.
Le salarié prouve suffisamment qu'au moment des faits il ne pouvait travailler en produisant le courrier d'un cadre, M. Y..., qui sera reproduit au point 3. De plus, il a été recruté en qualité de mécanicien. Dès lors, l'employeur était mal fondé à lui reprocher de n'être aucunement équipé ni formé pour utiliser les outils d'un technicien et de s'être ainsi exposé à un danger en réparant le pédalier de son vélo.
La faute du salarié n'étant nullement prouvée et le raisonnement conduisant à la sanction reposant de plus sur une prémisse fausse, la sanction sera annulée »

ET AUX MOTIFS QUE « M. Y... (…) écrivait au chef d'entreprise, le 27 septembre 2009, en des termes explicitant très précisément l'économie du harcèlement moral : "Je récapitule, pour être - quant à moi - persuadé que tu ne comprends pas tout ce qui se passe chez nous. Nous souffrons à Vitrolles d'une promiscuité fétide et sur-infectée. Les gens passent le plus clair de leur temps à dénigrer, à babiller, à commenter. .. Mais pas à travailla Et ton comportement ne fait qu'augmenter ce mal qui nous ronge. Les cadres qui balancent des avertissements sans se montrer nous conduisent directement à la catastrophe. Quant à toi et moi, le problème majeur provient d'un schéma versatile et contradictoire que tu ne peux t'empêcher de reproduire cycliquement, car quelle que soit ta bonne volonté, ton "naturel" revient toujours au galop. Tu sais que j'ai besoin d'avoir pleine confiance en toi, comme hier pour ce qui était avec Roger B : une affaire d'hommes qui s'engagent, qui tiennent debout et ensemble quoi qu'il arrive. Le soir du jeudi 17 septembre dernier; tu fais un pot dans ton bureau pour célébrer mon anniversaire en comité restreint. Et je me surprends à évoquer publiquement quelque sympathie que je commence à te vouer. II aura fallu des mois pour en arriver là, tant tes revirements et autres paradoxes que tu m'imposes s'avèrent traumatisants pour moi. Le lendemain après-midi, au téléphone, tu entends me donner une leçon de morale sur une note de parking du 31 août qui se trouve dans mes frais du mois. Pour quelques euros. Pourquoi ne pas te payer un microscope de biologiste ? Tu vérifierais ainsi, si ce sont bel et bien mes empreintes sur le ticket. Alors je t'explique que j'invite de temps à autre tous nos vendeurs entre midi et deux (Faut-il te justifier pourquoi les messages passent mieux dans ces conditions), sauf Hervé qui bosse en continu, que je ne peux honorer que le soir Tu le rends à l'évidence de ta bévue, et t'en excuse. Mon amertume consécutive ne vient pas de ce que tu estimes devoir me contrôler; mais seulement que tu le fasses alors que tu soutiennes simultanément signer mes défraiements sans les regarder ! Donc - clairement - dans un premier temps, tu reconnais et rends grâce à ma loyauté, pour ensuite me prouver le contraire. Idem quand tu affirmes avoir un "don" pour tomber au hasard sur les failles en toutes choses. Halte au mysticisme, Daniel! II s'agit simplement de ton esprit profondément "tourmenté" qui traque le vice en tout, parce qu'il le voit partout. Le phénomène du miroir que tous les psychologues du monde connaissent bien. Ma déception s'enchaîne et se renforce lorsque - dans la même journée décidément sinistre - tu m'exprimes vouloir pousser Joël X... à la faute et à sa perte en le laissant me frapper. Un jour, ce bonhomme a cessé de travailler quelques instants pour bricoler le pédalier de son vélo dans l'atelier chez nous. On m'a dit vers 16 h. 30, alors qu'on nous avait coupé l'informatique.
Est-ce que l'événement valait un avertissement, à cette personne qui quitte régulièrement l'entreprise le soir venu après 19 h 30 ? Lorsqu'il a voulu savoir de qui venait cette sentence en disgrâce, tu lui as répondu "Ni Benoit - Ni Patrick", mais tu t'es bien gardé - indignement d'ailleurs - de revendiquer la pleine et entière responsabilité de ce geste, qui me semble - quant à moi - totalement disproportionné en fonction des circonstances. Joël X... s'est donc mis à croire que j'en étais l'instigateur. La vox populi foireuse de la rue de Berlin ne lui claironne-telle pas que je faisais pleurer Sophie Z..., que j'ai viré improprement Fabrice A..., que je m'apprête à en faire autant avec mon assistante ... Et j'en passe! L'acte manqué de ta part est flagrant. Tu as voulu te tenir à l'écart de toutes les conséquences de ta propre lettre recommandée, et protéger le gus qui nous sert (?!) désormais de RSC. Résultat, Joël X... est à cran, et il explose un soir lorsqu'i1 me voit fumer dans mon bureau, ce qui m'arrive ponctuellement - y compris avec Thierry C... et Claude D..., Daniel E... - en personne - qui aurait dit à 3 reprises m'avoir demandé d'arrêter, en vain' Gros mensonge, Daniel. Un de plus. Tu ne peux pas me faire ça. Tu n'as pas le droit de pousser le bouchon aussi loin. Pourquoi ces faux-fuyants, ces travers machiavéliques? Pourquoi tu dis oui et tu fais non? Pourquoi deux discours pour la même chose, selon qui tu as en face ? Tu es chez BARTHELEMY MANUTENTION pour incarner le modèle. Ton Benoît préféré aussi. Tu dois cesser d'agir en traître. Et dis-toi une fois pour toutes que je préfère la vérité, car les oscillations de la girouette me donnent le mal de mer.
Enfin, admets que je ne sois pas chez BARTHELEMY MANUTENTION pour assumer tes faiblesses, ni pour me laisser boursoufler par des individus que Benoît et toi montez contre moi. Désormais, il n'y aurait rien de pire qu'une punition injuste pour Joël X.... La société BARTHETEMY MANUTENTION en pâtirait terriblement. Et j'ai autre chose à faire que de me laisser bouffer la tête avec tous ces sarcasmes que tu m'infliges. Toit et toi seul. Car pour moi, Benoît ne compte pas: tu es le seul responsable à mes yeux »
1/ ALORS QU'interdiction est faite au juge de dénaturer les écrits soumis à son examen ; que dans son courrier du 27 septembre 2009, M. Y... se bornait à affirmer qu' « Un jour, ce bonhomme a cessé de travailler quelques instants pour bricoler le pédalier de son vélo dans l'atelier chez nous. On m'a dit vers 16 h. 30, alors qu'on nous avait coupé l'informatique » ; qu'en jugeant qu'il résultait de ce courrier que M. X... ne pouvait travailler du fait de la panne informatique, lorsque cet écrit était silencieux sur les nécessités de l'informatique pour l'exercice des fonctions d'attaché commercial de M. X..., la Cour d'appel l'a dénaturé en violation du principe susvisé ;

2/ ALORS QUE l'avertissement reprochait à M. X... d'avoir « sans autorisation » cessé ses fonctions d' attaché commercial le 3 juillet 2009 afin de réparer son vélo dans l'atelier de l'entreprise, rappelant qu' « il est strictement interdit d'utiliser les outils de l'entreprise pour des activités personnelles et sans lien avec le travail » ; qu'en se bornant à relever que M. X... était qualifié pour utiliser ces outils sans danger, pour exclure toute faute de sa part, sans cependant rechercher si M. X... n'aurait pas dû recueillir l'autorisation de son employeur pour utiliser à des fins personnelles les outils de l'entreprise dont ses fonctions ne requéraient pas l'usage, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L 1331-1, L 1333-1 et L 1333-2 du Code du travail.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la société Barthélémy Manutention est responsable du harcèlement moral subi par M. X... et de l'AVOIR en conséquence condamnée à verser au salarié la somme de 6000 euros à titre de dommages et intérêts outre une indemnité en application de l'article 700 du Code de procédure civile

AUX MOTIFS QUE «M. Joël X... a été embauché par la SA BARTHELEMY Manutention suivant contrat à durée indéterminée du 1 er août 2001 en qualité de mécanicien, coefficient 195, niveau 2, échelon 3.

Les rapports contractuels des parties sont soumis aux dispositions de la convention collective du commerce d'équipement pour l'industrie, appareils de levage et de manutention.
Au dernier état de la relation contractuelle, le salarié occupait le poste de technico-commercial et percevait un salaire brut de 2 381 €.
Le 22 décembre 2006, le salarié a été élu à la délégation unique du personnel.
L'employeur a notifié au salarié un avertissement par lettre recommandée du 22 juillet 2009 ainsi rédigée: "Le 3 juillet 2009, nous avons constaté que, durant vos heures de travail, vous aviez, sans autorisation, délaissé votre mission d'attaché commercial service afin de réparer votre vélo au sein de l'atelier de l'entreprise. Or nous vous rappelons que vous devez consacrer l'intégralité de vos heures de travail à votre mission contractuelle pour laquelle vous êtes rémunéré. En outre, il est strictement interdit d'utiliser les outils de l'entreprise pour des activités personnelles et sans lien avec votre travail. Enfin, vous n'étiez aucunement équipé ni formé pour utiliser les outils d'un technicien et vous vous êtes donc exposé à un danger pouvant entraîner la mise en oeuvre de notre responsabilité. C'est pourquoi nous vous adressons la présente qui constitue un avertissement. Nous vous demandons d'en tenir compte pour l'avenir et à défaut, nous serions contraints d'envisager des sanctions plus sévères ».
Par lettre du 25 avril 2010, le salarié a dénoncé à l'employeur des faits de harcèlement moral dont il serait victime de la part de M, Daniel E..., le chef d'entreprise, dans les termes suivants:
(…) ; L'employeur a répondu le 25 mai 2010 par une lettre ainsi rédigée: (…).
Le salarié a été convoqué à un entretien préalable le 13 septembre 2010 et mis à pied à titre conservatoire. Le comité d'entreprise a rendu un avis favorable au licenciement du salarié le 23 septembre 2010. Le 3 novembre 2010 l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement, décision confirmée par le Ministre le 21 avril 2011.
Le salarié a été convoqué à un entretien préalable le 15 novembre 2011 puis licencié pour cause réelle et sérieuse suivant lettre du 23 novembre 201l ainsi rédigée: (…) »

ET AUX MOTIFS QUE « L'article L. 1154-1 du code du travail dispose que lorsque survient un litige relatif à l'application des articles 1,. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à 1,. 1] 53-4, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, qu'au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et enfin que le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Le salarié reproche à l'employeur de l'avoir soumis à un harcèlement moral dès lors qu'il s'est opposé à la modification de la rémunération des commerciaux de l'entreprise, de l'avoir ainsi soumis à des sanctions injustifiés, l'avertissement qui vient d'être annulé, une procédure disciplinaire qui n'a pas abouti pour des faits de violences sur la personne d'un cadre, M. Luc Y..., et une procédure de licenciement pour faute grave à raison d'un comportement agressif à l'encontre de M. E..., le président de la société, laquelle procédure de licenciement n'a pas été menée à son terme faute d'être autorisée par l'inspection du travail mais a quand même donné lieu à une mise à pied conservatoire et à retour en entreprise difficile.
Le salarié fait valoir de plus que son état de santé s'est dégradé suite au harcèlement moral et produit en ce sens un courrier du 30 mars 2010 du Docteur F..., médecin psychiatre, alertant le médecin du travail que l'appelant présentait un trouble anxieux généralisé avec crise d'angoisse et réactions de colère, avec sentiment d'injustice. Le médecin faisait état d'une situation professionnelle stressante et conflictuelle rapportée par le salarié depuis 2006 et de la prescription d'un traitement anxiolytique.
L'ensemble de ces éléments permet de présumer l'existence d'un harcèlement.
L'employeur ne justifie son attitude que par des attestations de subordonnés relatant le comportement agressif du salarié à l'égard de l'employeur. Mais cette défense, très partielle, ne résiste pas à la description faite par M. Y..., le cadre prétendument victime du salarié, qui écrivait au chef d'entreprise, dès 27 septembre 2009, en des termes explicitant très précisément l'économie du harcèlement moral "Je récapitule, pour être - quant à moi - persuadé que tu ne comprends pas tout ce qui se passe chez nous. Nous souffrons à Vitrolles d'une promiscuité fétide et sur-infectée. Les gens passent le plus clair de leur temps à dénigrer, à babiller, à commenter. ..Mais pas à travailla Et ton comportement ne fait qu'augmenter ce mal qui nous ronge. Les cadres qui balancent des avertissements sans se montrer nous conduisent directement à la catastrophe. Quant à toi et moi, le problème majeur provient d'un schéma versatile et contradictoire que tu ne peux t'empêcher de reproduire cycliquement, car quelle que soit ta bonne volonté, ton "naturel" revient toujours au galop. Tu sais que j'ai besoin d'avoir pleine confiance en toi, comme hier pour ce qui était avec Roger B : une affaire d'hommes qui s'engagent, qui tiennent debout et ensemble quoi qu'il arrive. Le soir du jeudi 17 septembre dernier; tu fais un pot dans ton bureau pour célébrer mon anniversaire en comité restreint. Et je me surprends à évoquer publiquement quelque sympathie que je commence à te vouer. II aura fallu des mois pour en arriver là, tant tes revirements et autres paradoxes que tu m'imposes s'avèrent traumatisants pour moi. Le lendemain après-midi, au téléphone, tu entends me donner une leçon de morale sur une note de parking du 31 août qui se trouve dans mes frais du mois. Pour quelques euros. Pourquoi ne pas te payer un microscope de biologiste ? Tu vérifierais ainsi, si ce sont bel et bien mes empreintes sur le ticket. Alors je t'explique que j'invite de temps à autre tous nos vendeurs entre midi et deux (Faut-il te justifier pourquoi les messages passent mieux dans ces conditions), sauf Hervé qui bosse en continu, que je ne peux honorer que le soir Tu le rends à l'évidence de ta bévue, et t'en excuse. Mon amertume consécutive ne vient pas de ce que tu estimes devoir me contrôler; mais seulement que tu le fasses alors que tu soutiennes simultanément signer mes défraiements sans les regarder ! Donc - clairement - dans un premier temps, tu reconnais et rends grâce à ma loyauté, pour ensuite me prouver le contraire. Idem quand tu affirmes avoir un "don" pour tomber au hasard sur les failles en toutes choses. Halte au mysticisme, Daniel! II s'agit simplement de ton esprit profondément "tourmenté" qui traque le vice en tout, parce qu'il le voit partout. Le phénomène du miroir que tous les psychologues du monde connaissent bien. Ma déception s'enchaîne et se renforce lorsque - dans la même journée décidément sinistre - tu m'exprimes vouloir pousser Joël X... à la faute et à sa perte en le laissant me frapper. Un jour, ce bonhomme a cessé de travailler quelques instants pour bricoler le pédalier de son vélo dans l'atelier chez nous. On m'a dit vers 16 h. 30, alors qu'on nous avait coupé l'informatique.
Est-ce que l'événement valait un avertissement, à cette personne qui quitte régulièrement l'entreprise le soir venu après 19 h 30 ? Lorsqu'il a voulu savoir de qui venait cette sentence en disgrâce, tu lui as répondu "Ni Benoit - Ni Patrick", mais tu t'es bien gardé - indignement d'ailleurs - de revendiquer la pleine et entière responsabilité de ce geste, qui me semble - quant à moi - totalement disproportionné en fonction des circonstances. Joël X... s'est donc mis à croire que j'en étais l'instigateur. La vox populi foireuse de la rue de Berlin ne lui claironne-telle pas que je faisais pleurer Sophie Z..., que j'ai viré improprement Fabrice A..., que je m'apprête à en faire autant avec mon assistante ... Et j'en passe! L'acte manqué de ta part est flagrant. Tu as voulu te tenir à l'écart de toutes les conséquences de ta propre lettre recommandée, et protéger le gus qui nous sert (?!) désormais de RSC. Résultat, Joël X... est à cran, et il explose un soir lorsqu'i1 me voit fumer dans mon bureau, ce qui m'arrive ponctuellement - y compris avec Thierry C... et Claude D..., Daniel E... - en personne - qui aurait dit à 3 reprises m'avoir demandé d'arrêter, en vain' Gros mensonge, Daniel. Un de plus. Tu ne peux pas me faire ça. Tu n'as pas le droit de pousser le bouchon aussi loin. Pourquoi ces faux-fuyants, ces travers machiavéliques? Pourquoi tu dis oui et tu fais non? Pourquoi deux discours pour la même chose, selon qui tu as en face ? Tu es chez BARTHELEMY MANUTENTION pour incarner le modèle. Ton Benoît préféré aussi. Tu dois cesser d'agir en traître. Et dis-toi une fois pour toutes que je préfère la vérité, car les oscillations de la girouette me donnent le mal de mer.
Enfin, admets que je ne sois pas chez BARTHELEMY MANUTENTION pour assumer tes faiblesses, ni pour me laisser boursoufler par des individus que Benoît et toi montez contre moi. Désormais, il n'y aurait rien de pire qu'une punition injuste pour Joël X.... La société BARTHETEMY MANUTENTION en pâtirait terriblement. Et j'ai autre chose à faire que de me laisser bouffer la tête avec tous ces sarcasmes que tu m'infliges. Toit et toi seul. Car pour moi, Benoît ne compte pas: tu es le seul responsable à mes yeux. "
Ainsi, à raison des considérations précédentes et de l'ensemble des éléments produits par les parties, la cour retient que la salariée a bien été victime de faits de harcèlement moral de la part de M. Daniel E..., le chef d'entreprise. Compte tenu de la durée des faits et de leur gravité, ainsi que de la dégradation de l'état de santé du salarié, le préjudice de ce dernier sera indemnisé par l'allocation de la somme de 6 000 € à titre de dommages et intérêts »
1/ ALORS QUE seuls des faits matériellement établis peuvent laisser présumer un harcèlement moral ; que le juge ne peut se contenter des seules allégations du salarié ; que pour retenir une présomption de harcèlement moral en l'espèce, la Cour d'appel s'est bornée à relever que M. X... « reproche à l'employeur » de « l'avoir ainsi soumis à des sanctions injustifiées, l'avertissement qui vient d'être annulé, une procédure disciplinaire qui n'a pas abouti pour des faits de violences sur la personne d'un cadre, M. Luc Y..., et une procédure de licenciement pour faute grave à raison d'un comportement agressif à l'encontre de M. E..., le président de la société, laquelle procédure de licenciement n'a pas été menée à son terme faute d'être autorisée par l'inspection du travail mais a quand même donné lieu à une mise à pied conservatoire et à retour en entreprise difficile » ; qu'en statuant ainsi lorsqu'il ne résultait de ses constatations que le prononcé de l'avertissement le 22 juillet 2009 qu'elle venait d'annuler et l'engagement d'une procédure de licenciement le 13 septembre 2010 n'ayant pas abouti en raison du refus de l'inspection du travail de l'autoriser, la Cour d'appel qui s'est fondée sur les seules allégations du salarié quant au prononcé de plusieurs sanctions injustifiées et à l'engagement d'une procédure disciplinaire qui n'aurait pas abouti, a violé les articles L 1152-1 et L 1154-1 du Code du travail;

2/ ALORS QUE pour établir que ses agissements étaient étrangers à tout harcèlement, la société Barthélémy Manutention faisait valoir que M. X..., qui était représentant du personnel, n'avait pas saisi le CHSCT des prétendus agissements de harcèlement moral qu'il prétendait avoir subis, que l'inspecteur du travail, informé des accusations de M. X... n'avait jamais mis en demeure la société, que le refus opposé par l'Administration du travail au licenciement de M. X... envisagé en septembre 2010 était étranger à tout harcèlement, et qu'enfin le médecin du travail qui avait été informé par le médecin traitant de M. X... de ses difficultés psychologiques prétendument en lien avec son travail, avait jugé M. X... apte à la reprise de son poste de travail le 30 juin 2011 sans aucune réserve (conclusions d'appel de l'exposante reprises oralement à l'audience p 8) ; qu'en retenant que M. X... avait été victime de faits de harcèlement moral de la part du chef d'entreprise, sans répondre à ce moyen péremptoire des conclusions de l'exposante, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR constaté la nullité du licenciement et d'avoir en conséquence condamné la société Barthélémy Manutention à verser à M. X... la somme de 33 334 euros à titre de dommages et intérêts de ce chef outre une indemnité en application de l'article 700 du Code de procédure civile

AUX MOTIFS QUE « L'article L. 1152-3 du code du travail dispose que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul. Les motifs du licenciement pour cause réelle et sérieuse ne seront pas discutés dès lors que cette rupture du contrat de travail est intervenue dans la continuité du harcèlement moral établi au point précédent et qu'en conséquence elle se trouve frappée de nullité.
Compte tenu de son ancienneté de plus de 10 ans et des justificatifs de perte de revenu qu'il produit, le salarié verra son préjudice entièrement réparé par J'allocation d'une somme équivalente à 14 mois de salaires soit 14 x 2381 € = 33 334 € »

1/ALORS QUE la cassation à intervenir sur le deuxième moyen entrainera par voie de conséquence la cassation de ce chef de dispositif en application de l'article 624 du Code de procédure civile ;

2/ALORS QUE l'annulation d'un licenciement en raison du harcèlement moral dont un salarié a fait l'objet ne peut être prononcée que s'il est établi que le salarié a été licencié pour avoir subi ou refusé de subir de tels agissements ; que le seul fait que le salarié ait été victime d'agissements de harcèlement moral n'implique pas en soi qu'il a été licencié pour avoir subi ou refusé de subir de tels agissements, les juges du fond devant caractériser en quoi son licenciement est en lien avec de tels agissements; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que l'avertissement que la cour d'appel a jugé injustifié avait été prononcé le 22 juillet 2009, que le courrier de M. Y... dénonçant des faits de harcèlement datait du 27 septembre 2009, que la tentative de licenciement refusée par l'inspection du travail et les difficultés psychologiques rencontrées par le salarié remontaient à l'année 2010, tandis qu'il était constant que M. X... avait été déclaré apte sans réserves à l'exercice de ses fonctions le 30 juin 2011 par le médecin du travail qui avait été dûment informé des difficultés psychologiques rencontrées par le salarié ; qu'en affirmant seulement que son licenciement prononcé pour insuffisance de résultats le 23 novembre 2011, était intervenu « dans la continuité » du harcèlement qu'elle avait retenu sans pourtant relever le moindre agissement de cette nature au cours de l'année 2011, la Cour d'appel qui n'a pas caractérisé que M. X... avait été licencié pour avoir subi ou refusé de subir un harcèlement, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L 1152-3 du Code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 16-25241
Date de la décision : 30/11/2017
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 02 septembre 2016


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 30 nov. 2017, pourvoi n°16-25241


Composition du Tribunal
Président : M. Chauvet (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2017:16.25241
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