LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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M. Louis X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'ANGERS, chambre correctionnelle, en date du 30 juin 2016, qui, pour injure publique envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur orientation sexuelle, l'a condamné à 2 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 17 octobre 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Talabardon, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Bray ;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire TALABARDON, les observations de la société civile professionnelle LE BRET-DESACHÉ, de Me BOUTHORS, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général référendaire CABY ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de la procédure que, le 26 février 2015, lors d'une séance du conseil municipal de la ville du Mans, au cours de laquelle était discuté le projet de relance du " centre LGBT ", M. Louis X..., conseiller appartenant au Front national, a déclaré : " maintenant, ce n'est plus LGBT, vous avez ajouté donc lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels, intersexuels, queers and friendly. I don't understand you. Vous avez oublié certainement la zoophilie. Vous avez oublié la zoophilie, c'est ça qui me gêne " ; que l'intéressé ayant été poursuivi pour ces propos devant le tribunal correctionnel, du chef d'injure publique envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur orientation sexuelle, les juges du premier degré l'ont retenu dans les liens de la prévention et ont reçu l'association Homogène en sa constitution de partie civile ; que le prévenu, à titre principal, le ministère public et la partie civile, à titre incident, ont relevé appel de la décision ;
En cet état ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 29 et 33, alinéa 4, de la loi du 29 juillet 1881, 593 du code de procédure pénale, défaut de base légale ;
" en ce que la cour d'appel a confirmé le jugement entrepris ayant condamné le prévenu pour « injure publique envers un particulier en raison de son orientation sexuelle » et, en répression l'a condamné à la peine de 2 000 euros d'amende ;
" aux motifs que sur la culpabilité, dans ses conclusions et dans les compléments de celle-ci développés oralement à l'audience de la cour, M. X... conteste avoir assimilé homosexualité et zoophilie ; mais que dans la phrase incriminée, en rappelant différents ajouts qui auraient été faits par ses interlocuteurs au cadre de la défense de certaines personnes, et en signalant que ces interlocuteurs avaient « oublié certainement la zoophilie », M. X... a placé sur le même plan l'homosexualité, la transsexualité et la zoophilie, en un amalgame qu'il ne peut rejeter sur les auditeurs de ses propos ; que ce disant, il n'a pas imputé aux personnes homosexuelles des pratiques zoophiles ; que ses propos ne peuvent donc pas, contrairement à ce qu'il prétend, constituer une diffamation ; que M. X... soutient encore que ses propos ne constitueraient pas un outrage ; que la zoophilie est, dès lors qu'elle constitue un mauvais traitement envers l'animal ; que rapprocher l'homosexualité ou la transsexualité de la zoophilie est donc bien l'expression d'un mépris et constitue bien un outrage, une injure ; que le prévenu considère par ailleurs que la communauté homosexuelle n'aurait pas été elle-même mise en cause ; mais qu'en mettant sur le même plan les personnes pratiquant la zoophilie et les lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels, intersexuels, queers and friendly, sans viser aucune de ces personnes en particulier, M. X... a bien mis en cause tous ces groupes de personnes, dont plusieurs constituent ce qu'il est communément convenu d'appeler la communauté homosexuelle ; que M. X... invoque enfin les dispositions de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'il apparaît nécessaire de rappeler que si, en son premier alinéa, cet article dispose que « Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière », il pose en son second alinéa des limites à cette liberté en disposant que « L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui » ; et que c'est bien la protection de la réputation et des droits d'autrui que vise l'article 33 de la loi du 29 juillet 1881, plus particulièrement en l'espèce son quatrième alinéa ; que sanctionner une injure proférée à l'encontre de personnes ne peut donc être contraire à l'article 10 ; qu'au vu de ce qui précède, c'est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu la culpabilité de M. X..., et la cour confirmera cette déclaration de culpabilité ; que sur la peine, la peine prononcée est parfaitement adaptée à la nature et au degré de gravité des faits commis, ainsi qu'à la personnalité du prévenu, dont le casier judiciaire ne porte mention d'aucune condamnation, et à ses facultés contributives ; que le jugement dont appel sera donc confirmé également sur ce point ; que, sur l'action civile (…), l'association Homogene, appelante incidemment, demande que l'indemnisation de son préjudice soit portée à la somme de 2 000 euros, et que soit ordonnée la publication du présent arrêt dans cinq publications, aux frais de M. X..., limités à 3 500 euros par publication ; que le tribunal correctionnel a justement apprécié l'importance du préjudice moral subi par l'association Homogene et le montant de son indemnisation, point qui n'est par ailleurs pas expressément critiqué par le prévenu ; et que les premiers juges ont opportunément retenu que la publication n'était pas nécessaire, l'information sur cette affaire et les décisions de justice rendues ayant été et devant être suffisante à travers les voies de communication ordinaires ; qu'en conséquence, la cour confirmera les dispositions civiles du jugement dans leur intégralité ;
" 1°) alors que la liberté d'expression « vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque de la population, notamment dès lors que les propos incriminés trouvent leur place dans un débat d'intérêt général, l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme exigeant alors un niveau élevé de protection de la liberté d'expression ; qu'en l'espèce, les propos incriminés ont été tenus lors de la réunion d'un conseil municipal statuant sur des subventions à accorder à certaines communautés ; que les propos devaient ainsi être analysés en fonction de leur contexte, le conseil municipal constituant, selon la Cour européenne des droits de l'homme, « une tribune indispensable au débat politique » durant lequel « les limites de la liberté d'expression sont plus larges » ; que, pour qu'une ingérence dans la liberté d'expression soit justifiée, il faut établir, outre sa légalité et le but légitime poursuivi, qu'elle répond à un besoin social impérieux ; qu'en l'espèce, si la cour a considéré que l'atteinte à la liberté d'expression du prévenu poursuivait un but légitime, elle n'a pas retenu que le cadre dans lequel les propos litigieux ont été tenus relevait de l'intérêt général, alors qu'il s'agissait d'une discussion au cours d'une séance publique d'un conseil municipal consacrée aux subventions communautaires, dont la liste ne fait que s'allonger, ce qu'entendait contester le demandeur ; qu'en statuant ainsi, la cour a violé les textes visés au moyen ;
" 2°) alors qu'en vertu du principe de l'interprétation stricte des restrictions à la liberté d'expression, il appartient à la Cour de cassation d'exercer son contrôle sur le sens et la portée des propos incriminés ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que le prévenu avait amalgamé l'homosexualité et la zoophilie, sans rechercher le sens et la portée des propos qu'il a tenus, et qui ne relevaient pas de l'outrage, mais de la réprobation de subventions électoralistes et des communautaires sous entendant de façon ironique que les zoophiles sont aussi des électeurs ; que, si les propos proférés sont d'une ironie maladroite et qu'ils ont pu heurter la communauté homosexuelle qui n'était cependant pas visée, ils ne constituent pas une injure au sens de la loi sur la liberté de la presse ; qu'en considérant que les propos tenus par le prévenu constituaient une injure publique envers la communauté homosexuelle, la cour d'appel a violé les articles 29 et 33, alinéa 4, de la loi du 29 juillet 1881, et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme " ;
Attendu que, pour confirmer le jugement sur la déclaration de culpabilité, l'arrêt, par les motifs propres rappelés au moyen et ceux réputés adoptés des premiers juges, retient que, par les propos incriminés, le prévenu a sciemment mis sur le même plan l'homosexualité, qui est une orientation sexuelle, et la zoophilie, qui constitue pour la psychiatrie un trouble de l'objet sexuel, par ailleurs susceptible de caractériser le délit de sévices sexuels envers un animal, et qu'un tel rapprochement contenait l'expression d'un mépris envers les personnes homosexuelles, constitutive d'un outrage et, comme telle, injurieuse ; que les juges ajoutent que le prévenu ne peut se prévaloir de la liberté d'expression garantie par l'article 10, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, dès lors qu'une telle injure en raison de l'orientation sexuelle relève de la restriction apportée à cette liberté par le second paragraphe du même article, en vue de la protection de la réputation et des droits d'autrui ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, exemptes d'insuffisance comme de contradiction et répondant aux conclusions dont les juges étaient saisis, et dès lors que la circonstance que les propos incriminés ont été tenus à l'occasion d'un débat d'intérêt public au cours d'une séance d'un conseil municipal n'était pas de nature à leur retirer leur caractère injurieux à l'égard des personnes visées, la cour d'appel, qui a exactement apprécié le sens et la portée de ces propos, n'a méconnu aucun des textes invoqués au moyen, lequel, dès lors, ne saurait être accueilli ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 48-4 de la loi du 29 juillet 1881 ;
" en ce que la cour d'appel a déclaré recevable la constitution de partie civile de l'association Homogene ;
" aux motifs que sur l'action civile, M. X... a soulevé devant la cour, avant toute défense au fond, l'irrecevabilité de la constitution de partie civile de l'association Homogene, au motif qu'elle ne répondrait pas aux exigences de l'article 48-4 de la loi du 29 juillet 1881 ; que ce moyen, bien que présenté pour la première fois en cause d'appel, est recevable en ce qu'il porte sur les conditions de fond de la recevabilité de la constitution de partie civile ; que l'article 48-4 de la loi du 29 juillet 1881 dispose en son premier alinéa que « Toute association, régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant, par ses statuts, de combattre les violences ou les discriminations fondées sur l'orientation ou identité sexuelle ou d'assister les victimes de ces discriminations peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les délits prévus par le huitième alinéa de l'article 24, lorsque la provocation concerne des crimes ou délits commis avec la circonstance aggravante prévue par l'article 132-77 du code pénal » ; que les statuts de l'association Homogene ont été déposés en 1996 ; qu'ils prévoient, en leur article 2, que les buts de l'association sont :
• l'accueil et l'information de toute personne désirant mieux comprendre l'homosexualité dans sa diversité,
• la prévention, tant pour lutter contre les M. S. T. que pour éviter les suicides d'homosexuel (le) s ne percevant leur état que dans la négativité,
• la lutte contre l'homophobie et toute atteinte aux droits de l'homme, • (…) ; que l'homophobie est définie, par plusieurs dictionnaires, comme le rejet de l'homosexualité, l'hostilité systématique, voire la haine, à l'égard des homosexuels ; qu'il s'agit donc bien d'une discrimination, dans le traitement et la considération des personnes, fondée sur l'orientation ou l'identité sexuelle ; que l'un des buts, au moins, de l'association Homogene répond donc bien à l'exigence posée par l'article 48-4 de la loi du 29 juillet 1881, et la recevabilité de la constitution de partie civile de cette association doit être confirmée ;
" alors que seules les associations se proposant, par leurs statuts, de combattre les violences ou les discriminations fondées sur l'orientation ou l'identité sexuelle peuvent exercer l'action civile en matière d'injures ; que l'association Homogene a pour objet « la lutte contre l'homophobie » ; que l'homophobie s'entend du rejet de l'homosexualité, alors que la discrimination consiste en un traitement violant l'égalité lorsqu'il repose sur des critères visés par la loi et dans un domaine qu'elle fixe ; que la lutte contre l'homophobie, qui n'est pas, en soi, un délit mais une opinion, voire une idéologie, aussi critiquable soit-elle, ne peut donc se confondre avec la lutte contre la discrimination en raison de l'orientation ou de l'identité sexuelle ; qu'en considérant que l'homophobie était une discrimination pour déclarer recevable la constitution de partie civile de l'association Homogene, la cour d'appel a violé l'article 48-4 de la loi du 29 juillet 1881 " ;
Attendu que, pour écarter le moyen tiré de l'irrecevabilité de la constitution de partie civile de l'association Homogène, motif pris de ce que les buts que cette association poursuit n'entrent pas dans les prévisions de l'article 48-4 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors qu'en se donnant pour objet social, notamment, " la lutte contre l'homophobie et toute atteinte aux droits de l'homme ", ladite association se propose, par ses statuts, de combattre les violences fondées sur l'orientation sexuelle, au sens dudit article 48-4, dans lesquelles sont comprises les violences, comme en l'espèce, verbales, la cour d'appel a fait l'exacte application de ce texte ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 000 euros la somme que M. X... devra payer à l'association Homogène en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-huit novembre deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.