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09/11/2017 | FRANCE | N°16-15515

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 09 novembre 2017, 16-15515


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a été engagé par la société Atlantico le 8 novembre 2004 ; qu'il a été licencié pour faute grave le 13 décembre 2013 ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse alors, selon le moyen, qu'en matière prud'homale la preuve est libre, que rien ne s'oppose à ce que

le juge examine un document établi par un cadre de l'entreprise mandaté par l'emplo...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a été engagé par la société Atlantico le 8 novembre 2004 ; qu'il a été licencié pour faute grave le 13 décembre 2013 ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse alors, selon le moyen, qu'en matière prud'homale la preuve est libre, que rien ne s'oppose à ce que le juge examine un document établi par un cadre de l'entreprise mandaté par l'employeur pour procéder à une enquête sur les suspicions de fautes d'un salarié ; qu'en écartant l'enquête interne dirigée par la secrétaire administrative de l'entreprise, au motif qu'elle revenait pour l'employeur à se fournir une preuve à lui-même, la cour d'appel a violé les articles 201 et 202 du code de procédure civile ;

Mais attendu que sous couvert du grief non fondé de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine par les juges du fond des éléments de fait et de preuve ;

Mais sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu les articles L. 1232-6 et L. 1235-1 du code du travail ;

Attendu que pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que les faits reprochés au salarié et mentionnés sur la lettre de licenciement ne sont pas datés et en conséquence non vérifiables ;

Qu'en statuant ainsi, alors que les griefs tirés de l'utilisation à des fins personnelles de la carte de carburant confiée pour un usage professionnel et du manque de courtoisie dans ses échanges avec ses collègues de travail étaient précis et matériellement vérifiables, la cour d'appel à qui il appartenait de vérifier le caractère réel et sérieux du licenciement a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions l'arrêt rendu entre les parties le 15 février 2016 par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille dix-sept.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour la société Atlantico

Il est reproché à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir requalifié le licenciement pour faute grave de Monsieur X... en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et d'avoir condamné la société Atlantico à lui payer des sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d'indemnité de licenciement, de salaire sur mise à pied, de congés payés afférents, d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile, avec intérêts légaux, de lui remettre une attestation destinée à Pôle Emploi, un certificat de travail et des bulletins de paie conformes, et d'avoir ordonné à la société Atlantico le remboursement aux organismes concernés des indemnités de chômage dans la limite de six mois d'indemnité.

AUX MOTIFS PROPRES QUE tout licenciement doit avoir une cause réelle et sérieuse (art. L.1232-1 du code du travail) ; que la faute grave est définie comme un manquement du salarié à ses obligations tel que la rupture immédiate du contrat est justifiée ; qu'il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de la faute grave qu'il invoque ; que les faits invoqués doivent être matériellement vérifiables ; qu'en outre, en application de l'article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuite pénale ; qu'enfin, un même fait fautif ne peut donner lieu à double sanction ; qu'en application de l'article L.1232-6 du code du travail, la motivation de la lettre de licenciement fixe les limites du litige ;

QU'en l'espèce, la lettre de licenciement énonce les trois griefs suivants à l'encontre de M. X... :

- manque de probité et de loyauté avec l'utilisation à des fins personnelles de la carte de carburant confiée pour un usage professionnel
- remise à une cliente, Mme M. d'une roue de secours sans émettre de facture, sans bon de commande, sans règlement enregistré dans le système informatique, en prélevant directement la roue dans le coffre d'une voiture d'exposition, faits qu'il est reproché à M. X... d'avoir dissimulés en plus d'avoir menti, à la suite d'un mail du 8 octobre 2013 qui lui a été adressé par l'employeur
- manque de courtoisie dans ses échanges avec ses collègues de travail, auxquels il lui est reproché de manquer de respect, tout en passant son temps à se plaindre.

QU'au soutien de ses affirmations, l'employeur produit aux débats une enquête interne conduite par la secrétaire administrative de l'entreprise, mode de preuve dont M. X... conteste la loyauté et donc la force probante ; qu'il convient, en adoptant les motifs pertinents des premiers juges, de relever que l'enquête interne dirigée par la secrétaire administrative de l'entreprise revient pour l'employeur à se fournir une preuve à lui-même, dénuée de toute force probante ; qu'il s'ensuit que les faits reprochés (griefs 1 à 3) qui ne sont pas datés, et en conséquence non vérifiables, et qui, au surplus, sont contestés par M. X... ne sont pas établis ; qu'il apparaît donc que seul le second grief, reconnu par M. X... est fondé en son aspect matériel ; que toutefois, en l'absence d'antécédents disciplinaires en 10 ans d'ancienneté, il convient d'admettre que la remise d'une roue de secours sans report en comptabilité et dans le stock, qui constitue une faute isolée, ne saurait à elle seule justifier un licenciement, dont la sévérité apparaît disproportionnée, alors que le mensonge allégué par l'employeur n'est pas démontré.

QUE le licenciement de M. X... est donc sans cause réelle et sérieuse.

ET AUX MOTIFS ADOPTES DES PREMIERS JUGES QU'en l'espèce, sur le premier grief, il est reproché au salarié d'avoir abusé de la confiance de l'employeur en utilisant à plusieurs reprises la carte « carburant atelier » à des fins personnelles ; que cependant de constater que la lettre de licenciement ne mentionne aucun fait daté permettant d'apprécier la matérialité du grief ; que pour justifier du grief, l'employeur produit plusieurs attestations émanant soit de collègues de travail de Monsieur Grégory X... et de son Responsable hiérarchique ; qu'en l'espèce, lesdites attestations tendent simplement à démontrer qu'il n'existe aucune procédure particulière au sein de l'entreprise concernant l'utilisation et la conservation de la carte « carburant » ; qu'en outre, les faits relatés par l'employeur souffrent manifestement de la prescription de deux mois en matière disciplinaire prévue à l'article L.1332-4 du Code du Travail, à savoir une hypothétique utilisation frauduleuse de la carte « carburant » en avril et mai 2013 alors que la procédure de licenciement a été initiée fin novembre 2013 ; que contrairement à ce qu'indique l'employeur, la seule lecture de la lettre de licenciement ne suffit à établir la preuve des faits reprochés, elle doit comporter une énonciation de faits, matériellement vérifiables, la charge de la preuve incombant exclusivement à l'employeur en matière de faute grave ; que dès lors, en invoquant les dispositions de l'article 1315 du Code civil et de l'article 9 du Code de Procédure Civile, l'employeur a renversé la charge de la preuve ; qu'en conséquence, ce premier grief doit être écarté ;

QUE sur le second grief, il est reproché au salarié d'avoir remis à l'une des clientes de la concession, une roue de secours sans émettre de facture et de bon de commande, en prélevant une roue de secours directement dans le « show-room » ; que sur ce point, Monsieur Grégory X... reconnaît pour des raisons de sécurité avoir effectivement remis à l'une des clientes qui venait de faire l'acquisition d'un véhicule neuf, une roue de secours, prélevée dans le coffre dans un autre véhicule ; qu'en revanche, l'employeur justifie que la réglementation n'impose pas la présence d'une roue de secours à l'intérieur d'un véhicule ; que la roue de secours étant une option sur le modèle acheté par la cliente, cette dernière dispose à la place d'un « kit anti-crevaison » ; qu'il en résulte que Monsieur Grégory X... a commis une faute dans l'exécution de son travail, en prélevant une roue de secours sur un autre véhicule, sans en informer sa hiérarchie et sans émettre de bon de commande et de règlement ; que cependant une telle faute, si elle est caractérisée constitue un fait isolé qui ne peut justifier à lui seul dans l'échelle des sanctions, un licenciement pour faute grave ; que par ailleurs de constater que, durant toute la période contractuelle, Monsieur Grégory X... n'a jamais fait l'objet d'une quelconque sanctions ;

QU'enfin sur le dernier grief, il est reproché au salarié un manque de courtoisie et un comportement inapproprié dans ses échanges avec ses collègues de travail qui n'est pas étranger à la démission de l'un d'entre eux ;
que pour justifier une telle accusation, l'employeur produit plusieurs un rapport d'enquête interne démontrant de l'agacement de certains collègues de travail à l'encontre de Monsieur Grégory X... ; que toutefois, de tels éléments ne suffisent pas à présumer de l'existence d'un comportement conflictuel permanent de Monsieur Grégory X... à l'encontre de ses collègues de travail, et ne sauraient justifier là encore, la rupture du contrat de travail sur une faute grave ;

QUE de ce qui précède, le bureau de jugement relève que les faits énoncés à la lettre de licenciement sont l'exacte retranscription d'un mail adressé en date du 30 octobre 2013, par le Responsable des Ventes au Président de la concession, se plaignant des manquements de Monsieur Grégory X..., et qui marque le point de départ du déclanchement d'une enquête interne en dehors de toute loyauté et manquant manifestement d'objectivité en ce qu'elle émane de la Responsable Administrative, dont la conséquence directe a été la mise en oeuvre de la procédure de licenciement privatif d'indemnités ; qu'en conséquence, et de ce qui précède, le bureau de jugement requalifie le licenciement pour faute grave de Monsieur Grégory X... en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

ALORS, D'UNE PART, QU'en matière prud'homale la preuve est libre, que rien ne s'oppose à ce que le juge examine un document établi par un cadre de l'entreprise mandaté par l'employeur pour procéder à une enquête sur les suspicions de fautes d'un salarié ; qu'en écartant l'enquête interne dirigée par la secrétaire administrative de l'entreprise, au motif qu'elle revenait pour l'employeur à se fournir une preuve à lui-même, la Cour d'appel a violé les articles 201 et 202 du Code de procédure civile ;

ALORS, D'AUTRE PART, QUE si la lettre de licenciement doit énoncer des motifs précis et matériellement vérifiables, la datation dans cette lettre des faits invoqués n'est pas nécessaire ; que les griefs d'utilisation à des fins personnelles de la carte de carburant confiée au salarié pour un usage personnel et de manque de courtoisie et de respect dans les échanges avec les collègues de travail étaient précis et vérifiables ; qu'en écartant ces griefs au motif que les faits reprochés n'étaient pas vérifiables faute d'être datés, la Cour d'appel a violé les articles L.1232-6 et L.1235-1 du Code du travail ;

ALORS, DE TROISIEME PART, sur le grief d'utilisation à des fins personnes de la carte de carburant confiée au salarié pour un usage professionnel, que la société Atlantico invoquait dans ses conclusions plusieurs faits précis et datés, factures à l'appui, caractérisant le grief invoqué ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ces faits, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision en regard des articles L.1232-6 et L.1232-5-1 du Code du travail ;

ALORS, DE QUATRIEME PART, QUE le délai de deux mois au-delà duquel aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires court à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance ; qu'en énonçant, par motifs éventuellement adoptés des premiers juges, que les faits relatés par l'employeur souffraient manifestement de la prescription de deux mois en matière disciplinaire prévue à l'article L.1332-4 du Code du travail à savoir une hypothétique utilisation frauduleuse de la carte carburant en avril et mai 2013 alors que la procédure de licenciement a été initiée fin novembre 2013, sans rechercher comme l'y invitait la société Atlantico dans ses conclusions si elle n'avait eu pleinement connaissance de la nature et de l'ampleur des faits qu'à la date du dépôt de l'enquête menée par Madame Y..., le 25 novembre 2013, enquête diligentée au vu d'une alerte adressée au président de la société le 30 octobre précédent par les supérieurs hiérarchiques de Monsieur X..., la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision en regard de l'article L.1332-4 du Code du travail ;

ET ALORS, ENFIN, QU'en énonçant par motifs éventuellement adoptés des premiers juges que la lettre de licenciement était l'exacte retranscription d'un mail adressé en date du 30 octobre 2013 par le responsable des ventes au président de la concession se plaignant des manquements de Monsieur Grégory X..., bien que ces deux documents aient été rédigés en des termes totalement différents, qu'ils n'aient pas le même objet, et qu'une partie des griefs et des faits invoqués ou évoqués par le courriel du supérieur hiérarchique Monsieur Z..., ne soit pas repris dans la lettre de licenciement, la Cour d'appel a dénaturé ces deux documents, et ainsi violé l'article 4 du Code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 16-15515
Date de la décision : 09/11/2017
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 15 février 2016


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 09 nov. 2017, pourvoi n°16-15515


Composition du Tribunal
Président : M. Frouin (président)
Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2017:16.15515
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