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08/11/2017 | FRANCE | N°16-24656

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 08 novembre 2017, 16-24656


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 23 juillet 2011, M. Y... se trouvait assis à l'avant du bateau de M. B... qui organisait, au titre de son activité professionnelle, une sortie en mer avec onze autres passagers ; que, du fait d'une vague plus importante, il a été soulevé, puis est retombé lourdement, subissant de graves blessures ; qu'il a assigné M. B..., la société MMA IARD et la société Covea Risks, en indemnisation de ses préjudices ; que les sociétés MMA assurances IARD et MMA IARD ass

urances mutuelles (les sociétés MMA) sont venues aux droits de la socié...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 23 juillet 2011, M. Y... se trouvait assis à l'avant du bateau de M. B... qui organisait, au titre de son activité professionnelle, une sortie en mer avec onze autres passagers ; que, du fait d'une vague plus importante, il a été soulevé, puis est retombé lourdement, subissant de graves blessures ; qu'il a assigné M. B..., la société MMA IARD et la société Covea Risks, en indemnisation de ses préjudices ; que les sociétés MMA assurances IARD et MMA IARD assurances mutuelles (les sociétés MMA) sont venues aux droits de la société Covea Risks ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt de dire que M. B... n'a pas commis de faute inexcusable et, en conséquence, de limiter son indemnisation en application de l'article L. 5421-5 du code des transports, alors, selon le moyen, que le transporteur maritime de personnes ne peut bénéficier de la limitation de sa responsabilité dès lors qu'il commet une faute inexcusable à l'origine du dommage ; que constitue une faute inexcusable le fait de ne pas interdire l'accès à la proue ou de ne pas faire respecter des mesures de sécurité suffisantes en cas d'accélération rendue dangereuse pour les passagers du fait d'une navigation rapide et face à la houle ; qu'en l'espèce, en considérant que le capitaine du navire, qui naviguait face à la houle, n'avait pas commis de faute inexcusable, bien qu'il se fût contenté d'avertir les passagers de la forte augmentation de la vitesse et de les inviter à se cramponner sans s'assurer du respect de cette consigne ni interdire l'accès à la proue, partie la plus sensible aux mouvements des vagues, sur laquelle était resté assis M. Y..., passager profane gravement blessé du fait de la survenance d'une vague plus importante que les autres, qui a soulevé l'avant du navire, faisant décoller le passager, lequel est retombé lourdement, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a ainsi violé les articles L. 5121-3 et L. 5121-5 du code des transports ;

Mais attendu qu'ayant retenu que les conditions de navigation étaient bonnes, que les passagers avaient été alertés d'une augmentation de la vitesse de progression du bateau et invités à se cramponner, et qu'à l'endroit où il se trouvait, M. Y... conservait la possibilité de se maintenir à la main courante du bastingage, la cour d'appel a pu en déduire que la faute retenue contre M. B... n'impliquait pas objectivement la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire, de sorte qu'elle ne revêtait pas un caractère inexcusable ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le second moyen :

Vu les articles L. 5121-3 et L. 5121-2 du code des transports, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-816 du 20 juin 2016, applicable au litige, ensemble l'article L. 173-24 du code des assurances ;

Attendu qu'il résulte de la combinaison de ces textes que l'assureur de la responsabilité du propriétaire du navire ne peut invoquer le bénéfice de la limitation de responsabilité que si un fonds de limitation a été constitué avant que la décision liquidant le préjudice ait été exécutée ;

Attendu que, pour condamner les sociétés MMA à indemniser M. Y... dans la limite de 175 000 DTS, soit 195 119,75 euros, l'arrêt retient que, si l'assuré a lui-même sollicité le bénéfice de la limitation légale de responsabilité, ce montant constitue aussi la limite de l'engagement financier de l'assureur qui, selon l'une des règles essentielles de l'assurance de responsabilité civile, ne peut être supérieur à la dette de responsabilité de son assuré ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, selon ses propres constatations, aucun fonds n'avait été constitué, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu, en l'état, de mettre hors de cause la société MMA IARD ;

PAR CES MOTIFS :

DIT n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société MMA IARD ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que l'indemnité à la charge des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles doit être réduite à 175 000 DTS, et en ce qu'il limite l'indemnisation due par celles-ci à M. Y... à la somme de 145 119,75 euros, l'arrêt rendu le 21 juillet 2016, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne in solidum à payer à M. Y... la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit novembre deux mille dix-sept.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour M. et Mme Y...

PREMIER MOYEN DE CASSATION :
:

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le capitaine du navire sur lequel M. Y... avait embarqué à l'occasion d'une excursion maritime n'avait pas commis de faute inexcusable, et d'avoir ainsi plafonné le montant de la réparation du préjudice subi par M. Y... à la somme de 195.119,75 €, en application de la limitation de responsabilité prévue à l'article L. 5421-5 du code des transports ;

AUX MOTIFS QUE, en vertu des articles L. 5121-3 et suivants du code des transports maritimes, le transporteur maritime de personnes peut se prévaloir des plafonds d'indemnité fixés à l'article 7 la Convention de Londres du 19 novembre1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, dite LLMC (pour Limitation of Liability for Maritime Claims), modifiée par le Protocole de Londres du 2 mai 1996 pour ce qui concerne les lésions corporelles de passagers, sauf s'il est prouvé que « le dommage résulte de son fait ou de son omission personnels ou de l'un de ses préposés commis avec l'intention de provoquer un tel dommage ou commis témérairement et avec conscience qu'un tel dommage en résulterait probablement » ; que seule la faute dolosive ou inexcusable peut faire échec au droit à limitation de responsabilité qui est la règle ; que la faute retenue à l'encontre de M. B... n'implique ni la recherche volontaire du dommage, ce qui n'est d'ailleurs pas allégué, ni objectivement la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire, dès lors que les conditions de navigation étaient bonnes, que les passagers avaient été alertés d'une augmentation de la vitesse de progression du bateau, avaient été invités à se cramponner et qu'à l'endroit où il se trouvait M. Y... conservait la possibilité de se maintenir au bastingage en partie supérieure ou aux montants latéraux qui l'encadrent en partie inférieure voire au deux taquets d'amarrage fixés au pont, suivant photographies et rapport de constat de M. C... du 26 juillet 2012 versés aux débats ; que la limitation légale de responsabilité a donc vocation à s'appliquer au bénéfice de ce capitaine, n'étant pas subordonné à la constitution du fonds de limitation prévu à l'article L. 5121-6 du code des transports ; que le plafond est fixé par le protocole de 1996 adopté par la France le 5 juillet 2006 à 175.000 DTS (droits de tirage spéciaux) par passager dans le cadre d'un accident individuel qui marque la limite de l'obligation de M. B..., dont la contrevaleur est chiffrée à 195.119,75 € dans le jugement, montant qui n'est critiqué devant la cour par aucune partie (arrêt p. 11, § 6 à 10) ;

ALORS QUE le transporteur maritime de personnes ne peut bénéficier de la limitation de sa responsabilité dès lors qu'il commet une faute inexcusable à l'origine du dommage ; que constitue une faute inexcusable le fait de ne pas interdire l'accès à la proue ou de ne pas faire respecter des mesures de sécurité suffisantes en cas d'accélération rendue dangereuse pour les passagers du fait d'une navigation rapide et face à la houle ; qu'en l'espèce en considérant que le capitaine du navire, qui naviguait face à la houle, n'avait pas commis de faute inexcusable, bien qu'il se fût contenté d'avertir les passagers de la forte augmentation de la vitesse et de les inviter à se cramponner sans s'assurer du respect cette consigne ni interdire l'accès à la proue, partie la plus sensible aux mouvements des vagues, sur laquelle était resté assis M. Y..., passager profane gravement blessé du fait de la survenance d'une vague plus importante que les autres, qui a soulevé l'avant du navire, faisant décoller le passager, lequel est retombé lourdement, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations (p. 10 et 11) et a ainsi violé les articles L. 5121-3 et L. 5121-5 du code des transports.

SECOND MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE) :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir dit que les sociétés MMA, c'est-à-dire MMA IARD, MMA Assurances IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles SAMCF, étaient en droit de se prévaloir de la limitation de responsabilité de leur assuré, M. B..., et d'avoir ainsi plafonné le montant de l'indemnité d'assurance allouée à M. Y... à la somme de 175.000 DTS, soit 195.119,75 € ;

AUX MOTIFS QUE l'assureur ne figure pas parmi les personnes énumérées par l'article L. 5121- 2 du code des transports pour revendiquer le bénéfice de la limitation légale de responsabilité ; qu'en ne disposant d'aucun droit propre en cette matière, il ne peut donc s'en prévaloir pour son propre compte, sauf si l'assuré a constitué le fonds de limitation prévu à l'article L. 173-24 du code des assurances, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; que ce dernier texte stipule, en effet, que les créanciers ne peuvent plus agir contre l'assureur mais seulement contre le fonds ; qu'il en va différemment si l'assuré a lui-même sollicité le bénéfice de la limitation légale de responsabilité, ce qui est le cas de M. B... ; que dans une telle hypothèse, ce montant constitue aussi la limite de l'engagement financier de l'assureur qui, selon l'une des règles essentielles de l'assurance de responsabilité civile, ne peut être supérieur à la dette de responsabilité de son assuré ; que ce mécanisme du droit des assurances permet ainsi aux MMA de bénéficier par ricochet de la limitation légale de réparation (arrêt, p. 12 § 3 et 4) ;

ALORS QUE, nonobstant la revendication par le capitaine assuré de la limitation de responsabilité de l'article L. 5121-3 du code des transports, la victime conserve la possibilité d'exercer une action directe contre l'assureur de responsabilité afin d'obtenir une indemnisation dans la limite de l'assurance elle-même dès lors qu'aucun fonds de limitation n'a été constitué ; qu'en déniant toutefois ce droit à M. Y..., bien qu'ayant constaté qu'aucun fonds de limitation n'avait été constitué, la cour d'appel a violé les articles L. 5121-3 et L. 5121-2 du code des transports, ensemble l'article L. 173-24 du code des assurances.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 16-24656
Date de la décision : 08/11/2017
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Analyses

DROIT MARITIME - Navire - Propriété - Responsabilité du propriétaire - Limitation - Bénéficiaires - Assureur - Conditions - Fonds constitué avant exécution de la décision liquidant le préjudice

Il résulte de la combinaison des articles L. 5121-3 et L. 5121-2 du code des transports, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-816 du 20 juin 2016, ensemble l'article L. 173-24 du code des assurances, que l'assureur de la responsabilité du propriétaire du navire ne peut invoquer le bénéfice de la limitation de responsabilité que si un fonds de limitation a été constitué avant que la décision liquidant le préjudice ait été exécutée


Références :

Sur le numéro 1 : ARTICLES L. 5121-5 ET L. 5421-5 DU CODE DES TRANSPORTS.
Sur le numéro 2 : articles L. 5121-2 et L. 5121-3 du code des transports

article L. 173-24 du code des assurances

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 21 juillet 2016

N1 A RAPPROCHER :COM., 16 AVRIL 1991, POURVOI N° 89-10.298, BULL. 1991, IV, N° 146 (CASSATION) ;1RE CIV., 18 JUIN 2014, POURVOI N° 13-11.898, BULL. 2014, I, N° 113 (REJET).N2 A rapprocher :Com., 11 décembre 2012, pourvoi n° 11-24703, Bull. 2012, IV, n° 224 (cassation partielle)


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 08 nov. 2017, pourvoi n°16-24656, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut
Avocat(s) : Me Le Prado, SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2017:16.24656
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