LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Eric X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de LYON, 4e chambre, en date du 8 décembre 2016, qui, pour diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, l'a condamné à 1 500 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 19 septembre 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Parlos, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller PARLOS, les observations de la société civile professionnelle BÉNABENT et JÉHANNIN, de la société civile professionnelle POTIER DE LA VARDE, BUK-LAMENT et ROBILLOT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. le premier avocat général CORDIER ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de la procédure que, le 30 novembre 2015, M. Y..., maire de la commune de Ferney-Voltaire, a fait citer devant le tribunal correctionnel M. X..., conseiller municipal, du chef de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, pour avoir, lors du conseil municipal du 8 septembre 2015, tenu à son sujet les propos suivants : les " conditions douteuses dans lesquelles vous avez acquis de manière quasi concomitante le véhicule de marque Volkswagen, modèle golf, de manière totalement arbitraire pour la mairie et l'achat de votre propre véhicule de la même marque chez le même concessionnaire " ; " irrégularités délictueuses " ; que les juges du premier degré l'ayant retenu dans les liens de la prévention et ayant prononcé sur les intérêts civils, M. X... a relevé appel de cette décision, de même que le ministère public ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 23, 29, alinéa 1er et 31 alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et 593 du code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré M. X... coupable de diffamation envers un fonctionnaire, un dépositaire de l'autorité publique ou un citoyen chargé du service public par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique commis le 8 septembre 2015 à Ferney-Voltaire et en ce qu'il l'a condamné au paiement d'une amende de 1 500 euros ;
" aux motifs propres qu'il y a lieu en l'espèce de se reporter à la citation directe pour la teneur des propos prêtés à M. X... objet de la poursuite que le prévenu a reconnu en première instance les avoir tenus en sa qualité de conseiller municipal au conseil municipal ; qu'il l'a confirmé-devant la cour, y compris dans ses écritures auxquelles il a joint le procès-verbal de la séance qui s'est déroulée sous la présidence de M. Y..., maire, et en présence d'une vingtaine de personnes où, ses propos sont consignés pages 16 et 17 ; que la partie civile précise que ces propos sont tirés d'un discours tenu par le prévenu lors du conseil municipal du 8 septembre 2015 à l'occasion des questions diverses dont elle produit l'enregistrement ainsi que la retranscription ; que les premiers juges, par de justes motifs que la cour approuve et adopte, ont considéré que les faits imputés par M. X... au maire à savoir " d'avoir acquis, dans des conditions douteuses et de manière totalement arbitraire pour la Mairie, un véhicule de marque Volkswagen, de modèle Golf et son propre véhicule, de la même marque, chez le même concessionnaire, irrégularités délictueuses ", mélangeant sa vie personnelle et son activité de maire pour en tirer un profit personnel, constituent bien l'infraction de diffamation envers un citoyen chargé d'un service public ou d'un citoyen chargé d'un mandat public, portant atteinte à l'honneur et à la considération de l'édile visé ; que le prévenu n'a pas satisfait aux prescriptions de l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et n'est donc pas admis à prouver la vérité des faits diffamatoires conformément aux dispositions de l'article 55 de ladite loi ; qu'en second lieu, le prévenu se prétend dans ses écritures éligible à une bonne foi exonératoire : que tel n'est cependant pas le cas, vu l'absence de prudence dans l'expression, voire la malveillance de celle-ci, l'absence aussi d'enquête sérieuse sur les faits allégués et surtout la préméditation ; que les propos retenus pour hase de la poursuite ne sont en outre que la fin d'un long discours de M. X... interpellant le maire dans des conditions manifestant une particulière animosité personnelle ; que l'immunité de l'article 41 de la même loi ne saurait bénéficier à M. X... puisqu'il ne s'agit pas d'un discours tenu dans le sein de l'Assemblée nationale ou du Sénat ; que l'exercice de la liberté d'expression reconnue à toute personne par l'article 10 de la CEDH est conforme aux restrictions posées par la loi française du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; qu'en conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité ; qu'au regard des faits et de la personnalité de M. X..., de ses ressources et de ses charges, de l'absence de mention de condamnation à son casier judiciaire, il y a lieu de confirmer le jugement déféré sur la peine qui a prononcé une amende délictuelle de 1 500 euros ;
" et aux motifs adoptés qu'à l'audience, M. X... s'est contenté de minimiser ses paroles en indiquant que ce qui lui importait c'était la procédure qui avait été suivie pour acquérir le véhicule de la mairie et qu'il n'y avait aucune accusation de sa part sur le fait que le Maire ait acquis son véhicule dans le même garage ; que cette défense lénifiante est totalement en contradiction avec la réalité des faits sachant que la déclaration était écrite, que ses termes en étaient donc pesés, qu'ils ont été lus au cours d'un conseil municipal et qu'il est précisément fait état des conditions douteuses dans lesquelles le Maire avait acquis pour son compte un véhicule chez le même concessionnaire et de manière concomitante avec la Mairie qui avait également acquis un véhicule de la même marque et de manière totalement arbitraire ; qu'il est ensuite fait état d'irrégularités délictueuses qui visent évidemment aussi bien le maire que la mairie ; que les faits imputés d'achat de véhicules chez le même concessionnaire par le Maire et par la Mairie de Ferney-Voltaire, de manière arbitraire, dans des conditions douteuses portent bien à l'honneur et à la considération de M. Y..., maire de Ferney-Voltaire et constituent bien l'infraction de diffamation envers un citoyen chargé d'un service public ; que M. X... n'a prouvé ni sa bonne foi, les faits ayant été prémédités, ni n'a prouvé que ses allégations étaient exactes ; qu'il résulte donc bien des éléments du dossier et des débats que les faits reprochés à M. X... sont établis ; qu'il convient de l'en déclarer coupable et d'entrer en voie de condamnation ;
" 1°) alors que la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ; que les propos de M. X... tenus lors de la séance du conseil municipal de la ville de Ferney-Voltaire du 8 septembre 2015 et dénonçant l'achat par la mairie d'un véhicule de marque Volkswagen sans respect des procédures d'appel d'offres ou de mise en concurrence, s'inscrivaient dans le cadre d'un débat politique lié à la bonne gestion des affaires de la Commune et reposaient sur une base factuelle suffisante quant au non-respect de ces procédures ; qu'en refusant le bénéfice de la bonne foi à M. X..., quand les propos incriminés, qui devaient s'apprécier dans le cadre des débats politiques tenus lors de la séance du conseil municipal et reposaient sur un sujet d'intérêt général relatif au respect des procédures d'appel d'offre et de mise en concurrence, ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d'expression dans la critique, la cour d'appel a méconnu le texte visé au moyen ;
" 2°) alors que la prudence dans l'expression et le sérieux de l'enquête sont caractérisées lorsque le prévenu, avant de prononcer les propos litigieux, a précisé dénoncer des irrégularités dans le fonctionnement des affaires municipales en application de l'article 40 du code de procédure pénale, relatif aux plaintes déposées auprès du procureur de la République, et dont il en a donné une lecture préalable ; qu'en retenant néanmoins « l'absence de prudence dans l'expression » et « l'absence aussi d'enquête sérieuse sur les faits allégués », sans prendre en compte cet élément déterminant selon lequel il s'était exprimé en application de l'article 40 du code de procédure pénale, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Attendu que, pour refuser au prévenu le bénéfice de la bonne foi, la cour d'appel énonce que les propos retenus pour base de la poursuite ne sont que la fin d'un long discours du prévenu interpellant le maire dans des conditions manifestant une particulière animosité personnelle et lui imputant, sans prudence, des faits allégués sans qu'ils n'aient donné lieu à une enquête sérieuse ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les stipulations conventionnelles invoquées, dès lors que les propos en cause, même s'ils concernaient un sujet d'intérêt général et fussent-ils précédés de la lecture de l'article 40 du code de procédure pénale qui impose à toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, de le révéler sans délai au procureur de la République, étaient, en ce qu'ils imputaient à la partie civile la commission des délits de favoritisme et de prise illégale d'intérêt, dépourvus d'une base factuelle suffisante et constituaient des attaques personnelles excédant les limites admissibles de la polémique politique ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles des articles 10 à 13 de la loi des 16-24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III, du principe de la séparation des pouvoirs ;
" en ce que la cour d'appel, retenant sa compétence, a reçu M. Y...en sa constitution de partie civile, a déclaré M. X..., exerçant les fonctions de conseiller municipal, entièrement responsable du préjudice subi par M. Y..., partie civile, et l'a condamné à payer à ce dernier la somme de 1 euro en réparation du préjudice moral pour tous les faits commis à son encontre ;
" aux motifs propres que c'est à bon droit que les premiers juges ont déclaré la constitution de partie civile de M. Y...recevable ; qu'en suite de sa déclaration de culpabilité au plan pénal, ils ont déclaré M. X... entièrement responsable du préjudice subi par M. Y...; que par une juste et exacte appréciation des données de la cause, ils ont condamné M. X... à lui payer la somme d'un euro à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, outre celle de 600 euros, en application des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;
" et aux motifs adoptés que M. Y..., partie civile, sollicite, en réparation des différents préjudices qu'il a subis les sommes suivantes :- un euro en réparation du préjudice moral ; qu'au vu des éléments du dossier, il convient de faire droit en intégralité aux demandes présentées par la partie civile ;
" alors que les tribunaux répressifs de l'ordre judiciaire sont incompétents pour statuer sur la responsabilité d'une administration ou d'un service public, en raison du fait dommageable commis par l'un de leurs agents ; qu'en outre, l'agent d'un service public n'est personnellement responsable des conséquences dommageables de l'acte délictueux qu'il a commis que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions ; qu'en se reconnaissant compétente pour statuer sur la responsabilité civile de M. X..., qui exerçait les fonctions de conseiller municipal de la commune de Ferney-Voltaire, ayant agi dans l'exercice de ses fonctions, sans rechercher, comme elle y était tenue, au besoin d'office, si la faute imputée à celui-ci présentait le caractère d'une faute personnelle détachable de ses fonctions, la cour a violé les textes précités et le principe visé au moyen " ;
Attendu que, pour condamner le prévenu à payer un euro de dommages-intérêts à la partie civile, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en cet état le grief n'est pas encouru dès lors qu'il n'a été ni établi ni prétendu que M. X...était un conseiller municipal ayant reçu délégation ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 000 euros la somme que M. Eric X... devra payer à M. Daniel Y...au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le trente et un octobre deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.