LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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M. Gérard X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 5-13, en date du 12 mai 2016, qui, pour trafic d'influence actif, l'a condamné à douze mois d'emprisonnement avec sursis et 15 000 euros d'amende ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 13 septembre 2017 où étaient présents : M. Soulard, président, Mme de la Lance, conseiller rapporteur, MM. Steinmann, Germain, Mmes Planchon, Zerbib, M. Wyon, conseillers de la chambre, Mmes Chauchis, Pichon, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Gaillardot ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de Mme le conseiller de la LANCE, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GAILLARDOT ;
Vu les mémoires et les observations complémentaires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-3, 111-4, 121-3 et 433-2 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que la cour d'appel a confirmé le jugement et déclaré M. X... coupable de trafic d'influence actif en ce qui concerne la proposition commerciale dénommée « Bonaparte (Proton) » et l'obtention de la liste des clients de la chambre de compensation «Clearstream » ;
" aux motifs que dans ses écritures devant la cour, l'avocat de M. X... ne reprend pas les moyens de nullités soulevés devant les premiers juges, lesquels étaient rattachés à l'infraction de complicité d'abus de biens sociaux reprochés à M. X..., et qui, du fait de la relaxe définitive de MM. Y... et Z... du chef d'abus de biens sociaux, fera comme en première instance l'objet d'une relaxe, faute d'infraction principale punissable ; que dans ses conclusions au fond, l'avocat de M. X... soutient que les éléments constitutifs du délit de trafic d'influence, dans sa définition légale en vigueur à l'époque des faits, ne sont pas réunis en ce que la preuve n'est pas rapportée de l'existence d'un accord préalable entre solliciteur et sollicité, le seul accord existant, définissant le cadre des missions de M. A..., ayant été scellé par l'envoi par Eurolux à DCNI de son courrier du 10 janvier 2002 et ne présente pas de caractère frauduleux ; que l'autorité susceptible d'accorder la décision favorable escomptée n'est pas désignée dans la poursuite, - ne l'est davantage l'acte décisionnel favorable escompté de la part de cette autorité ; que sur la déclaration de culpabilité M. X... au titre de la proposition commerciale intitulée "Bonaparte Proton" numéro 26032003 en date du 26 mars 2003, considérant qu'il ressort de l'information que cette proposition avait pour objet de recueillir le maximum d'informations sur "Proton", soit sur la personne de M. B... en qui, selon M. A..., la SA DCNI pensait voir son principal adversaire ; que M. A... a précisé que les facturations d'acquisition de documents devaient correspondre à des prestations fournies par Mme C... ; que les explications de M. A... et M. X... établissent suffisamment que cette proposition résulte d'un accord préalable concerté entre eux ; que la fourniture des renseignements, dont l'obtention était ainsi offerte par M. A... et sollicitée par M. X..., qui ont été réellement obtenus par la société DCNI pour avoir été facturés 15 000 euros au titre des frais d'acquisition de documents émanant des fichiers Ficoba, des banques ou de relevés téléphoniques, ne peut résulter que de l'influence exercée par M. A... ou l'une de ses sources, ayant un accès direct ou indirect à des fichiers et bases de données couvertes par le secret professionnel, du fait d'une personne habilitée ayant permis, toléré ou favorisé cet accès injustifié, ce qui, contrairement aux développements contenus dans les conclusions de l'avocat de M. X..., constitue une décision favorable au sens de l'article 433-2 du code pénal, en l'espèce une décision prise par un agent public habilité, de consulter une base de données couverte par le secret professionnel, comme tel n'étant pas accessible au public et nécessitant une habilitation et un code d'accès, puis une fois la consultation opérée, la décision de remettre indirectement, via Vanhotte et Mme C..., le résultat de la consultation ; qu'ainsi, en proposant, moyennant rémunération, de recueillir de telles informations, M. A... a trafiqué, en vue de la réalisation de cet objectif, l'influence qu'il a fait valoir auprès de son interlocuteur, M. X..., et s'est rendu coupable de trafic d'influence passif par un particulier, étant observé que la culpabilité de celui-là est définitive, du fait de son désistement d'appel et que, pour sa part M. X..., en acceptant pour le compte de la SA DCNI, une proposition commerciale dont l'efficacité reposait sur l'influence qu'il prêtait à son interlocuteur, s'est rendu coupable de trafic d'influence actif ; que sur la culpabilité de M. X... concernant la remise d'une liste "Clearstream" ; qu'en ce qui concerne l'obtention des renseignements relatifs à l'affaire Clearstream, il apparaît que la remise d'une "liste Cleartream" a été évoquée dans deux comptes-rendus, l'un sous l'entête de Contest International et l'autre sous l'entête de Hobel Consultant, que M. A... a indiqué que M. X... lui avait demandé s'il pouvait avoir accès à cette liste, qu'il s'était renseigné et avait finalement obtenue par l'intermédiaire de M. D..., en juillet 2004, comme l'indique le compte-rendu Contest International ; que l'objectif et la rémunération de ces investigations étalent convenus entre M. A... et M. X... préalablement à leur réalisation effective ; qu'aux dires des prévenus, dont l'un est à ce jour définitivement condamné, cette liste comprenait 4 000 comptes et noms de titulaires émanant de la chambre de compensation "Clearstream", concernée dans une information ouverte auprès d'un juge d'instruction ainsi qu'un CD-rom constituant, comme le mentionne le compte-rendu en date du 10 décembre 2004, évoquant "un document original peu lisible et sa transcription", s'agissant de la lettre "dénonçant plusieurs protagonistes de l'affaire Bonaparte comme ayant des liens illégaux avec les systèmes de compensation luxembourgeois" et la remise d'un compte-rendu sous la forme d'un annuaire papier de 4000 pages "répertoriant 3000 noms d'organismes bancaires et quelques personnalités" et un CD-Rom constituant la "copie intégrale de l'original reçu par la justice" ; que sans en contester la teneur, M. A... a précisé que ce compte-rendu sous l'en-tête de Hobel Consultant n'avait été rédigé qu'en raison du refus opposé par Eurolux Gestion de payer Contest international ; que cette liste présentait un intérêt certain pour la société DCNI dans la mesure où, aux dires de M. X... rapportant les propos de M. E... à ce sujet, elle était susceptible de contenir des flux financiers résultant de versements, par le biais de la société Heine, de commissions en rapport avec l'affaire "Bravo" ; que de surcroît, les enquêteurs ont retrouvé dans les documents détenus par M. X..., sa transcription d'une lettre de dénonciation adressée au juge d'instruction en charge de l'affaire des frégates de Taïwan en rapport avec la liste précitée dont M. X... a soutenu, contre toute vraisemblance, avoir ignoré l'existence alors que ce document contenait une analyse synthétique de la liste Clearstream, mentionnant à de nombreuses reprises le nom de M. B... ce qui vient confirmer tout l'intérêt que pouvaient receler, tant la liste Clearstream, que la transcription de la lettre de dénonciation, dans la quête d'informations à laquelle s'était livré M. X... avec le concours de M. A... et la connaissance par chacun d'eux de la provenance de ces informations à caractère judiciaire, en dépit de l'écho donné par la presse à cette affaire dans le courant du mois de juin ; qu'en conséquence la preuve de l'existence d'un accord entre MM. A... et X... tendant à l'obtention de documents à caractère judiciaire est établi et que, ce dernier s'est engagé par cet accord à mettre en oeuvre ses moyens d'investigation au travers de son propre réseau d'influence ; que la décision de non-lieu du chef de violation du secret de l'instruction, tout comme l'ignorance vainement prétendue par M. X..., des modes d'acquisition et de l'identité des sources de M. A..., pas plus que le fait que ni la liste ni le CD-Rom aient été retrouvés en possession des protagonistes de cette affaire, ne sauraient retirer à l'accord initial convenu entre M. X... et M. A..., fondé sur l'influence prêtée à M. A..., son caractère pénalement répréhensible et faire échapper M. X... autant que M. A... à leur responsabilité pénale ; que les éléments constitutifs du délit de trafic d'influence étant réunis à son encontre, M. X... est coupable du délit de trafic d'influence actif ; q ue la décision sera confirmée sur la culpabilité de ces deux chefs, ainsi que sur la peine, laquelle a été justement appréciée ;
"1°) alors que l'article 433-2 du code pénal réprime celui qui propose un avantage à une personne ou cède aux sollicitations de celle-ci afin qu'elle abuse de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d'une autorité ou d'une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable ; que la décision favorable ne peut s'entendre que d'un acte officiel émanant d'une autorité publique ou d'une administration ; qu'a violé ces disposions la cour d'appel qui pour caractérisant le délit de corruption retient que le fait, pour un fonctionnaire, de fournir un renseignement ou d'un document soumis à un secret constituait une « décision favorable », lorsqu'il ne pouvait s'agir que d'un acte personnel facilité ses fonctions, ressortissant éventuellement de l'article 433-1 du code pénal, qualification qui n'était pas poursuivie en l'espèce ;
" 2°) alors que la loi pénale est d'interprétation stricte ; qu'en déclarant le prévenu coupable de trafic d'influence actif pour avoir accepté des propositions commerciales destinées à obtenir, moyennant rémunération, des renseignements ou de documents soumis à un secret, lorsque cette fourniture n'est constitutive que d'un acte facilité par la fonction au sens de l'article 433-1 du code pénal, non prévue par l'article 433-2 du code pénal, la cour d'appel, qui a étendu le champ d'application du délit à une hypothèse non prévue par l'incrimination, a méconnu le principe d'interprétation strict de la loi pénale ;
" 3°) alors que la décision favorable au sens de l'article 433-2 du code pénal applicable à la période de prévention, qui réprime celui qui propose un avantage à une personne ou cède aux sollicitations de celle-ci afin qu'elle abuse de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d'une autorité ou d'une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable, ne peut s'entendre que d'un acte officiel émanant d'une autorité publique ou d'une administration ; qu'en déclarant le demandeur coupable de trafic d'influence en retenant la seule intervention d'un fonctionnaire, qui n'est ni une autorité ni une administration au sens du texte, et sans identifier celle-ci, la cour d'appel a méconnu le texte visé au moyen" ;
Vu l'article 433-2 du code pénal, alors en vigueur ;
Attendu que, selon ce texte, commet un trafic d'influence le particulier qui cède à des sollicitations ou propose des avantages quelconques pour qu'une personne abuse de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d'une autorité ou d'une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que M. A..., membre de la DST, dirigeait avec M. Michel F..., ancien membre de la DGSE, plusieurs sociétés, notamment les sociétés TPMI, Contest international et Hobel, qu'au sein de ces deux dernières sociétés, qui avaient une activité d'intelligence économique, ont été saisis des documents concernant des "propositions commerciales" pour des missions de renseignements, dont le bénéficiaire final était la société Direction des constructions Navales Internationale (DCNI) à capitaux d'Etat, chargée de la commercialisation des produits et services de la direction des constructions navales au sein de la direction générale de l'armement du ministère de la défense, placée sous la double tutelle des ministères de la défense et des finances, que l'un des objectifs de ces missions paraissait être d'obtenir des informations sur l'évolution des procédures, qui impliquaient financièrement la société DCNI, dans le contentieux des frégates de Taïwan, soit sur les informations judiciaires, dites "Clearstream", ouvertes en France et en Suisse et sur la procédure devant la cour internationale d'arbitrage ; que M. X... a été le directeur financier et administratif de la société DCNI de juin 1992 à août 2002, date de sa mise à disposition, en qualité de directeur financier et juridique, de la société Armaris qui s'est substituée à la DCNI ; que cette dernière, selon un accord-cadre du 20 juin 2000, a confié à la société Eurolux Gestion la gestion des contrats d'ingénierie commerciale ;
Attendu que M. X... a été poursuivi devant le tribunal correctionnel notamment du chef de trafic d'influence, "d'une part, en acceptant une proposition commerciale dénommée "Bonaparte (Proton)" du 26 mars 2003 adressée par la société Contest international à la société Eurolux Gestion et destinée à la DCNI dans le but de recueillir un maximum d'informations sur les relations actuelles de "Proton", code pour M. B... (désigné comme le principal adversaire de la DCNI), mission facturée 15 000 euros pour l'acquisition de documents que l'administration peut obtenir, soit le fichier des comptes bancaires (Ficoba), les relevés de comptes et relevés téléphoniques concernant M. B..., d'autre part, en sollicitant une proposition commerciale de M. A... aux fins d'acquisition de la liste des clients de la chambre de compensation Clearstream remise à un juge d'instruction, ayant donné lieu à un compte-rendu analytique le 28 juillet 2004 adressé à la société Eurolux Gestion, et destinée à la DCNI, facturée 24 800 euros" ;
Attendu que du fait de son désistement d'appel, M. A... est définitivement condamné du chef de trafic d'influence passif dans le cadre des deux propositions commerciales précitées ;
Attendu que, pour confirmer le jugement du tribunal correctionnel et déclarer le prévenu coupable de trafic d'influence actif pour avoir accepté des propositions commerciales dont l'efficacité reposait sur l'‘influence qu'il prêtait à son interlocuteur, l'arrêt retient que les explications de MM. A... et X..., sur les informations et documents devant être recueillis et la rémunération prévue, établissent que les propositions commerciales résultaient d'un accord préalable entre eux, que l'obtention des documents sur M. B... ne peut résulter que de l'influence exercée par M. A... ou l'une de ses sources, ayant un accès à des fichiers couverts par le secret professionnel du fait d'une personne habilitée ayant permis cet accès, ce qui constitue une décision favorable au sens de l'article 433-2 du code pénal, en l'espèce une décision prise par un agent public habilité à consulter une base de données, non accessible au public, nécessitant une habilitation et un code d'accès, et de remettre le résultat de cette consultation ;
Que les juges ajoutent que pour la "liste Clearstream", concernée par une information judiciaire et obtenue par l'intermédiaire d'un avocat en juillet 2004, comprenant 4 000 comptes et noms de titulaires, dont celui de M. B..., la remise d'un compte-rendu et d'un CD-Rom, pouvant contenir, selon les déclarations des personnes impliquées, des flux financiers résultant de versements de commissions en rapport avec l'affaire, leur obtention présentait un intérêt certain dans la quête d'information à laquelle s'était livré M. X... avec le concours de M. A..., et que, malgré l'ignorance alléguée par M. X... de leur existence en dépit de l'écho donné par la presse à cette affaire dans le courant du mois de juin, ces éléments confirment la connaissance par chacun d'eux de la provenance de ces informations à caractère judiciaire ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que le fait de se faire remettre par un agent d'une administration publique une information ou un document, même non accessible au public, ne peut constituer l'obtention d'une décision favorable de cette administration au sens de l'article 433-2 du code pénal, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen proposé :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 12 mai 2016, mais en ses seules dispositions relatives à M. X..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-cinq octobre deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.