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17/10/2017 | FRANCE | N°16-80821

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 17 octobre 2017, 16-80821


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

-
la société Socotec France,

contre l'arrêt de la cour d'appel de BASTIA, chambre correctionnelle, en date du 18 novembre 2015, qui, dans la procédure suivie contre elle des chefs d'homicide involontaire et blessures involontaires, l'a condamnée à 50 000 euros d'amende et prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 5 septembre 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-

1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Larmanjat, conseiller rapporteur...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

-
la société Socotec France,

contre l'arrêt de la cour d'appel de BASTIA, chambre correctionnelle, en date du 18 novembre 2015, qui, dans la procédure suivie contre elle des chefs d'homicide involontaire et blessures involontaires, l'a condamnée à 50 000 euros d'amende et prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 5 septembre 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Larmanjat, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Guichard ;

Sur le rapport de M. le conseiller LARMANJAT, les observations de Me BOUTHORS, de Me LE PRADO, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général LE DIMNA ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 121-2, 121-3, 221-6, 221-8, 221-10, 221-19, 222-20, 222-44, 222-46 du Code pénal, L. 4532-2, L. 4532-6, L. 4741-1 et L. 4741-2 du code du travail, préliminaire, 388, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a condamné la Socotec personne morale du chef d'homicide et de blessures involontaires ;

" aux motifs que la société Socotec définit elle-même sa mission au moment des faits comme une intervention " (...) à la demande du maître de l'ouvrage dans le cadre institué par le contrat qui le lie à celui-ci-les conditions particulières et générales de coordination-successivement au cours de la phase de conception du projet de l'ouvrage et lors de la phase de réalisation de l'ouvrage ; que l'intervention du coordonnateur SPS est strictement définie par une loi du 31 décembre 1993 (codifiée aux articles L 4532-2 et suivants du code du travail), le décret du 26 décembre 1994, et par une circulaire du 10 avril 1996 ; qu'il ressort de ces textes que le coordonnateur SPS est en charge de la définition des mesures organisationnelles en matière de sécurité des travailleurs intervenant sur un chantier pour lutter contre les risques liés à la co-activité des entreprises, c'est-à-dire aux interférences d'activités " ; que, pour sa défense, la société Socotec rappelle les dispositions de l'article L 4532-2 du code du travail, qui définit cette mission de coordination : " une coordination en matière de sécurité et de santé des travailleurs est organisée pour tout chantier de bâtiment ou de génie civil où sont appelés à intervenir plusieurs travailleurs indépendants ou entreprises, entreprises sous-traitantes incluses, afin de prévenir les risques résultant de leurs interventions simultanées ou successives et de prévoir, lorsqu'elle s'impose, l'utilisation des moyens communs tels que les infrastructures, les moyens logistiques et les protections collectives " ; qu'elle ajoute enfin que cette définition de l'étendue de la mission de coordination est " reprise par l'ensemble des dispositions contractuelles signées par Socotec ; qu'ainsi la convention de coordination SPS « niveau 2 » indique que « la mission a pour objet d'assurer la coordination en matière de sécurité et de protection de la santé des travailleurs, prévue par la loi n° 93-1418 du 31 décembre 1993 et définie par le décret n° 94-1159 du 26 décembre 1994, aux fins de contribuer à prévenir les risques résultant des interventions simultanées ou successives des entreprises ou travailleurs indépendants » ; que l'expert apporte pour sa part certaines précisions, qui vont dans le sens des définitions ci-dessus, puisqu'il définit la mission de Socotec dans les termes suivants :
- le bureau de contrôle et prévention du risque ;
- le bureau de contrôle dans sa mission S. P. S. : il entre dans le rôle, dans la compétence administrative et technique de notifier à l'entrepreneur, à l'architecte, au maître de l'ouvrage, un manquement grave à une obligation de sécurité des travailleurs ; que néanmoins, l'article 6 : " limite de la mission " indique : " la mission de Socotec ne porte pas sur les risques découlant d'un défaut de stabilité ou de résistance des ouvrages ou parties d'ouvrage, y compris en phase provisoire de travaux ; qu'il appartient aux intervenants concernés de prendre les dispositions propres à assurer cette stabilité ou cette résistance, y compris en matière de résistance au sol " ; que ce dernier alinéa n'est que la reprise des dispositions de l'article L 235-5 alinéa 1, alors applicable, reprises à l'article L 4532-6 du code du travail : « L'intervention du coordonnateur ne modifie ni la nature ni l'étendue des responsabilités qui incombent, en application des autres dispositions du présent code, à chacun des participants aux opérations de bâtiment et de génie civil " ; qu'au moment de l'accident, deux entreprises au moins intervenaient sur le site, soit les salariés de Atebat et les employés de la société qui livrait le béton, lequel était déversé sur les niveaux préconstitués au moyen d'une pompe reliée à la bétonneuse ; qu'il ressort des explications des témoins que plusieurs toupies s'étaient succédées pour ce faire ; que l'opération, si elle portait bien sur une phase provisoire des travaux, était bien de celles entrant dans les compétences de Socotec puisque les deux entreprises présentes étaient en situation de co-activité ; que si le technicien de la société Socotec affirme avoir demandé verbalement à M. X...de confirmer l'existence d'une note de calcul de charges, ce dernier a varié dans ses explications sur ce sujet, disant avoir répondu oui, puis affirmant ensuite qu'il n'avait pas été interrogé sur ce point ; qu'or, il résulte des dispositions combinées de l'article L 230-2 II du code du travail, (alors applicable, devenu article L 4121-2) et L 235-1 (devenu L 4531-1) que le coordinateur, soit la société Socotec, avait pour obligation de veiller, avec les entreprises présentes, notamment à : " Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ; que prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ; que donner les instructions appropriées aux travailleurs " ; que les textes ci-dessus portent sur bien sur des obligations générales en matière de sécurité, mais ils imposent au coordinateur, dans les situations qui relèvent de sa compétence, comme ce fut le cas en l'espèce, une obligation spécifique de vigilance selon les risques considérés ; qu'il apparaît que Philippe Y..., préposé de Socotec, qui a effectué la visite du 12 décembre, a bien noté que le chantier était d'une hauteur dépassant 6 mètres ; que s'il dit ne pas posséder les compétences pour lire une note de calcul de charge, il est constant qu'un ingénieur de Socotec était également dédié à ce chantier, M. Z..., auquel M. Y...fait référence expressément dans sa déposition, ingénieur qui pouvait parfaitement être sollicité sur ce point, qui entrait dans ses compétences, par son collègue, ce qui n'a pas été le cas ; que M. Y...a donc bien eu conscience de la situation, a bien relevé qu'une obligation spéciale de sécurité s'imposait en l'espèce alors qu'il avait les moyens de solliciter l'intervention d'une personne compétente et, à tout le moins, de provoquer une réaction adaptée des entreprises présentes, spécialement Atebat ; qu'il ne l'a pas fait ; que des développements qui précèdent et des éléments de l'information, il apparaît que le préposé de Socotec, au moment de la visite précédant l'accident :
- s'est contenté de vérifier l'état du chantier en se rendant sur le niveau supérieur, alors que les étais se trouvaient en dessous,
- alors qu'une situation de co-activité était prévue,- sur un chantier portant sur trois niveaux,
- n'a pas vérifié au moins l'existence réelle d'une note de calcul des charges,
- alors que des dispositions générales et spéciales (décret de 1965), ci-dessus exposées, imposent dans un tel cas des mesures spécifiques ; qu'or, il appartenait au coordinateur SPS, dans un tel cas de figure, d'attirer l'attention des intervenants sur le manquement à une obligation de sécurité ; que ce manquement est bien, comme il a été exposé par l'expert, pour partie à l'origine des dommages survenus ; que contrairement aux arguments avancés pour la défense de Socotec, le fait que M. Y...n'était pas investi d'une délégation spécifique en matière de responsabilité ou en matière pénale est indifférent ; qu'au moment où il a agi dans les conditions ci-dessus exposées, M. Y...est intervenu pour le compte et dans l'intérêt de Socotec, circonstance qui n'est pas contestée ; que le jugement sera confirmé sur la culpabilité ;

" 1°) alors que, les personnes morales à l'exception de l'Etat sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ; qu'en affirmant, pour déclarer la société de contrôle technique Socotec coupable d'homicide et de blessures involontaires sur plusieurs personnes à la suite de l ‘ effondrement d'étaiements, qu'il importait peu que le préposé de la société Socotec qui était intervenu sur le chantier n'ait pas été investi d'une délégation spécifique de la société Socotec, comme celle-ci le faisait valoir, la cour d'appel a violé l'article 121-2 du Code pénal ;

" 2°) alors que, la juridiction correctionnelle ne peut statuer que dans la limite de la prévention telle qu'elle résulte du dispositif de l'ordonnance de renvoi et de la citation à prévenu et ne peut modifier la qualification des faits de la poursuite sans avoir invité le prévenu à s'expliquer sur cette modification ; qu'en modifiant la nature et la cause de la prévention fondée sur une violation de l'article 218 du décret n° 65-48 du 8 janvier 1965 imposant pour la conception et la construction des étaiements d'une hauteur de 6 mètres un plan de montage et une note de calcul, et en retenant un manquement de la société Socotec à une obligation spécifique de sécurité et de vigilance auprès des autres intervenants sur le chantier, étrangère à la prévention et sans égard pour les droits de la défense, la cour d'appel a violé l'article 388 du code de procédure pénale et les textes visés au moyen ;

" 3°) alors que, selon l'article 121-3 du code pénal il n'y a délit en cas de manquement à une obligation de sécurité prévue par la loi ou le règlement que s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions et de ses compétences ; que la cour d'appel qui relève que la mission de coordination de sécurité et de protection de la santé confiée à la société Socotec excluait « les risques découlant d'un défaut de stabilité ou de résistance des ouvrages ou parties d'ouvrage y compris en phase provisoire de travaux, » (article 6) et qui retient que les travaux en cause, dont elle reconnaît qu'ils visaient les étaiements lors d'une phase provisoire des travaux, étaient de ceux entrant dans les compétences de Socotec au motif erroné que deux entreprises présentes étaient en situation de co-activité, n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations en violation du texte susvisé et des textes visés au moyen ;

" 4°) alors qu'il résulte de l'article L. 4532-2 du code du travail que la mission des coordonnateurs a pour unique objet de prévenir les risques résultant d'interventions simultanées ou successives de plusieurs entreprises, lesquelles ne peuvent être des fournisseurs de matériaux ; qu'il est acquis au débat que l'effondrement, cause de l'accident, est survenu lors du coulage du béton par les seuls salariés de l'entreprise de gros oeuvre, la société Atebat, et était dû à de graves anomalies dans la mise en oeuvre par cette société des mesures provisoires et particulièrement des étaiements et non à un manquement dans la coordination des entreprises, notamment avec une société fournissant le béton ; qu'ainsi, la cour d'appel ne pouvait retenir une co-activité entre la société Atebat et la société fournisseur de béton pour justifier la responsabilité de la société Socotec sans priver sa décision de toute base légale au regard du texte susvisé et des textes visés au moyen ;

" 5°) alors qu'enfin, selon l'article L 4532-6 du code du travail l'intervention du coordonnateur ne modifie ni la nature ni l'étendue des responsabilités qui incombent en application des autres dispositions du code du travail à chacun des participants aux opérations du bâtiment et du génie civil ; qu'au cas présent, les travaux exécutés en phase provisoire, qui étaient exclus de la mission de la société Socotec, étaient à la charge exclusive de la société Atebat, laquelle avait désigné un « chargé des ouvrages provisoires » qui, selon son plan de prévention de décembre 2006, devait respecter les plans d'étaiement, vérifier les étaiements et justifier de la résistance et de la stabilité des ouvrages provisoires par une note de calcul ; que ces mesures correspondant aux avis de la société Socotec et le préposé de celle-ci s'étant assuré de l'existence d'une note de calcul, la cour d'appel ne pouvait reprocher à la société Socotec qui avait pleinement rempli sa mission, de n'avoir pas vérifié l'application par la société Atebat des mesures qu'elle devait prendre et de n'avoir pas prévenu les autres intervenants des malfaçons des étaiements, son préposé n'ayant d'ailleurs pu voir lesdits étaiements lors de ses visites, sans violer l'article susvisé et les textes visés au moyen " ;

Vu les articles 121-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que, d'une part, les personnes morales, à l'exception de l'Etat, sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ;

Attendu que, d'autre part, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de procédure que la société Socotec a été poursuivie, avec d'autres prévenus, personnes physiques, devant le tribunal correctionnel, des chefs d'homicide involontaire et de blessures involontaires à la suite d'un accident de chantier survenu à Bastia au cours duquel deux ouvriers ont été tués et deux autres grièvement blessés par suite de l'effondrement d'une dalle de béton ; que les juges du premier degré ont déclaré la prévenue coupable des délits ; que celle-ci a relevé appel de cette décision ;

Attendu que, pour confirmer le jugement, l'arrêt énonce que, sur ce chantier, la société Socotec avait une obligation spécifique de vigilance, et que M. Y..., ingénieur, coordonnateur de sécurité, s'est contenté de vérifier l'état du chantier à partir du niveau supérieur, sans s'assurer de la solidité des étais se trouvant au niveau inférieur, ni vérifier l'existence de mesures spécifiques de protection, notamment collectives, et d'une note de calcul de charge, alors qu'il lui appartenait d'avertir les intervenants sur ce manquement à l'obligation de sécurité, de solliciter l'intervention d'une personne compétente et, à tout le moins, de provoquer une réaction adaptée des entreprises présentes ; que les juges ajoutent que, contrairement à ce qui était soutenu par la société Socotec, le fait que M. Y...n'était pas investi d'une délégation spécifique en matière de responsabilité ou en matière pénale est indifférent dés lors que, lors de ses interventions, il agissait pour le compte et dans l'intérêt de celle-ci ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'ont seules la qualité de représentant, au sens de l'article 121-2 du code pénal, les personnes pourvues de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires, ayant reçu une délégation de pouvoirs, de droit ou de fait, de la part des organes de la personne morale, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs ;

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bastia, en date du 18 novembre 2015, et pourqu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix en Provence, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bastia et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-sept octobre deux mille dix-sept ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 16-80821
Date de la décision : 17/10/2017
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Bastia, 18 novembre 2015


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 17 oct. 2017, pourvoi n°16-80821


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : Me Bouthors, Me Le Prado

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2017:16.80821
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