LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche, qui est recevable :
Vu l'article 465 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 25 mars 2016), que M. Christian X..., propriétaire de parcelles de terre données à bail rural au Gaec du Chêne (le GAEC), a, avec l'assistance de son fils, curateur, M. Max X..., délivré congé au preneur pour reprise au profit de son curateur ; que le GAEC a contesté ce congé ;
Attendu que, pour annuler le congé, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la délivrance d'un congé pour reprise par un descendant constitue un acte de disposition nécessitant l'assistance du curateur en cas de curatelle renforcée et que l'intérêt personnel et direct, que le curateur avait à la délivrance du congé, créait une opposition d'intérêts entre le majeur protégé et le curateur et imposait la désignation d'un curateur ad hoc ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'action en nullité de droit des actes passés, postérieurement au jugement d'ouverture de la curatelle, par la personne protégée ou son curateur, ne peut être exercée, hors le cas prévu à l'article 465, alinéa 2, du code civil, que par le majeur protégé, assisté du curateur, pendant la durée de la curatelle, par le majeur protégé après la mainlevée de la mesure de protection et par ses héritiers après son décès, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 mars 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;
Condamne le Gaec du Chêne aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande du Gaec du Chêne et le condamne à payer à M. Christian X..., assisté de son curateur, M. Max X..., la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq octobre deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boullez, avocat aux Conseils, pour M. Christian X... et M. Max X..., ès qualités
Le pourvoi fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR annulé le congé pour reprise délivré au GAEC DU CHENE, le 15 mai 2014, par M. Christian X..., assisté de son curateur, M. Max X... ;
AUX MOTIFS ADOPTES QUE Monsieur Christian X... bénéficie d'un régime de curatelle renforcée, son curateur étant son fils, Monsieur Max X... ; que les dispositions de l'article 467 du Code Civil précisent que la personne sous curatelle ne peut, sans l'assistance de son curateur, faire aucun des actes qui, sous le régime de la tutelle, requièrent l'autorisation du conseil de famille ou du Juge ; qu'il résulte de ce texte que la délivrance d'un congé d'un bail rural pour reprise par un descendant correspond à un acte de disposition qui nécessiterait l'autorisation du Juge des Tutelles en cas de tutelle, et donc l'assistance du curateur en cas de curatelle renforcée ; que l'article 455 du code Civil ajoute que le curateur ou le tuteur, dont les intérêts sont à l'occasion d'un acte ou d'une série d'actes, en opposition avec ceux de la personne protégée, fait nommer par le Juge ou par le conseil de famille, s'il a été constitué, un curateur ou un tuteur ad hoc ; qu'en l'espèce, le bénéficiaire de la reprise est Monsieur Marc X..., curateur de Monsieur Christian X... ; que l'opposition d'intérêts signifie que le curateur ou le tuteur a un intérêt personnel à la réalisation d'un acte par le majeur protégé et ne peut donc être qualifié d'objectif dans sa mission d'assistance ; qu'il est constant que le régime de protection signifie que Monsieur Christian X... est vulnérable et n'est pas en capacité de prendre seul une décision concernant un acte de disposition ; que cet état justifie qu'il prenne l'assistance et le conseil de son curateur ; que Monsieur Max X... est directement concerné par la délivrance du congé puisqu'il souhaite pouvoir bénéficier de la reprise des terres ; que son assistance n'est donc pas neutre et que le conflit d'intérêts est caractérisé ; qu'il appartenait en conséquence à Monsieur Max X..., avisé du fonctionnement du régime de la curatelle renforcée, de solliciter la désignation d'un curateur ad hoc auprès du Juge des Tutelles, pour assister son père dans la délivrance éventuelle du congé pour reprise ; qu'en l'absence de désignation d'un curateur ad hoc, le congé délivré est nul et sans effets ;
AUX MOTIFS PROPRES QU'il est constant que le congé a été délivré à la requête de "M. Christian X... assisté de son curateur M. Max X..." et que le motif du congé y était ainsi défini : "le désir de reprendre les biens loués aux fins de reprise au profit de son fils Max X... qui mettra les terres objet du présent congé à disposition de l'EARL de Beaurepaire dont il est le gérant" ; que le Gaec du chêne a sollicité la nullité du congé au motif que ce type d'acte nécessitait l'assistance du curateur à telle enseigne qu'elle a été effective, que toutefois les intérêts de la personne protégée et ceux du curateur étaient en opposition caractérisée ce qui supposait la nomination d'un curateur ad hoc dès lors que M. Max X... avait un intérêt direct et personnel à la délivrance du congé à son bénéfice ; que, pour critiquer le jugement qui a retenu cette thèse, les appelants soutiennent que le congé était un simple acte d'administration qui ne requérait pas l'assistance du curateur de sorte que le débat sur le conflit d'intérêts est sans objet, qu'en toute hypothèse il n'existait aucune opposition d'intérêts dès lors qu'ils sont tous deux associés dans la même société qui bénéficiera de la mise à disposition du bail ; que cependant, les premiers juges ont exactement jugé que le congé pour reprise pour une exploitation personnelle par un tiers impliquant la conclusion d'un bail rural au profit de ce tiers constituait un acte de disposition nécessitant l'assistance d'un curateur et exactement jugé que l'intérêt personnel et direct qu'avait en l'espèce le curateur à la délivrance de l'acte par la personne qu'il était supposé assister dans le seul intérêt de cette dernière créait une opposition d'intérêts et imposait la désignation d'un curateur ad hoc, ce qui n'avait pas été fait et rendait le congé nul ;
1. ALORS QUE la délivrance d'un congé pour reprise au preneur à bail d'un fonds rural constitue un acte d'administration qu'il est pouvoir du curatélaire d'accomplir seul sans l'assistance de son curateur, dès lors que l'exercice du droit de reprise par un usufruitier n'implique pas l'obligation pour celui-ci de conclure un bail au profit du bénéficiaire de la reprise ; qu'en affirmant, pour annuler le congé pour reprise, qu'il constituait un acte de disposition et non un acte d'administration, dès lors que sa délivrance par le curatélaire impliquait la conclusion d'un bail rural au profit du bénéficiaire de la reprise, soit le curateur, la cour d'appel a violé les articles 467 et 496, alinéa 3, du code civil, ensemble le décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008, pris en application de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 ;
2. ALORS si tel n'est pas le cas QUE l'existence d'une opposition d'intérêts, au sens de l'article 455 du code civil, impose aux juges du fond de caractériser les circonstances portant le curateur ou le tuteur à satisfaire un intérêt autre que celui du majeur protégé lorsqu'il prend une décision portant sur la personne ou les biens du curatélaire ou du tutélaire ; qu'en affirmant qu'il n'était pas au pouvoir de M. Christian X... d'accomplir un tel acte sans l'assistance d'un curateur ad hoc, comme l'aurait exigé l'article 455 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du n° 2007-308 du 5 mars 2007, en raison d'un prétendu conflit d'intérêts l'opposant à son curateur qui avait un intérêt personnel et direct à la délivrance d'un congé pour reprise dont il était le bénéficiaire, sans vérifier, ainsi qu'elle y était invitée, si son intérêt personnel différait de celui du majeur protégé qui prétendait avoir un intérêt à ce que sa famille reprenne l'exploitation du bien donné à bail à travers une société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 455 du code civil ;
3. ALORS si tel n'est pas non plus le cas QUE l'annulation de l'acte juridique conclu sous l'empire d'une opposition d'intérêts est subordonnée à la condition qu'elle soit demandée par celui que la loi entendait protéger ; qu'en reconnaissant ainsi au destinataire du congé, le droit de se prévaloir de la nullité du congé délivré en violation d'une règle qui n'a été posée que dans l'intérêt de l'incapable, la cour d'appel a violé l'article 455 du code civil ;
4. ALORS en toute hypothèse QUE la nullité d'un acte accompli en violation de la prohibition des conflits d'intérêts est seulement facultative ; qu'il s'ensuit qu'elle est subordonnée à la condition que le majeur protégé éprouve un préjudice à raison de cet acte ; qu'en annulant le congé pour avoir été délivré sans l'assistance d'un curateur ad hoc, en l'état d'une opposition d'intérêts entre le majeur protégé et son curateur, sans caractériser l'existence d'un préjudice éprouvé par le curatélaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 455 et 465 du code civil.