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20/09/2017 | FRANCE | N°16-13082

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 20 septembre 2017, 16-13082


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 janvier 2016), que, s'estimant victime d'actes de concurrence déloyale commis par M. X... et la société Gestion privée Branly, la société Dauchez a saisi le juge des requêtes, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, pour obtenir la désignation d'un huissier de justice aux fins de procéder à des mesures d'investigation dans les locaux de cette société ; que sa demande a été accueillie et l'huissier de justice a effectué ses opéra

tions ; que la société Dauchez a présenté une nouvelle requête pour voir o...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 janvier 2016), que, s'estimant victime d'actes de concurrence déloyale commis par M. X... et la société Gestion privée Branly, la société Dauchez a saisi le juge des requêtes, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, pour obtenir la désignation d'un huissier de justice aux fins de procéder à des mesures d'investigation dans les locaux de cette société ; que sa demande a été accueillie et l'huissier de justice a effectué ses opérations ; que la société Dauchez a présenté une nouvelle requête pour voir ordonner, sur le même fondement, une mesure de constat sur la messagerie électronique personnelle de M. X... ; que ce dernier et la société Gestion privée Branly ont sollicité la rétractation de l'ordonnance du 12 mai 2014 ayant accueilli cette demande ;

Sur le deuxième moyen, tel que reproduit en annexe :

Délibéré par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation après débats à l'audience publique du 18 janvier 2017, où étaient présents : Mme Flise, président, Mme Pic, conseiller référendaire rapporteur, M. Liénard, conseiller doyen, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;

Attendu que M. X... et la société Gestion privée Branly font grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à rétractation de l'ordonnance rendue le 12 mai 2014 ;

Mais attendu qu'ayant relevé que l'ordonnance avait repris la motivation de la requête aux termes de laquelle il était exposé que M. X... s'était organisé pour que les éléments susceptibles de révéler ses agissements et/ou ceux de sa société ne soient pas présents et/ou accessibles sur les équipements informatiques de la société Gestion privée Branly, qui avaient fait l'objet d'une précédente mesure probatoire, mais sur ses équipements personnels et qu'il s'agissait là de manoeuvres évidentes de dissimulation et de soustraction, c'est à bon droit que la cour d'appel en a déduit l'existence dans la requête de circonstances justifiant qu'il soit dérogé au principe du contradictoire ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche :

Attendu que M. X... et la société Gestion privée Branly font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, qu'une mesure d'instruction in futurum doit être strictement limitée à ce qui est nécessaire à la preuve des faits litigieux ; qu'en considérant que la mesure de saisie du contenu de la boîte mail personnelle de M. X... était admissible quand cette mesure d'investigation n'était pas précisément définie en son contour, l'ordonnance visant certes les documents « en rapport avec les faits litigieux » mais ne fixant aucune autre limite, le second membre de phrase ne visant qu'à donner des précisions relatives aux documents saisissables, étant assorti d'un « notamment » qui élargit au contraire les contours de la saisie, la cour d'appel a violé les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 145 du code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel a énoncé, à bon droit, que le respect de la vie privée ne constituait pas, en lui-même, un obstacle à l'application de l'article 145 du code de procédure civile, dès lors que la mesure ordonnée reposait sur un motif légitime et était nécessaire et proportionnée à la protection des droits du requérant ; qu'ayant relevé que la mission confiée à l'huissier de justice visait à constater la présence, sur la messagerie personnelle de M. X..., de courriels en rapport avec l'activité de concurrence déloyale dénoncée et que la recherche avait été limitée aux fichiers, documents, et correspondances en rapport avec les faits litigieux et comportant des mots-clés précisément énumérés, elle en a exactement déduit que la mesure ordonnée, circonscrite dans son objet, était légalement admissible au sens de l'article 145 du code de procédure civile ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen et la seconde branche du troisième moyen, délibérés par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans les conditions ci-dessus mentionnées et reproduits en annexe, ces moyens n'étant manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X... et la société Gestion privée Branly aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer à la société Dauchez la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt septembre deux mille dix-sept.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour M. X... et la société Gestion privée Branly

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR dit n'y avoir lieu à rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 12 mai 2014 ;

AUX MOTIFS QUE : « aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ; que selon l'article 493 du même code, l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse ; que les appelants soutiennent que la requête se fondait sur un courriel adressé en mai 2013 par un avocat, relatif à un compte rendu d'audience , concernant « un litige portant sur l'une des propriétés encore gérées [par] la société Dauchez Administrateurs de biens » ; qu'en application du principe de confidentialité attaché aux correspondances émises par les avocats, cette pièce ne pouvait être produite qu'illicitement et ne pouvait justifier le motif légitime de recourir à une procédure probatoire ; qu'au surplus les courriels que la société Dauchez indique avoir découverts postérieurement au dépôt de la requête ne sauraient être pris en considération puisque non annexés à celle-ci ; que la pièce litigieuse a été obtenue par la société Dauchez fin mars 2014 en exécution de l'ordonnance de référé rendue le 14 janvier 2014 par le président du tribunal de commerce de Paris, qui, après débats contradictoires, a ordonné à Maître Y..., huissier de justice désigné par la précédente ordonnance sur requête du 13 septembre 2013, de lui remettre le CDRom contenant les fichiers informatiques, pièces et documents, à l'exception de la balance client et/ou factures de la société Gestion Privée Branly, recueillis et séquestrés lors des opérations de constat du 30 septembre 2013 ; que dès lors les appelants, qui ne soutiennent pas s'y être opposés dans le cadre de cette instance, ne peuvent invoquer l'illicéité de la production de ce document obtenu par décision de justice ; que ce courrier, daté du 6 mai 2013, adressé sur la boîte mail personnelle de M. X..., évoque un contentieux en cours concernant la SNEA dont les biens immobiliers étaient sous la gérance de la société Dauchez jusqu'au 26 juin 2013, date de la résiliation des mandats ; que cette découverte a motivé le recours à une mesure probatoire dès lors que la société requérante pouvait légitimement soupçonner son ancien salarié, qui avait démissionné de l'entreprise depuis 2012, de se livrer à des actes de concurrence déloyale, étant rappelé que le juge de la rétractation, pour l'appréciation du motif légitime, n'a pas à prendre en compte les chances de succès de l'action envisagée devant le juge du fond dont le fondement juridique n'a pas à être précisé, les faits de concurrence déloyale qui en sont l'objet étant expressément visés dans la requête » ;

ALORS 1/ QU' en toute matière, les correspondances échangées entre l'avocat et son client sont couvertes par le secret professionnel ; qu'un plaideur ne saurait fonder la légitimité d'une requête en vue de faire ordonner des mesures d'instruction sur la production d'une correspondance entre un avocat et la personne mandatée par son client pour recevoir ladite correspondance ; qu'en considérant que la découverte du courrier du 6 mai 2013 adressé par un avocat sur la boîte mail personnelle de M. X..., a motivé le recours à une mesure probatoire, dès lors qu'il permettait à la société Dauchez de soupçonner légitimement son ancien salarié de se livrer à des actes de concurrence déloyale, la cour d'appel a violé l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, ensemble l'article 145 du code de procédure civile ;

ALORS 2/ QUE l'obligation au secret professionnel pour assurer la confiance nécessaire à l'exercice de certaines professions ou de certaines fonctions, s'impose à l'avocat, hormis les cas où la loi en dispose autrement comme un devoir de son état et, sous cette réserve, est générale et absolue, de sorte que l'avocat ne peut en être délié par son client ; qu'en considérant que le courrier litigieux pouvait servir de fondement à la mesure d'instruction sollicitée au motif que les exposants, « qui ne soutiennent pas s'y être opposés dans le cadre de cette instance, ne peuvent invoquer l'illicéité de la production de ce document obtenu par décision de justice », quand l'absence d'opposition de la part du destinataire du mail ne saurait justifier la violation du secret professionnel, la cour d'appel a violé l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, ensemble l'article 145 du code de procédure civile ;

ALORS 3/ QU' en toute hypothèse, la renonciation à un droit ne se présume pas ; qu'en considérant que le courrier litigieux pouvait servir de fondement à la mesure d'instruction sollicitée au motif que les exposants, « qui ne soutiennent pas s'y être opposés dans le cadre de cette instance, ne peuvent invoquer l'illicéité de la production de ce document obtenu par décision de justice », quand elle ne pouvait présumer de la renonciation de ceux-ci à se prévaloir du secret des correspondances entre l'avocat et son client, la cour d'appel a violé les articles 1234 du code civil et 145 du code de procédure civile.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR dit n'y avoir lieu à rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 12 mai 2014.

AUX MOTIFS QUE : « que la société Dauchez a exposé au juge des requêtes que M. X... s'était organisé pour que les éléments susceptibles de révéler ses agissements et/ou ceux de sa société ne soient pas présents et/ou accessibles sur les équipements informatiques de la société Gestion Privée Branly, qui avaient fait l'objet d'une précédente mesure probatoire, mais sur ses équipements personnels ; que confronté à ces manoeuvres évidentes de dissimulation et de soustraction, elle était fondée à solliciter une nouvelle mesure d'instruction sans appeler dans la cause M. X... ; que la requérante, qui a visé les dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, a motivé de façon suffisante les circonstances nécessitant de recourir à une mesure non contradictoire dans la souci d'éviter le dépérissement des preuves ; que l'ordonnance a repris, en faisant sienne, cette motivation en fait et en droit, pour accorder la mesure sollicitée au visa des articles 145 et 493 du code de procédure civile ; que si une instance au fond a été initiée par la société Dauchez au mois de décembre 2014 c'est à l'encontre de la société Gestion Privée Branly uniquement, et devant le tribunal de commerce » ;

ALORS QUE la justification de déroger au principe du contradictoire ne saurait être générale et abstraite ; qu'en l'espèce, pour considérer que le recours à une mesure non contradictoire était justifié, la cour d'appel s'est bornée à relever que l'ordonnance « a motivé de façon suffisante les circonstances nécessitant de recourir à une mesure non contradictoire dans le souci d'éviter le dépérissement des preuves », termes qui sont la reprise des dispositions de l'article 493 du code de procédure civile ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les dispositions dudit article.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR dit n'y avoir lieu à rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 12 mai 2014.

AUX MOTIFS PROPRES QUE : « M. X... invoque une atteinte à sa vie privée du fait que la mesure ordonnée autorise l'huissier commis à se rendre dans les locaux de la société Gestion Privée Branly et/ou à son domicile afin d'accéder à sa messagerie personnelle et notamment celle hébergée sous l'adresse électronique retrouvée sur le courrier du 6 mai 2013 ; que le respect de la vie personnelle ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application de l'article 145 du code de procédure civile dès lors que la mesure ordonnée repose sur un motif légitime et est nécessaire et proportionnée à la protection des droits du requérant ; que la constatation de l'accueil sur la messagerie personnelle de M. X... du courriel en rapport avec l'activité de concurrence déloyale dénoncée, plusieurs mois après sa démission, justifie la recherche ordonnée dans les lieux où il est susceptible d'y accéder, sans que cette mesure puisse être qualifiée d'intrusive dès lors qu'elle a été limitée aux fichiers, documents et correspondances « en rapport avec les faits litigieux » et comportant des mots clefs énumérés, et que les documents recueillis devaient être placés sous séquestre à son issue » ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE : « Il convient d'observer que l'ordonnance rendue le 12 mai 2014 donnait mission à l'huissier avait [sic] de rechercher « les fichiers, documents, correspondances situés dans ladite messagerie, en rapport avec les faits litigieux précédemment exposés et notamment les courriels, courriers, documents, contrat(s) émis ou reçus par la Société Gestion Privée Branly, ou son Président, M. Benjamin X..., comportant les mots clés suivants: DAUCHEZ, CAMIZON, RITA, OBERKAMPF, LE BRETON, RENAULT, DINGLI, CANELFES, SOTRAMEL, S.N.E.A. ». Ces mentions suffisent à la sauvegarde du droit au respect de la vie privée de M. Benjamin X... » ;

ALORS 1/ QUE une mesure d'instruction in futurum doit être strictement limitée à ce qui est nécessaire à la preuve des faits litigieux ; qu'en considérant que la mesure de saisie du contenu de la boite mail personnelle de M. X... était admissible quand cette mesure d'investigation n'était pas précisément définie en son contour, l'ordonnance visant certes les documents « en rapport avec les faits litigieux » mais ne fixant aucune autre limite, le second membre de phrase ne visant qu'à donner des précisions relatives aux documents saisissables, étant assorti d'un « notamment » qui élargit au contraire les contours de la saisie ; la cour d'appel a violé les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 145 du code de procédure civile ;

ALORS 2/ QUE le droit à un procès équitable et le principe de la loyauté de la preuve interdisent au juge de se fonder sur un moyen de preuve portant une atteinte disproportionnée à la vie privée d'un plaideur ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme, 9 du code civil, 145 du code de procédure civile, ensemble le principe de loyauté de la preuve.

Le greffier de chambre


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 16-13082
Date de la décision : 20/09/2017
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 26 janvier 2016


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 20 sep. 2017, pourvoi n°16-13082


Composition du Tribunal
Président : Mme Batut (président)
Avocat(s) : SCP François-Henri Briard, SCP Thouin-Palat et Boucard

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2017:16.13082
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