LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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M. Mehdi X...,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Colmar, en date du 2 mars 2017, qui, dans l'information suivie contre lui du chef de tentative de meurtre aggravé, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 5 septembre 2017 où étaient présents : M. Soulard, président, M. Barbier, conseiller rapporteur, M. Straehli, Mme Durin-Karsenty, MM. Larmanjat, Ricard, Parlos, Bonnal, Mme Ménotti, conseillers de la chambre, MM. Barbier, Talabardon, Ascensi conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Cordier
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire BARBIER, les observations de la société civile professionnelle CÉLICE, SOLTNER, TEXIDOR et PÉRIER, Me LAURENT GOLDMAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. le premier avocat général CORDIER ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 12 juin 2017, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu les mémoires en demande et en défense produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 706-113, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la requête en annulation de pièces de M. X... ;
" aux motifs que l'article D 47-14 du code de procédure pénale dispose que les dispositions des articles 706-113 0 706-117 (relatives à la poursuite, à l'instruction et au jugement des infractions commises par des majeurs protégés), ne sont applicables aux procédures pénales mentionnées par ces articles que lorsque les éléments recueillis au cours de ces procédures font apparaître que la personne fait l'objet d'une mesure de protection juridique dans les conditions prévues au titre XI du livre Ier du code civil ; que si les éléments de la procédure font apparaître un doute sur l'existence d'une mesure de protection juridique, le procureur de la République, le juge d'instruction ou la juridiction de jugement procède ou fait procéder aux vérifications nécessaires ; que si l'existence de cette mesure n'est connue du juge d'instruction ou de la juridiction de jugement qu'après la mise en mouvement de l'action publique, ces dispositions ne sont applicables qu'à compter de cette date ; qu'il en est de même si la mesure de protection juridique est ordonnée en cours de procédure pénale ; que M. X... a été placé sous le régime de la curatelle par jugement du 25 juillet 2002 ; que la mesure de curatelle renforcée a été transformée en curatelle simple pour une durée de 60 mois par jugement du 27 décembre 2013 ; que M. X... a été placé en garde à vue le 19 août 2916, suite aux faits ci-dessus exposés ; qu'il a déclaré, lors de la notification de ses droits au début de sa garde à vue, "je ne désire faire prévenir ni un membre de ma famille, ni une personne avec laquelle je vis habituellement, ni mon employeur, ni mon tuteur, ni mon curateur......» ainsi que « je ne désire pas bénéficier de l'assistance d'un avocat » ; que les réponses apportées par M. X... n'étaient pas de nature à faire supposer l'existence d'une mesure de protection dans la mesure où il n'apparaissait pas davantage qu'il ait eu un employeur au moment des faits ; qu'à aucun moment au cours de sa garde à vue, il n'a fait une quelconque référence à un placement sous mesure de protection juridique ; que le beau-frère de M. X..., qui l'hébergeait ces derniers mois de même que sa soeur ont été interrogés par les enquêteurs et bien qu'ils aient indiqué qu'il souffrait de schizophrénie, aucun d'entre eux n'a fait mention d'une mesure de curatelle ; que la main courante de 2006 mentionnant que M. X... se trouvait sous la curatelle de sa mère datait de plus de 10 ans et n'était pas corroborée par les déclarations de la soeur et du beau-frère de M. X... ; qu'il convient de rappeler de surcroît que toute personne présentant une altération de ses facultés mentales n'est pas nécessairement placé sous un régime de protection juridique, le juge des tutelles n'ayant pas la possibilité de se saisir d'office ; que le conseil de M. X... soutient que la mesure de curatelle était nécessairement connue du ministère public, puisque celui-ci avait fait l'objet d'une déclaration d'irresponsabilité pénale par arrêt de la chambre de l'instruction du 15 décembre 2011 dans laquelle était mentionné qu'il était placé sous curatelle à compter du 25 juillet 2002 et que M. X... avait comparu à l'audience de comparution immédiate 15 jours avant les faits ; que si les autorités de poursuite et d'instruction ont eu connaissance de la procédure de comparution immédiate relative aux faits de destruction de biens d'utilité publique du 4 août 2016, il y apparaît que M. X... avait été interrogé, lors de son déferrement par le Procureur de la République, sur l'existence d'une éventuelle mesure de protection et qu'il avait répondu en ces termes « Je ne suis pas sous tutelle. Je gère mon compte. Je suis en procès avec mon tuteur qui me volait » ; que M. X... avait par ailleurs refusé de répondre à toute question de l'enquêteur de personnalité requis par le procureur de la République ; que de même, si l'expertise de M. Y..., médecin, précisait que M. X... était sous tutelle, l'expert déduisait cette affirmation des propos suivants « Je suis en justice avec lui. Il m'a rendu mes comptes vides » ; que le tribunal n'avait pas été informé ni par l'intéressé ni par sa famille de l'existence d'une mesure de protection et aucune investigation complémentaire n'a été réalisée quant à J'existence d'une telle mesure ; qu'il pouvait donc être légitimement retenu que, si une mesure de protection avait existé, elle n'était plus d'actualité ; qu'à supposer qu'un doute sur l'existence d'une mesure de protection juridique soit apparu lors du compterendu des premières investigations policières au magistrat du parquet à 18 h 50 le 19 août 2016, il sera fait observer que les autorités de poursuite et d'instruction se trouvaient clans une impossibilité matérielle de procéder à des vérifications complémentaires ; qu'en effet, le Procureur de la République se trouvait dans l'impossibilité de requérir les services compétents, soit le greffe des tutelles du Tribunal d'instance de Strasbourg, soit les services cl l'état de civil des citoyens français nés à l'étranger de Nantes, fermés à cette heure-là un vendredi soir ; que le juge d'instruction se trouvait dans la même situation, l'interrogatoire de première comparution ayant eu lieu le samedi 20 août 2016 à 16 h 32 ; qu'il sera enfin rappelé que l'opportunité des poursuites relève de la seule compétence du ministère public » ;
"1°) alors que le procureur de la République ou le juge d'instruction est tenu d'aviser le curateur ou le tuteur, ainsi que le juge des tutelles, des poursuites dont un majeur protégé fait l'objet ; que l'inobservation de cette formalité entache de nullité la procédure, alors même qu'il n'est pas établi que le Procureur ou le juge aient eu connaissance de la mesure de protection juridique dont bénéficiait l'intéressé ; qu'au cas d'espèce, la chambre de l'instruction a constaté que M. X... avait été placé sous curatelle par jugement du 25 juillet 2002 et que la mesure de curatelle renforcée avait été transformée en curatelle simple pour une durée de 60 mois par jugement du 27 décembre 2013, mais que son tuteur n'avait été averti ni de la mesure de garde à vue, ni de sa présentation au Procureur de la République, ni de sa première comparution devant le juge d'instruction, ni de sa mise en examen, ni d'aucun acte subséquent ; qu'en se fondant, pour dire néanmoins la procédure régulière, sur la circonstance que le Procureur de la République et le juge d'instruction avaient pu ne pas avoir connaissance de la mesure de protection dont M. X... faisait l'objet, la chambre de l'instruction s'est déterminée par des motifs inopérants en violation de l'article 706-113 du Code de procédure pénale ;
"2°) alors qu'il résultait des propres constatations de la Cour que le beau-frère de M. X... avait indiqué que ce dernier souffrait de schizophrénie, que figurait au dossier une main-courante de 2006 mentionnant que M. X... se trouvait sous curatelle, que les autorités de poursuite et d'instruction avaient connaissance du dossier pour lequel M. X... avait été jugé en comparution immédiate quelques jours avant les faits, dans lequel M. X... indiquait être « en procès avec mon tuteur », que l'expertise psychiatrique figurant dans ce dossier indiquait que M. X... était sous tutelle ; qu'en affirmant néanmoins que le Procureur de la République et le juge d'instruction avaient pu ne pas avoir connaissance de la mesure de protection dont M. X... faisait l'objet, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations en violation de l'article 706-113 du code de procédure pénale ;
"3°) alors qu'en se fondant, pour considérer que le Procureur de la République et le juge d'instruction avaient pu ne pas avoir connaissance de la mesure de protection dont M. X... faisait l'objet, sur les déclarations de M. X... (lesquelles devaient par hypothèse être prises avec circonspection, s'agissant de la personne dont la vulnérabilité devait être recherchée), sur le silence de ses proches au sujet d'une mesure de protection et sur l'heure du déferrement de M. X..., la chambre de l'instruction s'est déterminée par des motifs inopérants en violation de l'article 706-113 du code de procédure pénale" ;
Vu les articles 593 et 706-113 du code de procédure pénale, ensemble l'article D 47-14 du même code ;
Attendu qu'il résulte du premier de ces textes que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il se déduit des deuxième et troisième de ces textes que le curateur d'une personne majeure protégée doit être avisé de la date de toute audience concernant la personne protégée, en ce compris l'interrogatoire de première comparution ; qu'en cas de doute sur l'existence d'une mesure de protection juridique, le procureur de la République ou le juge d'instruction doit faire procéder aux vérifications nécessaires préalablement à cet acte ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le 19 août 2016, M. Mehdi X..., criant "Allah Akbar", a porté un coup de couteau sur la personne de M. Jean-Louis Z..., qui rentrait chez lui, dont la confession juive ressortait de sa tenue vestimentaire, le blessant au thorax ; qu'interpellé sur le lieu des faits, M. X... a été placé en garde à vue, interrogé, puis déféré devant le procureur de la République de Colmar, qui a ouvert une information par réquisitoire introductif du 20 août 2016 ; qu'après avoir été mis en examen le même jour par le juge d'instruction du chef de tentative d'homicide volontaire en raison de l'appartenance réelle ou supposée de la victime à la religion juive, il a été placé en détention provisoire ;
Attendu qu'il est apparu qu'aucun avis n'a été adressé au curateur de l'intéressé, qui s'est avéré atteint de psychose délirante chronique et bénéficiaire d'une mesure de protection légale par jugement du 27 décembre 2013 du juge des tutelles de Strasbourg ; que par requête en date du 11 octobre 2016, le conseil de M. X... a sollicité l'annulation de la mesure de garde à vue ainsi que de l'ensemble des actes subséquents par suite du non respect des dispositions des articles 706-112 à 706-116 du code de procédure pénale ;
Attendu que pour écarter l'argumentation du requérant, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans mieux s'expliquer sur l'absence de doute au sens de l'article D 47-14 du code de procédure pénale, alors qu'il résultait de ses propres constatations que, d'une part, le beau-frère et la soeur de M. X... avaient indiqué que ce dernier souffrait de schizophrénie, d'autre part, figurait au dossier une déclaration en main-courante datant de 2006 qui indiquait que l'intéressé se trouvait sous curatelle, enfin, les autorités de poursuite et d'instruction avaient connaissance du dossier d'une affaire pour laquelle le requérant avait été jugé en comparution immédiate le 4 août 2016, qui comportait une expertise psychiatrique indiquant que M. X... bénéficiait d'une mesure de tutelle, la chambre de l'instruction, qui n'a pas caractérisé une circonstance insurmontable faisant obstacle à cette vérification, a prononcé par des motifs insuffisants et contradictoires ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Colmar, en date du 2 mars 2017, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Colmar et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-neuf septembre deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.