LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 26 mars 2015), que M. et Mme X... ont confié la restauration de leur maison à la société Suze bâtiments ; qu'invoquant des surfacturations, des désordres, ainsi qu'un préjudice de jouissance, les maîtres de l'ouvrage ont assigné la société Suze bâtiments en indemnisation ; que cette société a formé des demandes reconventionnelles en paiement ;
Sur le premier et le deuxième moyens, ci-après annexés :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le troisième moyen :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu qu'après avoir retenu, dans ses motifs, que, le code de commerce ne contenant aucun article L. 411-6 prescrivant l'application de pénalités de retard, la demande présentée sur ce fondement devait être rejetée, l'arrêt, dans son dispositif, confirme en toutes ses dispositions le jugement, qui avait accueilli la demande fondée sur le texte précité ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a entaché sa décision d'une contradiction entre les motifs et le dispositif, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du même code ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la condamnation de M. et Mme X... à payer la somme de 85 957, 76 euros à la société Suze bâtiments est à majorer des pénalités de retard prévues aux termes de l'article L. 411-6 du code de commerce, l'arrêt rendu le 26 mars 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Rejette la demande tendant à l'application de l'article L. 411-6 du code de commerce ;
Dit que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf juin deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils, pour M. et Mme X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté les époux X... de leurs demandes tendant à voir condamner la Sarl Suze Bâtiments à leur payer la somme de 600 000 € au titre d'un trouble de jouissance ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « sur le trouble de jouissance : en vertu de l'acte d'engagement non daté et sur la base du devis de 464 176,96 euro en date du 7 mars 2003, les travaux devaient durer 18 mois ; sur le retard dans le déroulement du chantier, l'expert précise que les travaux ont eu lieu entre le printemps 2003 et l'automne 2006 et que : - le projet d'origine a été profondément modifié en raison de la transformation de la consistance des travaux et de la fourniture par les maîtres de l'ouvrage de divers matériaux :
carrelages, menuiseries, éléments de charpente en chêne (achetés en Italie) en remplacement des poutres en sapin prévues au devis, - ces modifications et l'immixtion des maîtres de l'ouvrage dans le déroulement du chantier ont créé des difficultés et sont à l'origine d'interruption de travaux contraignant l'entreprise à employer ses ouvriers ailleurs, - l'absence d'architecte a également participé à la désorganisation du chantier, - les époux X... ont semble-t-il considéré que Suze Bâtiments devait assurer le rôle de maître d'oeuvre, mais en qualité de maître de l'ouvrage, ils ont pris l'initiative d'organiser les rendez-vous de chantier et de modifier la consistance des travaux qui devaient être exécutés, - les retards de paiement (5 mois pour la facture du 11/07/2005) ont également participé à la détérioration des relations entre les parties ; il ne peut être considéré que M. et Mme X... ont commis une faute et ont concouru à la réalisation de leur préjudice en s'abstenant de recourir aux services d'un architecte maître d'oeuvre ; en revanche, leur absence de compétence notoire est indifférente, alors qu'en vertu de l'article 17 de l'acte d'engagement ils se sont engagés à coordonner les travaux entre les divers corps d'état, en précisant qu'ils pourront réclamer des indemnités de retard aux entreprises dont les travaux seraient interrompus ; cette demande a d'ailleurs été formulée par lettre de M. X... en date du 17 novembre 2006 à compter du « 4 octobre » ; ainsi, compte tenu de la transformation de l'accord initial à la demande des maîtres de l'ouvrage et de leur rôle dans la conduite du chantier et le choix des matériaux, il ne sera pas retenu de retard d'exécution imputable à l'entreprise, si bien que la demande présentée au titre du préjudice de jouissance doit être rejetée » (cf. arrêt p. 6, § 7 – p. 7, § 1);
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « sur la cause et l'origine d'un éventuel retard dans le déroulement du chantier, l'expert retient ainsi que « les maîtres d'ouvrage ont incontestablement créé des difficultés et sont à l'origine de l'interruption de travaux contraignant l'entreprise à employer ses ouvriers ailleurs » ; il ajoute que « l'absence d'architecte a également participé à la désorganisation du chantier » ; Suze Bâtiments n'avait pas contractuellement de mission de maîtrise d'oeuvre ; M. Y... note à cet égard, et cela incrimine clairement les maîtres d'ouvrage, que « les époux X... ont semble-t-il considéré que Suze Bâtiments devait assurer un rôle de maître d'oeuvre alors même qu'en qualité de maîtres d'ouvrage, ils prenaient l'initiative d'organiser les rendez-vous de chantier et de modifier la consistance des travaux qui devaient être exécutés… » (p. 37) ; M. Y... répond, quant à la réception de l'immeuble (interrogé en vue d'une réception judicaire) que « les travaux se sont déroulés entre le printemps 2003 et l'automne 2006 ; ils étaient suffisamment avancés pour que ce mas soit habitable et que les maîtres d'ouvrage s'y installent en dépit des réserves formulées qui portaient pour l'essentiel sur des défauts d'aspects de carrelage (ne rendant pas les lieux impropres à leur destination) et sur quelques infiltrations par des menuiseries achetées en Italie ; les relations entre les parties ont été à compter de 2006 essentiellement perturbées par des considérations financières, sans incidence directe sur les conditions qui peuvent prévaloir pour une réception (avec réserves) des ouvrages ; en définitive, la date de réception pourrait être fixée semble-t-il au 31/10/2006 » (p.39) ; l'on retiendra en définitive que le chantier aurait pu être plus rapidement mené, (…), dans ces conditions, le retard apparaissant largement imputable aux époux X..., et les lieux tout à fait habitables quoique non encore parfaitement achevés dans le détail quand les époux X... en prenaient possession, la demande d'indemnisation du préjudice de jouissance (à hauteur de 600 000 euros soit tout de même 150 % du montant du prix de restauration du mas…) sera intégralement rejetée » (cf.
jugement p. 4, §4 – p. 5, §1) ;
ALORS QUE, d'une part, l'entrepreneur a l'obligation de livrer l'ouvrage dans les délais convenus et la faute de la victime ne peut produire un effet totalement exonératoire que si elle est la cause unique du dommage ; qu'en déboutant les époux X... de leurs demandes au titre du trouble de jouissance causé par le retard dans l'achèvement des travaux en considérant qu'il ne devait pas être tenu compte du retard imputable à l'entreprise ce dont il s'évinçait que tant l'entrepreneur que les maître d'ouvrage étaient responsables du retard, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;
ALORS QUE, d'autre part, seule l'immixtion fautive du maître de l'ouvrage notoirement compétent dans les opérations de constructions est de nature à transférer sur celui-ci une part de la responsabilité du maître d'oeuvre dans la survenance des désordres et du retard dans l'exécution du chantier ; que le seul fait, pour un maître de l'ouvrage, dépourvu de compétence notoire, d'avoir joué un rôle dans la conduite du chantier et dans le choix des matériaux n'est pas de nature à caractériser l'immixtion fautive de celui-ci dans la mission de l'entrepreneur chargé de la réalisation des travaux ni de lui transférer une part de responsabilité ; qu'en écartant néanmoins la demande des époux X... au titre du préjudice de jouissance après avoir relevé que les travaux s'étaient étalés sur plus de trois ans quand ils étaient
prévus sur une durée de 18 mois, sans relever que les époux X... s'étaient immiscés fautivement dans la réalisation des travaux de restauration qu'ils avaient confiés à la Sarl Suze Bâtiments, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté les époux X... de leurs demandes tendant à voir condamner la Sarl Suze Bâtiments à rétablir ses factures en ventilant le taux de TVA à 5,5 % et à 19,6 % ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « sur l'application du taux de TVA à 5,5 % :
l'article 4 de l'acte d'engagement prévoit que la proposition est faite sur la base de 388 107,83 euros HT, soit après TVA au taux de 19,6 % (76 069,13 euro) un montant TTC de 467 176 96 euros, étant précisé que le taux de TVA sera éventuellement réajusté en fonction de l'avis des services fiscaux et qu'une attestation devra être produite en cas de taux à 5,5 % par le maître de l'ouvrage ; le 4 janvier 2007, les services fiscaux, répondant à la question posée par M. X..., rappellent en termes généraux les conditions d'application du taux de TVA réduit à 5,5 %, sans analyser les caractéristiques du chantier dont s'agit et sa soumission possible à ce taux particulier ; ce document ne peut être considéré comme une attestation valable en faveur de l'application du taux de 5,5 % aux travaux en cause ; M. et Mme X..., défaillants dans la charge de la preuve qui leur incombe, seront dès lors déboutés de ce chef de demande » (cf. arrêt p. 7, § 6) ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « concernant la demande formulée par les époux X... au titre de la TVA (taux à appliquer), la juridiction ne peut que la rejeter, constatant que cette question intéresse les parties et l'administration fiscale et non les aspects civils d'un litige qui seuls relèvent de la compétence du présent tribunal » (cf. jugement p.6, §9) ;
ALORS QUE, c'est à l'entreprise dont les prestations sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée et qui est redevable de son paiement qu'il incombe d'établir des factures faisant apparaître pour chacune des opérations concernées le taux de TVA qui leur est légalement applicable ; qu'en faisant supporter aux époux X..., maîtres de l'ouvrage, la preuve de la ventilation du taux de TVA selon la nature des travaux effectués quand il appartenait à la société Suze Bâtiments, redevable de la taxe, de justifier du taux légalement applicable, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation de l'article 1315 du code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement déféré en ce qu'il a dit que la condamnation des époux X... à payer à la Sarl Suze Bâtiments la somme de 85 957, 76 euros est à majorer des pénalités de retard prévues aux termes de l'article L 411-6 du code de commerce ;
AUX MOTIFS QUE « le code de commerce ne contient aucun article L 411-6 prescrivant l'application de pénalités de retard ; la demande présentée sur ce fondement sera en conséquence rejetée » (cf. arrêt p.8, §2) ;
ALORS QUE la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, après avoir retenu, dans les motifs de sa décision, qu'il convenait de rejeter la demande présentée au titre de pénalités de retard sur le fondement de l'article L 411-6 du code de commerce, la cour d'appel a néanmoins, dans son dispositif, confirmé le jugement qui avait fait droit à cette demande sur ce fondement, entachant sa décision d'une contradiction entre les motifs et le dispositif en violation de l'article 455 du code de procédure civile.