LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la Banque de Polynésie (la banque) ayant engagé une procédure de saisie immobilière à l'encontre de M. X..., un immeuble appartenant à M. et Mme X... a été adjugé par jugement du 19 mai 2004 ; que dans le cadre de la procédure d'ordre judiciaire, un arrêt d'une cour d'appel du 17 août 2006 a fixé la créance de la banque à une certaine somme ; que par requête du 27 septembre 2012, M. X... a saisi le tribunal de première instance de Papeete d'une demande tendant à voir constater que la banque avait commis un abus de droit en poursuivant la vente à la criée de l'immeuble lui appartenant ;
Sur le premier moyen :
Vu les articles 1351, devenu 1355, du code civil et 284 du code de procédure civile de Polynésie française ;
Attendu que, s'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits ;
Attendu que pour déclarer irrecevables les demandes de M. X... en vertu du principe de l'autorité de chose jugée, la cour d'appel relève que celui-ci a été débouté de ses demandes par l'arrêt du 17 août 2006 au motif qu'il ne pouvait affirmer que la créance de la banque était éteinte par suite de la remise à cette dernière, le 10 mars 2004, d'un chèque, le débiteur ne pouvant forcer le créancier à recevoir en partie le paiement d'une dette par application de l'article 1244 du code civil, qu'en vain M. X... invoque désormais l'article 1382 du code civil pour soutenir l'existence d'une faute commise par la banque qui n'a pas accepté d'encaisser le chèque, dès lors qu'il soutenait déjà ce refus fautif à l'occasion de l'instance ayant abouti à l'arrêt du 17 août 2006, en se fondant déjà sur l'article 1288 du code civil, qu'il y a en conséquence identité de moyens ;
Qu'en statuant ainsi, alors que M. X... n'avait, à l'occasion de l'instance ayant donné lieu à l'arrêt du 17 août 2006, formé à l'encontre de la banque aucune demande tendant à voir constater l'abus de droit qu'elle aurait commis en poursuivant la vente à la criée de l'immeuble lui appartenant, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le second moyen :
Vu l'article 624 du code de procédure civile ;
Attendu que la cassation sur le premier moyen entraîne la cassation par voie de conséquence de la partie du chef de dispositif critiquée par le second moyen ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er octobre 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Papeete, autrement composée ;
Condamne La Banque de Polynésie aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux juin deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP François-Henri Briard, avocat aux Conseils, pour M. X...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevables les demandes de M. X..., en vertu du principe de l'autorité de la chose jugée ;
Aux motifs propres qu'« en application de l'article 1351 du code civil, il y autorité de la chose jugée lorsque l'objet de la demande, sa cause et les parties, prises en leur même qualité, sont les mêmes que dans une instance antérieure ayant donné lieu à une décision contentieuse définitive ; qu'en l'espèce, le jugement déféré a exactement relevé que l'arrêt définitif de la cour d'appel du 17 août 2006 avait tranché l'objet du litige entre les mêmes parties qui lui était soumis : que répondant au moyen soulevé par M. Yves X..., fondé notamment sur l'article 1288 du code civil, et tiré de l'extinction de sa dette par la remise, antérieure à la vente de l'immeuble, d'un chèque de 15 278 911 FCP, l'arrêt du 17 août 2006 a débouté M. X... de sa demande au motif que celui-ci " ne pouvait prétendre que les intérêts de la dette cautionnée avaient cessé de courir à l'égard de la caution à compter de la mise en redressement judiciaire du débiteur principal (la société Pacific Scanner) dès lors que, par application de l'article L. 621-48 du code de commerce, les cautions et coobligés ne peuvent se prévaloir de l'arrêt du cours des intérêts par suite du jugement d'ouverture du redressement judiciaire et dès lors que, dans l'arrêt prononcé le 17 avril 2003, passé en force de chose jugée, la cour d'appel de Papeete a précisé que les intérêts aux taux conventionnel avaient commencé à courir à l'égard de cette caution à compter du 12 février 1998 ; qu'enfin, Yves X... ne pouvait affirmer que la créance était éteinte par suite de la remise à la Banque de Polynésie, le 10 mars 2004, d'un chèque d'un montant de 15 278 911 FCP correspondant au montant de la créance admise dans le cadre du redressement judiciaire de la société Pacific Scanner puisque, par application de l'article 1244 du code civil, le débiteur ne peut forcer le créancier à recevoir en partie le paiement d'une dette " ; qu'en vain M. Yves X... invoque-t-il désormais l'article 1382 du code civil pour soutenir l'existence d'une faute commise par la Banque de Polynésie qui n'a pas accepté d'encaisser le chèque de 15 278 911 FCP ; qu'il soutenait déjà ce refus fautif à l'occasion de l'instance ayant abouti à l'arrêt du 17 août 2006, en se fondant déjà sur l'article 1288 du code civil ; qu'il y a donc identité de moyens et, en toute hypothèse, à supposer que la responsabilité délictuelle constitue un moyen nouveau, il appartenait à M. X... de le soulever à l'occasion de la première instance, en application du principe de concentration des moyens posé par la Cour de cassation ; que la demande de M. Yves X... sera donc déclarée irrecevable pour défaut du droit d'agir en vertu de l'autorité de la chose jugée, conformément à l'article 45 du code de procédure civile de la Polynésie française » (arrêt attaqué, p. 4, § 3 à p. 5, § 2) ;
Et aux motifs éventuellement adoptés du premier juge que « l'article 284 du code de procédure civile dispose que " le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche " ; que par arrêt définitif de la cour d'appel de Papeete, en date du 17 août 2006, le recours de monsieur X... a été rejeté, notamment aux motifs que […] ; qu'ainsi la cour d'appel a définitivement admis que c'est à juste titre que la Banque de Polynésie SA a refusé le paiement partiel de sa créance, les intérêts ayant continué de courir au taux conventionnel depuis le 12 février 2008, et le paiement partiel ne pouvant être imposé au créancier ; que le tribunal correctionnel a estimé que la constitution de partie civile à l'encontre du directeur général de la Banque de Polynésie SA était abusive, excluant une faute de nature délictuelle de sa part ; que la demande de M. X..., même qualifiée différemment au visa de l'article 1382 du code civil n'est pas recevable, du fait de l'autorité de la chose jugée » (jugement entrepris, p. 3, pénult. § à p. 4, § 3) ;
Alors d'une part que la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée suppose, en particulier, que la chose demandée soit la même ; que s'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits ; que le contredit formé par M. X... dans la procédure d'ordre judiciaire ayant abouti à l'arrêt du 17 août 2006 tendait à l'exclusion de toute collocation de la Banque de Polynésie sur le produit de la vente forcée de son immeuble ; que l'arrêt du 17 août 2006 ayant confirmé le rejet de ce contredit ne faisait donc pas obstacle à la recevabilité de la demande distincte de dommages-intérêts ultérieurement présentée contre la banque ; qu'en se fondant sur ledit arrêt pour déclarer cette demande de dommages-intérêts irrecevable à raison de l'autorité de la chose jugée, la cour d'appel a violé les articles 1351 du code civil et 284 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
Alors d'autre part que les décisions de la justice pénale n'ont autorité absolue au civil qu'en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification, la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé ; que la procédure pénale ayant abouti au jugement du tribunal correctionnel de Papeete du 31 janvier 2006 ne mettait pas en cause la Banque de Polynésie elle-même, mais le directeur général de cette personne morale ; que ce qui avait pu être jugé par le tribunal correctionnel concernant le directeur général ne valait pas chose jugée concernant la personne morale ; qu'en se fondant, par motif éventuellement adopté du premier juge, sur ledit jugement du 31 janvier 2006 pour déclarer la demande indemnitaire présentée contre la Banque de Polynésie irrecevable à raison de l'autorité de la chose jugée, la cour d'appel a violé l'article 1351 du code civil ;
Alors en outre que l'autorité absolue des décisions de la justice pénale ne s'attache qu'à ce qui a été jugé sur l'action publique, à l'exclusion de ce qui a été jugé sur les intérêts civils ; que la condamnation pour abus de constitution de partie civile prononcée contre M. X... par le jugement du tribunal correctionnel de Papeete du 31 janvier 2006 relevait de la chose jugée sur les intérêts civils, et n'avait donc pas l'autorité absolue d'une décision de la justice pénale ; qu'en se fondant, par motif éventuellement adopté du premier juge, sur ladite condamnation pour déclarer la demande indemnitaire présentée contre la Banque de Polynésie irrecevable à raison de l'autorité de la chose jugée, la cour d'appel a violé, de plus fort, l'article 1351 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir, par confirmation du jugement entrepris, condamné M. X... à payer à la Banque de Polynésie la somme de 300 000 Frs CFP à titre de dommages-intérêts, ainsi qu'à payer une amende civile de 100 000 Frs CFP en application de l'article 1er du code de procédure civile de la Polynésie française ;
Aux motifs propres que « le tribunal a exactement jugé que " malgré plusieurs décisions civiles passées en force de chose jugée qui ont validé son engagement de caution, validé la procédure de saisie et la procédure d'ordre judiciaire, malgré sa condamnation à payer une amende civile ainsi que des dommages intérêts " tant par les juridictions civiles que pénales, M. Yves X... a de nouveau introduit en toute connaissance de cause une requête aux mêmes fins ; que les déboutés et condamnations antérieures de M. Yves X... à des amendes civiles ou à des dommages intérêts en faveur de la Banque de Polynésie auraient dû le conduire à plus de circonspection dans l'usage des voies de droit qui lui sont ouvertes, au moment où il intentait une nouvelle action destinée à contrarier l'autorité de la chose jugée » (arrêt attaqué, p. 5, § 3 et 4) ;
Et aux motifs éventuellement adoptés du premier juge que « la présente demande de monsieur X... intervient alors que le requérant qui n'accepte pas les décisions rendues et aujourd'hui définitives, constitue une tentative pour exercer une voie de recours désormais éteinte ; qu'elle comporte un caractère abusif justifiant le paiement à la Banque de Polynésie de la somme de 300 000 F CFP à titre de dommages intérêts, outre le paiement d'une amende civile par application de l'article 1er du code de procédure civile de la Polynésie française d'un montant de 100 000 F CFP » (jugement entrepris, p. 4, § 5 et 6) ;
Alors que la portée de la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que la censure à intervenir sur le premier moyen, en ce que la demande indemnitaire de M. X... a été déclarée irrecevable pour cause d'autorité de la chose jugée, entraînera la cassation par voie de conséquence, conformément à l'article 624 du code de procédure civile, du chef de l'arrêt attaqué par lequel la cour d'appel a déduit de cette déclaration d'irrecevabilité que l'action de M. X... présentait un caractère abusif.