LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 4 mars 2016), que, par lettre portant la date du « 31 » avril 2006, adressée à l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles, avec copie au procureur de la République, MM. X...et Y...ont dénoncé des irrégularités prétendument commises dans la gestion de la Mutuelle de la police nationale (la mutuelle) dont ils avaient été adhérents ; que le 13 décembre 2011, la mutuelle, soutenant que le retentissement médiatique de ces accusations mensongères, qui avaient conduit à l'ouverture d'une information judiciaire et à la mise en examen de son président, procédure qui s'était terminée par un non-lieu le 30 novembre 2010, avait jeté le discrédit sur elle, les a assignés en paiement d'une somme de 3 588 930 euros à titre de dommages-intérêts, sur le fondement de l'article 1382 du code civil ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la mutuelle fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes formées à l'encontre de MM. Y... et X...et de la condamner à leur verser à chacun la somme de 5 000 euros pour procédure abusive, alors, selon le moyen :
1°/ que la responsabilité civile de l'auteur d'une plainte ou d'une dénonciation téméraire, qui constitue une faute distincte de l'abus du droit d'ester en justice et du délit de dénonciation calomnieuse prévu par l'article 226-10 du code pénal, n'est pas subordonnée à la démonstration d'une intention de nuire ; qu'en considérant, pour rejeter la demande de la mutuelle, que celle-ci ne démontrait pas que MM. Y... et X...aient été animés par une intention de nuire, la cour d'appel a violé les articles 1382 et 1383 du code civil ;
2°/ que la responsabilité civile de l'auteur d'une plainte ou d'une dénonciation téméraire, qui constitue une faute distincte de l'abus du droit d'ester en justice et du délit de dénonciation calomnieuse prévu par l'article 226-10 du code pénal, n'est pas subordonnée à la démonstration d'une intention de nuire ; qu'en se bornant à relever, pour débouter la mutuelle de sa demande formée à l'encontre de MM. Y... et X..., qu'il n'était pas démontré que ces derniers avaient été animés par une intention de nuire en dénonçant au procureur de la République de graves irrégularités dans la gestion de la mutuelle, sans rechercher si les auteurs de cette dénonciation n'avaient pas agi avec une légèreté fautive, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1382 et 1383 du code civil ;
3°/ qu'en considérant qu'il ne pouvait être reproché à MM. Y... et X...l'ouverture d'une information judiciaire sur la base d'éléments recueillis au cours de l'enquête préliminaire qu'ils ignoraient, cependant que la demande formée par la mutuelle n'était pas fondée sur la mise en examen dont son président avait été l'objet mais sur la témérité fautive dont avaient fait preuve MM. Y... et X... en dénonçant au parquet, sans aucune preuve, de nombreux faits susceptibles de recevoir une qualification pénale et que cette dénonciation avait été à l'origine de l'ouverture d'une information au terme de laquelle une ordonnance de non-lieu était intervenue, la cour d'appel, qui s'est déterminée par des motifs impropres à exclure l'existence d'une faute, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1382 et 1383 du code civil ;
4°/ que la dénonciation téméraire de faits revêtant une qualification pénale cause nécessairement préjudice à celui qui en est victime ; qu'en considérant que la mutuelle ne rapportait pas la preuve de la réalité de son préjudice, la cour d'appel a violé les articles 1382 et 1383 du code civil ;
Mais attendu, qu'ayant relevé que les faits évoqués dans la lettre du « 31 » avril 2006 avaient été jugés suffisamment sérieux par le ministère public pour justifier l'ouverture d'une enquête préliminaire, que cette enquête avait révélé, d'une part, qu'un certain nombre d'anomalies dans la gouvernance, l'organisation et la gestion financière des deux institutions, s'analysant en des manquements aux règles édictées par le code de la mutualité, avaient été relevées par l'Autorité de contrôle des assurances et mutuelles, cette Autorité ayant notamment constaté que les deux mutuelles constituant un groupe auraient dû désigner deux commissaires aux comptes et non pas un seul, ainsi que l'évoquaient MM. X... et Y...dans la lettre litigieuse, et, d'autre part, que le transfert des parts sociales de sociétés civiles donnant vocation à la jouissance d'appartements de vacances à temps partagé entre la mutuelle et la mutuelle Bel'Air n'avait été porté à la connaissance des adhérents que dix mois après la signature de l'acte notarié, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche visée à la deuxième branche qui ne lui était pas demandée, a pu en déduire qu'aucune faute n'était caractérisée à l'égard de MM. X... et Y...;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen, tel que reproduit en annexe :
Attendu que la mutuelle fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à MM. Y... et X...la somme de 5 000 euros chacun pour procédure abusive ;
Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs adoptés, que la mutuelle avait introduit contre MM. Y... et X...une action dont elle ne pouvait ignorer le caractère infondé, tant en fait qu'en droit, et qu'elle avait formulé contre eux une demande de dommages-intérêts d'un montant colossal qu'elle n'avait jamais cru devoir expliciter ni justifier au moyen de la moindre pièce, la cour d'appel a pu retenir l'existence d'une faute faisant dégénérer en abus l'exercice du droit d'agir en justice ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Mutuelle de la police nationale aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mai deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Haas, avocat aux Conseils, pour la Mutuelle de la police nationale
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR débouté la Mutuelle de la police nationale de ses demandes formées à l'encontre de MM. Y... et X...et de L'AVOIR condamnée à leur verser à chacun la somme de 5 000 euros pour procédure abusive ;
AUX MOTIFS PROPRES QU'il appartient à l'appelante de rapporter la preuve d'une faute commise par les intimés ; qu'il ressort des pièces versées aux débats que MM. X... et Y...ont adressé, le 17 avril 2006, un courrier au président de la Mutuelle de la police nationale et de la mutuelle Bel'Air, en vue de voir inscrire à l'ordre du jour d'une assemblée générale devant se tenir le 28 avril 2006, un certain nombre de questions relatives au fonctionnement de ces mutuelles, aux liens existant entre elles ainsi qu'à obtenir des informations sur un projet de vente d'appartements en multipropriété situés à Courchevel ; que les questions posées, au nombre de 79 pour la Mutuelle de la police nationale et de 45 pour la mutuelle Bel'Air, n'ont pas été inscrites à l'ordre du jour de cette assemblée générale, laquelle a décidé de l'exclusion de MM. X... et Y...; que s'il est incontestable que c'est suite à cette exclusion que les intimés ont adressé, le « 31 avril » 2006, au président de l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles, avec copie au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Strasbourg, un courrier reprenant un certain nombre des interrogations contenues dans leurs précédents courriers, soulignant des problèmes de fonctionnement au sein de la Mutuelle de la police nationale ainsi qu'une certaine opacité, des décisions étant prises sans information de l'assemblée générale des adhérents, le tribunal a exactement considéré qu'il n'était pas pour autant démontré que MM. X... et Y...étaient animés d'une intention de nuire envers la Mutuelle de la police nationale ; qu'il convient en effet de constater que la saisine de ces autorités avait d'ores et déjà été envisagée dans les courriers du 17 avril 2006, les intimés demandant la création d'une commission ad hoc pour vérifier le respect des règles du code de la mutualité et se prononcer sur l'opportunité d'une telle saisine et que les faits évoqués dans ce courrier ont été jugés suffisamment sérieux par le ministère public pour justifier l'ouverture d'une enquête préliminaire ; que cette enquête a révélé, d'une part, qu'un certain nombre d'anomalies dans la gouvernance, l'organisation et la gestion financière des deux institutions, s'analysant dans des manquements aux règles édictées par le code de la mutualité, avaient été relevés par l'Autorité de contrôle des assurances mutuelles, cette autorité ayant notamment constaté que les deux mutuelles constituant un groupe aurait dû désigner deux commissaires aux comptes et non pas un seul, ainsi que l'évoquaient les intimés dans le courrier litigieux, et, d'autre part, que le transfert des parts sociales de sociétés civiles donnant vocation à la jouissance d'appartements de vacances à temps partagé entre la Mutuelle de la police nationale et la mutuelle Bel'Air n'avait été porté à la connaissance des adhérents que dix mois après la signature de l'acte notarié ; que ces faits et anomalies avérées dans le fonctionnement de la mutuelle étant de nature à susciter de légitimes interrogations chez les adhérents, lesquelles étaient restées sans réponse, il n'est dès lors pas démontré que les intimés étaient animés d'une volonté de représailles ou d'une intention de nuire en envoyant le courrier litigieux, quand bien même cet envoi a été fait par M. Y... sous la forme d'un soit-transmis adressé à M. le Procureur de la République ; que pour le surplus, ainsi que l'a relevé le tribunal, il ne saurait être reproché aux intimés l'ouverture d'une information judiciaire sur la base d'éléments recueillis au cours de l'enquête préliminaire relative aux conditions de la cession d'un établissement de soins ayant appartenu à la Mutuelle de la police nationale, fait ignoré par les intimés, l'appelante admettant par ailleurs que ces derniers, n'ayant pas accès au dossier pénal, ne sont pas à l'origine de la divulgation d'informations dans la presse ; que le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté la Mutuelle de la police nationale de sa demande ;
ET AUX MOTIFS REPUTES ADOPTES QU'il résulte par ailleurs des résultats d'exploitation publiés par la Mutuelle de la police nationale que le montant des cotisations qu'elle a encaissées entre 2006 et 2008 a oscillé entre 4 550 104 euros et 4 866 964 euros et qu'il était encore de 4 812 754 euros au 31 décembre 2009, soit un moment où les mises en examen de Robert Z...et de Marc A...étaient depuis longtemps connues ; qu'il n'est aucunement démontré que des adhérents ont quitté la Mutuelle de la police nationale ; que par ailleurs, et en admettant même qu'il y aurait eu des départs, rien ne permettrait de les imputer à l'ouverture, portée à la connaissance du public, d'une information à l'encontre de deux de ses responsables ; qu'enfin, il n'est pas davantage justifié d'une quelconque baisse des nouvelles adhésions postérieurement au 10 juillet 2008 ; que dans ces conditions, la Mutuelle de la police nationale ne pourra qu'être déboutée de toutes les demandes qu'elle a formées à l'encontre tant de MM. Y... et X...;
ALORS, 1°), QUE la responsabilité civile de l'auteur d'une plainte ou d'une dénonciation téméraire, qui constitue une faute distincte de l'abus du droit d'ester en justice et du délit de dénonciation calomnieuse prévu par l'article 226-10 du code pénal, n'est pas subordonnée à la démonstration d'une intention de nuire ; qu'en considérant, pour rejeter la demande de la Mutuelle de la police nationale, que celle-ci ne démontrait pas que MM. Y... et X...aient été animés par une intention de nuire, la cour d'appel a violé les articles 1382 et 1383 du code civil ;
ALORS, 2°), QUE la responsabilité civile de l'auteur d'une plainte ou d'une dénonciation téméraire, qui constitue une faute distincte de l'abus du droit d'ester en justice et du délit de dénonciation calomnieuse prévu par l'article 226-10 du code pénal, n'est pas subordonnée à la démonstration d'une intention de nuire ; qu'en se bornant à relever, pour débouter la Mutuelle de la police nationale de sa demande formée à l'encontre de MM. Y... et X..., qu'il n'était pas démontré que ces derniers avaient été animés par une intention de nuire en dénonçant au procureur de la République de graves irrégularités dans la gestion de la mutuelle, sans rechercher si les auteurs de cette dénonciation n'avaient pas agi avec une légèreté fautive, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de les articles 1382 et 1383 du code civil ;
ALORS, 3°), QU'en considérant qu'il ne pouvait être reproché à MM. Y... et X...l'ouverture d'une information judiciaire sur la base d'éléments recueillis au cours de l'enquête préliminaire qu'ils ignoraient, cependant que la demande formée par la Mutuelle de la police nationale n'était pas fondée sur la mise en examen dont son président avait été l'objet mais sur la témérité fautive dont avaient fait preuve MM. Y... et X... en dénonçant au parquet, sans aucune preuve, de nombreux faits susceptibles de recevoir une qualification pénale et que cette dénonciation avait été à l'origine de l'ouverture d'une information au terme de laquelle une ordonnance de non-lieu était intervenue, la cour d'appel, qui s'est déterminée par des motifs impropres à exclure l'existence d'une faute, a n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1382 et 1383 du code civil ;
ALORS, 4°), QUE la dénonciation téméraire de faits revêtant une qualification pénale cause nécessairement préjudice à celui qui en est victime ; qu'en considérant que la Mutuelle de la police nationale ne rapportait pas la preuve de la réalité de son préjudice, la cour d'appel a violé les articles 1382 et 1383 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné la Mutuelle de la police nationale à payer à MM. X... et Y...la somme de 5 000 euros à chacun pour procédure abusive ;
AUX MOTIFS QUE le jugement sera également confirmé en ce qu'il a considéré que la procédure tendant à l'octroi de dommages-intérêts considérables, en réparation d'un préjudice dont la réalité n'est toujours pas démontrée à hauteur d'appel, avait été engagée avec une légèreté blâmable, constitutive d'un abus de droit par la Mutuelle de la police nationale, justifiant l'octroi de dommages-intérêts aux intimés en réparation de leur préjudice moral, à hauteur d'un montant que la cour estime justifié à hauteur de 5 000 euros pour chacun d'eux ;
ET AUX MOTIFS REPUTES ADOPTES QU'en introduisant contre ces défendeurs une action dont elle ne pouvait ignorer le caractère infondé, tant en fait qu'en droit, et en formulant contre MM. Y... et X...une demande de dommages-intérêts d'un montant colossal qu'elle n'a jamais cru devoir expliciter, ni justifier au moyen de la moindre pièce, la Mutuelle de la police nationale a abusé de son droit d'ester en justice et, ce faisant, a causé à chacun des défendeurs un préjudice moral qui sera réparé ;
ALORS QUE l'exercice d'une action en justice ne peut constituer un abus de droit que dans des circonstances particulières le rendant fautif ; qu'en se bornant à relever, pour condamner la Mutuelle de la police nationale à verser à MM. Y... et X...la somme de 5 000 euros chacun, qu'en introduisant à leur encontre une action tendant à l'octroi de dommages-intérêts d'un montant considérable dont elle ne pouvait ignorer le caractère infondé et en ne justifiant pas la réalité de son préjudice, la Mutuelle de la police nationale avait agi avec une légèreté blâmable, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé une faute faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice, a violé l'article 1382 du code civil.