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10/05/2017 | FRANCE | N°16-81555

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 10 mai 2017, 16-81555


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. François X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de NÎMES, chambre correctionnelle, en date du 11 décembre 2015, qui, pour injure publique envers un particulier, l'a condamné à 3 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 28 mars 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Ricard, conseill

er rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. François X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de NÎMES, chambre correctionnelle, en date du 11 décembre 2015, qui, pour injure publique envers un particulier, l'a condamné à 3 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 28 mars 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Ricard, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller RICARD, les observations de la société civile professionnelle DE CHAISEMARTIN et COURJON, de la société civile professionnelle DELVOLVÉ et TRICHET, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CORDIER ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, 33, 43, 48 et 53 de la loi du 29 juillet 1881, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 591 et 593 du code de procédure pénale, excès de pouvoir, violation de loi ;
" aux motifs que l'article 29, al. 2, de la loi du 29 juillet 1881 stipule que « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait une injure » ; que les termes visés par la partie civile d'« imbécile, salopard et de scélérat » sont incontestablement outrageants et constituent au sens de la loi autant d'injures ; que le prévenu a reconnu tant devant le tribunal de première instance que devant la cour être l'auteur de ce feuillet et de la caricature s'y rapportant ; que cette caricature, qui d'ailleurs n'est pas visée par la plainte, représente à l'évidence la partie civile, compte tenu du texte l'accompagnant : « je suis Hervé Y...» ; que, dès lors, il ne peut être valablement soutenu que les termes susvisés, employés au singulier, précédant la caricature de Hervé Y..., et accompagnés de la mention : « le candidat de la haine de l'autre », ne visent pas personnellement la partie civile, candidat aux élections municipales de la ville de Carpentras ; que le caractère public des injures ainsi proférées est établi, le feuillet ayant été distribué dans un lieu public, en l'espèce le marché de Carpentras, ce fait ayant été par ailleurs relayé par l'article de presse joint en procédure du quotidien La Provence, en date du 21 mars 2014 ; qu'en matière d'injure, l'intention de nuire est présumée ; que le prévenu a tenté de justifier sur l'audience ses propos en déclarant avoir réagi de « façon épidermique » à une conversation entendue dans un café entre des militants du Rassemblement Bleu Marine ; qu'il n'a pu établir cependant ni la réalité ni la teneur exacte des soi-disant propos ainsi entendus et sans affirmer de surcroît que la partie civile les ait proférés ; que l'excuse de provocation ainsi invoquée ne peut être retenue ; que le prévenu fait valoir également le droit à la liberté d'expression et le contexte dans lequel il a écrit ses propos, faisant état d'un débat d'intérêt général ; que la liberté d'expression est en effet garantie par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui stipule : « toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir et de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontières » ; que, cependant, le deuxième alinéa de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme détermine les limites de la liberté d'expression : « l'exercice de la liberté d'expression comportant des devoirs et des responsabilités, peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire » ; que le régime français de l'injure répond à ces exigences ; qu'en l'espèce, force est de constater que le feuillet contenant les termes litigieux a été distribué hors tout contexte de débat d'intérêt général, le document ne contenant d'ailleurs aucune information, aucune critique d'un quelconque programme électoral, mais uniquement des termes orduriers, destinés à salir un homme parfaitement identifié et hors tout débat public ; que la cour ne peut que constater qu'il y a là rupture entre le juste équilibre qui doit exister entre la nécessité de protéger le droit à la liberté d'expression et celle de protéger les droits et la réputation d'autrui ; qu'en conséquence, la cour, comme l'a constaté le tribunal, considère que c'est volontairement et avec la parfaite conscience de nuire à la partie civile et à la déconsidérer aux yeux de la population, que le prévenu a rédigé et distribué l'écrit incriminé ; que le délit d'injure publique est ainsi parfaitement constitué ; que le jugement déféré sera confirmé sur la culpabilité ; qu'il le sera également sur la peine d'amende proportionnée tant à la nature des faits qu'aux éléments de personnalité disponibles concernant le prévenu ;
" 1°) alors qu'en matière de presse, l'acte initial de poursuite fixe irrévocablement la nature, l'étendue et l'objet de celle-ci, ainsi que les points sur lesquels le prévenu aura à se défendre ; qu'en affirmant que les termes visés par la citation, qualifiés d'outrageants, étaient constitutifs d'injures à l'égard de M. Y..., pour se rapporter nécessairement à sa caricature, tout en constatant que celle-ci n'était pas visée par la plainte, si bien qu'elle n'était donc pas comprise dans sa saisine et qu'il n'était pas possible de s'y référer pour rechercher si M. Y...était ou non visé par les propos injurieux, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé les textes susvisés ;
" 2°) alors que la répression de l'injure publique envers un particulier ne peut être poursuivie que sur la plainte de celui qui, personnellement visé et atteint, en a été directement victime ; qu'à ce titre l'injure publique envers un particulier n'est pas constituée par le seul énoncé de définitions de quelques mots grossiers issues d'un dictionnaire, sans que soit établi leur usage pour qualifier celui qui s'en prétend victime ; qu'en affirmant, pour retenir M. X... dans les liens de la prévention qu'il ne pouvait être soutenu que les termes outrageants, visés par la citation, précédant la caricature de M. Y..., non visée par la citation, ne visaient pas personnellement la partie civile, cependant qu'il était établi que le feuillet contenant ces définitions venait compléter un tract édité sous forme de livret de quatre pages dans lequel le prévenu utilisait les mêmes termes, mais au pluriel, pour désigner de façon globale, tantôt les dirigeants d'un parti politique aux thèses duquel il entendait s'opposer, tantôt les électeurs lui apportant leurs suffrages, si bien qu'existait un doute sur la personne visée, faisant obstacle à toute condamnation, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" 3°) alors qu'en toute hypothèse, la liberté d'expression ne saurait être restreinte, dans le discours politique ou le débat d'intérêt général, sans motif impérieux ; qu'à ce titre, les injures proférées constituant la critique du comportement d'un candidat à une élection locale devant se tenir deux jours plus tard ne sauraient être réprimées sans porter atteinte à la liberté d'expression ; qu'en déclarant M. X... coupable d'injure publique envers un particulier, motif pris de ce que le feuillet contenant les termes litigieux aurait été distribué hors tout contexte de débat d'intérêt général et hors tout débat public, quand il était précisément fait grief au prévenu par la partie civile, candidate aux élections municipales de Carpentras des 23 et 30 mars 2014, d'avoir distribué ce tract le 21 mars 2014 dans le but de porter atteinte à son honneur et à sa considération et de faire échec à la liste dont elle avait pris la tête, ce dont il résultait que les injures proférées s'inséraient précisément dans un débat politique qui faisait obstacle à leur répression, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;
Vu l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Attendu que la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l'article 10 précité ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le 21 mars 2014, à Carpentras, à l'avant-veille du premier tour des élections municipales, a été distribué au marché de la ville un feuillet libellé de la façon suivante : " petite explication de texte !
Imbécile/ du latin imbecillus (faible)
Dépourvu d'intelligence, stupide, sot.
Salopard/ individu sans scrupule qui agit envers autrui d'une façon ignoble
Scélérat/ personne manifestant des intentions ou des sentiments criminels et perfides " ; qu'en raison de ces écrits, M. Hervé Y...a fait citer M. François X... devant le tribunal correctionnel du chef d'injure publique envers un particulier ; que le tribunal a retenu le prévenu dans les liens de la prévention ; que les parties ont relevé appel de cette décision ;

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable du chef d'injure publique envers un particulier l'arrêt, après avoir relevé que M. X... a reconnu être l'auteur des écrits apposés sur ce feuillet, de même que de la caricature, non visée par la plainte, figurant sur le même feuillet, représentant une marionnette de lapin portant les mentions RBM – FN encadrée par deux bulles comportant l'une, la mention « Je suis Hervé Y...», l'autre « Le candidat de la haine de l'autre », retient que, d'une part, les termes d'imbécile, de salopard et de scélérat, sont incontestablement outrageants, d'autre part il visaient la personne de M. Y..., candidat aux élections municipales de la ville de Carpentras et représenté, de manière évidente, par la caricature apposée sous le texte en cause ; que les juges, ayant écarté l'excuse de provocation soutenue par le prévenu, faute par ce dernier d'établir la teneur et la réalité de propos susceptibles de la caractériser, ajoutent que le document litigieux ne contient aucune information, ni aucune critique d'un programme électoral, pour se borner à renfermer des termes orduriers, destinés à salir un homme parfaitement identifié, hors de tout débat public ; qu'ils en déduisent que le prévenu ne saurait exciper du droit à la liberté d'expression, garantie par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, pour prétendre que ces écrits ne constituent pas des injures au sens de l'article 29, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que les propos incriminés, outrageants à l'égard de la partie civile, mais exprimant l'opinion
de leur auteur sur un mode satirique, ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d'expression au sujet des idées prêtées à un candidat d'un parti politique dans le contexte d'une campagne électorale, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ; que, n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner le second moyen de cassation proposé :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nîmes, en date du 11 décembre 2015 ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de
procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur
les registres du greffe de la cour d'appel de Nîmes et sa mention en marge
ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix mai deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 16-81555
Date de la décision : 10/05/2017
Sens de l'arrêt : Cassation sans renvoi
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Nîmes, 11 décembre 2015


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 10 mai. 2017, pourvoi n°16-81555


Composition du Tribunal
Président : M. Guérin (président)
Avocat(s) : SCP Delvolvé et Trichet, SCP de Chaisemartin et Courjon

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2017:16.81555
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