La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/05/2017 | FRANCE | N°16-81063

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 04 mai 2017, 16-81063


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

- La société Electrolux France,

contre l'ordonnance n° 5 du premier président de la cour d'appel de PARIS, en date du 6 janvier 2016, qui a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence à effectuer des opérations de visite et de saisie dans ses locaux en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du

22 mars 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du co...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

- La société Electrolux France,

contre l'ordonnance n° 5 du premier président de la cour d'appel de PARIS, en date du 6 janvier 2016, qui a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence à effectuer des opérations de visite et de saisie dans ses locaux en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 22 mars 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme Chauchis, conseiller rapporteur, M. Soulard, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire CHAUCHIS, les observations de la société civile professionnelle HÉMERY et THOMAS-RAQUIN, de la société civile professionnelle BARADUC, DUHAMEL et RAMEIX, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GAILLARDOT ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6, 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 450-4 du code de commerce, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'ordonnance attaquée a confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 9 octobre 2013 par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Bobigny et celle subséquente du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Senlis du 15 octobre 2013 ;
" aux motifs que l'ordonnance du 9 octobre 2013 serait nulle car injustifiée vis à vis d'Electrolux France ; que l'article L. 450-4 du code de commerce imposerait au juge de vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; qu'aucun indice relatif aux pratiques suspectées n'aurait été apporté à l'encontre d'Electrolux France ce qui ne serait pas contesté par l'Autorité ; que les arguments avancés par l'Autorité pour justifier l'extension des opérations de visite et de saisie à la société Electrolux France seraient infondés ; que le juge qui autorise des opérations de visite et de saisie sur le fondement de l'article L. 450-4 du code de commerce est tenu de vérifier si la demande d'autorisation doit comporter tous les éléments d'informations utiles en possession du demandeur de nature à justifier la visite ; que par suite le juge doit s'assurer que les éléments produits par l'administration aient une apparence de licéité et sont suffisants pour justifier que la mesure intrusive de visite et de saisie soit justifiée ; qu'à cette fin le juge des libertés et de la détention doit vérifier, en se référant aux éléments d'informations fournis par l'Autorité qu'il existait des indices laissant apparaître des faisceaux de présomptions d'agissements prohibés justifiant que soit recherchée leur preuve au moyen d'une visite et de saisies de documents s'y rapportant sans qu'il soit nécessaire que soit caractérisées des présomptions précises, graves et concordantes ou des indices particulièrement troublants des pratiques ; que les présomptions sont appréciées par le juge en proportion de l'atteinte aux libertés Individuelles que sont susceptibles de comporter la visite et les saisies envisagées ; qu'en l'espèce, il ressort de l'ordonnance querellée que le juge des libertés et de la détention près du tribunal de grande instance de Bobigny et celle subséquente de Senlis a, sur requête de la rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence, rendu une ordonnance visant les produits « blancs » qui rassemblent le petit et le gros électroménager notamment de nettoyage, de lavage, de cuisine, de cuisson et de froid et les produits « bruns » qui regroupent les appareils électriques et électroniques de loisirs au motif que les distributeurs ou revendeurs se sont plaints de l'immixtion des fabricants et grossistes de produits « blancs » et « bruns » dans leur politique tarifaire ; que cette immixtion s'effectue selon trois pratiques : la première, consistant à imposer des prix de reventes à des sites internet qui distribuent les produits précités, la seconde pratique prohibée consisterait pour les fabricants de produits « blancs » et « bruns » de faire retirer de leur sites internet certaines de leurs références et une troisième pratique prohibée, à refuser l'agrément à des distributeurs ; que le juge des libertés et de la détention de Bobigny qui n'est pas le juge du fond mais le juge de l'apparence a relevé dans l'ordonnance des présomptions d'ententes horizontales entre les fabricants et verticales entre les fabricants, les grossistes et le cas échéant des sociétés de grande distribution de détail et après un examen « in concreto » des 21 annexes jointes à la requête selon la méthode dite « du faisceau d'indices » a estimé qu'il existait des indices laissant apparaître des faisceaux de présomptions d'agissements prohibés justifiant que soit recherchée leur preuve au moyen d'une visite et de saisies ; qu'ainsi, il a examiné les 21 annexes jointes et a constaté que des grossistes étaient susceptibles de participer à une entente verticale notamment en comparant certaines annexes qui prises isolément n'établissent pas en elles-mêmes des indices mais par leurs comparaisons, leurs rattachements à d'autres annexes concernant les fabricants ou des revendeurs peuvent établir un faisceau d'indices ; qu'ainsi, dans les annexes présentées il pouvait être déduit que certains protagonistes de ces ententes échangeaient des courriels avec des mots codés, le vocable « stocks » remplaçant celui de « prix » ; que des listes étaient établies concernant des produits à retirer si des revendeurs ne s'alignaient pas sur les prix publics indiqués (PPI) des fabricants, que des produits étaient siglés par couleur (le bleu étant utilisé pour exclure certains produits), que des courriels comminatoires émanaient de représentants des fabricants, que des grossistes n'étaient pas exclus de ces schémas d'ententes ; que leur rôle consistait à relayer les instructions des fabricants auprès des revendeurs ; qu'il a en conséquence exercé un contrôle de proportionnalité entre l'autorisation rendue et l'atteinte aux libertés qu'elle était susceptible d'entraîner ; qu'en l'espèce, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Bobigny et celle subséquente de celui de Senlis a bien précisé le secteur économique concerné par son autorisation (celui de la distribution des produits « blancs » et « bruns ») en prenant soin de définir les vocables « blancs » et « bruns » ; qu'à la lumière des annexes, certains documents étaient relevés notamment des procès-verbaux et des courriels joints à la requête ; qu'à titre illustratif et sans que cela soit exhaustif, lors de son audition par procès-verbal en date du 14 janvier 2013 à 9 heures M. Julien X..., gérant de la société Webachat faisait état de listes noires liées à la distribution sélective et des fournisseurs (par groupe) concernés par cette pratique et citait un certains nombres de fabricants notamment « Arthur Martin Electrolux » (tous les modèles les plus populaires et les plus vendus) (annexe 5) ; que par ailleurs, un courriel de M. Y..., en date du 10 juin 2013, à 8 heures 33 et dont l'objet est « Synthèse de notre rendez-vous du... », indiquait « Notre quotidien, retirer des produits, remonter prix/ stocks des produits pour être livrés. Les fabricants ont pris le pouvoir total sur notre distribution » ; que ce courriel avait pour objet de transférer un mail émanant de patrick. demeulemester @ electrolux. fr, le destinataire étant cancellé mais ceux en copie étaient respectivement : mathieulaffon @ electrolux. fr., aurélien. jouin @ electrolux. fr, david. cordeiro @ electrolux. fr et dans lequel il est indiqué « Tu trouveras ci-joint un tableau comme expliqué de notre politique commerciale 1° Beaucoup de « stocks » (sic) sont plutôt respectés et c'est très bien merci pour ses efforts, 2° corriger stp au mieux les stocks sur les produits C et Y ou STAR dans la colonne jaune (stocks en rouge) Merci. 3° Utiliser stp les produits @ de plus en plus et notamment sur le site VIP en place de marché. 4° Utiliser stp des produits C/ Y/ STAR pour les magasins ces produits sont mieux spécifiés et garantissent un bon rendement de PVM (Plus Value Marchande rajout), donc de marge. Par ailleurs, je souhaiterais que tu puisses remonter les stocks de ces produits pour mardi puisqu'à cette date dans l'environnement seront bons... D'autre part, j'ai bien noté ton problème de stocks avec la marque ELUX sur des produits équivalents, exemple la 8 kilos chez Boulanger à 399 quand la même bloc b599 en stock et qu'une 7 kg 1200 trs se trouve en stock 290 chez CDiscount [...] » (annexe 18) ; qu'à la lecture de ce courriel, le juge des libertés et de la détention a fait le lien entre l'ordonnance et les annexes, a compris que le vocable « stock » voulait dire le mot « prix » et que ce courriel était plus qu'une recommandation et que son rédacteur ainsi que les parties en copie comportait au sein de leur adresse électronique l'intitulé elecrolux. fr qui de façon logique peut signifier Electrolux Home Products France ou Electrolux France de la même façon que justice. fr signifie le rattachement d'un fonctionnaire ou d'un magistrat à une juridiction française ; que cette analyse in concreto signifie logiquement d'une part que la demande d'autorisation a été vérifiée par le juge, qu'elle était fondée, qu'il existait des indices laissant apparaître des présomptions simples à l'encontre d'Electrolux France et justifiaient qu'une autorisation de visite et de saisie soit opérée en l'espèce l'autorisation est précise et déterminée ; que ces moyens seront écartés ; que l'ordonnance est nulle en raison de son caractère général et indéterminé ; que l'exigence de proportionnalité des mesures de visite et saisie imposerait au juge de délivrer une ordonnance ayant un objet précis et déterminé ; que le caractère général et indéterminé de l'ordonnance, un objet général et indéterminé quant au canal de distribution et un objet général et indéterminé quant au type d'agissements visés ; qu'il a déjà été répondu ci-dessus à ces moyens en précisant qu'un contrôle de proportionnalité a été effectué, notamment en examinant les éléments visant Electrolux mentionnés ci-dessus, mais également en examinant les autres éléments concernant les autres fabricants visés dans l'autorisation et en comparant le parallélisme de comportement qui ressort des annexes jointes à la requête ; qu'en décidant de rendre une ordonnance de visite et de saisie, le juge des libertés et de la détention a de ce fait en examinant les documents qui lui étaient soumis estimé que les autres moyens de recherche de preuve moins coercitifs dont dispose l'administration étaient insuffisants et a exercé de fait un contrôle de proportionnalité entre l'atteinte portée aux libertés et les objectifs poursuivis par l'administration ; que concernant l'atteinte à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, celle-ci est tempérée par l'article 8-2 et notamment par la notion de bien-être économique ; que les moyens seront rejetés ;
" 1°) alors que les mesures de visite et de saisie, constituant une ingérence dans le domicile professionnel des entreprises visées par l'ordonnance, doivent présenter un caractère strictement proportionné ; que l'objet de l'autorisation doit ainsi être circonscrit aux seules présomptions résultant des éléments d'information fournis par l'administration ; qu'en confirmant l'ordonnance du juge des libertés et de la détention qui avait autorisé le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence à faire procéder à des visites et saisies afin de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles « dans le secteur de la distribution des produits « blancs » et « bruns » », cependant que les présomptions visées dans l'ordonnance ne concernaient que le seul secteur de la distribution des produits « blancs » et « bruns » sur internet, le délégué du premier président de la cour d'appel, qui a ainsi confirmé une autorisation de visite et de saisie dont l'objet excède la recherche des agissements concernés par les présomptions, a méconnu les textes susvisés ;
" 2°) alors qu'en affirmant que l'autorisation accordée par l'ordonnance du 9 octobre 2013, visant le secteur de la distribution des produits « blancs » et « bruns », serait « précise et déterminée », sans rechercher, comme il y était invité, si les présomptions visées dans l'ordonnance ainsi que les pièces annexées à celle-ci ne concernaient pas exclusivement la distribution de produits « blancs » et « bruns » sur internet, le délégué du premier président de la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision ;
" 3°) alors que l'exigence de proportionnalité des mesures de visite et de saisie impose au juge des libertés et de la détention d'identifier, avec une précision suffisante, le type d'agissements dont la preuve peut être recherchée par les enquêteurs ; qu'en l'espèce, l'ordonnance du 9 octobre 2013 a autorisé le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence à faire procéder, dans les locaux des entreprises visées, « aux visites et aux saisies prévues par les dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 1°, 2° et 3 du code de commerce et 101-1 a) et b) TFUE relevés dans le secteur de la distribution de produits « blancs » et « bruns » ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée » ; qu'en refusant d'annuler cette ordonnance, dont l'objet était pourtant général et indéterminé quant au type d'agissements visés, le premier président de la cour d'appel a méconnu les textes susvisés " ;
Attendu, d'une part, qu'en confirmant la décision du juge des libertés et de la détention autorisant des visites et saisies de documents en vue de rechercher la preuve de pratiques dans le secteur de la distribution des produits " blancs ", correspondant aux petits et gros appareils électroménagers et des produits " bruns ", correspondant aux appareils électriques et électroniques de loisirs, telles que ces pratiques ont été décrites et analysées dans le corps de son ordonnance, qui visait des agissements anticoncurrentiels prohibés par les articles L. 420-1, 1°, 2°, 3°, du code de commerce et 101-1 a) et b) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le juge des libertés et de la détention, n'ayant pas délivré une autorisation indéterminée ou excédant l'objet de la recherche en cause, le premier président a fait l'exacte application de l'article L. 450-4 du code précité ;
Attendu, d'autre part, que le juge, qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont il était saisi, a souverainement caractérisé, par motifs propres et adoptés, fondés sur une analyse des éléments d'information fournis par l'administration, l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles justifiant la mesure autorisée et sa nécessité en considération des impératifs de lutte contre de telles pratiques ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 3 000 euros la somme que la société Electrolux France devra payer au rapporteur général de l'Autorité de la concurrence au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quatre mai deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 16-81063
Date de la décision : 04/05/2017
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Premier Président près la Cour d'Appel de Paris, 06 janvier 2016


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 04 mai. 2017, pourvoi n°16-81063


Composition du Tribunal
Président : M. Guérin (président)
Avocat(s) : SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Hémery et Thomas-Raquin

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2017:16.81063
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award