LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme [P], considérée comme travailleur indépendant, a été liée à la société [Établissement 1] (la société) à compter du 14 septembre 2009 par trois contrats de prestation de services, auxquels la société a mis fin par lettres des 1er et 16 octobre 2012 ; qu'elle a saisi la juridiction prud'homale ;
Sur les premier et deuxième moyens :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens annexés qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le troisième moyen :
Vu l'article L. 1232-6 du code du travail ;
Attendu que le juge qui requalifie la relation contractuelle en un contrat de travail à durée indéterminée doit rechercher si la lettre de rupture des relations contractuelles vaut lettre de licenciement et si les motifs de rupture énoncés constituent des griefs matériellement vérifiables permettant de décider si le licenciement a une cause réelle et sérieuse ;
Attendu que pour condamner la société au paiement de diverses sommes au titre de la rupture du contrat de travail, l'arrêt retient que les lettres intitulées rupture du contrat de prestation de services ne peuvent être assimilées à des lettres de licenciement, la rupture de la relation contractuelle de travail résultant de la cessation des interventions de Mme [P] sans notification d'une lettre de licenciement qui devait intervenir dans le cadre d'une procédure avec entretien préalable ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il décide que la rupture du contrat de travail de Mme [P] relève d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamne la société [Établissement 1] à payer des dommages-intérêts, une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés, ordonne la remise des documents de fin de contrat conformes ainsi que, s'il y a lieu, le remboursement des indemnités de chômage éventuellement versées dans la limite de six mois, l'arrêt rendu le 24 juin 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six avril deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Le Bret-Desaché, avocat aux Conseils, pour la société [Établissement 1]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF A l'arrêt attaqué d'avoir accueilli le contredit de compétence formé par une prestataire de services (Mme [P]), dans le cadre de la relation contractuelle l'ayant unie à un institut de formation (l'Institut [Établissement 1]), après avoir requalifié la convention en contrat de travail ;
AUX MOTIFS QU'il ressortait des pièces versées aux débats que les conditions d'exécution de la prestation de Mme [P] s'inscrivaient dans le cadre d'une relation de travail ; qu'il apparaissait ainsi que les interventions de Mme [P] étaient intégrées dans un service organisé puisqu'elles faisaient partie des cycles de formations proposés dans le catalogue de formation de l'institut, les trois contrats de prestations de services correspondant à un cycle « Rire et relaxation » et deux cycles « Massages du monde », parmi la vingtaine de formations proposées par la société et assurées par 25 intervenants formateurs ; que ce catalogue définissait les tarifs de formation devant être payés par les stagiaires ; qu'il ressortait des plannings de formation que ses interventions étaient fixées aux dates, rythmes et horaires définis par l'institut, dans les locaux de la société, et avec le matériel mis à disposition par la société (livres, tables de massage, huiles de massage), l'accord de Mme [P] sur les dates et heures de formation ne faisant pas disparaître son intégration dans une organisation collective de travail ; que les échanges de mails lors de la rentrée de 2012 faisaient en outre apparaître un litige sur la modification des horaires sollicitée par des formateurs, ces échanges confirmant que la décision concernant les horaires appartenait à la gérante de l'institut, Mme [O] ; que les pièces révélaient également le contrôle exercé sur les méthodes de travail et le contenu des activités, dès lors que la société diffusait auprès de ses formateurs un document intitulé « Règles de vie de l'équipe pédagogique » qui définissait des règles précises de préparation et d'animation des stages, avec notamment des obligations de travail en binôme, de débriefing, de tenue, d'en référer aux responsables de pôles et aux directeurs pédagogiques ; qu'étaient également imposées des participations à des journées de formations de formateurs et l'obligation de communiquer avec les stagiaires via une boîte mail Cassiopée.fr, avec copie des messages à l'institut, à son adresse mail, qui permettait l'exercice d'un contrôle direct sur les relations avec les stagiaires ; que le pouvoir de direction et de contrôle sur le contenu des formations de Mme [P] s'était encore manifesté lors de la rupture des contrats de prestations de services, les trois lettres de rupture lui reprochant : - le non-respect de la charte pédagogique ; - du prosélytisme du chamanisme péruvien, contraire à l'éthique de l'institut ; - l'attitude négative à l'égard des stagiaires en difficultés ; - la mauvaise gestion d'un stagiaire qui avait décompensé, ce qui avait créé des angoisses chez les autres stagiaires ; que ces motifs de rupture des contrats étaient révélateurs du contrôle sur le contenu des enseignements ; que même si le formateur disposait, dans l'élaboration de ses enseignements, d'une nécessaire autonomie liée au caractère personnel et intellectuel de leur contenu, il exerçait sa discipline dans un lien de subordination, compte tenu des conditions matérielles de l'activité et du pouvoir de contrôle exercé par l'Institut [Établissement 1] ; que la tenue d'un site internet par Mme [P], pour se faire connaître dans ses activités de relaxation et de yoga, ne permettait pas d'écarter la qualification de contrat de travail, lorsqu'elle assurait ses prestations au sein de l'Institut [Établissement 1], compte tenu de la subordination à l'égard des gérants qui exerçaient leur contrôle sur son activité ; que l'ensemble de ces éléments permettaient par suite de caractériser l'existence d'un contrat de travail, justifiant ainsi la compétence du conseil de prud'hommes, le contredit formé par Mme [P] étant en conséquence fondé ;
ALORS QUE D'UNE PART le prestataire de services dont l'intervention est définie librement avec le donneur d'ordre, par contrat préservant son autonomie, n'accomplit pas ses obligations dans le cadre d'un contrat de travail ; qu'en ayant requalifié en contrat de travail la relation contractuelle ayant existé entre Mme [P] et l'Institution [Établissement 1], quand il résultait des mentions des contrats de prestation de services signés entre les parties que Mme [P] avait attesté ne pas avoir d'activité salariée, qu'elle percevait une rémunération forfaitaire, payable à 30 jours à compter de la réception de chaque facture, qu'elle avait toute autonomie pour définir les modalités d'exécution de sa prestation, que ses horaires étaient fixés en fonction de ses disponibilités et qu'elle disposait d'une clientèle propre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 8221-6 du code du travail ;
ALORS QUE D'AUTRE PART le prestataire de services exerçant comme travailleur indépendant est présumé ne pas bénéficier d'un contrat de travail ; qu'en ayant retenu que Mme [P] intervenait dans le cadre d'un service organisé, indice d'un contrat de travail, puisque les formations qu'elle dispensait s'inscrivaient dans les cycles de formation dispensés par l'Institut [Établissement 1], quand une telle organisation est inhérente et nécessaire à l'exercice d'une activité de formation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 8221-6 du code du travail.
ALORS QUE DE TROISIEME PART le prestataire de services travailleur indépendant est présumé ne pas être salarié ; qu'en ayant retenu que les horaires de travail de Mme [P] étaient déterminés par l'employeur et qu'elle intervenait dans les locaux de l'entreprise avec les moyens mis à disposition de celle-ci, quand la prestataire de services définissait elle-même ses périodes d'intervention, pouvait en demander la modification, que l'Institut [Établissement 1] ne disposait pas de locaux avant 2011 et que la prestataire fournissait le matériel indispensable aux formations dispensées par elle, la cour d'appel a violé l'article L. 8221-6 du code du travail ;
ALORS QUE DE QUATRIEME PART le travailleur indépendant est présumé ne pas être salarié ; qu'en ayant retenu que Mme [P] était salariée, car l'Institut [Établissement 1] exerçait son contrôle sur la manière dont se déroulaient ses sessions de formation, que des journées de formation lui étaient imposées, que les mails qu'elle échangeait avec ses stagiaires étaient contrôlés et que les causes de la rupture des contrats de prestations de service établissaient encore le pouvoir de direction et de contrôle de l'exposante, quand ces éléments s'inscrivaient dans la seule bonne organisation nécessaire de l'activité de formation dispensée par l'exposante, sans porter aucunement atteinte à l'indépendance de Mme [P], et que le prétendu contrôle de mails n'avait pour objet que de vérifier les factures émises par la prestataire, la cour d'appel a violé l'article L. 8221-6 du code du travail ;
ALORS QU'ENFIN le travailleur indépendant qui dispose et développe une clientèle propre ne peut pas être salarié ; qu'en ayant retenu le statut de salariée de Mme [P] qui disposait pourtant d'une importante clientèle propre et la développait par le biais notamment d'un site internet qui lui était dédié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 8221-6 du code du travail.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF A l'arrêt attaqué d'avoir dit que la dissimulation de l'emploi d'une prestataire de services (Mme [P]) par la société qui avait eu recours à ses services (la société [Établissement 1]) était caractérisée dans ses éléments intentionnel et matériel et d'avoir, en conséquence, condamné cette dernière à régler l'indemnité correspondante ;
AUX MOTIFS QU'en l'espèce, les pièces versées aux débats démontraient que l'Institut [Établissement 1] est une structure importante reconnue dans son domaine d'activité dans le développement personnel et le bien-être, qui assure des formations de particuliers et de professionnels depuis 18 ans selon un catalogue de formation, étant installée à [Localité 1] depuis 2001, en s'appuyant sur l'activité de 25 formateurs, seules étant salariées de la société quatre personnes assurant le soutien administratif de la structure ; qu'elle avait ainsi fait travailler Mme [P] depuis juillet 2009, sans avoir procédé aux formalités de déclaration préalable d'embauche, ni délivré de bulletins de paie, en la faisant intervenir en qualité d'auto-entrepreneur indépendant ; que, compte tenu de la structure de l'Institut [Établissement 1] qui s'appuie sur des intervenants dont la nature et l'organisation de travail se confondent avec les siennes, il convenait de considérer que l'élément intentionnel du travail dissimulé était établi ; que Mme [P] était ainsi en droit de prétendre au paiement de l'indemnité forfaitaire de six mois, cette indemnité étant fixée à 7.560 € ;
ALORS QUE D'UNE PART l'élément intentionnel du délit de travail dissimulé ne se peut déduire du simple recours à un contrat de prestation de services et non de travail ; qu'en ayant dit que la société [Établissement 1] s'était rendue coupable de travail dissimulé, l'élément intentionnel du délit étant caractérisé par le fait que l'Institut constituait une structure importante qui s'appuyait sur des intervenants extérieurs dont la nature et l'organisation se confondaient avec elle, la cour d'appel a violé les articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF A l'arrêt attaqué d'avoir dit qu'une entreprise de formation permanente (la société [Établissement 1]) avait abusivement rompu le contrat de travail qui la liait à une intervenante (Mme [P]) et de l'avoir, en conséquence, condamnée à lui verser les indemnités subséquentes ;
AUX MOTIFS QUE l'Institut [Établissement 1] considérait que les griefs figurant dans les lettres des 1er et 16 octobre 2012 avaient légitimé la rupture des relations contractuelles ; que cependant, ces lettres, intitulées « rupture de contrat de prestation de services » ne pouvaient être assimilées à des lettres de licenciement, la rupture de la relation contractuelle de travail résultant de la cessation des interventions de Mme [P], sans notification d'une lettre de licenciement qui devait intervenir dans le cadre d'une procédure avec entretien préalable ; qu'il s'ensuivait que la rupture était non causée, ce qui ouvrait droit aux indemnités calculées sur la base d'un salaire moyen de 1.260 € nets, selon la moyenne de la rémunération versée depuis septembre 2009 ; que la relation de travail s'étant déroulée depuis plus de deux ans et la société employant plus de 11 salariés, compte tenu de l'emploi occupé par l'ensemble des formateurs, les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail étaient applicables, ce qui excluait le paiement d'une indemnité distincte pour le non-respect de la procédure ; qu'au vu de l'ancienneté de 3 ans et 3,5 mois, l'indemnité pour le licenciement non causé sera fixée à la somme de 10.000 €, intégrant la réparation du préjudice moral résultant de la rupture ;
ALORS QUE D'UNE PART le licenciement sans cause réelle et sérieuse n'est pas constitué du simple fait de la rupture de contrats de services, ensuite requalifiés en contrat de travail ; qu'en ayant refusé de rechercher si les motifs de rupture des contrats de prestations de services conclus avec Mme [P] ne caractérisaient pas une cause réelle et sérieuse de licenciement, au prétexte que les courriers de rupture de contrats ne constituaient pas des lettres de licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1232-1 du code du travail ;
ALORS QUE D'AUTRE PART des intervenants extérieurs prestataires de services ne peuvent être pris en compte pour déterminer l'indemnité due à un salarié licencié sans cause réelle et sérieuse ; qu'en ayant fixé l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse due à Mme [P], en prenant en considération les intervenants extérieurs pour comptabiliser le nombre de salariés de l'entreprise, la cour d'appel a violé l'article L. 1235-5 du code du travail.