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25/04/2017 | FRANCE | N°15-86344

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 25 avril 2017, 15-86344


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

-
M. [W] [H], partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de TOULOUSE, chambre correctionnelle, en date du 12 octobre 2015, qui, dans la procédure suivie contre MM. [M] [F] et [K] [C] des chefs, respectivement, de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public et complicité, a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 14 mars 2017 où étaient présents dans la formation pré

vue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Parlos, co...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

-
M. [W] [H], partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de TOULOUSE, chambre correctionnelle, en date du 12 octobre 2015, qui, dans la procédure suivie contre MM. [M] [F] et [K] [C] des chefs, respectivement, de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public et complicité, a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 14 mars 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Parlos, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Bray ;

Sur le rapport de M. le conseiller PARLOS, les observations de la société civile professionnelle THOUIN-PALAT et BOUCARD, de la société civile professionnelle GATINEAU et FATTACCINI, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LAGAUCHE ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 1382 du code civil, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a débouté M. [H] de sa demande tendant à voir retenue à l'encontre de MM. [C] et [F] une faute civile lui ayant causé un préjudice par la tenue et la publication de propos publics portant atteinte à son honneur ou à sa considération de maire, tenant à l'imputation d'infractions pénales mensongères et de l'avoir en conséquence débouté de sa demande de dommages et intérêts de ce chef ;

"aux motifs que le 4 octobre le journal électronique « La Dépêche Interactive» dont le directeur de la publication est M. [F], publie sous le titre « Lavaur, l'endettement a doublé », un article se fondant sur un rapport de la Cour des comptes qui alerte sur des investissements de la commune de [Localité 1] au prix d'un endettement fortement augmenté imputé à son maire, M. [H] ; que le même jour, ce texte appelle un commentaire de la part de M. [C] : « on fait marcher la planche à billets pour faire et refaire un rond-point, une vieille rue ou un chantier pour glorifier son ego, toujours à des tarifs hallucinants et toujours aux mêmes entreprises» ; que le juge du premier ressort va considérer dans sa décision qu'il y a là diffamation mais accueillera néanmoins favorablement l'exception de bonne foi soulevée par l'intéressé «s'agissant d'une contribution d'un simple citoyen au débat public et d'un libre commentaire sur le fonctionnement des institutions locales n'appelant pas les mêmes exigences d'objectivité et d'impartialité que celle qui pèse sur des journalistes» ; que M. [C] sera relaxé du chef de complicité de diffamation tandis que pour sa part M. [F] sera relaxé du chef de diffamation, principalement pour avoir retiré suffisamment promptement le commentaire litigieux, le jeudi qui a suivi sa convocation devant le juge d'instruction, parvenue au service juridique de la Dépêche, le vendredi de la semaine précédente ; que M. [H], appelant de cette décision sans le soutien d'un appel incident du ministère public, entend obtenir réparation de la part des personnes relaxées auxquelles il impute une faute civile à partir des faits objets de la poursuite en lien de causalité avec le dommage allégué au soutien de sa demande de dommages-intérêts ; que le premier juge à bon droit, a considéré que les propos poursuivis constituaient effectivement une atteinte à l'honneur dont on sait qu'elle doit s'apprécier en se référant à des considérations objectives, indifférentes à la sensibilité particulière de la personne visée autant qu'au mobile qui les a dictés ; que ce n'est que dans un second temps, que le premier juge a écarté l'intention de nuire en retenant la bonne foi de M. [C] pour ensuite le relaxer des fins de la poursuite ; qu'on comprend que celui-ci ait admis qu'étaient réunies les conditions de la bonne foi invoquées par ce jeune homme de 20 ans, M. [C], ne faisant pas profession d'informer et pénétré de l'évidence de sa démarche citoyenne à l'orée d'un scrutin local, facilitée par les possibilités offertes par la toile comme support de la libre expression des citoyens, pour contester l'action du premier édile de sa commune ; que les deux rapports successifs de la Cour des comptes évoqués par l'article ayant suscité le commentaire litigieux (le premier en 2006, non suivi d'un correctif, et le second relatif aux exercices de 2005 à 2011) détaillent ensuite des «irrégularités » sérieuses, simplifiées en propos à l'emporte-pièce sous la plume de M. [C] ; qu'on relèvera pour finir que M. [H], avec l'onction de la liberté d'expression dans le cadre d'un débat d'intérêt général a lui aussi pu se voir reprocher un manque de prudence dans l'expression, qui ne s'éloigne guère de celle dont il estime aujourd'hui être légitime à obtenir réparation ; qu'il sera par conséquent considéré que M. [H] ne peut se prévaloir à bon droit d'un dommage et d'un préjudice direct et personnel, résultant d'une faute civile démontrée à partir et dans les limites des faits objet de la poursuite ; que la demande de M. [H], en conséquence, sera rejetée ; qu'il n'y a cependant pas lieu par contre de le condamner en vertu des dispositions de l'article 800 - 2 du code de procédure pénale, faute de réquisition du procureur à l'audience, tel que prévu par l'article R 249-5 du code de procédure pénale ; que MM. [F] et [C] seront par conséquent déboutés de leurs demandes de ce chef ;

"1°) alors que saisis du seul appel de la partie civile contre un jugement de relaxe, les juges du fond sont tenus de rechercher si la personne relaxée a commis une faute civile démontrée à partir et dans les limites des faits objets de la poursuite ; que le caractère diffamatoire des imputations se détermine exclusivement par la nature des faits allégués ; qu'en se bornant, en l'espèce, à énoncer, pour débouter M. [H] de sa demande de dommages et intérêts, que M. [C] avait été relaxé du chef de diffamation en raison de sa bonne foi, et que la partie civile avait pu elle aussi se voir reprocher un manque de prudence dans l'expression – motifs impropres à exonérer l'auteur des propos tenus ainsi que le directeur de publication du site internet les ayant publiés de leur responsabilité civile – la cour d'appel, qui n'a pas recherché comme elle y était pourtant tenue si les propos écrits et publiés par MM. [C] et [F] imputant des infractions pénales à M. [H] n'étaient pas constitutifs d'une faute civile démontrée à partir et dans les limites des faits objets de la poursuite, a violé les textes visés au moyen et exposé sa décision à la censure ;

"2°) alors qu'en toute hypothèse, le contexte électoral et la polémique politique, s'il peuvent légitimer l'échange de critiques portant sur une question d'intérêt général concernant la gestion des deniers publics par un élu local, ne peuvent justifier des attaques personnelles consistant en l'imputation mensongère de délits de corruption passive et de favoritisme, infractions pénales faussement reprochées à la partie civile, maire de la commune ; qu'en estimant en l'espèce que l'imputation de faits attentatoires à l'honneur de M. [H] par M. [C] constituait une faute mais que celui-ci devait être admis au bénéfice de la bonne foi, cependant que les propos en cause, même s'ils concernaient un sujet d'intérêt général, étaient dépourvus de base factuelle suffisante et constituaient des attaques personnelles imputant des infractions pénales à la partie civile en des termes démontrant l'animosité personnelle de leur auteur, et partant, excédaient les limites admissibles de la polémique politique, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"3°) alors que les propos consistant à imputer publiquement de façon mensongère des infractions pénales tels les délits de corruption passive et de favoritisme à un élu de la République qui se présente à une élection en vue d'obtenir un nouveau mandat portent atteinte à l'honneur et à la considération de la personne contre qui cette accusation est portée et lui causent nécessairement un préjudice dès lors que ces imputations mensongères avaient pour but de le discréditer auprès des électeurs ; qu'en estimant en l'espèce que M. [H] n'établissait pas avoir subi un préjudice du fait des propos tenus par M. [C], cependant que la teneur de ces propos attentatoires à son honneur impliquait nécessairement l'existence d'un tel préjudice, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite d'un article mis en ligne sur le site ladepeche.fr du quotidien La Dépêche et intitulé "Lavaur, l'endettement a doublé", reprenant des passages de rapports de la chambre régionale des comptes, estimant l'endettement par habitant de cette commune à près du double de la moyenne, un internaute a fait publier, le 4 octobre 2013 sur ce site, un commentaire ainsi libellé : "on fait marcher la planche à billet pour faire ou refaire un énième rond-point. une vieille rue de [Localité 1] ou un chantier pour glorifier son égo, à des tarifs toujours hallucinants et toujours aux mêmes entreprises (avec tout ce que cela sous entend en dessous de table)" ; que M. [H], maire de [Localité 1], a porté plainte et s'est constitué partie civile du chef de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public ; qu'à l'issue de l'information judiciaire ouverte sur ces faits, M. [F], directeur de la publication du site, et M. [C], auteur du texte litigieux, ont été renvoyés des chefs susénoncés devant le tribunal correctionnel ; que les juges du premier degré ayant relaxé les prévenus et débouté la partie civile de ses demandes, celle-ci a, seule, relevé appel de cette décision ;

Attendu que, pour confirmer le jugement, l'arrêt énonce, par motifs adoptés, après avoir relevé que le débat sur le fonctionnement des collectivités locales, la gestion des fonds publics par ces collectivités et le comportement de leurs élus présente un intérêt général, que le texte incriminé, émanant d'un particulier, qui n'est pas un professionnel de l'information, commente un article dont l'objectivité n'est pas critiquée et qui rapporte les conclusions d'un rapport de la chambre régionale des comptes au sujet, précisément, des investissements de la ville de [Localité 1] réalisés au prix d'une forte augmentation de l'endettement de la commune ; que les juges ajoutent, par motifs propres, que deux rapports de cette juridiction financière, évoqués par l'article ayant suscité le commentaire litigieux, se sont succédé, le premier en 2006, non suivi d'effet, et le second relatif aux exercices 2008 à 2011, et détaillent des irrégularités sérieuses ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, desquelles il résulte que les propos poursuivis, s'inscrivant dans un débat général sur l'emploi des fonds publics par les collectivités territoriales et leurs élus, reposaient sur une base factuelle suffisante, de sorte de que de tels propos ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d'expression au sens de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, la cour d'appel, abstraction faite des motifs surabondants relatifs au manque de prudence dont aurait fait preuve la partie civile dans le débat public, justement critiqués par la première branche du moyen, a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions de droit interne et stipulations conventionnelles invoquées ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 000 euros la somme que M. [H] devra payer à M. [F] au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale au profit de M. [H] ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-cinq avril deux mille dix-sept ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 15-86344
Date de la décision : 25/04/2017
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Toulouse, 12 octobre 2015


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 25 avr. 2017, pourvoi n°15-86344


Composition du Tribunal
Président : M. Guérin (président)
Avocat(s) : SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Thouin-Palat et Boucard

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2017:15.86344
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