LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° K 15-86.227 F-P+B
N° 820
ND
20 AVRIL 2017
REJET
M. GUÉRIN président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :
REJET du pourvoi formé par l'administration des douanes et droits indirects, partie poursuivante contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, 5e chambre, en date du 15 septembre 2015, qui, dans la procédure suivie contre M. [P] [C] des chefs d'importation sans déclaration de marchandise ni prohibée ni fortement taxée et manoeuvres ayant pour but ou pour effet d'obtenir une exonération attachée à l'exportation, a rejeté ses demandes ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 8 mars 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme Chaubon, conseiller rapporteur, M. Soulard, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de Mme le conseiller CHAUBON, les observations de la société civile professionnelle BORÉ et SALVE DE BRUNETON, Me LE PRADO, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général MORACCHINI ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 32, 63, 65, 323, 369, 412, 414, 423, 424, 425, 426, 430, 432 bis, 435, 436 et 438 du code des douanes, de la Convention de Montego Bay du 10 décembre 1982, des articles 385, 551, 591, 593 et 802 du code de procédure pénale :
"en ce que l'arrêt, infirmant le jugement entrepris, a dit non-conformes à l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, les articles 62 et 63 du code des douanes dans leur rédaction applicable au 3 septembre 2013, a déclaré, en conséquence, nuls la visite et le contrôle opérés en l'espèce à cette date par les agents des douanes et a dit nulle toute la procédure subséquente, y compris les citations ;
"aux motifs que dans sa version en vigueur à l'époque du contrôle survenu le 3 septembre 2013, l'article 62 du code des douanes disposait que les agents des douanes pouvaient visiter tout navire se trouvant dans la zone maritime du rayon des douanes et dans la zone définie à l'article 44 bis dans les conditions prévues à ce texte ; que l'article 63 du code des douanes applicable lors dudit contrôle disposait que les capitaines et commandants devaient recevoir agents des douanes, les accompagner et, s'ils le demandaient, faire ouvrir les écoutilles, les chambres et armoires de leur bâtiment, ainsi que les colis désignés pour la visite ; qu'en cas de refus, les agents pouvaient demander l'assistance d'un juge (ou, s'il n'y en avait pas sur le lieu, d'un officier municipal dudit lieu ou d'un officier de police judiciaire), qui était tenu de faire ouvrir les écoutilles, chambres, armoires et colis ; qu'il était dressé procès-verbal de cette ouverture et des constatations faites aux frais des capitaines ou commandants ; que par décision du 29 novembre 2013, le Conseil constitutionnel a abrogé les articles 62 et 63 du code des douanes, au visa de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, estimant que ces textes ne prévoyaient ni voies de recours appropriées, ni garanties suffisantes permettant le contrôle de la mise en oeuvre des mesures qui y étaient prévues ; que s'il est exact que le Conseil constitutionnel a différé les effets de cette abrogation au 1er janvier 2015, il demeure que les articles 62 et 63 du code des douanes, dans leur rédaction examinée, doivent aussi être lus en fonction de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, le juge étant tenu d'en contrôler la conventionalité ; que selon ce texte, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par à loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ; que ce texte, bien qu'afférent à la phase de jugement, implique que les personnes dont le navire de plaisance est visité par les agents des douanes aient accès au juge pour obtenir, à l'issue d'une procédure équitable, une décision sur la contestation qu'elles seraient susceptibles d'émettre ; que force est de constater que l'article 63 examiné n'instituait pas un tel recours juridictionnel effectif en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite dans un navire de plaisance -qui est un lieu privé assimilable à un domicile- et des mesures subséquentes ; que la simple assistance d'un juge, à la seule demande des douanes, ce magistrat pouvant être suppléé par un officier municipal ou un officier de police judiciaire en cas de refus de visite du navire de plaisance par les personnes s'y trouvant à bord, ne vaut pas contrôle juridictionnel effectif dès lors que ce juge, qui ne disposait d'aucune marge d'appréciation, était tenu de "faire ouvrir les écoutilles, chambres, armoires et colis" ; que l'exception d'inconventionnalité des articles 62 et 63 du code des douanes, dans leur rédaction examinée, est donc accueillie, ces textes ne prévoyant pas un droit au recours juridictionnel effectif ; qu'il s'ensuit l'annulation de toute la procédure subséquente visite et au contrôle du navire de plaisance par les douaniers survenue le 3 septembre 2013, elle-même annulée puisque opérée au mépris de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme ; que les citations en justice sont ainsi annulées pour ce motif sans qu'il soit besoin de prononcer sur les griefs élevés à leur sujet ;
"1°) alors qu'il appartient au prévenu de démontrer l'existence d'une atteinte à ses intérêts résultant de la violation alléguée ; qu'en prononçant la nullité de la visite et du contrôle opérés par les agents des douanes ainsi que de tous les actes subséquents au motif que l'article 63 du code des douanes n'instituait pas un recours juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite dans un navire de plaisance qui est un lieu privé assimilable à un domicile alors que le capitaine du navire ou les personnes à bord n'ayant pas refusé la visite du navire, ils ne pouvaient se faire un grief de ne pas avoir pu recourir contre une mesure à laquelle ils ne s'étaient pas opposés, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"2°) alors qu'en toute hypothèse, en cas d'annulation d'actes de la procédure, les actes ultérieurs ne doivent être annulés que s'ils trouvent leur support nécessaire dans les actes viciés ; qu'il résulte du dossier de la procédure que les procès-verbaux deux à quatre du 3 septembre 2013 sont relatifs, d'une part, à une demande d'Assistance Administrative Mutuelle Internationale avec le Royaume-Uni en application de la Convention de Naples Il, en date du 18 décembre 1997, afin d'obtenir des renseignements sur la résidence de M. [C], et d'autre part, à l'exercice du droit de communication et de retenue de documents prévu par l'article 65 du code des douanes en vertu duquel des réquisitions ont été adressées au service de sécurité de la compagnie aérienne British Airways et au directeur de la compagnie aérienne MEA ; que le procès-verbal n° 13051D01425 du 9 décembre 2013 constitue un procès-verbal de synthèse et de notification d'infractions ; qu'en prononçant, en conséquence de la non-conformité des articles 62 et 63 du code des douanes à l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, la nullité de la visite et du contrôle opérés par les agents des douanes ainsi que de toute la procédure subséquente alors que les procès-verbaux deux à quatre du 3 septembre 2013 ne trouvaient pas leur support nécessaire dans la visite et le contrôle opérés en application des articles 62 et 63 du code des douanes et que le procès-verbal n° 13051D01425 du 9 décembre 2013 ne concernait que pour partie les éléments relevés lors de la visite du navire, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que le 3 septembre 2013, les agents des douanes se sont rendus dans le vieux port [Établissement 1] afin de contrôler le navire de plaisance Option B en vue de vérifier sa situation fiscale et douanière, sur le fondement de l'article 63 du code des douanes, dans sa rédaction applicable à l'époque des faits ; qu'ils ont, en présence de M. [C], résident européen établi à Londres, directeur de la société Option B Limiteed, domiciliée aux îles Caïmans, propriétaire du navire, visité celui-ci entre 15 heures et 16 h 15 et se sont fait remettre des photocopies de documents et factures par des membres de l'équipage ; qu'à l'issue de leur contrôle, M. [C] et la société Option B Limited ont été cités devant le tribunal correctionnel pour importation sans déclaration de marchandise ni prohibée ni fortement taxée et manoeuvres ayant pour but ou pour effet d'obtenir une exonération attachée à l'exportation ; que le tribunal a annulé les citations par jugement dont la direction régionale des douane a interjeté appel ;
Attendu que pour accueillir l'exception d'inconventionnalité et annuler la visite et le contrôle du navire ainsi que la procédure subséquente, l'arrêt énonce que, par décision du 29 novembre 2013, le Conseil constitutionnel a abrogé les articles 62 et 63 du code des douanes, au visa de l'article 2 de la déclaration des droits de l'homme de 1789, estimant que ces textes ne prévoyaient ni voies de recours appropriées, ni garanties suffisantes permettant le contrôle de la mise en oeuvre des mesures qui y étaient prévues ; que si le Conseil constitutionnel a différé les effets de cette abrogation au 1er janvier 2015, les articles 62 et 63 du code des douanes doivent être lus au regard de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme ; que la cour d'appel retient que l'article 63 n'instituait pas un recours juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite dans un navire de plaisance, qui est un lieu privé assimilable à un domicile, et des mesures subséquentes et que la simple assistance d'un juge, à la seule demande des douanes, ce magistrat pouvant être suppléé par un officier municipal ou un officier de police judiciaire en cas de refus de visite du navire de plaisance par les personnes s'y trouvant à bord, ne vaut pas contrôle juridictionnel effectif dès lors que ce juge ne disposait d'aucune marge d'appréciation ; que les juges concluent que l'ensemble de la procédure subséquente doit être annulé ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que le consentement des intéressés aux opérations de visite est sans incidence sur une nullité dont la cause réside dans l'absence de recours contre le déroulement desdites opérations, la cour d'appel, qui a souverainement apprécié les conséquences de l'annulation de la visite, a justifié sa décision au regard de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
D'où il suit que le moyen sera écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt avril deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.